Texte intégral
François Bayrou, bonsoir.
Bonsoir
Vous soutenez la réforme des retraites du gouvernement qui sera examinée au parlement la semaine prochaine ; quand vous voyez la force, l'ampleur de la contestation sociale, les sondages qui, à première vue, sont contre la réforme, est - ce que vous n'avez pas des doutes sur le contenu et sur la méthode qui a été utilisée ?
Ca n'est plus le temps des doutes ; on aurait pu faire autrement. Vous savez que j'avais proposé qu'on suive un autre chemin. Mais aujourd'hui la question c'est de réussir ; il y a un temps pour réfléchir et un temps pour réussir, et évidemment aujourd'hui ce qui se joue, c'est la question de la réforme en France. Peut-on ou ne peut-on pas réformer la France, et vous savez que beaucoup de gens, y compris du parti socialiste, Michel Rocard, Jacques Delors, ont dit attention, on ne peut pas faire échouer cette réforme-là.
Donc il faut faire la réforme même si elle n'est pas parfaite parce que ça montrera qu'on peut réformer en France.
Imaginez ce qui se passerait si la réforme était retirée. A l'avenir, pour les années qui viennent, tout le monde dirait : attention une mobilisation va se produire et cette réforme n'aura pas lieu. Alors on peut réfléchir sur la méthode, il sera peut-être temps d'y réfléchir après ; aujourd'hui ce qu'il faut, c'est qu'elle réussisse. Et si vous me permettez, j'ai regardé votre journal, il y a aussi me semble-t-il une chose à dire, c'est que, il y a un point de non retour qu'il ne faut pas dépasser.
Vous faites allusion aux incidents que l'on a vus : les blocages et puis les sièges du MEDEF qui ont été vandalisés.
Oui, sièges du MEDEF, attaqués, brûlés dans plusieurs villes dont la mienne , à Pau. Imaginons les délégués des entrepreneurs qui aillent attaquer le siège de la CGT Et bien l'ordre public en France, c'est la sécurité de chacun. Ça mérite d'être défendu et c'est aussi la condition pour que le débat ait lieu, pour que tout le monde puisse défendre ses idées, ses convictions, dire oui et dire non, mais avec une limite, c'est que la sécurité de tous doit être respectée.
Est-ce qu'il y a pas quand même une contradiction parce que vous dites : il faut que cette réforme passe et en même temps, vous et d'autres disent qu'il y a un problème de financement, le financement n'est pas assuré ; les régimes spéciaux ne sont pas concernés, il y a un manque de justice sociale. Ça fait quand même beaucoup de critiques.
Tous ces problèmes existent. Et l'on pouvait penser à une autre architecture de la réforme, une réforme plus large, plus juste, plus souple ; le chemin existait, il existera d'ailleurs peut-être demain à nouveau. Aujourd'hui naturellement, la question c'est : avec cette réforme-là, faut-elle qu'elle passe ou qu'elle échoue, et ma réponse c'est : il faut qu'elle passe.
Il y a des améliorations quand même à apporter, sachant que le gouvernement a dit qu'on ne pourrait pas beaucoup la modifier.
On en a fait adopter un certain nombre, l'UDF en a fait adopter une qui est pas mince, c'est que quand on devra racheter les trimestres, on pourra déduire ce rachat de sa feuille de revenu, de l'impôt sur le revenu. C'est une amélioration très importante, mais naturellement l'architecture de la réforme elle n'est pas concernée et nous ne voulons pas la remettre en cause parce que l'équilibre que le gouvernement a trouvé lui paraît important, il y a un moment où il faut être solidaire, nous le serons, y compris sur les régimes spéciaux, nous défendrons l'équilibre que le gouvernement a trouvé.
Alors les enseignants sont particulièrement mobilisés, ils expriment leurs désarrois sur les retraites, sur la décentralisation, sur les coupes budgétaires. Alors l'ancien enseignant et le ministre de l'éducation que vous êtes, qu'est-ce qu'il en pense ?
Je pense qu'il y a une inquiétude très profonde. Quelque fois on parle du malaise ou du mal-être enseignant comme si c'était une déprime, ce n'est pas une déprime. C'est une inquiétude très profonde sur cette vocation d'enseignant et sur la fonction que l'école joue en France. Et il me semble qu'il faut répondre sur ce plan, du fond et pas seulement du climat ou de la morosité. Il y a plusieurs interrogations, la première est celle-ci : l'éducation doit-elle être nationale ou pas ? Ma réponse est que l'école c'est la France et c'est la République et c'est la colonne vertébrale de ce que nous formons ensemble et il faut affirmer, réaffirmer, et faire entendre cette idée que l'éducation doit demeurer nationale. La deuxième question, c'est : est-ce que c'est une priorité ou pas ? pour moi ça doit être une priorité.
