Texte intégral
F. Laborde-. Nous allons évoquer la situation en Irak avec C. Pasqua, qui ne s'était pas exprimé depuis longtemps. [...] C. Pasqua, dans la lettre que vous publiez, qui est une nouveauté et qui s'appelle "La lettre du rassemblement pour la France et l'indépendance de l'Europe" - on peut y lire en toute lettre : "Le gaullisme est-il de retour ?". Cela veut dire que vous considérez que J. Chirac, dans la gestion du dossier irakien, a une attitude gaulliste ?
- "Le problème n'est pas tellement l'attitude ; le problème, c'est l'action que l'on conduit en fonction d'un certain nombre de principes. Or, ces principes sont toujours les mêmes. La France retrouve un certain écho à l'extérieur, dès lors qu'elle est elle-même, et qu'elle est fidèle à sa vocation et ses traditions. C'est ce que J. Chirac a retrouvé. Je m'en félicite pour la France."
La tradition de la France, c'est, effectivement, de promouvoir ce qu'on appelle "le concert des nations", "le multipolarisme", éviter le rapport entre les deux blocs ; c'est cette attitude que la France a toujours voulu défendre. Et c'est pour ça qu'il faut, effectivement, comme le fait J. Chirac, exiger que tout passe par le Conseil de sécurité des Nations Unies, quitte à sembler, peut-être, à un moment donné, bloquer le processus ?
- "Nous sommes dans une situation nouvelle. Depuis la disparition de l'Union soviétique, il n'y a plus qu'une seule hyperpuissance, ce sont les Etats-Unis. Ce n'est pas être anti-américain que dire cela et de le reconnaître. Je ne suis pas anti-américain, mais le risque est considérable de voir cette hyperpuissance, compte tenu des moyens dont elle dispose, de vouloir s'arroger le droit de diriger le monde et d'intervenir où bon lui semble, en fonction de ce qu'elle croit être ses intérêts vitaux. Or, il n'y a pas, à l'heure actuelle, de puissants équilibres. L'Europe pourrait en être une, encore pour cela, faudrait-il qu'elle existe. Or elle n'existe pas en tant que telle, parce qu'il lui manque l'essentiel, qui est la volonté !"
L'Europe qui est régulièrement affaiblie par les divergences.
- "Elle est non seulement affaiblie mais est inexistante ! S'il n'y avait pas la France, avec J. Chirac, et l'Allemagne de Schröder, qui s'associe à la démarche de J. Chirac, l'Europe serait totalement absente. Parce que, une fois de plus, et c'est un des problèmes auxquels l'Europe est confrontée, l'Angleterre suit aveuglément les Etats-Unis ! Voilà la réalité des choses. Mais les premiers dommages collatéraux de l'affaire qui n'a pas encore commencé, c'est effectivement..."
Ce sont les divergences en Europe ?
- "C'est plus qu'une divergence, c'est un éclatement."
Vous ne croyez pas J. Chirac, quand il a dit, l'autre soir, à la télévision que L'Europe va surmonter, qu'il y a des tensions, mais que tout cela, au fond , va nous forcer à nous retrouver ? Vous n'y croyez pas ?
- "Non, je ne le crois pas, parce que je suis moi-même au Parlement européen, j'ai le contact avec un certain nombre de parlementaires."
Vous êtes d'ailleurs sur la même ligne que D. Cohn-Bendit, ce qui mérite d'être souligné, cela ne vous est pas arrivé tous les jours !
- "On pourrait dire l'inverse."
La réciproque est vraie, absolument.
- "Mais ça va très au-delà des clivages politiques, car on se rend bien compte des dangers. L'intervention, sans trop de retenue des Américains dans cette région au monde, va mettre le feu aux poudres. Elle va susciter dans les masses arabes un sentiment de haine considérable, d'abord un sentiment de frustration, et tout cela aura des conséquences sérieuses. Pour l'Europe, les choses s'aggravent du fait qu'une partie de l'Europe a pris position, sans réserve, en faveur des Etats-Unis, alors que la France et l'Allemagne ont pris une autre position. Et puis, il y a d'autres éléments qui interviennent : c'est la préparation actuelle d'un projet de constitution, projet qui risque d'entraîner de la part de certains pays européens, le refus de l'élargissement. Parce que, si on voit dans ce projet de constitution trop de fédéralisme, un certain nombre de pays rejetteront l'élargissement. Or je ne crois pas qu'il y ait de quoi se réjouir de ces perspectives."
