Texte intégral
Q - Quelque chose d'important est en train de se jouer sur les bords de la Mer Rouge à Aqaba en Jordanie. George Bush reçoit Messieurs Ariel Sharon et Mahmoud Abbas et il fait pression sur l'un et sur l'autre pour arriver à créer un Etat palestinien d'ici à 2005. Vous étiez il y a une semaine à peine au Proche-Orient, est ce que c'est possible, est-ce que c'est le moment ?
R - Il y a une chance historique et cette chance historique il faut essayer de la saisir. Les Palestiniens se sont engagés dans la voie de la paix, les pays arabes s'avancent sur ce chemin, Israël a accepté la feuille de route, ce sont des circonstances exceptionnelles, il faut les mesurer. A partir de là, nous avons le devoir de créer les conditions, d'accompagner ce mouvement, de le penser, et nous nous réjouissons et nous saluons le réengagement des Etats-Unis dans cette région.
Q - C'est-à-dire que M. Bush fait comme Clinton avant lui, alors que les Américains ne voulaient pas ou ne pensaient pas y aller quand l'administration Bush est arrivée au pouvoir ?
R - Chacun connaît l'extraordinaire complexité de ce dossier du Proche-Orient, chacun connaît aussi son importance parce que le poids de la justice aujourd'hui dans cette région est très lourd et on se rend compte que la justice, comme la paix, ne sont pas divisibles, que l'on parle de l'Irak ou que l'on parle du Proche-Orient. Il est essentiel d'avancer dans la voie de la paix si l'on veut donner une chance à cette région. Et nous sommes très concernés quand nous voyons les dangers d'instabilité que constituent les armes de prolifération, que constitue le terrorisme. Si l'on veut réduire ce risque là et bien il faut avancer dans la paix.
Q - Dominique de Villepin, Georges Bush a dit paraît-il à Evian qu'il demanderait des conseils sur le Proche-Orient à Jacques Chirac et à la France. Au-delà de la politesse, qu'est-ce qu'on peut suggérer ou conseiller à M. Bush aujourd'hui à propos du Proche-Orient ?
R - On peut faire beaucoup plus que suggérer et proposer. Je vous le rappelle, la feuille de route, qui est l'outil de paix, prévoit un certain nombre d'étapes permettant d'arriver en 2005 à la création d'un Etat palestinien. Dans cette feuille de route, c'est le Quartet, c'est-à-dire les Nations unies, la Russie, les Etats-Unis et l'Union européenne. Et l'Union européenne a joué tout son rôle au cours des derniers mois, nous avons même porté une part très lourde de la tâche et il faut continuer à le faire. Pour réussir la paix, il faut se mettre tous ensemble, il faut être mobilisé, travailler ensemble.
Q - Et pourquoi l'Europe n'est-elle pas présente à Aqaba ?
R - Nous sommes à un moment, vous l'avez dit, qui consacre le réengagement américain dans cette région. Le président Bush a souhaité rencontrer un certain nombre de dirigeants arabes, rencontrer le Premier ministre israélien et le Premier ministre palestinien, nous nous en félicitons. A partir de là, eh bien tout reste à construire.
Q - C'est-à-dire que Bush joue pour nous ?
R - Nous jouons ensemble et chacun joue avec ses arguments. Nous avons tous des capacités dans cette région, vous connaissez les liens traditionnels que la France a avec un certain nombre de pays arabes, la compréhension, la connaissance et ceci est reconnu par tous. L'Europe a un poids très lourd, je n'oublie pas que l'Europe est le premier partenaire économique d'Israël, l'Europe est le premier donneur d'aide aux Territoires palestiniens, tout ceci consacre une capacité, eh bien utilisons ces capacités tous ensemble au service de la paix.
Q - Vous êtes donc assez optimiste pour le moment et dans cette phase-là ?
R - Je dirais positif. C'est une nécessité si nous voulons avancer vers un monde plus juste, plus équilibré, plus sûr.
Q - Alors Dominique de Villepin, les rencontres d'Evian, elles ont été parfaitement organisées par la France, apparemment elles n'ont pas produit de résultats concrets. Le grand vainqueur apparemment et en tout cas sur la photo, c'est le président Chirac. Symboliquement, le monde est aujourd'hui multipolaire, on l'a vu. En réalité, qui commande le monde ?
