Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Un événement syndical et une initiative gouvernementale se croisent pour donner à cette rentrée sociale une tonalité qui peut être prometteuse pour le pays.
L'événement, c'est que tous les partenaires sociaux ont réussi à trouver un compromis important sur un sujet stratégique. Je veux parler de la formation professionnelle, qui est l'une des clés de l'emploi et de l'efficacité économique. Avec cet accord, nos concitoyens ont pris la mesure de ce que pouvait apporter un dialogue social constructif mis au service d'une ambition portée par tous les partenaires sociaux.
Quant à l'initiative gouvernementale, elle nous réunit aujourd'hui : il s'agit d'adapter nos règles de négociation collective pour concrétiser la position commune du 16 juillet 2001, qui, à nos yeux, ne doit pas demeurer une pétition de principe.
Chacun mesure la portée de cette adaptation. Il s'agit de repenser un système qui date de plus de trente ans. Derrière son caractère technique, c'est la modernisation de notre démocratie sociale qui est en jeu.
Car parler des règles de la négociation collective, c'est traiter des modalités de conclusion des accords, c'est aborder la légitimité de ces accords, c'est définir les champs de cette négociation et des niveaux de compétences (national, interprofessionnel, branche, entreprise ), c'est aussi repenser l'articulation entre la loi et le contrat.
Nous sommes bien au cur des règles qui structurent les pratiques, les cultures et les stratégies syndicales et patronales depuis plusieurs décennies. Changer les règles, c'est donc provoquer une nouvelle donne susceptible de modifier la nature des relations sociales.
Cette nouvelle donne, certains la redoutent car elle bouscule des habitudes et des situations qui ne sont pas toutes illégitimes. D'autres la repoussent car ils s'accommodent de la faiblesse des syndicats. D'autres enfin la rejettent au nom d'une culture d'opposition dont le syndicalisme se doit d'être, à leurs yeux, le moteur permanent.
Bref, il y aurait de bonnes raisons pour ne rien faire sur ce dossier sensible qu'aucun gouvernement n'a osé effleuré depuis si longtemps. Mais je suis, avec le Premier Ministre et dans le cadre des orientations définies par le Président de la République, décidé à agir. Nous présenterons un projet de loi au conseil des ministres début novembre, qui sera discuté - avec la transposition de votre accord sur la formation professionnelle - en décembre au Parlement.
Si je suis déterminé, c'est parce que je suis guidé par un constat que je juge inquiétant, un constat que vous connaissez mieux que quiconque : celui d'un système de relations sociales proche de l'essoufflement.
Le taux de syndicalisation en France n'a jamais atteint des seuils d'adhésion aussi bas. Il se concentre principalement dans le secteur public et reste faible dans le secteur privé. Les dernières élections prud'homales ont été symptomatiques des relations qui existent entre nos concitoyens et les structures représentatives. Le taux de participation a continué de baisser pour n'atteindre qu'un tiers.
Cette situation n'est pas neutre dans la vulnérabilité des liens sociaux qui affecte notre société contemporaine. Elle nourrit dangereusement les extrémismes et les comportements radicaux. La démocratie sociale comme la démocratie politique sont en définitive renvoyés vers le même défi républicain : faire émerger une société plus participative, plus solidaire et cohésive.
Ce constat n'est pas du seul fait des partenaires sociaux. Les torts sont partagés. Les pouvoirs publics ont le syndicalisme qu'ils ont, plus ou moins consciemment, voulu.
Pourquoi en sommes nous là ?
Tout d'abord, parce que la France, par son histoire et par tempérament, n'a pas la culture du consensus et la pratique des corps intermédiaires. C'est le résultat d'une centralisation politique séculaire.
Mais cette situation ne résulte pas seulement de notre tradition historique. Elle s'ancre aussi dans les règles qui structurent depuis trois décennies le dialogue social. Celles-ci ne favorisent pas l'émergence d'un syndicalisme mieux engagé par ses responsabilités et ses compétences.
Ces règles, je vous propose de les faire évoluer.
La position commune, signée en Juillet 2001 par la plupart des partenaires sociaux, est la base sur laquelle nous nous sommes appuyés pour élaborer notre projet.
