Interview de M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire à "France 2" le 20 janvier 2004, sur le débat sur l'école, notamment les programmes scolaires, la vie et la violence scolaires, la question des signes religieux.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. Laborde-. Avec X. Darcos, ce matin, nous allons parler de l'école. Aujourd'hui, arrive devant l'Assemblée nationale, la fin, si je puis dire, du grand débat sur l'école, qui a duré trois mois, et qui a permis de recueillir les préoccupations, les sentiments, les impressions, et des parents d'élèves et des enseignants. Trois mois de discussions. Dans l'ensemble, beaucoup de monde a joué le jeu ?
- "En tous les cas, il y a eu beaucoup de réunions - 15 000 -, en gros, on fait une moyenne d'une cinquantaine de personnes par réunion, ce qui fait plus d'1 million de participants, qui sont venus à ces réunions. Donc, une petite moitié qui représente les enseignants. Donc, vraiment, on a un éventail très large de l'opinion française - des parents, des élèves, des citoyens, qui sont venus discuter d'école."
Par ordre de priorité, j'imagine que, maintenant, vous avez une vision à peu près claire, effectivement, de ce qu'ont pu dire les parents et les enseignants sur quel type d'école ils veulent ou quels types de programmes - je ne sais pas si cela va jusqu'à ce type de détail...
- "Oui, en tous les cas, nous voyons apparaître des thématiques. Nous voyons ce qui a été le plus souvent évoqué par des gens qui participaient aux réunions. Et, curieusement, nous retrouvons là, quelque chose qui avait été aussi indiqué par des sondages que nous avions faits par ailleurs, et qui montrent donc que les débats ont vraiment fait entendre la volonté générale. Que disent-ils ces gens qui débattent ? Ils disent d'abord que, la grande question, aujourd'hui, c'est la motivation des élèves : il faut que les élèves retrouvent de l'intérêt au savoir, au mérite, à l'effort, et qu'il faut que nous reconcentrions notre action sur cela. La deuxième chose qu'ils disent, c'est que la violence scolaire est un problème important et que la paix scolaire, le climat serein à l'intérieur des établissements doit être une de nos préoccupations majeures. Et la troisième chose qu'ils disent enfin, c'est qu'il faut savoir lutter contre l'échec scolaire, faire marcher ensemble des élèves très différents. Et finalement, ils touchent au coeur du dispositif scolaire, tel que nous le concevons : les enseignements, l'unité de "la cohorte" - comme nous disons -, c'est-à-dire ces élèves qui avancent, des groupes d'élèves. Et finalement, ils touchent à des sujets centraux qui n'étaient pas ceux de la loi de 1989. Je fais observer, par exemple, que la fameuse loi de Jospin de 1989, que je ne vais pas critiquer ici, mais en tous les cas, elle n'évoquait pas, d'aucune manière, les problèmes de la violence scolaire, qui n'existaient pas à ce moment-là."
La motivation, la violence, l'échec scolaire, au fond, est-ce que tout cela ne tourne-t-il pas autour du rapport entre l'élève et le professeur ? Parce que, dans tous ces cas de figures, il y a ce que l'on écrit, après, dans les papiers, dans les ouvrages. Mais c'est, aussi, la classe, son fonctionnement ?
- "Oui. On retrouve toujours, en tous les cas, le rapport entre l'élève et le professeur lorsque l'on parle d'école. Mais l'on retrouve surtout cette idée : qu'il faut que l'école retrouve sa fonction première, sa fonction de transmission pour tous ; cette idée qu'il faut un consensus autour de la culture scolaire, qu'il faut faire avancer, en quelque sorte, ceux qui ont le plus besoin de nous par du savoir et pas seulement par des divertissements en tous genres. On retrouve, autrement dit, le coeur de la chose scolaire, et je crois qu'il y a là, une évolution assez sensible tout de même."
On s'attendait, peut-être, à ce que les parents disent tout simplement : "je veux avant tout que mon fils ou ma fille, sache parfaitement lire, écrite, compter". En fait, les parents n'ont pas eu ce type de discours aussi impératif à l'égard de la chose enseignante ?
- "En tous les cas, ils ont évité le simplisme, ils ont évité les idées reçues, les phrases toutes faites. Ils n'ont pas mis en accusation l'école. En particulier, c'est très frappant, parce que les parents qui ont des élèves à l'école, ils voient bien quand même que les enfants sont bien accueillis, que les professeurs s'occupent d'eux. Au fond, lorsqu'on regarde de près le système scolaire, finalement, cela ne marche pas si mal, et que les professeurs en particulier font bien leur métier. Donc, il n'y a pas eu ce coté, je dirais, "poujadiste" ou "bureau des pleurs et des réclamations". Il y a eu plutôt l'idée de dessiner quand même une école qui soit plus tournée vers les savoirs."