R - Qui commande le monde ? Eh bien, le monde, d'abord constatons-le, est-il commandé aujourd'hui suffisamment ? Le monde est en grand désordre. Le problème c'est comment peut-on commander le monde de façon à le rendre plus sûr ?
Q - Mais qui commande le monde ?
R - Aujourd'hui malheureusement, ce sont trop souvent des forces de désordre, des forces non contrôlées et il convient de mettre bout à bout nos volontés, nos capacités pour que ce monde soit plus stable, plus sûr.
Q - Il n'y en a pas, il n'y a pas une hégémonie d'une puissance qui commande le monde ?
R - Il n'y a pas aujourd'hui une puissance qui puisse prétendre dominer l'ordre mondial.
Q - Alors George Bush et M. Chirac se sont parlés, il paraît qu'ils se reverront l'automne prochain à Washington ou à New York. Est-ce qu'il est vrai que la France a bien expliqué qu'elle ne renonce pas à ce qu'elle pensait avant la guerre d'Irak et à ce qu'elle est ?
R - Le président de la République l'a dit très clairement, je l'ai dit et aussi répété pour ma part, notre engagement à l'égard de la guerre était marqué par la volonté de respecter le droit et les principes et nous n'avons pas changé. Nous continuons à être convaincus de la nécessité de se doter de règles. Si nous respectons tous ensemble les mêmes règles internationales, nous aurons plus de chance.
Q - Vous répéteriez ce matin cette phrase "une guerre illégitime ne devient pas légitime simplement parce qu'elle a été gagnée" ?
R - Bien sûr
Q - Elle est de Jacques Chirac
R - Bien sûr, c'est notre conviction, c'est ce qui nous a guidé tout au long de cette crise et nous restons tout à fait fidèle à cette ligne.
Q - La divergence n'empêche pas l'amitié évidemment, mais avant la guerre, vous me permettez directement, est-ce que vous n'êtes pas allé vous-même un peu fort ? Vous savez le discours historique, les images que nous avons tous à l'esprit de votre présence et de vos mots aux Nations unies, mais est-ce que vous n'avez pas tapé un peu dur ?
R - Quand on défend les principes, il faut les défendre jusqu'au bout. C'est la marque de fabrique de la France. Beaucoup ont douté de notre capacité, de notre ténacité, nous l'avons fait parce que nous croyons qu'il est important de marquer clairement l'engagement qui est le nôtre. Nous l'avons fait hier, nous continuons à le faire aujourd'hui. Nous le faisons bien évidemment avec le souci du dialogue, du respect, le souci de la compréhension. Et il est important aujourd'hui de regarder vers l'avenir parce que, ne l'oublions pas, les problèmes n'ont pas disparu. Nous sommes confrontés à un monde en profonde insécurité, il est donc essentiel de nous mobiliser, de regarder vers l'avenir.
Q - Est-ce que cela veut dire que la prochaine fois vous serez plus prudent ou vous direz avec autant de lyrisme et de force ce que vous avez à dire ?
R - Mais nous continuerons à défendre nos principes.
Q - Non, non, vous, pas nous
R - Bien sûr, je continuerai à défendre les principes, tels que la France les conçoit, et je remarque que personne ne parle aujourd'hui de prochaine fois.
Q - Après Saint-Petersbourg, et après surtout Evian, vous dites que la page irakienne est tournée, que la brouille avec Washington est finie ?
R - Il y a une vraie volonté du côté français de conjuguer nos efforts et vous parliez tout à l'heure du message du Sommet d'Evian, retenons ce message essentiel, c'est un message de confiance, un message de confiance adressé à tous les citoyens du monde, sur l'unité retrouvée de l'ensemble de nos pays, un message de confiance adressé à nos économies, c'est un message de croissance. Aujourd'hui, les conditions sont réunies pour que nous nous mobilisions vers l'avenir tout en étant fidèles aux nécessités : fidélité en ce qui concerne la nécessité de continuer dans la voie des réformes, les réformes structurelles indispensables, qu'il s'agisse de réformes sociales, de réformes économiques, de réformes financières.
()
Q - Alors je reviens à Evian, si vous étiez un Africain qui a besoin aujourd'hui de pain, d'eau, de médicaments, est-ce que vous applaudiriez au Sommet d'Evian ?
R - J'applaudirais à l'unité de nos pays, à l'unité des pays du G8 et j'applaudirais à la volonté de solidarité, je resterais inquiet bien sûr quant à la capacité à prendre des décisions concrètes sur des sujets essentiels. Je pense aux médicaments, je pense à l'agriculture
Q - Mais vous diriez qu'ils continuent ?