Ce projet a un double objectif : renforcer, d'une part, le rôle des partenaires sociaux par une extension du champ de la négociation collective par rapport à celui de la loi, et, d'autre part, renforcer la légitimité des accords collectifs, donc des syndicats chargés de les négocier.
A cette fin, notre projet s'articule autour de trois points clefs : un engagement solennel au renvoi à la négociation collective avant toute procédure législative ; une valorisation du principe majoritaire qui devient la référence pour la validation des accords dans les branches et les entreprises ; une évolution dans l'articulation des niveaux de négociation (branches / entreprises).
Deux principes ont présidé à l'élaboration du projet :
Réaliser une adaptation équilibrée de notre démocratie sociale par un développement encadré du droit conventionnel, lui-même conditionné par l'introduction du principe majoritaire et par une mesure effective de la représentativité des organisations syndicales dans les branches à l'initiative des partenaires sociaux eux mêmes ;
Engager une démarche progressive qui sera soumise à bilan.
Permettez-moi de revenir sur ces points.
I. Renvoi à la négociation avant toute procédure législative
A l'occasion de l'adoption de la loi par le Parlement, le gouvernement s'engagera solennellement au renvoi à la négociation interprofessionnelle avant toute procédure législative lorsque les relations sociales sont en jeu. Cet engagement sera explicite dans l'exposé des motifs du projet de loi. Sans remettre en cause la souveraineté nationale incarnée par les pouvoirs exécutif et législatif, il s'agit, avec cette clause, d'évaluer le souhait et la capacité des partenaires sociaux à trouver une solution commune pouvant inspirer la législation.
II. L'introduction du principe majoritaire dans la conclusion des accords
C'est l'objet de l'article 1 du projet de loi.
Pour les accords conclus au niveau interprofessionnel :
Le droit d'opposition s'appliquera : l'opposition formelle de la majorité des organisations syndicales représentatives au titre de l'arrêté de 1966 (soit 3/5) pourra empêcher l'entrée en vigueur d'un accord interprofessionnel ;
Un accord interprofessionnel pourra donc toujours entrer en vigueur grâce à la signature d'une organisation syndicale représentative (ou plusieurs), à condition que la majorité d'entre elles n'exprime pas formellement son opposition.
Pour les accords conclus au niveau des branches :
Le principe majoritaire devient la référence : l'accord professionnel ou la convention de branche entrera en vigueur s'il est approuvé par la ou les organisations syndicales représentant une majorité des salariés de la branche. Cette représentativité effective sera mesurée soit par des élections de représentativité dans la branche, soit par référence aux dernières élections professionnelles dans la branche ;
L'introduction du principe majoritaire sous cette forme devra faire l'objet d'un accord de branche conclu sans l'opposition formelle de la majorité des organisations syndicales de la branche, représentatives au titre de l'arrêté de 1966 (soit 3/5). Cet accord pourra donc entrer en vigueur grâce à la signature d'une organisation syndicale représentative de la branche (ou plusieurs), à condition que la majorité d'entre elles n'exprime pas formellement son opposition ;
En attendant l'accord au niveau de la branche sur le principe majoritaire et l'élection, les accords professionnels de cette branche pourront entrer en vigueur grâce à la signature d'organisations syndicales représentatives de la branche, à condition que la majorité d'entre elles n'expriment pas formellement leur opposition.
Pour les accords conclus au niveau des entreprises :
Il revient aux branches de décider le mode de conclusion des accords d'entreprise en leur sein ;
Deux options sont ouvertes aux branches pour fixer (par accord de branche) le mode d'application du principe majoritaire dans les accords d'entreprise :
- 1ère option : l'accord majoritaire. L'accord d'entreprise entre en vigueur s'il est signé par la ou les organisation syndicales représentant au moins 50 % des salariés lors des dernières élections au Comité d'entreprise ou des délégués du personnel. A l'initiative des organisations syndicales signataires, il pourra également être approuvé directement par le vote de la majorité des salariés de l'entreprise (referendum d'entreprise), les non signataires pouvant s'associer à cette initiative ;
- 2ème option : le droit d'opposition : l'opposition formelle de la majorité de la ou des organisations syndicales représentant au moins 50 % des salariés lors des élections au Comité d'entreprise ou des délégués du personnel, pourra empêcher l'entrée en vigueur de l'accord d'entreprise.