Vous qui êtes plutôt souverainiste, on peut dire les choses comme ça ?
- "Oui, on peut, oui."
Et vous êtes préoccupé, aujourd'hui, par la faiblesse de l'Europe ?!
- "Oui, parce que ce n'est pas contradictoire. Il faut une France forte, mais dans une Europe forte et dans une Europe unie. Or l'Europe ne peut exister que si elle s'appuie sur les réalités. Les réalités ce sont les Etats et les peuples. Et actuellement, on a voulu bâtir une construction artificielle, qui n'a pas résisté au premier soubresaut."
On a le sentiment aujourd'hui que quoi qu'il arrive, les Américains vont y aller à ce conflit en Irak, avec ou sans...
- "Cela me paraît évident."
...le feu vert des Nations unies. Que peut-il se passer après ? Est-ce que de toute façon, il faudra que la communauté internationale s'investisse, d'une façon ou d'une autre, pour gérer après la guerre ? Il peut y avoir un embrasement ? Que peut-il se passer ?
- "A mon avis, les Américains vont jouer la partie d'une manière un peu plus intelligente que cela. Ils ne vont pas dire qu'ils vont sans l'autorisation des Nations unies ou sans l'accord des Nations unies, ils l'ont d'ailleurs indiqué... Ils indiquent que la résolution 1441 leur permet d'intervenir militairement."
De facto.
- "Et c'est ce qu'ils vont faire. Ils ne vont pas dire : on n'y va pas sans l'accord des Nations unies. Ils vont dire qu'ils appliquent cet accord et que certains pays, qui sont au Conseil de sécurité, ne se sont pas rendus compte en réalité, de la mauvaise foi de S. Hussein, etc. Donc, c'est un fait, ils vont y aller. Ensuite, nous verrons bien quelles seront les conséquences. D'abord, est-ce que cette guerre sera rapidement gagnée ? S'il s'agit seulement d'un affrontement militaire, c'est sûr que ce sera rapide. Quelle sera la réaction des populations ? Personne ne le sait. Et puis, il y a la suite, qui est l'occupation du territoire, et puis c'est aussi les conséquences ailleurs. Est-ce que les Etats-Unis, par la suite, ont l'intention de s'occuper de l'Arabie Saoudite ? Ont-il l'intention de s'occuper de la Syrie ?"
Du Liban, et d'Israël peut-être ?
- "Les Etats-Unis ont été l'objet d'une agression sur leur territoire, ils ont eu plusieurs milliers de morts. Leur réaction est donc légitime s'ils cherchent à sanctionner les véritables responsables des attentats. Le problème c'est qu'aucune preuve n'a été apportée, de quelque lien que ce soit, entre l'Irak et Al-Qaida. Par contre, un certain nombre de personnages, qui ont participé aux attentats, étaient originaires d'Arabie Saoudite."
Vous dites aux Américains : "allez directement en Arabie Saoudite, ce n'est pas la peine de faire un détour par l'Irak" ?
- "Non, je ne dis pas aux Américains d'aller en Arabie Saoudite, d'autant qu'ils ont des intérêts financiers croisés considérables. Mais je dis que la tentation va être très grande, pour les Américains, d'essayer d'implanter des régimes qu'ils contrôlent mieux, si l'on peut dire."
Y a-t-il un risque d'embrasement dans la région ? Parce que c'est cela qui préoccupe. La rue arabe peut dire : non, on ne veut pas de cela, on ne veut pas d'occupation américaine, avec des affrontements lourds ?
- "Je crois que le risque est de voir un certain nombre de régimes arabes emportés par la tempête. Et un certain nombre de pays - je ne vais pas me mettre à énumérer lesquels, ce n'est pas la peine de jeter de l'huile sur le feu -, mais tous ceux qui connaissent un peu cette région au monde le savent, dans un certain nombre de pays, les régimes sont extrêmement menacés et la rue peut les..."
Jordanie, Liban ?
- "... La rue peut les balayer, voilà. Il y a l'Egypte également qui est encore plus menacée que les autres. Et tout cela, entraînerait une déstabilisation de cette région du monde, avec des conséquences que nul ne peut imaginer aujourd'hui."
