Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la contribution de M. David Trimble à la paix en Irlande du Nord, Paris le 8 décembre 1999.

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Circonstance : Remise des insignes d'officier de la légion d'honneur à M. David Trimble, Premier ministre de l'exécutif d'Irlande du nord, Paris le 8 décembre 1999

Texte intégral

Monsieur le Premier ministre, Cher David Trimble,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux et honoré d'accueillir ce soir, au ministère des Affaires étrangères, David Trimble, Premier ministre de l'exécutif d'Irlande du Nord, pour lui remettre les insignes d'Officier de la Légion d'honneur. Je me réjouis particulièrement que cette cérémonie se tienne quelques jours seulement après qu'une étape décisive a été franchie dans le processus de paix en Irlande du Nord.
Le Royaume-Uni et l'Irlande, mais aussi l'Europe, viennent en effet de vivre une semaine historique avec la formation, pour la première fois, d'un exécutif nord-irlandais rassemblant Protestants et Catholiques. Jeudi dernier, la quasi-totalité des pouvoirs législatifs et exécutifs que Londres détenait depuis plus de 25 ans ont été transférés à une Assemblée élue directement par la population d'Irlande du Nord et représentant l'ensemble de ses composantes. Le même jour, la République d'Irlande a renoncé formellement à toute revendication constitutionnelle sur la province d'Ulster.
Monsieur le Premier ministre, vous êtes l'un de ceux qui ont le plus contribué à ces succès et je tenais ce soir à vous exprimer toute l'admiration et la reconnaissance des Autorités françaises, quelques jours après avoir décoré de la même façon John Hume, votre partenaire politique dans cette formidable avancée.
Cette grande percée vers la paix, à laquelle nous venons d'assister, concrétise l'immense espérance apparue depuis quelques années grâce au courage d'hommes comme vous. Je suis convaincu qu'elle ouvre également la voie à d'autres progrès, en particulier à une consolidation de la confiance entre les communautés, préalable essentiel à une réconciliation durable.
Vous avez joué, comme nous le savons tous, un rôle essentiel dans la longue négociation qui a abouti aux "accords du Vendredi Saint" du 10 avril 1998, et dans les discussions difficiles qui se sont tenues depuis. Ce que nous voyons se mettre en place aujourd'hui n'aurait pas été possible sans votre engagement personnel de tous les instants, sans la détermination avec laquelle vous avez défendu les intérêts de la communauté protestante, sans votre courage inébranlable, sans votre détermination inflexible, mais aussi et surtout sans l'intelligence politique aiguë dont vous avez fait preuve pour convaincre les Unionistes de s'engager dans le processus de paix.
Cher David Trimble, vous êtes d'abord un homme de convictions. Votre engagement politique est ancien, et il vous a conduit a adhérer au Parti unioniste d'Ulster en 1977. Vous avez ensuite exercé des responsabilités au sein des associations locales et du Conseil du Parti. Une étape importante dans votre carrière politique a été votre élection au Parlement de Westminster en 1990. Vous représentez depuis cette date la circonscription d'Upper Ban, dans le comté d'Armagh au sud-ouest de Belfast, au coeur même du pays unioniste. Vous y avez été réélu à deux reprises, en 1992 et 1997.
En septembre 1995, vous êtes élu à la tête du Parti unioniste d'Ulster, deux mois seulement avant que les gouvernements britannique et irlandais ne lancent de nouveaux pourparlers de paix, dont vous allez devenir l'un des acteurs majeurs. Vous comprenez en effet, à partir de ce moment, que la défense acharnée du statu-quo ne peut mener la communauté protestante d'Irlande du nord qu'à l'isolement et au déclin. Et cette conviction fondamentale va vous conduire à rechercher un règlement politique avec vos adversaires d'hier, à briser un à un les tabous au sein de votre communauté pour bâtir la paix.
Vous faîtes montre dans la négociation de grands talents de négociateur, dus sans doute, au moins en partie, à vos connaissances de juriste. En effet, d'abord avocat, vous avez mené par la suite une brillante carrière d'enseignant à Queen's University à Belfast, où vous aviez déjà vécu vos années d'étudiant. C'est alors que vous avez acquis une expertise reconnue en matière constitutionnelle, qui sera précieuse lors de la mise en place complexe de la nouvelle architecture institutionnelle de la province.
Mais vous avez également hérité de votre formation la rigueur de l'analyse, les qualités d'argumentation et le sens du détail qui caractérisent les juristes accomplis. Peut-être avez-vous en outre retiré de votre pratique de l'enseignement le goût de la pédagogie et la passion de convaincre? Vous étiez en tous cas parfaitement préparé aux lourdes responsabilités que l'histoire allait vous confier.
Les élections générales britanniques de mai 1997 marquent un tournant dans le processus de négociation en Irlande du Nord dont vous percevez certainement, parmi les premiers, toute la signification. Même si vous n'êtes pas proche idéologiquement du nouveau gouvernement travailliste, vous travaillez de manière étroite avec Tony Blair pour favoriser la relance du processus de paix. Les pourparlers, auxquels participent également le gouvernement de Dublin et le SDLP de John Hume, reprennent le 3 juin 1997. Le Sinn Fein les rejoint à partir du mois de septembre, après avoir souscrit aux six principes de démocratie et de non-violence mis au point par le sénateur américain Mitchell.
Les négociations aboutissent sept mois plus tard à la signature des accords du Vendredi Saint, dont je n'ai pas besoin de souligner ce soir la portée historique considérable. Ces accords contiennent des dispositions qui répondent à d'importantes revendications de la part des unionistes : ils prévoient une large autonomie de la province et l'instauration d'un gouvernement élu directement ; la République d'Irlande s'engage à renoncer à sa revendication constitutionnelle sur l'Ulster ; les signataires s'engagent également à favoriser le désarmement des paramilitaires ; enfin, et ce point est pour vous essentiel, Londres et Dublin acceptent formellement le principe du consentement, qui garantit le maintien de la Province au sein du Royaume-Uni aussi longtemps que le souhaitera une majorité de sa population.