Faute d'accord de branche pour fixer le mode de conclusion des accords d'entreprise, le droit d'opposition s'applique aux accords d'entreprises dans la branche.
Le projet de loi prévoit en outre qu'en l'absence de délégué syndical dans l'entreprise, un accord de branche peut autoriser les représentants élus du personnel ou à défaut un salarié mandaté par une organisation syndicale à négocier et conclure des accords. Lorsque l'entreprise a un délégué syndical, le monopole de négociation est évidemment maintenu.
III. Evolution de l'articulation des niveaux de négociation
Le projet de loi favorise le développement du droit conventionnel en permettant aux accords d'entreprise de déroger aux accords de branche, et aux accords de branche par rapport au niveau interprofessionnel, lorsque l'accord au niveau supérieur le prévoit expressément.
Cet assouplissement est donc encadré :
Par la Loi (Code du travail) dont le caractère impératif est évidemment préservé ;
Par un contrôle exercé par les branches elles-mêmes ;
Par le vote majoritaire qui constitue une nouvelle garantie pour les salariés.
En son article 4, le projet de loi précise l'étendue du caractère dérogatoire des conventions ou accords d'entreprise par rapport aux accords de branche :
L'accord de branche est toujours impératif dans trois domaines : en matière de minima de salaires, de classifications et de dispositifs de mutualisation comme la prévoyance collective ;
A défaut de dispositions prévues au niveau de la branche, c'est-à-dire si l'accord de branche ne précise rien, il est supplétif dans les seuls cas où la loi fait de l'entreprise un niveau normal de négociation sur le domaine considéré, comme par exemple la durée et l'organisation du travail ou la gestion des restructurations ;
Dans tous les autres domaines et sauf disposition exprès contraire prévue par un accord de branche, les accords de branche sont impératifs.
IV. Une évolution progressive, soumise à bilan
Ce projet constitue la première étape d'une démarche progressive pour développer la négociation collective. Les partenaires sociaux devront s'approprier le nouveau dispositif et le faire vivre, dans les branches comme dans les entreprises en prenant toutes les responsabilités que la loi leur confie.
Au bout de cinq ans, un bilan permettra d'en évaluer les effets. Le Gouvernement présentera au Parlement un rapport sur l'application de la loi avant le 31 décembre 2007 (article 10).
Tels sont les points sur lesquels je souhaite avancer pour poser les bases d'une démocratie sociale rénovée. Le dispositif que je propose reprend largement la Position commune, mais, vous l'aurez noté, j'ai cru nécessaire d'aller, sur certains points, plus loin pour ouvrir de nouvelles pistes.
J'ai le sentiment qu'avec ce projet, le fil de l'intérêt général est saisi. C'est un processus innovant et pragmatique qui est lancé, et qui, progressivement, devrait amener chacun à réévaluer ses responsabilités et à évoluer en pratique.
Conformément à la méthode utilisée dans toutes les lois que j'ai eu à élaborer, le cadre que je propose avec ses options, offre aux partenaires sociaux la possibilité (et je dirais même la nécessité !) d'établir entre eux certaines des modalités qui régiront la validation des accords. Il leur reviendra de choisir et de dire clairement comment ils entendent donner plus de contenu au principe majoritaire et aux conditions de leur représentativité. Les partenaires sociaux sont ainsi appelés à définir, pour partie, leurs orientations. Ils devront les assumer devant leurs adhérents et surtout devant les salariés.
Mesdames et Messieurs,
Malgré la position commune, je vois bien et sens bien, ce qui se dit ou se pense secrètement : certains doutent de la capacité des partenaires sociaux à jouer de façon plus constructive leur rôle, d'autres craignent de ne plus pouvoir exercer leur influence sur un système dont le caractère bancal présente, à leurs yeux, quelques avantages, d'autres enfin s'inquiètent du développement d'une subsidiarité conventionnelle, déclinée vers les branches et les entreprises.
