Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, à Europe 1 le 13 avril 2004, sur la lutte contre la violence et la criminalité.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Question (Jean-Pierre Elkabbach) : Vous devenez ministre de l'Intérieur à un moment difficile, pour plusieurs raisons. D'abord, tout est fait apparemment pour retrouver le petit Jonathan. Y a-t-il un piste ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Nous explorons toutes les pistes, rien ne doit être laissé au hasard. Bien sûr, la fugue, même si après plusieurs jours, c'est de moins en moins crédible. L'ensemble des autres pistes, éventuellement l'enlèvement. Toutes les pistes sont explorées.
Question : Trop d'enfants disparaissent. Ce n'est pas normal...
Dominique de Villepin (Réponse) : Non, et ce sont bien sûr des fléaux qui doivent nous mobiliser. De nouvelles formes de violence apparaissent, ce qui implique d'inscrire nos efforts dans la durée, et d'être mobilisés sur tous les fronts.
Question : Le principe d'un nouveau fichier anti-pédophiles et anti-délinquants sexuels a été voté au mois de février. Est-il utile de le mettre en place le plus vite possible ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Bien sûr. C'est un fichier qui est mis en place sous contrôle judiciaire. C'est le résultat de la nouvelle loi Perben II. Il faudra, bien sûr, du temps pour recenser l'ensemble de ces délinquants sexuels. Cela répond à un certain nombre de critères. Mais ce genre d'outil est absolument indispensable, si nous voulons être plus efficaces face à de telles disparitions.
Question : La lutte contre le terrorisme : la presse de Londres racontait hier, que les terroristes avaient désormais la capacité de développer des armes chimiques, qu'ils sont prêts à les utiliser en Europe. Le confirmez-vous ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Oui, nous sommes confrontés à cette menace depuis maintenant de nombreuses années. Il y a eu des filières - la filière afghane, la filière tchétchène -, mais cette menace reste limitée compte tenu des capacités de ces groupes terroristes. Mais nous devons, bien sûr, là encore, faire face à toute éventualité. C'est pour cela que nous avons mis en place un certain nombre de dispositifs. Rappelez-vous l'Opération Biotox qui avait été engagée dans le métro. Cela suppose une coordination à l'échelon national, bien sûr, pour préparer les secours. Cela implique aussi des coopérations l'échelle européenne et internationale.
Question : Mais quel niveau, quelle ampleur, ou quelle proximité de menaces terroristes avez-vous découvert en arrivant au ministère de l'Intérieur ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Aujourd'hui, ce sont des menaces limitées, compte tenu des capacités de ces groupes. Il faut, en effet, une très haute technicité pour pouvoir manier de tels éléments. Donc, c'est une menace limitée mais cela ne doit pas néanmoins nous conduire à minimiser ce risque.
Question : Il y a quelques jours, vous avez interpellé une quinzaine de militants d'action intégriste dans la banlieue parisienne, chez eux, à l'aube. Y aura-t-il de nouvelles opérations de ce types ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Tout à fait. Nous ne pouvons pas accepter le développement de l'intégrisme sur notre sol. Donc, en liaison avec l'ensemble des pays qui sont concernés en Europe, nous agissons, nous partageons l'information et nous n'accepterons pas cette présence chez nous.
Question : Mais, par exemple, la police sait-elle, où se trouvent les réseaux intégristes dans les banlieues et en même temps leurs caches ? Les avez-vous repérés ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Il y a un certain nombre d'informations disponibles. Nous avons ciblé un certain nombre de quartiers "sensibles", un certain nombre de menaces. Nous suivons par ailleurs, un certain nombre d'activistes, aguerris, déterminés. Et nous faisons tout donc pour les éloigner de notre territoire.