Ca ne l'ai pas forcément pour l'instant vous pensez ?
Non, je pense que depuis un an, il faut dire la vérité, chaque fois qu'on a énuméré les priorités du gouvernement, l'école, l'éducation n'étaient jamais à l'intérieur.
Donc de ce point-là, vous comprenez un peu l'inquiétude, le désarroi des enseignants ?
Et je dis qu'il faut y répondre ! je pense qu'il faut les prendre au sérieux. Pas imaginer qu'ils sont en train de faire un jeu corporatiste. Je sais bien que beaucoup de ceux qui nous écoutent le pensent et je crois qu'ils se trompent parce qu'il faut aussi comprendre le nombre d'enseignants qui ont l'impression que le monde, comme il va, il contredit les valeurs qu'ils sont chargés de transmettre. Ils sentent un monde, c'est vrai où l'argent joue une très grande place, où les valeurs matérialistes ou les rapports de force jouent une très grande place et ils ont raison de défendre leurs valeurs. En tout cas, à mes yeux. Mais pour autant, ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas trouver un terrain d'entente et là encore qu'on ne se fixe pas un point de non-retour, j'en vois un : c'est évidemment le respect du bac.
Le bac doit se passer ?! on doit réquisitionner éventuellement les professeurs ?
Parce que le bac c'est un grand symbole de l'éducation nationale et une clé tout à fait importante pour chacun de ceux dont le cur bat aujourd'hui, les garçons et les filles, qui vont passer le bac dans deux jours et qui n'ont pas envie de voir leur année compromise ou leur chance abîmée.
Alors vous êtes, on le sait un grand partisan de la décentralisation, quand vous voyez les enseignants, le monde éducatif qui refuse les 110000 personnes qui passeraient aux régions, qu'est-ce que vous en pensez ?
Gérard Leclerc, je suis un grand partisan de la décentralisation pour ce qui doit être décentralisé.
Et là c'est pas le cas ?
Et pour moi la décentralisation de certains personnels de l'éducation nationale, ça n'est pas une priorité et ça doit se décider par la concertation avec eux. Vous avez entendu à plusieurs reprises le gouvernement dire : " ça ne changera rien ". Si ça ne change rien, c'est forcement pas une priorité. Et donc pour moi, ça ne doit venir qu'aux termes d'une concertation, on ne peut pas sur tous les sujets multiplier les affrontements.
Il y a un problème Luc Ferry ?
Je ne veux pas parler de personne. Ça n'est pas l'affaire de la politique d'un ministre, c'est l'affaire de la politique du gouvernement.
Quand vous voyez d'une façon générale les manifestations sur les retraites, les manifestations des enseignants, les autres corporations, les éboueurs par exemple, qu'est ce que vous en tirez comme conclusion ? Décidément la France est ingouvernable, est irréformable ou il y a un problème, une crise sociale, quelque part dans le sillage de ce qui s'est passé le 21 avril ?
Il y avait une crise, à mon avis très profonde, elle n'est pas sociale, c'est une crise du modèle français. Qu'est-ce que nous bâtissons ensemble ? Nos institutions ne marchent pas bien, notre parlement ne marche pas bien.
On voit même un député chanter dans l'hémicycle !
Oui, bah, il chante parce qu'il ne peut pas se faire entendre quand il parle selon la très belle formule qu'il a utilisé. Il y a une espèce de surdité qui se poursuit malgré les déclarations sur la France d'en bas. Et au fond, la fonction que l'UDF assume et qui je crois est très importante, c'est de montrer cette diversité et cette pluralité des attentes de la France parce que s'il y a verrouillage d'un seul parti qui a toutes les commandes, au bout de très peu de temps il devient sourd et donc c'est très important de marquer la solidarité quand il faut, et notamment quand le moment des réformes vient ; et puis aussi la diversité quand il faut que s'exprime le pluralisme français.
Ce qui n'est pas toujours compris d'ailleurs.
C'est très bien compris par les Français parce que dans les sondages que vous avez vu, et bien les Français comprennent très bien ; c'est pas parce que c'est agaçant pour certains, c'est très utile pour la France.
Un dernier mot, on est un peu abasourdi par l'affaire de Toulouse avec les révélations sur les soirées sado-masochistes, des viols, des meurtres et la mise en cause de magistrats, de policiers, et de l'ancien maire de Toulouse Dominique Baudis. Quel est votre sentiment ?
C'est une affaire horrible, et pour moi c'est une machination horrible. Quand on connait un homme, sa femme, ses enfants, son plus jeune fils a six ans, on ne peut que dire non devant de pareilles infamantes et horribles accusations.
François Bayrou, merci.