Le scepticisme est l'antichambre du statu quo. Or ce statu quo, je vous l'ai indiqué, me paraît plus dangereux que le changement. Le risque n'est pas dans la rénovation des règles, il est dans le désordre, les surenchères et les corporatismes qu'entraîneraient la déstructuration et la désyndicalisation du champ social.
Plus que jamais, le monde du travail a besoin d'un syndicalisme moderne et populaire en mesure de structurer les attentes, de hiérarchiser les revendications, de promouvoir des solutions à tous les niveaux, d'accompagner les évolutions de notre pays.
Cette évolution est d'autant plus nécessaire que dans une société aussi complexe que la nôtre, le Politique, l'Etat ne doivent plus, comme par le passé, tout faire et tout décider d'en haut. Ils ne peuvent prétendre, seuls, au monopole de la réflexion et de l'action.
Entre l'Etat, le législateur et les partenaires sociaux, il faut une complémentarité plus créative et constructive. Pour cela, il faut instaurer une nouvelle méthode de travail dont ce projet trace les contours.
Cette complémentarité ne signifie pas que les rapports de forces - qui sont souvent consubstantiels au dialogue social - n'aient plus de sens. Simplement, je crois que les solutions économiques et sociales du XXIème siècle ne passent pas par des pratiques dirigistes et des schémas conflictuels ou idéologiques d'hier. Les réponses sont appelées à dépendre d'une dialectique du terrain que les mécanismes sociaux se doivent donc de favoriser, en misant sur la responsabilité des acteurs.
Cette démocratie sociale renforcée et vivante dont je cherche à définir les voies et moyens, tout le monde l'appelle publiquement de ses vux. Mais dans les coulisses, c'est visiblement plus compliqué... Pour des raisons diverses et avec des objectifs différents, certains sont très allants, d'autres très hésitants. Ce n'est pas anormal car il existe des cultures, des situations et des intérêts propres à chaque organisation
Mais je dis aux uns et aux autres : choisissons ensemble de faire bouger les lignes ! Faisons-le avec un mélange d'audace et de pragmatisme.
Sur un sujet si complexe, nul ne peut être satisfait à 100%. Il faut accepter des compromis. Par contre, chacun serait un jour ou l'autre perdant si notre démocratie sociale demeurait figée.
Les Français ne pourraient comprendre que les partenaires sociaux se fassent, pour diverses raisons, les adversaires de l'essentiel : c'est à dire de la nécessité de faire évoluer, après des années d'immobilisme, les règles et les pratiques.
Ils ne comprendraient pas, à mon sens, que la mise en oeuvre du principe majoritaire puisse être repoussé pour des intérêts particuliers et que celui de la contractualisation soit rejeté au nom d'une interprétation juridique trop craintive.
Le conservatisme ne peut se réfugier derrière une prétendue défense du code du travail que nul n'a l'intention d'affaiblir et qui, au demeurant, a tout lieu d'être mieux protégé et enrichi par le renforcement de procédures faisant appel au dialogue social.
On ne peut suspecter la recherche d'une démocratie sociale plus dense et plus proche du terrain.
Sur ce dossier, n'abordons pas le futur avec les yeux du passé, ni même du présent. Il faut se projeter sur les dix prochaines années.
En tant que membres de la CNNC, vous avez aujourd'hui, avec ce projet, une responsabilité singulière. D'une certaine façon, nous sommes, ensemble, invités à faire un pari sur l'avenir : le pari que le changement - même s'il peut apparaître comme insuffisant pour les uns ou risqué pour les autres - peut être à la source d'une revitalisation du dialogue social et du syndicalisme dont chacune des organisations peut être, demain, la bénéficiaire.
Après des décennies de statu quo et d'irrésolution politique, une opportunité s'offre, Mesdames et Messieurs, pour modifier la donne : le Gouvernement estime que les choses doivent évoluer et les partenaires sociaux sentent, je le crois, au fond d'eux-mêmes, que le temps du changement est venu.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 15 octobre 2003)
Un événement syndical et une initiative gouvernementale se croisent pour donner à cette rentrée sociale une tonalité qui peut être prometteuse pour le pays.