R - Bien sûr qu'ils continuent, qu'ils traduisent, c'est d'ailleurs le sens de la décision qui a été prise, d'ici au Sommet de Cancun au mois de septembre, pouvoir traduire dans les faits notre volonté de solidarité. Vous savez que la France a joué un rôle de "leadership" sur cette question puisque nous avons voulu mettre au Sommet d'Evian, au cur de l'agenda, les problèmes, les préoccupations de l'Afrique et nous le faisons depuis plusieurs années, vous l'avez vu au Sommet de Monterrey, vous l'avez vu à Kananaskis, au dernier Sommet du G8, c'est une volonté française, parce que nous sommes convaincus que pour avancer vers un monde plus ordonné, un monde plus stable, nous avons besoin d'aider ceux qui souffrent le plus, en l'occurrence l'Afrique.
Q - Dominique de Villepin, trois questions avec des réponses courtes :
Est-ce qu'on connaîtra vraiment un jour toute la vérité sur la guerre d'Irak ? Parce qu'on apprend maintenant qu'en fait les armes de destruction massive c'était peut-être, comme dit M. Wolfowitz qui est à l'origine de tout ça, un argument bureaucratique, est-ce qu'on nous a beaucoup roulés dans la farine, est-ce qu'on nous a beaucoup menti ?
R - Ne comptez pas sur moi pour rentrer dans une polémique, mais il y a un débat, il se nourrit aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, où il y a des procédures parlementaires qui sont engagées, nous verrons bien. En ce qui concerne la position de la France à cette époque, vous le savez, nous avons choisi délibérément de travailler avec les inspecteurs parce qu'ils étaient sur place, ils étaient à la fois l'il et la main de la communauté internationale, et que nous avons pensé qu'il fallait faire confiance à ceux qui étaient sur place et pour cela j'ai adressé dès le début du mois de janvier une lettre à tous les ministres représentant leur pays au Conseil de sécurité pour qu'ils donnent toutes les informations possibles aux inspecteurs.
Q - Donc le débat est justifié, même s'il a lieu en Grande Bretagne et aux Etats-Unis.
La Convention Giscard est bloquée en ce moment et retardée à cause d'un groupe d'Etats et on retrouve l'Espagne, le Royaume-Uni, c'est-à-dire tous ceux qui étaient du côté des Américains pendant la guerre ? Est-ce que l'Europe est en train d'entrer en crise ?
R - Nous sommes forcément en crise à la veille de Thessalonique. Il y un moment où il faut conclure. Toute négociation connaît son pic et nous sommes au pic de la négociation. Je veux croire que nous arriverons au cours des toutes prochaines semaines, puisque nous sommes au bout des travaux, que nous arriverons à concrétiser parce que c'est essentiel pour l'Europe d'arriver à un projet de Constitution.
Q - Mais les gens pensent que l'on va vers la crise
R - Mais nous sommes dans la crise, puisque nous sommes au cur de la négociation, donc par définition, nous sommes au moment où chacun cristallise ses positions. Mais il faut bien aboutir, tout le monde en a conscience aussi. Je fais confiance à l'esprit européen de tous les membres de la Convention, aux capacités du président Giscard d'Estaing, qui a mené de main de maître ses travaux, et je crois que nous aboutirons.
Q - Dernière remarque, aujourd'hui, vous allez défendre à l'Assemblée nationale une nouvelle version du droit d'asile. Il y a 80.000 étrangers qui rentrent en France, mais pourquoi vous ? Pourquoi le Quai d'Orsay ?
R - Parce que le droit d'asile se situe dans la grande tradition d'accueil de la France, pour aider ceux qui sont en difficulté, ceux qui sont persécutés dans leur pays. C'est donc un devoir qui est le nôtre, et ce devoir, nous voulons le remplir dans les meilleures conditions. Pour le remplir, encore faut-il que ce droit ne soit pas contourné. Or nous constatons aujourd'hui que ces procédures sont contournées par d'autres raisons, et notamment des raisons économiques de gens qui veulent venir travailler en France, mais ne souffrent pas de persécutions. Nous avons donc voulu simplifier les procédures : un guichet unique, une procédure unique, un recours juridictionnel unique ; et nous avons voulu lutter contre l'engorgement, le détournement et le coût social croissant de l'ensemble de ces détournements.