Question : Depuis que vous êtes arrivés place Beauvau, qu'avez-vous découvert de plus important ou grave pour la société française ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Il y a d'abord toute une série d'actes à répétition dont les Français sont victimes - les vols à la tire, les cambriolages. Mais il y a surtout, aujourd'hui, au-delà de la baisse générale de la délinquance - beaucoup a été fait par N. Sarkozy au cours des dernières années -, au-delà de cela, il y a une inquiétante remontée des violences contre les personnes. Ceci doit bien évidemment nous mobiliser, parce que ces violences se traduisent par des actes de plus en plus violents - on le voit, par exemple, dans les vols à domiciles, qui se font en présence de certains occupants ; dans les vols dans les supermarchés, devant les clients. Ces actes, par ailleurs, sont le fait d'éléments de plus en plus jeunes, on voit parfois des jeunes de 10 ans, 12 ans. Et ils doivent nous conduire évidemment à des réponses spécifiques. Ces réponses spécifiques, c'est la lutte contre le trafic de drogue qui, souvent, vient alimenter ce type de délinquance...
Question : C'est-à-dire qu'il faudra au ministère de l'Intérieur des formes d'actions multiples qui ressemblent à ces formes de violences ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Absolument. Trafic de drogue, je l'ai dit ; on le voit aussi pour ce qui concerne l'immigration clandestine, le crime organisé et la délinquance de passage. Et je trouvais cette forme de délinquance particulièrement active quand je me suis rendu en Bourgogne. On voit des régions qui sont victimes de l'arrivée massive, par exemple, de gens du voyage ou d'immigrants venant d'Europe de l'Est, qui s'installent dans une région pour une durée courte, qui opèrent un certain nombre d'actions et puis qui s'en vont. Il faut pouvoir "tracer" ces groupes, il faut pouvoir coopérer avec d'autres pays pour mettre fin à ce type d'attitude.
Question : C'est ce que l'on appelle "la délinquance organisée et installée". Mais comment allez-vous l'attaquer ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Le moyen qui me paraît aujourd'hui le plus efficace pour le faire c'est, bien sûr, ne rien laisser impuni, mais c'est aussi s'attaquer aux sources mêmes du financement. Cela implique, là encore, vous le voyez, des coopérations avec d'autres administrations, avec N. Sarkozy, au ministère de l'Economie et des Finances ; cela implique des coopérations avec J.-L. Borloo dans le domaine de la cohésion sociale, par exemple, en ciblant nos efforts sur les 23 quartiers les plus sensibles, voire en élargissant ce nombre de quartiers ou encore avec l'Education.
Question : Vous voulez dire qu'il n'y a pas que la répression ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Non. Il y a, bien sûr, la prévention, il faut agir le plus possible aux sources mêmes du mal, et il faut le faire en coopération avec toutes les administrations concernées et bien sûr, avec les pays voisins, et notamment les pays européens.
Question : Je reprends ma question de tout à l'heure : qu'est-ce que cela signifie sur l'état de la société française ? Est-ce une montée de la violence multiple ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Cela signifie d'abord que la France n'est pas une île, nous sommes dans un univers, dans un monde, qui est marqué par la sécurité, où les violences voyagent, se déplacent, et où le passage à l'acte devient malheureusement de plus en plus fréquent. Donc, cela suppose un effort sur l'ensemble des plans concernés.
Question : Votre prédécesseurs, N. Sarkozy, avait mobilisé, motivé les policiers. Allez-vous le faire de la même manière ? Leur demandez-vous de nouveaux efforts ? Vous aussi, demandez-vous de leur part, de la part de tous, y compris de vous, le ministre : "des résultats !", "des résultats !" ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Nous nous inscrivons dans la continuité. Bien évidemment, culture de résultats, culture d'évaluation. J'étais à Dijon pour la première réunion régionale, parce que nous devons, bien sûr, au niveau central, convoquer l'ensemble des préfets responsables, ceux qui font bien, ceux qui font moins bien. Nous continuerons à le faire. Mais nous voulons aussi, à l'échelon régional, prendre la mesure, sur plusieurs départements, des problèmes et des différents fléaux qui menacent les Français.
Question : Serez-vous sur le terrain ?
R- Bien sûr.
Question : Vous passez donc du Quai d'Orsay, c'est-à-dire de "l'extérieur" à l'Intérieur. Ce ministère, l'avez-vous voulu ?