L'événement, c'est que tous les partenaires sociaux ont réussi à trouver un compromis important sur un sujet stratégique. Je veux parler de la formation professionnelle, qui est l'une des clés de l'emploi et de l'efficacité économique. Avec cet accord, nos concitoyens ont pris la mesure de ce que pouvait apporter un dialogue social constructif mis au service d'une ambition portée par tous les partenaires sociaux.
Quant à l'initiative gouvernementale, elle nous réunit aujourd'hui : il s'agit d'adapter nos règles de négociation collective pour concrétiser la position commune du 16 juillet 2001, qui, à nos yeux, ne doit pas demeurer une pétition de principe.
Chacun mesure la portée de cette adaptation. Il s'agit de repenser un système qui date de plus de trente ans. Derrière son caractère technique, c'est la modernisation de notre démocratie sociale qui est en jeu.
Car parler des règles de la négociation collective, c'est traiter des modalités de conclusion des accords, c'est aborder la légitimité de ces accords, c'est définir les champs de cette négociation et des niveaux de compétences (national, interprofessionnel, branche, entreprise ), c'est aussi repenser l'articulation entre la loi et le contrat.
Nous sommes bien au cur des règles qui structurent les pratiques, les cultures et les stratégies syndicales et patronales depuis plusieurs décennies. Changer les règles, c'est donc provoquer une nouvelle donne susceptible de modifier la nature des relations sociales.
Cette nouvelle donne, certains la redoutent car elle bouscule des habitudes et des situations qui ne sont pas toutes illégitimes. D'autres la repoussent car ils s'accommodent de la faiblesse des syndicats. D'autres enfin la rejettent au nom d'une culture d'opposition dont le syndicalisme se doit d'être, à leurs yeux, le moteur permanent.
Bref, il y aurait de bonnes raisons pour ne rien faire sur ce dossier sensible qu'aucun gouvernement n'a osé effleuré depuis si longtemps. Mais je suis, avec le Premier Ministre et dans le cadre des orientations définies par le Président de la République, décidé à agir. Nous présenterons un projet de loi au conseil des ministres début novembre, qui sera discuté - avec la transposition de votre accord sur la formation professionnelle - en décembre au Parlement.
Si je suis déterminé, c'est parce que je suis guidé par un constat que je juge inquiétant, un constat que vous connaissez mieux que quiconque : celui d'un système de relations sociales proche de l'essoufflement.
Le taux de syndicalisation en France n'a jamais atteint des seuils d'adhésion aussi bas. Il se concentre principalement dans le secteur public et reste faible dans le secteur privé. Les dernières élections prud'homales ont été symptomatiques des relations qui existent entre nos concitoyens et les structures représentatives. Le taux de participation a continué de baisser pour n'atteindre qu'un tiers.
Cette situation n'est pas neutre dans la vulnérabilité des liens sociaux qui affecte notre société contemporaine. Elle nourrit dangereusement les extrémismes et les comportements radicaux. La démocratie sociale comme la démocratie politique sont en définitive renvoyés vers le même défi républicain : faire émerger une société plus participative, plus solidaire et cohésive.
Ce constat n'est pas du seul fait des partenaires sociaux. Les torts sont partagés. Les pouvoirs publics ont le syndicalisme qu'ils ont, plus ou moins consciemment, voulu.
Pourquoi en sommes nous là ?
Tout d'abord, parce que la France, par son histoire et par tempérament, n'a pas la culture du consensus et la pratique des corps intermédiaires. C'est le résultat d'une centralisation politique séculaire.
Mais cette situation ne résulte pas seulement de notre tradition historique. Elle s'ancre aussi dans les règles qui structurent depuis trois décennies le dialogue social. Celles-ci ne favorisent pas l'émergence d'un syndicalisme mieux engagé par ses responsabilités et ses compétences.
Ces règles, je vous propose de les faire évoluer.
La position commune, signée en Juillet 2001 par la plupart des partenaires sociaux, est la base sur laquelle nous nous sommes appuyés pour élaborer notre projet.