Q - Merci Dominique de Villepin, vous démontrez d'une certaine façon que la diplomatie peut rêver de conjuguer la poésie et l'efficacité de l'action.
R - C'est une nécessité.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 juin 2003)
R - Il y a une chance historique et cette chance historique il faut essayer de la saisir. Les Palestiniens se sont engagés dans la voie de la paix, les pays arabes s'avancent sur ce chemin, Israël a accepté la feuille de route, ce sont des circonstances exceptionnelles, il faut les mesurer. A partir de là, nous avons le devoir de créer les conditions, d'accompagner ce mouvement, de le penser, et nous nous réjouissons et nous saluons le réengagement des Etats-Unis dans cette région.
Q - C'est-à-dire que M. Bush fait comme Clinton avant lui, alors que les Américains ne voulaient pas ou ne pensaient pas y aller quand l'administration Bush est arrivée au pouvoir ?
R - Chacun connaît l'extraordinaire complexité de ce dossier du Proche-Orient, chacun connaît aussi son importance parce que le poids de la justice aujourd'hui dans cette région est très lourd et on se rend compte que la justice, comme la paix, ne sont pas divisibles, que l'on parle de l'Irak ou que l'on parle du Proche-Orient. Il est essentiel d'avancer dans la voie de la paix si l'on veut donner une chance à cette région. Et nous sommes très concernés quand nous voyons les dangers d'instabilité que constituent les armes de prolifération, que constitue le terrorisme. Si l'on veut réduire ce risque là et bien il faut avancer dans la paix.
Q - Dominique de Villepin, Georges Bush a dit paraît-il à Evian qu'il demanderait des conseils sur le Proche-Orient à Jacques Chirac et à la France. Au-delà de la politesse, qu'est-ce qu'on peut suggérer ou conseiller à M. Bush aujourd'hui à propos du Proche-Orient ?
R - On peut faire beaucoup plus que suggérer et proposer. Je vous le rappelle, la feuille de route, qui est l'outil de paix, prévoit un certain nombre d'étapes permettant d'arriver en 2005 à la création d'un Etat palestinien. Dans cette feuille de route, c'est le Quartet, c'est-à-dire les Nations unies, la Russie, les Etats-Unis et l'Union européenne. Et l'Union européenne a joué tout son rôle au cours des derniers mois, nous avons même porté une part très lourde de la tâche et il faut continuer à le faire. Pour réussir la paix, il faut se mettre tous ensemble, il faut être mobilisé, travailler ensemble.
Q - Et pourquoi l'Europe n'est-elle pas présente à Aqaba ?
R - Nous sommes à un moment, vous l'avez dit, qui consacre le réengagement américain dans cette région. Le président Bush a souhaité rencontrer un certain nombre de dirigeants arabes, rencontrer le Premier ministre israélien et le Premier ministre palestinien, nous nous en félicitons. A partir de là, eh bien tout reste à construire.
Q - C'est-à-dire que Bush joue pour nous ?
R - Nous jouons ensemble et chacun joue avec ses arguments. Nous avons tous des capacités dans cette région, vous connaissez les liens traditionnels que la France a avec un certain nombre de pays arabes, la compréhension, la connaissance et ceci est reconnu par tous. L'Europe a un poids très lourd, je n'oublie pas que l'Europe est le premier partenaire économique d'Israël, l'Europe est le premier donneur d'aide aux Territoires palestiniens, tout ceci consacre une capacité, eh bien utilisons ces capacités tous ensemble au service de la paix.
Q - Vous êtes donc assez optimiste pour le moment et dans cette phase-là ?
R - Je dirais positif. C'est une nécessité si nous voulons avancer vers un monde plus juste, plus équilibré, plus sûr.
Q - Alors Dominique de Villepin, les rencontres d'Evian, elles ont été parfaitement organisées par la France, apparemment elles n'ont pas produit de résultats concrets. Le grand vainqueur apparemment et en tout cas sur la photo, c'est le président Chirac. Symboliquement, le monde est aujourd'hui multipolaire, on l'a vu. En réalité, qui commande le monde ?
R - Qui commande le monde ? Eh bien, le monde, d'abord constatons-le, est-il commandé aujourd'hui suffisamment ? Le monde est en grand désordre. Le problème c'est comment peut-on commander le monde de façon à le rendre plus sûr ?
Q - Mais qui commande le monde ?