Dominique de Villepin (Réponse) : C'est une mission que m'a confiée le président de la République, et je l'ai donc acceptée.
Question : L'avez-vous voulue ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Je dis bien : c'est une mission qui m'a été confiée. Vous savez que les défis en politique étrangère étaient extrêmement nombreux. Il y avait beaucoup à faire. Il y a beaucoup à faire évidemment au service des Français. La sécurité des Français est bien évidemment aujourd'hui ma mission.
Question : Vous parlez beaucoup de l'extérieur. Cela veut-il que la guerre d'Irak, les événements extérieurs ont des effets sur tout l'Occident, donc l'Europe, donc la France ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Si la France s'est battue avec une telle détermination pour empêcher la guerre en Irak, c'est bien parce que nous avions la conviction que la traduction même de cette guerre, les conditions de cette guerre seraient lourdes pour la communauté internationale, et y compris pour les Français.
Question : Vous êtes aussi ministre des Cultes. Au Bourget, l'UOIF a fait une nouvelle démonstration de force pendant le week-end, vous n'y êtes pas allé. Que signifie votre absence ?
Dominique de Villepin (Réponse) : D'abord, le ministre des Cultes n'a pas vocation à aller à chacune des manifestations des cultes. N. Sarkozy y était allé l'année dernière, j'ai rencontré il y a quelques jours le Conseil français du culte musulman. J'entends avoir évidemment des relations avec chacun. Je recevrai l'ensemble des représentants des cultes. Et, bien sûr, je participerai à telle ou telle manifestation.
Question : C'est-à-dire que D. De Villepin, est neutre, l'Etat est neutre ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Oui. Il s'agit pour l'Etat de garantir le libre exercice des cultes et, en même temps, d'affirmer sa neutralité. Nous devons aussi garantir l'égalité de l'ensemble des citoyens, et je pense plus particulièrement aux jeunes filles.
Question : De quelle façon ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Pour ce qui concerne la loi sur la laïcité, il est important d'avoir une garantie de protection, l'égalité de l'ensemble des enfants devant la loi.
Question : A l'UOIF, on vous demandait de ne plus porter de "foulards", mais des "bandanas".
Dominique de Villepin (Réponse) : D'abord, je tiens à saluer la façon dont s'est déroulée cette manifestation, de façon tolérante et ouverte. Il s'agit maintenant de trouver les meilleurs moyens d'application de la loi et nous le verrons bien évidemment, au cours des prochaines semaines. Nous souhaitons préparer la rentrée scolaire, c'est ce que j'ai dit aux représentants français du culte musulman : préparez très en amont cette rentrée pour que les choses se passent dans les meilleures conditions possible.
Question : Vous dites : respect des libertés et pratiques religieuses etc. Vous n'intervenez pas ? Vous appliquez la loi de la laïcité...
Dominique de Villepin (Réponse) : L'Etat se doit d'une stricte neutralité, ce qui ne veut pas dire bien sûr indifférence.
Question : Mais si les pratiques culturelles servent de paravent à un prosélytisme religieux, que faites-vous ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Nous ne pouvons accepter aucune forme de détournement et, en particulier, l'intégrisme doit être combattu. Je veillerai à ce que la lutte contre toutes les formes de discrimination soit bien évidemment respectée. Qu'il s'agisse du racisme, de l'antisémitisme, nous ne pouvons pas accepter que des actes antisémites, que des actes racistes soient faits sur le sol national. La France, je le rappelle, est terre de liberté, terre de démocratie et terre de la tolérance.
Question : N. Sarkozy avait expulsé de vrais ou de faux imams, qui prêchaient le djihad et le racisme. En ferez-vous autant, vous ?
Dominique de Villepin (Réponse) : C'est l'intérêt de notre pays que d'avoir une meilleure organisation des cultes. C'est dans ce sens qu'il faut travailler. Donc, des imams mieux formés, c'est l'intérêt de la République, qu'il s'agisse, bien évidemment, des salles de prières ou qu'il s'agisse encore des prisons.