Ce projet a un double objectif : renforcer, d'une part, le rôle des partenaires sociaux par une extension du champ de la négociation collective par rapport à celui de la loi, et, d'autre part, renforcer la légitimité des accords collectifs, donc des syndicats chargés de les négocier.
A cette fin, notre projet s'articule autour de trois points clefs : un engagement solennel au renvoi à la négociation collective avant toute procédure législative ; une valorisation du principe majoritaire qui devient la référence pour la validation des accords dans les branches et les entreprises ; une évolution dans l'articulation des niveaux de négociation (branches / entreprises).
Deux principes ont présidé à l'élaboration du projet :
Réaliser une adaptation équilibrée de notre démocratie sociale par un développement encadré du droit conventionnel, lui-même conditionné par l'introduction du principe majoritaire et par une mesure effective de la représentativité des organisations syndicales dans les branches à l'initiative des partenaires sociaux eux mêmes ;
Engager une démarche progressive qui sera soumise à bilan.
Permettez-moi de revenir sur ces points.
I. Renvoi à la négociation avant toute procédure législative
A l'occasion de l'adoption de la loi par le Parlement, le gouvernement s'engagera solennellement au renvoi à la négociation interprofessionnelle avant toute procédure législative lorsque les relations sociales sont en jeu. Cet engagement sera explicite dans l'exposé des motifs du projet de loi. Sans remettre en cause la souveraineté nationale incarnée par les pouvoirs exécutif et législatif, il s'agit, avec cette clause, d'évaluer le souhait et la capacité des partenaires sociaux à trouver une solution commune pouvant inspirer la législation.
II. L'introduction du principe majoritaire dans la conclusion des accords
C'est l'objet de l'article 1 du projet de loi.
Pour les accords conclus au niveau interprofessionnel :
Le droit d'opposition s'appliquera : l'opposition formelle de la majorité des organisations syndicales représentatives au titre de l'arrêté de 1966 (soit 3/5) pourra empêcher l'entrée en vigueur d'un accord interprofessionnel ;
Un accord interprofessionnel pourra donc toujours entrer en vigueur grâce à la signature d'une organisation syndicale représentative (ou plusieurs), à condition que la majorité d'entre elles n'exprime pas formellement son opposition.
Pour les accords conclus au niveau des branches :
Le principe majoritaire devient la référence : l'accord professionnel ou la convention de branche entrera en vigueur s'il est approuvé par la ou les organisations syndicales représentant une majorité des salariés de la branche. Cette représentativité effective sera mesurée soit par des élections de représentativité dans la branche, soit par référence aux dernières élections professionnelles dans la branche ;
L'introduction du principe majoritaire sous cette forme devra faire l'objet d'un accord de branche conclu sans l'opposition formelle de la majorité des organisations syndicales de la branche, représentatives au titre de l'arrêté de 1966 (soit 3/5). Cet accord pourra donc entrer en vigueur grâce à la signature d'une organisation syndicale représentative de la branche (ou plusieurs), à condition que la majorité d'entre elles n'exprime pas formellement son opposition ;
En attendant l'accord au niveau de la branche sur le principe majoritaire et l'élection, les accords professionnels de cette branche pourront entrer en vigueur grâce à la signature d'organisations syndicales représentatives de la branche, à condition que la majorité d'entre elles n'expriment pas formellement leur opposition.
Pour les accords conclus au niveau des entreprises :
Il revient aux branches de décider le mode de conclusion des accords d'entreprise en leur sein ;
Deux options sont ouvertes aux branches pour fixer (par accord de branche) le mode d'application du principe majoritaire dans les accords d'entreprise :
- 1ère option : l'accord majoritaire. L'accord d'entreprise entre en vigueur s'il est signé par la ou les organisation syndicales représentant au moins 50 % des salariés lors des dernières élections au Comité d'entreprise ou des délégués du personnel. A l'initiative des organisations syndicales signataires, il pourra également être approuvé directement par le vote de la majorité des salariés de l'entreprise (referendum d'entreprise), les non signataires pouvant s'associer à cette initiative ;
- 2ème option : le droit d'opposition : l'opposition formelle de la majorité de la ou des organisations syndicales représentant au moins 50 % des salariés lors des élections au Comité d'entreprise ou des délégués du personnel, pourra empêcher l'entrée en vigueur de l'accord d'entreprise.