Peut-il y a avoir une sorte d'exportation de ces tensions en France, avec des risques de terrorisme accentués en France ?
- "Je crois que le risque terroriste a toujours existé, et je crois que d'ailleurs le Gouvernement le sait. Des risques d'attentats existent, c'est certain. Il faut être vigilant."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 mars 2003)
- "Le problème n'est pas tellement l'attitude ; le problème, c'est l'action que l'on conduit en fonction d'un certain nombre de principes. Or, ces principes sont toujours les mêmes. La France retrouve un certain écho à l'extérieur, dès lors qu'elle est elle-même, et qu'elle est fidèle à sa vocation et ses traditions. C'est ce que J. Chirac a retrouvé. Je m'en félicite pour la France."
La tradition de la France, c'est, effectivement, de promouvoir ce qu'on appelle "le concert des nations", "le multipolarisme", éviter le rapport entre les deux blocs ; c'est cette attitude que la France a toujours voulu défendre. Et c'est pour ça qu'il faut, effectivement, comme le fait J. Chirac, exiger que tout passe par le Conseil de sécurité des Nations Unies, quitte à sembler, peut-être, à un moment donné, bloquer le processus ?
- "Nous sommes dans une situation nouvelle. Depuis la disparition de l'Union soviétique, il n'y a plus qu'une seule hyperpuissance, ce sont les Etats-Unis. Ce n'est pas être anti-américain que dire cela et de le reconnaître. Je ne suis pas anti-américain, mais le risque est considérable de voir cette hyperpuissance, compte tenu des moyens dont elle dispose, de vouloir s'arroger le droit de diriger le monde et d'intervenir où bon lui semble, en fonction de ce qu'elle croit être ses intérêts vitaux. Or, il n'y a pas, à l'heure actuelle, de puissants équilibres. L'Europe pourrait en être une, encore pour cela, faudrait-il qu'elle existe. Or elle n'existe pas en tant que telle, parce qu'il lui manque l'essentiel, qui est la volonté !"
L'Europe qui est régulièrement affaiblie par les divergences.
- "Elle est non seulement affaiblie mais est inexistante ! S'il n'y avait pas la France, avec J. Chirac, et l'Allemagne de Schröder, qui s'associe à la démarche de J. Chirac, l'Europe serait totalement absente. Parce que, une fois de plus, et c'est un des problèmes auxquels l'Europe est confrontée, l'Angleterre suit aveuglément les Etats-Unis ! Voilà la réalité des choses. Mais les premiers dommages collatéraux de l'affaire qui n'a pas encore commencé, c'est effectivement..."
Ce sont les divergences en Europe ?
- "C'est plus qu'une divergence, c'est un éclatement."
Vous ne croyez pas J. Chirac, quand il a dit, l'autre soir, à la télévision que L'Europe va surmonter, qu'il y a des tensions, mais que tout cela, au fond , va nous forcer à nous retrouver ? Vous n'y croyez pas ?
- "Non, je ne le crois pas, parce que je suis moi-même au Parlement européen, j'ai le contact avec un certain nombre de parlementaires."
Vous êtes d'ailleurs sur la même ligne que D. Cohn-Bendit, ce qui mérite d'être souligné, cela ne vous est pas arrivé tous les jours !
- "On pourrait dire l'inverse."
La réciproque est vraie, absolument.
- "Mais ça va très au-delà des clivages politiques, car on se rend bien compte des dangers. L'intervention, sans trop de retenue des Américains dans cette région au monde, va mettre le feu aux poudres. Elle va susciter dans les masses arabes un sentiment de haine considérable, d'abord un sentiment de frustration, et tout cela aura des conséquences sérieuses. Pour l'Europe, les choses s'aggravent du fait qu'une partie de l'Europe a pris position, sans réserve, en faveur des Etats-Unis, alors que la France et l'Allemagne ont pris une autre position. Et puis, il y a d'autres éléments qui interviennent : c'est la préparation actuelle d'un projet de constitution, projet qui risque d'entraîner de la part de certains pays européens, le refus de l'élargissement. Parce que, si on voit dans ce projet de constitution trop de fédéralisme, un certain nombre de pays rejetteront l'élargissement. Or je ne crois pas qu'il y ait de quoi se réjouir de ces perspectives."
Vous qui êtes plutôt souverainiste, on peut dire les choses comme ça ?
- "Oui, on peut, oui."