Question : Vous êtes là pour trois mois, allez-vous faire tout cela en trois mois ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Je veux inscrire mon travail dans la durée... On ne peut pas servir les Français en trois mois efficacement.
Question : Et Jean-Pierre Raffarin est-il un Premier ministre pour cent jours, lui ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Ecoutez, de la même façon, le Gouvernement de la France est là pour servir les Français, et nous sommes mobilisés dans la durée.
Question : D'accord, mais ce Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin dépassera-t-il les trois mois ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Tout à fait.
Question : Vous le dites parce que vous êtes sûr ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Je le dis, parce que j'en suis convaincu.
Question : Vous avez toujours défendu à travers vos livres, vos grandes prises de positions, la grandeur, l'autorité de l'Etat. Comment peut-on y parvenir avec un Gouvernement qui est sans cesse présenté comme un Gouvernement en sursis ?
Dominique de Villepin (Réponse) : D'abord, il nous appartient de montrer, par nos actes, la volonté que nous avons d'inscrire cette action. Je prends le cas de mon ministère : l'autorité de l'Etat, le ministère de l'Intérieur a une vocation particulière dans ce domaine. Et je veux être un ministre qui contribue, comme l'a fait N. Sarkozy, à cette autorité de l'Etat. Nous devons le faire évidemment dans un souci d'équilibre, de proximité, en liaison avec les élus locaux. C'est tout le sens de l'action que nous menons pour la décentralisation.
Question : [...] On prétend le président de la République "fatigué", le Gouvernement, à deux ou trois exceptions près - j'en entends une et je connais celle de Sarkozy - "sonné". Le Gouvernement "sonné", la majorité "désorientée"...
Dominique de Villepin (Réponse) : Méfions-nous des rumeurs et des apparences !
Question : Justement. D. de Villepin est-il "un bouclier humain" pour un Gouvernement "fatigué" ou une sorte de "prophète" en action ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Ce n'est pas une époque pour gens fatigués. C'est une époque qui demande du sang-froid, qui demande de l'énergie. Et croyez-moi, ce Gouvernement en a à revendre.
Question : Il y a plusieurs D. de Villepin, plusieurs Villepin en Dominique. J'ai connu le poète, le diplomate, l'homme de lettres, l'homme d'action, inspiré à la fois par des héros de plume, d'épée ou de dossiers secrets. On dit que D. De Villepin s'intéresse à la police...
Dominique de Villepin (Réponse) : Je vous l'ai dit tout à l'heure : méfiez-vous des rumeur ! La réalité, quand on est au service de l'Etat, c'est qu'on est mobilisé entièrement, et qu'il y a une seule chose qui compte : l'intérêt, la sécurité et la protection des Français.
Question : Entre Rimbaud, Bonaparte, Fouché, quelle est votre référence ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Ma référence, c'est le service de l'Etat, c'est le service des Français. C'est la seule référence. Après, on peut avoir toutes sorte d'inspiration, l'objectif reste le même.
Question : Et à quel poste avez-vous l'impression que vous vous exprimez le mieux et la réalité et l'ambition de votre pays, de notre pays, et peut-être aussi les mêmes, les vôtres ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Quel que soit le poste qui vous est confié - vous évoquez l'extérieur ou l'Intérieur -, à chaque fois, il s'agit de donner le meilleur de soi-même, il faut le faire avec tous ceux qui concourent à cette action. Je tiens à rendre ici solennellement hommage à l'ensemble des forces de sécurité de notre pays - police, gendarmerie - qui sont mobilisées. Vous avez évoqué le cas du petit Jonathan, vous évoquez la sécurité des Français. Bien évidemment, l'ensemble de ces forces, toutes les forces de la sécurité civile, sapeurs-pompiers, tous ces hommes et ces femmes sont mobilisés pour servir les Français au quotidien. Et c'est avec eux, à leurs côtés, que j'entends travailler.
Question : Y aura-t-il un "style Villepin" ?
Dominique de Villepin (Réponse) : Oui, chacun a son style propre, mais il y aura surtout beaucoup de coeur mis à l'ouvrage.
(Source http://www.interieur.gouv.fr, le 14 avril 2004)