Interview de M. Hervé Morin, président du groupe parlementaire à l'Assemblée nationale, à La Chaîne Info LCI le 6 avril 2004, sur le nouveau gouvernement Raffarin et les relations de l'UDF dans la majorité.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Question (Anita Hausser) : Jeudi soir vous avez dit : "J. Chirac fait du copié/collé", qu'il reprend vos propositions. Hier, vous avez entendu J.-P. Raffarin et vous avez dit : "Il n'a rien compris". Il n'a pas suivi les indications, les orientations du président de la République ?
Hervé Morin (Réponse) : Je m'attendais honnêtement à tout à fait autre chose. Je m'attendais à ce que, d'abord, le Premier ministre prenne en compte les résultats des élections régionales. Derrière cela, il y a une question majeure, qui est celle de la perception que vous avez de la démocratie. Soit vous considérez que la démocratie est un moyen de capter le pouvoir et de le conserver sur une période qui est celle déterminée par la loi, soit vous considérez que la démocratie est un moyen, pour nos compatriotes, de participer du pouvoir, de déterminer la politique du pays, et dans ce cas-là, il me semblait que la déclaration de politique générale du Premier ministre devait commencer par un constat : voir un peu dans quel état est le pays.
Question : Quelque chose de plus politique quoi ?
Hervé Morin (Réponse) : Quelque chose où, à la fois, on se dit : tiens, voilà, que s'est-il passé ? Pourquoi en est-on arrivé là ? Parce que, quand on prend une raclée électorale comme celle-ci, il faut quand même se poser la question. Jamais la gauche n'a fait 51 % des voix à une élection nationale. Premier élément. Et le second élément, c'est qu'il fallait, à mon avis, plus fixer un cap. Il y a cette phrase que j'ai relevée il y a peu de temps, on dit : "Quand un marin ne sait pas dans quel port il va, les vents sont forcément mauvais". Je crois qu'il fallait qu'il y ait, grosso modo, une ambition collective. Or, là, on avait le sentiment que les élections n'avaient pas eu lieu, parce qu'il y avait l'avant et l'après, et on retrouvait la litanie des mêmes propositions.
Question : Vous voulez dire que J.-P. Raffarin ne sait pas où il va ?
Hervé Morin (Réponse) : Je n'en sais rien. Mais au moins, ce que je sais, c'est que nos compatriotes doutent sur le chemin vers lequel on les conduit. Cela ne fait aucun doute.
Question : Il y a ce que l'on dit et la manière de le dire. Alors, c'est vrai qu'il a prononcé un discours sans emphase, enfin, on a quand même...
Hervé Morin (Réponse) : Mais ce n'est pas "sans emphase". Je n'ai jamais vu de ma vie - cela fait 18 ans quand même que je suis à l'Assemblée - un discours de déclaration de politique générale où l'hémicycle était totalement absent. C'est-à-dire que, tant à droite qu'à gauche, les parlementaires étaient présents sans l'être réellement, il n'y avait pas d'ambiance. C'est un moment important, solennel, c'est un moment où le Premier ministre indique en quelque sorte où, quelle est la politique qu'il va mener pour les années qui viennent. Et là, on avait quelques parlementaires chargés de faire la claque et c'est tout. C'était une ambiance assez particulière.
Question : Dans l'ambiance particulière, il y avait quand même des choses qui ont été dites, notamment, que les réformes vont continuer, que les privatisations vont s'accélérer. Cela vous va-t-il, vous convient-il ?
Hervé Morin (Réponse) : Ecoutez, on va voir, parce que c'est un mot cela. Après il faut voir un peu quel est le contenu. Pour quoi faire ? Quoi ? Quel est...? Si c'est de dire que l'on va ouvrir le capital d'EDF, c'était déjà prévu ; si c'est...
Question : Il y a quand même débat là-dessus ?
Hervé Morin (Réponse) : Non, c'était annoncé depuis longtemps. S'il s'agit de dire qu'Air France est privatisée dans le cadre de l'échange avec KLM, cela aussi c'était déjà prévu. Ce que je vois c'est le contenu précis : l'augmentation du Smic, c'était déjà prévu, c'est dans le cadre d'une loi 2001, et c'est dans le cadre de la ré-uniformisation du Smic, puisque la gauche avait trouvé le moyen dans le cadre des 35 heures de placer le Smic. Mais bon. Ce je veux voir, c'est concrètement quelles sont les choses...Et j'attendais surtout que l'on donne au pays un peu une feuille de route, qu'on lui dise où l'on va. Et cela, je ne l'ai pas eu hier.
Question : Alors, pour vous, cela traduit-il le fait que J.-P. Raffarin resigne un bail précaire ?