Et vous êtes préoccupé, aujourd'hui, par la faiblesse de l'Europe ?!
- "Oui, parce que ce n'est pas contradictoire. Il faut une France forte, mais dans une Europe forte et dans une Europe unie. Or l'Europe ne peut exister que si elle s'appuie sur les réalités. Les réalités ce sont les Etats et les peuples. Et actuellement, on a voulu bâtir une construction artificielle, qui n'a pas résisté au premier soubresaut."
On a le sentiment aujourd'hui que quoi qu'il arrive, les Américains vont y aller à ce conflit en Irak, avec ou sans...
- "Cela me paraît évident."
...le feu vert des Nations unies. Que peut-il se passer après ? Est-ce que de toute façon, il faudra que la communauté internationale s'investisse, d'une façon ou d'une autre, pour gérer après la guerre ? Il peut y avoir un embrasement ? Que peut-il se passer ?
- "A mon avis, les Américains vont jouer la partie d'une manière un peu plus intelligente que cela. Ils ne vont pas dire qu'ils vont sans l'autorisation des Nations unies ou sans l'accord des Nations unies, ils l'ont d'ailleurs indiqué... Ils indiquent que la résolution 1441 leur permet d'intervenir militairement."
De facto.
- "Et c'est ce qu'ils vont faire. Ils ne vont pas dire : on n'y va pas sans l'accord des Nations unies. Ils vont dire qu'ils appliquent cet accord et que certains pays, qui sont au Conseil de sécurité, ne se sont pas rendus compte en réalité, de la mauvaise foi de S. Hussein, etc. Donc, c'est un fait, ils vont y aller. Ensuite, nous verrons bien quelles seront les conséquences. D'abord, est-ce que cette guerre sera rapidement gagnée ? S'il s'agit seulement d'un affrontement militaire, c'est sûr que ce sera rapide. Quelle sera la réaction des populations ? Personne ne le sait. Et puis, il y a la suite, qui est l'occupation du territoire, et puis c'est aussi les conséquences ailleurs. Est-ce que les Etats-Unis, par la suite, ont l'intention de s'occuper de l'Arabie Saoudite ? Ont-il l'intention de s'occuper de la Syrie ?"
Du Liban, et d'Israël peut-être ?
- "Les Etats-Unis ont été l'objet d'une agression sur leur territoire, ils ont eu plusieurs milliers de morts. Leur réaction est donc légitime s'ils cherchent à sanctionner les véritables responsables des attentats. Le problème c'est qu'aucune preuve n'a été apportée, de quelque lien que ce soit, entre l'Irak et Al-Qaida. Par contre, un certain nombre de personnages, qui ont participé aux attentats, étaient originaires d'Arabie Saoudite."
Vous dites aux Américains : "allez directement en Arabie Saoudite, ce n'est pas la peine de faire un détour par l'Irak" ?
- "Non, je ne dis pas aux Américains d'aller en Arabie Saoudite, d'autant qu'ils ont des intérêts financiers croisés considérables. Mais je dis que la tentation va être très grande, pour les Américains, d'essayer d'implanter des régimes qu'ils contrôlent mieux, si l'on peut dire."
Y a-t-il un risque d'embrasement dans la région ? Parce que c'est cela qui préoccupe. La rue arabe peut dire : non, on ne veut pas de cela, on ne veut pas d'occupation américaine, avec des affrontements lourds ?
- "Je crois que le risque est de voir un certain nombre de régimes arabes emportés par la tempête. Et un certain nombre de pays - je ne vais pas me mettre à énumérer lesquels, ce n'est pas la peine de jeter de l'huile sur le feu -, mais tous ceux qui connaissent un peu cette région au monde le savent, dans un certain nombre de pays, les régimes sont extrêmement menacés et la rue peut les..."
Jordanie, Liban ?
- "... La rue peut les balayer, voilà. Il y a l'Egypte également qui est encore plus menacée que les autres. Et tout cela, entraînerait une déstabilisation de cette région du monde, avec des conséquences que nul ne peut imaginer aujourd'hui."
Peut-il y a avoir une sorte d'exportation de ces tensions en France, avec des risques de terrorisme accentués en France ?
- "Je crois que le risque terroriste a toujours existé, et je crois que d'ailleurs le Gouvernement le sait. Des risques d'attentats existent, c'est certain. Il faut être vigilant."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 mars 2003)