R - Aujourd'hui malheureusement, ce sont trop souvent des forces de désordre, des forces non contrôlées et il convient de mettre bout à bout nos volontés, nos capacités pour que ce monde soit plus stable, plus sûr.
Q - Il n'y en a pas, il n'y a pas une hégémonie d'une puissance qui commande le monde ?
R - Il n'y a pas aujourd'hui une puissance qui puisse prétendre dominer l'ordre mondial.
Q - Alors George Bush et M. Chirac se sont parlés, il paraît qu'ils se reverront l'automne prochain à Washington ou à New York. Est-ce qu'il est vrai que la France a bien expliqué qu'elle ne renonce pas à ce qu'elle pensait avant la guerre d'Irak et à ce qu'elle est ?
R - Le président de la République l'a dit très clairement, je l'ai dit et aussi répété pour ma part, notre engagement à l'égard de la guerre était marqué par la volonté de respecter le droit et les principes et nous n'avons pas changé. Nous continuons à être convaincus de la nécessité de se doter de règles. Si nous respectons tous ensemble les mêmes règles internationales, nous aurons plus de chance.
Q - Vous répéteriez ce matin cette phrase "une guerre illégitime ne devient pas légitime simplement parce qu'elle a été gagnée" ?
R - Bien sûr
Q - Elle est de Jacques Chirac
R - Bien sûr, c'est notre conviction, c'est ce qui nous a guidé tout au long de cette crise et nous restons tout à fait fidèle à cette ligne.
Q - La divergence n'empêche pas l'amitié évidemment, mais avant la guerre, vous me permettez directement, est-ce que vous n'êtes pas allé vous-même un peu fort ? Vous savez le discours historique, les images que nous avons tous à l'esprit de votre présence et de vos mots aux Nations unies, mais est-ce que vous n'avez pas tapé un peu dur ?
R - Quand on défend les principes, il faut les défendre jusqu'au bout. C'est la marque de fabrique de la France. Beaucoup ont douté de notre capacité, de notre ténacité, nous l'avons fait parce que nous croyons qu'il est important de marquer clairement l'engagement qui est le nôtre. Nous l'avons fait hier, nous continuons à le faire aujourd'hui. Nous le faisons bien évidemment avec le souci du dialogue, du respect, le souci de la compréhension. Et il est important aujourd'hui de regarder vers l'avenir parce que, ne l'oublions pas, les problèmes n'ont pas disparu. Nous sommes confrontés à un monde en profonde insécurité, il est donc essentiel de nous mobiliser, de regarder vers l'avenir.
Q - Est-ce que cela veut dire que la prochaine fois vous serez plus prudent ou vous direz avec autant de lyrisme et de force ce que vous avez à dire ?
R - Mais nous continuerons à défendre nos principes.
Q - Non, non, vous, pas nous
R - Bien sûr, je continuerai à défendre les principes, tels que la France les conçoit, et je remarque que personne ne parle aujourd'hui de prochaine fois.
Q - Après Saint-Petersbourg, et après surtout Evian, vous dites que la page irakienne est tournée, que la brouille avec Washington est finie ?
R - Il y a une vraie volonté du côté français de conjuguer nos efforts et vous parliez tout à l'heure du message du Sommet d'Evian, retenons ce message essentiel, c'est un message de confiance, un message de confiance adressé à tous les citoyens du monde, sur l'unité retrouvée de l'ensemble de nos pays, un message de confiance adressé à nos économies, c'est un message de croissance. Aujourd'hui, les conditions sont réunies pour que nous nous mobilisions vers l'avenir tout en étant fidèles aux nécessités : fidélité en ce qui concerne la nécessité de continuer dans la voie des réformes, les réformes structurelles indispensables, qu'il s'agisse de réformes sociales, de réformes économiques, de réformes financières.
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Q - Alors je reviens à Evian, si vous étiez un Africain qui a besoin aujourd'hui de pain, d'eau, de médicaments, est-ce que vous applaudiriez au Sommet d'Evian ?
R - J'applaudirais à l'unité de nos pays, à l'unité des pays du G8 et j'applaudirais à la volonté de solidarité, je resterais inquiet bien sûr quant à la capacité à prendre des décisions concrètes sur des sujets essentiels. Je pense aux médicaments, je pense à l'agriculture
Q - Mais vous diriez qu'ils continuent ?