Mais ces accords n'ont pu aboutir que parce qu'ils contiennent également des concessions importantes, que vous avez acceptées, avec courage et réalisme, au nom de la paix et de l'exigence de la réconciliation : le partage du pouvoir avec la communauté catholique dans la province, y compris avec le Sinn Fein, et le droit de regard de la République d'Irlande dans les affaires de l'Ulster.
Commence alors pour vous une des étapes les plus délicates de votre parcours politique, car vous devez convaincre vos propres amis, votre Communauté d'accepter ces accords. Votre énergie, votre sincérité, votre volonté de persuasion ont été absolument déterminants dans la victoire massive du "oui", avec 71% des suffrages, lors du référendum organisé en Irlande du nord, dans un contexte difficile marqué par l'opposition d'une partie de la communauté protestante au processus de paix. Ce résultat constitue pour vous, comme pour John Hume au sein de la Communauté catholique, un succès personnel incontestable.
L'élection de la nouvelle Assemblée d'Irlande du Nord, quelques semaines plus tard, confirme cette tendance. Votre parti arrive en tête en nombre de sièges et vous figurez, bien sûr, parmi ses 28 élus. Une majorité du vote protestant s'est portée sur les partisans des accords, qui remportent au total les 3/4 des voix. Le 1er juillet, l'Assemblée vous désigne comme Premier ministre de l'exécutif, responsabilité encore provisoire jusqu'au transfert des pouvoirs détenus par Westminster.
Votre contribution décisive à l'avènement d'une ère nouvelle en Irlande du Nord a été justement honorée en octobre 1998 par le prix Nobel de la Paix. Vous avez partagé avec John Hume ce témoignage éminent de la reconnaissance de la communauté internationale. Lorsque la nouvelle vous fut annoncée, l'une de vos premières réactions a été d'estimer que cette récompense était peut-être un peu prématurée. Vous étiez alors sans doute conscient, plus que d'autres, qu'il restait encore beaucoup à faire pour enraciner la paix et sceller la réconciliation entre les communautés.
Afin de consolider l'acquis, il était en effet nécessaire, et c'est peut-être la tâche la plus difficile, d'instaurer un véritable climat de confiance entre Protestants et Catholiques. Vous avez noué depuis longtemps un dialogue avec les modérés du SDLP, élément moteur des progrès enregistrés au cours des pourparlers de paix. Mais il fallait aller plus loin, briser encore les derniers tabous, malgré le passé, malgré les résistances et les insultes des jusqu'au boutistes de l'affrontement et de la violence. Vous acceptez donc de rencontrer pour la première fois Gerry Adams, en septembre 1998. C'est avec les représentants du Sinn Fein que vous menez ensuite une longue négociation pour que soit confirmé l'engagement de l'IRA et des groupes paramilitaires dans le processus de désarmement.
Les conditions que vous imposez ainsi à la poursuite du processus de paix sont à vos yeux essentielles pour garantir une fois pour toutes le renoncement à la violence. Vous savez qu'elles sont en même temps indispensables pour préserver le soutien de la majorité des Unionistes aux accords du Vendredi Saint. Il vous faut à la fois négocier fermement avec les Républicains, obtenir les concessions qui vous permettent de convaincre les membres de votre parti les plus réticents, et combattre à l'extérieur ceux qui s'opposent au processus de paix. La difficulté des débats au sein de votre propre parti au cours des dernières semaines, le poids persistant des adversaires du compromis politique ont montré combien la voie était particulièrement étroite. Mais vous êtes aujourd'hui parvenu, avec la ténacité, le courage, le doigté politique qui vous caractérisent, à accomplir cette tâche.
Et c'est justement en mesurant ce qu'il a du vous en coûter d'accepter de parler avec ceux qui étaient engagés auparavant dans le combat contre votre Communauté, vos amis, vos parents, que l'on prend conscience de la force de votre exigence de paix.
Vous avez désormais, en tant que Premier ministre de l'exécutif, la responsabilité première dans les nouvelles institutions qui viennent de se mettre en place. Je me réjouis tout comme vous que les anciens adversaires soient maintenant des partenaires et que Protestants et Catholiques puissent travailler ensemble pour bâtir un avenir meilleur.
Nous savons tous que d'autres obstacles restent à franchir avant l'instauration d'une paix durable en Irlande du Nord. Mais nous savons également que vous continuerez à consacrer toute votre énergie et vos talents à cette grande entreprise, avec le concours de tous les habitants de l'Irlande du nord, avec le soutien des gouvernements de Londres - je tiens à saluer à cet égard le rôle de mon ami Peter Mandelson -, de Dublin et de tous ceux qui, en Europe et aux Etats-Unis, oeuvrent depuis longtemps pour la paix dans votre Province.
Cher David Trimble, j'ai lu que votre épouse vous avait dit un jour "A chaque étape, à chaque compromis, tu seras attaqué, mais finalement tu arracheras la décision". J'ai effectivement la conviction que vous êtes en train de gagner ce formidable pari historique, qui va permettre aux populations d'Irlande du nord d'aborder le prochain siècle avec confiance et foi dans l'avenir. Pour cela, parce que vous figurez, à l'aube d'un nouveau millénaire, parmi les grands artisans de la paix, qui ouvrent à notre monde les portes de l'espoir, vous méritez pleinement de recevoir l'hommage de la République française.
David Trimble, au nom du président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Officier de la Légion d'honneur./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 décembre 1999).