Hervé Morin (Réponse) : Non, je n'en sais rien, cela n'est pas de mon ressort, c'est celui du président de la République. Ce que je constate, c'est que... Si vous voulez, j'ai ressenti un décalage entre le discours du président de la République et celui du Premier ministre. Le président de la République a donné le signe aux Français qu'il avait compris : qu'il y avait de toute évidence de vraies questions sur la cohésion du pays, sur différentes fractures qui peuvent exister, sur le fait qu'il y a une partie du pays qui, globalement, trouve que les choses ne vont pas mal, qui s'en sort bien, dans un contexte de mondialisation. Et puis il y a une partie du pays qui est extrêmement fragile et extrêmement inquiète. Tout cela était intégré. Et ce que je crois, c'est que cette différence entre le discours du président de la République et le Premier ministre ne peut durer qu'un temps. Parce que, aujourd'hui, plus encore qu'hier, la Ve République, avec le quinquennat, c'est quasiment une Constitution présidentielle, c'est-à-dire que c'est un président de la République, élu, derrière il y a des élections législatives, et on donne au président de la République une majorité pour mettre en oeuvre sa politique. Il y a avait avant l'article 5 : '"Le président de la République est l'arbitre" et l'article 20 : "Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation". En réalité, c'est que, depuis 2002, c'est le président de la République qui est à la fois l'arbitre, et c'est aussi lui qui conduit et détermine la politique de la nation.
Question : Faut-il faire une réforme constitutionnelle ?
Hervé Morin (Réponse) : Non. Ce que je veux dire par là, c'est que...
Question : Oui, c'est quand même cela...
Hervé Morin (Réponse) : Non, ce n'est pas cela.
A. Hausser -...Adapter le régime au quinquennat.
Hervé Morin (Réponse) : Peu importe. C'est, de facto, c'est comme cela que c'est aujourd'hui.
Question : La semaine dernière, il y a eu des coups de fil qui ont été passés entre F. Bayrou et J. Chirac, entre F. Bayrou et J.-P. Raffarin, sur...
Hervé Morin (Réponse) : F. Bayrou est même allé voir le Premier ministre.
Question : Et il a téléphoné au président de la République
Hervé Morin (Réponse) : C'est le président de la République qui l'a appelé.
Question : Le président de la République l'a appelé. On lui a proposé - on vous a proposé - d'entrer au Gouvernement. Vous avez refusé en disant...
Hervé Morin (Réponse) : Non, ce n'est pas vrai, on n'a pas refusé ! Je conteste cette idée que l'on aie refusé.
Question : Je vous pose une question.
Hervé Morin (Réponse) : On était...Non, non, mais je sais parce que cela fait partie des choses que l'on dit, donc je le dis avec un peu de force. La réalité, est que F. Bayrou a indiqué : oui, nous sommes prêts à participer à l'oeuvre de redressement qui est en cours. Oui, s'il y a un certain nombre d'éléments politiques qui sont remplis. F. Bayrou les a exposés, ce sont ceux que l'on a retrouvés dans le discours du président de la République, sauf que, entre le moment où F. Bayrou les a exposés et les a indiqués au président de la République, et la Constitution du Gouvernement, il n'y a jamais eu aucun écho.
Question : Donc, on a pris vos idées et on n'a pas pris les hommes.
Hervé Morin (Réponse) : Ce n'est pas très grave. L'essentiel, ce sont les idées quand même dans cette affaire.
Question : Est-ce pour la prochaine fois ?
Hervé Morin (Réponse) : Je n'en sais rien, ce n'est pas le sujet. J'espère pour le Premier ministre que le Gouvernement va durer longtemps.
Question : C'est un véritable espoir ?
Hervé Morin (Réponse) : Oui, vraiment !, vraiment ! La différence entre nous et le PS, c'est que le PS ou le PC n'attendent qu'une chose : c'est que le fruit mûr tombe et qu'ils reprennent le pouvoir. Nous, on n'est pas dans cette logique ; on est dans la logique que, le Gouvernement réussisse, parce que si le Gouvernement réussit, c'est que la France va mieux.
Question : Et pour que le Gouvernement réussisse, il faut une majorité cohérente.
Hervé Morin (Réponse) : Mais ce n'est pas une majorité de godillots, une majorité cohérente.
Question : Y a-t-il des nuances entre "cohérent" et "godillots" ? La critique peut-elle encore être permise ?
Hervé Morin (Réponse) : Vous savez ce que disait le président de la République à l'égard des Américains au moment de l'Irak : "Quand on est des amis, on est là pour se dire les choses". C'est bien lui qui le disait. Il disait : "Si entre amis, on ne peut pas se dire les choses, c'est que l'on n'est pas des amis".
Question : Donc, vous êtes de vrais amis ?
Hervé Morin (Réponse) : Oui.
Question : Les relations vont-elles se normaliser entre le groupe UDF et le Premier ministre ? Allez-vous inviter le Premier ministre à venir vous voir ? Lui-même a-t-il l'intention de vous recevoir régulièrement à Matignon ?
Hervé Morin (Réponse) : Jusqu'alors, on n'a été associés à rien depuis deux ans. A. Juppé a indiqué qu'a priori, on allait mettre en place des moyens pour qu'il y ait un dialogue qui se noue entre eux et nous, et nous en sommes ravis. Et bien entendu, dans le cadre de ce dialogue, bien entendu, nous serons ravis de recevoir le Premier ministre.
Question : C'est une invitation ?
Hervé Morin (Réponse) : Oui, mais bon... Les choses ne peuvent pas être à sens unique, d'une part. Ce n'est pas simplement d'inviter le Premier ministre. Les choses symboliques, ça ne sert à rien dans ce genre...
Question : Un homme poli rend les invitations.
Hervé Morin (Réponse) : La réalité c'est : considère-t-on que l'UDF est le partenaire de l'UMP et que la majorité marche sur deux jambes pour mieux marcher ?
Question : Bien, la question est posée.
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 avril 2004)