R - Bien sûr qu'ils continuent, qu'ils traduisent, c'est d'ailleurs le sens de la décision qui a été prise, d'ici au Sommet de Cancun au mois de septembre, pouvoir traduire dans les faits notre volonté de solidarité. Vous savez que la France a joué un rôle de "leadership" sur cette question puisque nous avons voulu mettre au Sommet d'Evian, au cur de l'agenda, les problèmes, les préoccupations de l'Afrique et nous le faisons depuis plusieurs années, vous l'avez vu au Sommet de Monterrey, vous l'avez vu à Kananaskis, au dernier Sommet du G8, c'est une volonté française, parce que nous sommes convaincus que pour avancer vers un monde plus ordonné, un monde plus stable, nous avons besoin d'aider ceux qui souffrent le plus, en l'occurrence l'Afrique.
Q - Dominique de Villepin, trois questions avec des réponses courtes :
Est-ce qu'on connaîtra vraiment un jour toute la vérité sur la guerre d'Irak ? Parce qu'on apprend maintenant qu'en fait les armes de destruction massive c'était peut-être, comme dit M. Wolfowitz qui est à l'origine de tout ça, un argument bureaucratique, est-ce qu'on nous a beaucoup roulés dans la farine, est-ce qu'on nous a beaucoup menti ?
R - Ne comptez pas sur moi pour rentrer dans une polémique, mais il y a un débat, il se nourrit aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, où il y a des procédures parlementaires qui sont engagées, nous verrons bien. En ce qui concerne la position de la France à cette époque, vous le savez, nous avons choisi délibérément de travailler avec les inspecteurs parce qu'ils étaient sur place, ils étaient à la fois l'il et la main de la communauté internationale, et que nous avons pensé qu'il fallait faire confiance à ceux qui étaient sur place et pour cela j'ai adressé dès le début du mois de janvier une lettre à tous les ministres représentant leur pays au Conseil de sécurité pour qu'ils donnent toutes les informations possibles aux inspecteurs.
Q - Donc le débat est justifié, même s'il a lieu en Grande Bretagne et aux Etats-Unis.
La Convention Giscard est bloquée en ce moment et retardée à cause d'un groupe d'Etats et on retrouve l'Espagne, le Royaume-Uni, c'est-à-dire tous ceux qui étaient du côté des Américains pendant la guerre ? Est-ce que l'Europe est en train d'entrer en crise ?
R - Nous sommes forcément en crise à la veille de Thessalonique. Il y un moment où il faut conclure. Toute négociation connaît son pic et nous sommes au pic de la négociation. Je veux croire que nous arriverons au cours des toutes prochaines semaines, puisque nous sommes au bout des travaux, que nous arriverons à concrétiser parce que c'est essentiel pour l'Europe d'arriver à un projet de Constitution.
Q - Mais les gens pensent que l'on va vers la crise
R - Mais nous sommes dans la crise, puisque nous sommes au cur de la négociation, donc par définition, nous sommes au moment où chacun cristallise ses positions. Mais il faut bien aboutir, tout le monde en a conscience aussi. Je fais confiance à l'esprit européen de tous les membres de la Convention, aux capacités du président Giscard d'Estaing, qui a mené de main de maître ses travaux, et je crois que nous aboutirons.
Q - Dernière remarque, aujourd'hui, vous allez défendre à l'Assemblée nationale une nouvelle version du droit d'asile. Il y a 80.000 étrangers qui rentrent en France, mais pourquoi vous ? Pourquoi le Quai d'Orsay ?
R - Parce que le droit d'asile se situe dans la grande tradition d'accueil de la France, pour aider ceux qui sont en difficulté, ceux qui sont persécutés dans leur pays. C'est donc un devoir qui est le nôtre, et ce devoir, nous voulons le remplir dans les meilleures conditions. Pour le remplir, encore faut-il que ce droit ne soit pas contourné. Or nous constatons aujourd'hui que ces procédures sont contournées par d'autres raisons, et notamment des raisons économiques de gens qui veulent venir travailler en France, mais ne souffrent pas de persécutions. Nous avons donc voulu simplifier les procédures : un guichet unique, une procédure unique, un recours juridictionnel unique ; et nous avons voulu lutter contre l'engorgement, le détournement et le coût social croissant de l'ensemble de ces détournements.
Q - Merci Dominique de Villepin, vous démontrez d'une certaine façon que la diplomatie peut rêver de conjuguer la poésie et l'efficacité de l'action.
R - C'est une nécessité.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 juin 2003)