Faute d'accord de branche pour fixer le mode de conclusion des accords d'entreprise, le droit d'opposition s'applique aux accords d'entreprises dans la branche.
Le projet de loi prévoit en outre qu'en l'absence de délégué syndical dans l'entreprise, un accord de branche peut autoriser les représentants élus du personnel ou à défaut un salarié mandaté par une organisation syndicale à négocier et conclure des accords. Lorsque l'entreprise a un délégué syndical, le monopole de négociation est évidemment maintenu.
III. Evolution de l'articulation des niveaux de négociation
Le projet de loi favorise le développement du droit conventionnel en permettant aux accords d'entreprise de déroger aux accords de branche, et aux accords de branche par rapport au niveau interprofessionnel, lorsque l'accord au niveau supérieur le prévoit expressément.
Cet assouplissement est donc encadré :
Par la Loi (Code du travail) dont le caractère impératif est évidemment préservé ;
Par un contrôle exercé par les branches elles-mêmes ;
Par le vote majoritaire qui constitue une nouvelle garantie pour les salariés.
En son article 4, le projet de loi précise l'étendue du caractère dérogatoire des conventions ou accords d'entreprise par rapport aux accords de branche :
L'accord de branche est toujours impératif dans trois domaines : en matière de minima de salaires, de classifications et de dispositifs de mutualisation comme la prévoyance collective ;
A défaut de dispositions prévues au niveau de la branche, c'est-à-dire si l'accord de branche ne précise rien, il est supplétif dans les seuls cas où la loi fait de l'entreprise un niveau normal de négociation sur le domaine considéré, comme par exemple la durée et l'organisation du travail ou la gestion des restructurations ;
Dans tous les autres domaines et sauf disposition exprès contraire prévue par un accord de branche, les accords de branche sont impératifs.
IV. Une évolution progressive, soumise à bilan
Ce projet constitue la première étape d'une démarche progressive pour développer la négociation collective. Les partenaires sociaux devront s'approprier le nouveau dispositif et le faire vivre, dans les branches comme dans les entreprises en prenant toutes les responsabilités que la loi leur confie.
Au bout de cinq ans, un bilan permettra d'en évaluer les effets. Le Gouvernement présentera au Parlement un rapport sur l'application de la loi avant le 31 décembre 2007 (article 10).
Tels sont les points sur lesquels je souhaite avancer pour poser les bases d'une démocratie sociale rénovée. Le dispositif que je propose reprend largement la Position commune, mais, vous l'aurez noté, j'ai cru nécessaire d'aller, sur certains points, plus loin pour ouvrir de nouvelles pistes.
J'ai le sentiment qu'avec ce projet, le fil de l'intérêt général est saisi. C'est un processus innovant et pragmatique qui est lancé, et qui, progressivement, devrait amener chacun à réévaluer ses responsabilités et à évoluer en pratique.
Conformément à la méthode utilisée dans toutes les lois que j'ai eu à élaborer, le cadre que je propose avec ses options, offre aux partenaires sociaux la possibilité (et je dirais même la nécessité !) d'établir entre eux certaines des modalités qui régiront la validation des accords. Il leur reviendra de choisir et de dire clairement comment ils entendent donner plus de contenu au principe majoritaire et aux conditions de leur représentativité. Les partenaires sociaux sont ainsi appelés à définir, pour partie, leurs orientations. Ils devront les assumer devant leurs adhérents et surtout devant les salariés.
Mesdames et Messieurs,
Malgré la position commune, je vois bien et sens bien, ce qui se dit ou se pense secrètement : certains doutent de la capacité des partenaires sociaux à jouer de façon plus constructive leur rôle, d'autres craignent de ne plus pouvoir exercer leur influence sur un système dont le caractère bancal présente, à leurs yeux, quelques avantages, d'autres enfin s'inquiètent du développement d'une subsidiarité conventionnelle, déclinée vers les branches et les entreprises.