(Source http://www.udf.org, le 10 juin 2003)
Bonsoir
Vous soutenez la réforme des retraites du gouvernement qui sera examinée au parlement la semaine prochaine ; quand vous voyez la force, l'ampleur de la contestation sociale, les sondages qui, à première vue, sont contre la réforme, est - ce que vous n'avez pas des doutes sur le contenu et sur la méthode qui a été utilisée ?
Ca n'est plus le temps des doutes ; on aurait pu faire autrement. Vous savez que j'avais proposé qu'on suive un autre chemin. Mais aujourd'hui la question c'est de réussir ; il y a un temps pour réfléchir et un temps pour réussir, et évidemment aujourd'hui ce qui se joue, c'est la question de la réforme en France. Peut-on ou ne peut-on pas réformer la France, et vous savez que beaucoup de gens, y compris du parti socialiste, Michel Rocard, Jacques Delors, ont dit attention, on ne peut pas faire échouer cette réforme-là.
Donc il faut faire la réforme même si elle n'est pas parfaite parce que ça montrera qu'on peut réformer en France.
Imaginez ce qui se passerait si la réforme était retirée. A l'avenir, pour les années qui viennent, tout le monde dirait : attention une mobilisation va se produire et cette réforme n'aura pas lieu. Alors on peut réfléchir sur la méthode, il sera peut-être temps d'y réfléchir après ; aujourd'hui ce qu'il faut, c'est qu'elle réussisse. Et si vous me permettez, j'ai regardé votre journal, il y a aussi me semble-t-il une chose à dire, c'est que, il y a un point de non retour qu'il ne faut pas dépasser.
Vous faites allusion aux incidents que l'on a vus : les blocages et puis les sièges du MEDEF qui ont été vandalisés.
Oui, sièges du MEDEF, attaqués, brûlés dans plusieurs villes dont la mienne , à Pau. Imaginons les délégués des entrepreneurs qui aillent attaquer le siège de la CGT Et bien l'ordre public en France, c'est la sécurité de chacun. Ça mérite d'être défendu et c'est aussi la condition pour que le débat ait lieu, pour que tout le monde puisse défendre ses idées, ses convictions, dire oui et dire non, mais avec une limite, c'est que la sécurité de tous doit être respectée.
Est-ce qu'il y a pas quand même une contradiction parce que vous dites : il faut que cette réforme passe et en même temps, vous et d'autres disent qu'il y a un problème de financement, le financement n'est pas assuré ; les régimes spéciaux ne sont pas concernés, il y a un manque de justice sociale. Ça fait quand même beaucoup de critiques.
Tous ces problèmes existent. Et l'on pouvait penser à une autre architecture de la réforme, une réforme plus large, plus juste, plus souple ; le chemin existait, il existera d'ailleurs peut-être demain à nouveau. Aujourd'hui naturellement, la question c'est : avec cette réforme-là, faut-elle qu'elle passe ou qu'elle échoue, et ma réponse c'est : il faut qu'elle passe.
Il y a des améliorations quand même à apporter, sachant que le gouvernement a dit qu'on ne pourrait pas beaucoup la modifier.
On en a fait adopter un certain nombre, l'UDF en a fait adopter une qui est pas mince, c'est que quand on devra racheter les trimestres, on pourra déduire ce rachat de sa feuille de revenu, de l'impôt sur le revenu. C'est une amélioration très importante, mais naturellement l'architecture de la réforme elle n'est pas concernée et nous ne voulons pas la remettre en cause parce que l'équilibre que le gouvernement a trouvé lui paraît important, il y a un moment où il faut être solidaire, nous le serons, y compris sur les régimes spéciaux, nous défendrons l'équilibre que le gouvernement a trouvé.
Alors les enseignants sont particulièrement mobilisés, ils expriment leurs désarrois sur les retraites, sur la décentralisation, sur les coupes budgétaires. Alors l'ancien enseignant et le ministre de l'éducation que vous êtes, qu'est-ce qu'il en pense ?
Je pense qu'il y a une inquiétude très profonde. Quelque fois on parle du malaise ou du mal-être enseignant comme si c'était une déprime, ce n'est pas une déprime. C'est une inquiétude très profonde sur cette vocation d'enseignant et sur la fonction que l'école joue en France. Et il me semble qu'il faut répondre sur ce plan, du fond et pas seulement du climat ou de la morosité. Il y a plusieurs interrogations, la première est celle-ci : l'éducation doit-elle être nationale ou pas ? Ma réponse est que l'école c'est la France et c'est la République et c'est la colonne vertébrale de ce que nous formons ensemble et il faut affirmer, réaffirmer, et faire entendre cette idée que l'éducation doit demeurer nationale. La deuxième question, c'est : est-ce que c'est une priorité ou pas ? pour moi ça doit être une priorité.