Le scepticisme est l'antichambre du statu quo. Or ce statu quo, je vous l'ai indiqué, me paraît plus dangereux que le changement. Le risque n'est pas dans la rénovation des règles, il est dans le désordre, les surenchères et les corporatismes qu'entraîneraient la déstructuration et la désyndicalisation du champ social.
Plus que jamais, le monde du travail a besoin d'un syndicalisme moderne et populaire en mesure de structurer les attentes, de hiérarchiser les revendications, de promouvoir des solutions à tous les niveaux, d'accompagner les évolutions de notre pays.
Cette évolution est d'autant plus nécessaire que dans une société aussi complexe que la nôtre, le Politique, l'Etat ne doivent plus, comme par le passé, tout faire et tout décider d'en haut. Ils ne peuvent prétendre, seuls, au monopole de la réflexion et de l'action.
Entre l'Etat, le législateur et les partenaires sociaux, il faut une complémentarité plus créative et constructive. Pour cela, il faut instaurer une nouvelle méthode de travail dont ce projet trace les contours.
Cette complémentarité ne signifie pas que les rapports de forces - qui sont souvent consubstantiels au dialogue social - n'aient plus de sens. Simplement, je crois que les solutions économiques et sociales du XXIème siècle ne passent pas par des pratiques dirigistes et des schémas conflictuels ou idéologiques d'hier. Les réponses sont appelées à dépendre d'une dialectique du terrain que les mécanismes sociaux se doivent donc de favoriser, en misant sur la responsabilité des acteurs.
Cette démocratie sociale renforcée et vivante dont je cherche à définir les voies et moyens, tout le monde l'appelle publiquement de ses vux. Mais dans les coulisses, c'est visiblement plus compliqué... Pour des raisons diverses et avec des objectifs différents, certains sont très allants, d'autres très hésitants. Ce n'est pas anormal car il existe des cultures, des situations et des intérêts propres à chaque organisation
Mais je dis aux uns et aux autres : choisissons ensemble de faire bouger les lignes ! Faisons-le avec un mélange d'audace et de pragmatisme.
Sur un sujet si complexe, nul ne peut être satisfait à 100%. Il faut accepter des compromis. Par contre, chacun serait un jour ou l'autre perdant si notre démocratie sociale demeurait figée.
Les Français ne pourraient comprendre que les partenaires sociaux se fassent, pour diverses raisons, les adversaires de l'essentiel : c'est à dire de la nécessité de faire évoluer, après des années d'immobilisme, les règles et les pratiques.
Ils ne comprendraient pas, à mon sens, que la mise en oeuvre du principe majoritaire puisse être repoussé pour des intérêts particuliers et que celui de la contractualisation soit rejeté au nom d'une interprétation juridique trop craintive.
Le conservatisme ne peut se réfugier derrière une prétendue défense du code du travail que nul n'a l'intention d'affaiblir et qui, au demeurant, a tout lieu d'être mieux protégé et enrichi par le renforcement de procédures faisant appel au dialogue social.
On ne peut suspecter la recherche d'une démocratie sociale plus dense et plus proche du terrain.
Sur ce dossier, n'abordons pas le futur avec les yeux du passé, ni même du présent. Il faut se projeter sur les dix prochaines années.
En tant que membres de la CNNC, vous avez aujourd'hui, avec ce projet, une responsabilité singulière. D'une certaine façon, nous sommes, ensemble, invités à faire un pari sur l'avenir : le pari que le changement - même s'il peut apparaître comme insuffisant pour les uns ou risqué pour les autres - peut être à la source d'une revitalisation du dialogue social et du syndicalisme dont chacune des organisations peut être, demain, la bénéficiaire.
Après des décennies de statu quo et d'irrésolution politique, une opportunité s'offre, Mesdames et Messieurs, pour modifier la donne : le Gouvernement estime que les choses doivent évoluer et les partenaires sociaux sentent, je le crois, au fond d'eux-mêmes, que le temps du changement est venu.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 15 octobre 2003)