Ca ne l'ai pas forcément pour l'instant vous pensez ?
Non, je pense que depuis un an, il faut dire la vérité, chaque fois qu'on a énuméré les priorités du gouvernement, l'école, l'éducation n'étaient jamais à l'intérieur.
Donc de ce point-là, vous comprenez un peu l'inquiétude, le désarroi des enseignants ?
Et je dis qu'il faut y répondre ! je pense qu'il faut les prendre au sérieux. Pas imaginer qu'ils sont en train de faire un jeu corporatiste. Je sais bien que beaucoup de ceux qui nous écoutent le pensent et je crois qu'ils se trompent parce qu'il faut aussi comprendre le nombre d'enseignants qui ont l'impression que le monde, comme il va, il contredit les valeurs qu'ils sont chargés de transmettre. Ils sentent un monde, c'est vrai où l'argent joue une très grande place, où les valeurs matérialistes ou les rapports de force jouent une très grande place et ils ont raison de défendre leurs valeurs. En tout cas, à mes yeux. Mais pour autant, ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas trouver un terrain d'entente et là encore qu'on ne se fixe pas un point de non-retour, j'en vois un : c'est évidemment le respect du bac.
Le bac doit se passer ?! on doit réquisitionner éventuellement les professeurs ?
Parce que le bac c'est un grand symbole de l'éducation nationale et une clé tout à fait importante pour chacun de ceux dont le cur bat aujourd'hui, les garçons et les filles, qui vont passer le bac dans deux jours et qui n'ont pas envie de voir leur année compromise ou leur chance abîmée.
Alors vous êtes, on le sait un grand partisan de la décentralisation, quand vous voyez les enseignants, le monde éducatif qui refuse les 110000 personnes qui passeraient aux régions, qu'est-ce que vous en pensez ?
Gérard Leclerc, je suis un grand partisan de la décentralisation pour ce qui doit être décentralisé.
Et là c'est pas le cas ?
Et pour moi la décentralisation de certains personnels de l'éducation nationale, ça n'est pas une priorité et ça doit se décider par la concertation avec eux. Vous avez entendu à plusieurs reprises le gouvernement dire : " ça ne changera rien ". Si ça ne change rien, c'est forcement pas une priorité. Et donc pour moi, ça ne doit venir qu'aux termes d'une concertation, on ne peut pas sur tous les sujets multiplier les affrontements.
Il y a un problème Luc Ferry ?
Je ne veux pas parler de personne. Ça n'est pas l'affaire de la politique d'un ministre, c'est l'affaire de la politique du gouvernement.
Quand vous voyez d'une façon générale les manifestations sur les retraites, les manifestations des enseignants, les autres corporations, les éboueurs par exemple, qu'est ce que vous en tirez comme conclusion ? Décidément la France est ingouvernable, est irréformable ou il y a un problème, une crise sociale, quelque part dans le sillage de ce qui s'est passé le 21 avril ?
Il y avait une crise, à mon avis très profonde, elle n'est pas sociale, c'est une crise du modèle français. Qu'est-ce que nous bâtissons ensemble ? Nos institutions ne marchent pas bien, notre parlement ne marche pas bien.
On voit même un député chanter dans l'hémicycle !
Oui, bah, il chante parce qu'il ne peut pas se faire entendre quand il parle selon la très belle formule qu'il a utilisé. Il y a une espèce de surdité qui se poursuit malgré les déclarations sur la France d'en bas. Et au fond, la fonction que l'UDF assume et qui je crois est très importante, c'est de montrer cette diversité et cette pluralité des attentes de la France parce que s'il y a verrouillage d'un seul parti qui a toutes les commandes, au bout de très peu de temps il devient sourd et donc c'est très important de marquer la solidarité quand il faut, et notamment quand le moment des réformes vient ; et puis aussi la diversité quand il faut que s'exprime le pluralisme français.
Ce qui n'est pas toujours compris d'ailleurs.
C'est très bien compris par les Français parce que dans les sondages que vous avez vu, et bien les Français comprennent très bien ; c'est pas parce que c'est agaçant pour certains, c'est très utile pour la France.
Un dernier mot, on est un peu abasourdi par l'affaire de Toulouse avec les révélations sur les soirées sado-masochistes, des viols, des meurtres et la mise en cause de magistrats, de policiers, et de l'ancien maire de Toulouse Dominique Baudis. Quel est votre sentiment ?
C'est une affaire horrible, et pour moi c'est une machination horrible. Quand on connait un homme, sa femme, ses enfants, son plus jeune fils a six ans, on ne peut que dire non devant de pareilles infamantes et horribles accusations.
François Bayrou, merci.
(Source http://www.udf.org, le 10 juin 2003)