Par rapport à la violence, quand elle évoquée, y a-t-il des solutions qui sont apportées ? Chacun a-t-il une façon de considérer, soit, parce qu'il y a trop d'élèves dans la classe, parce qu'il faut davantage de punitions, de colles, que sais-je... ?
- "Le détail, ce sont les gens qui feront la synthèse qui nous le diront, parce que nous ne les connaissons pas encore. Il y a eu 300 000 internautes, il y a eu 1 million de contributions, il y a 15 000 synthèses qui vont remonter jusqu'à la Commission nationale du grand débat, 25 experts qui ont été choisis pour cela. Nous verrons dans le détail si les gens font des propositions de solutions très concrètes."
Les députés, aujourd'hui, vont discuter, mais en fait, on n'est pas tout de suite dans le cadre du projet de loi, on va attendre encore un petit peu ?
- "Bien entendu. Le projet de loi viendra beaucoup plus tard. Là, les députés comme les sénateurs, demain, vont se saisir, eux aussi, du grand débat, ils ont y participer à leur manière, ils vont faire entendre leur voix, ils vont discuter autour des thématiques qui avaient été proposées par la Commission. Et puis, tout ceci viendra enrichir la synthèse qui sera réalisée par la Commission nationale du grand débat. Et puis, nous nous retrouverons maintenant au printemps, lorsque les conclusions arriveront."
Je voudrais que l'on aborde avec vous un des thèmes évidemment au coeur de l'école, qui est le signe "ostensible", "ostentatoire", on ne sait plus comment dire...
- "Ostensible"."
..."Ostensible", donc, une loi. Et puis, semble-t-il, au sein de la majorité, maintenant, un petit trouble sur la loi, puisque J. Barrot, le patron du groupe UMP à l'Assemblée nationale, dit qu'il ne donnera pas de consigne de vote. Faut-il une loi ou non ? Les réactions du monde musulman, à l'étranger, de certains musulmans de France peuvent-elles ébranler les choix de certains ?
- "En tous les cas, la détermination du Gouvernement est entière. Nous souhaitons que cette loi soit votée, ce rappel au règlement soit voté. Mais il est vrai que la question est tellement sensible, touche tellement à la conception que l'on se fait de la laïcité et de la protection des libertés de conscience, que les opinions traversent les courants politiques. Et c'est vrai que l'on trouve un peu partout des gens qui hésitent, qui flottent. On le comprend d'ailleurs, c'est un sujet très difficile. Ce que nous voulons, c'est protéger les libertés de conscience, mais, en même temps, nous voulons que l'espace laïque soit respecté. Donc, c'est très difficile de trouver un équilibre entre les deux. Il est normal qu'il y ait des nuances. J. Barrot dit cela, aussi, non pas parce que dans son groupe il y aurait des gens qui seraient contre, absolument, la loi sur les signes qui manifestent "ostensiblement" des appartenances religieuses, mais parce que d'autres voudraient aller plus loin, et parlent d'interdire les signes "visibles"."
C'est ce que veut la gauche. Pourquoi, c'est aussi clair de dire "les signes visibles" ?
- "Oui, mais si vous dites "les signes visibles", vous allez aussi toucher aux signes "discrets", vous allez toucher au moindre petit bijou que vous allez porter, être obligé de faire une chasse avec une loupe pour regarder le moindre signe que chacun portera. Et puis cela créera un climat qui n'est pas celui de l'école. L'école ne veut pas que des manifestations de discriminations sexistes ou des manifestations d'appartenance à une religion soient visibles, mais elle ne veut pas, non plus, persécuter les élèves qui portent les moindres petits signes."
Y a-t-il une radicalisation que l'on peut redouter dans l'école autour de cela ? Parce que, quand même, c'est un débat dont tout le monde, aujourd'hui, se sert. On voit bien qu'il y a une crainte, quand même, y compris autour de ceux qui ont le plus grand respect pour la laïcité, que les jeunes musulmans se sentent exclus. Est-ce un risque ? Que faut-il leur dire à ces jeunes français ?
- "Que nous faisons tout pour garantir la liberté de conscience pour le droit de pratiquer sa religion, et en particulier la religion musulmane. Nous ne sommes pas l'ennemi des consciences et nous ne sommes pas l'ennemi des pratiques religieuses. Simplement que, lorsqu'on est à l'école, on ne vient pas se manifester d'abord en tant qu'appartenant à tel ou tel courant de pensée ou tel courant religieux. Et surtout, on ne vient pas avec un signe qui, à la fois, démontre l'appartenance à une religion et surtout implique une discrimination pour la femme."
N'est-ce pas un peu contradictoire avec le fait d'annoncer que l'on a un préfet de culte musulman, si effectivement, on ne veut pas tout mélanger, les pratiques républicaines et la religion ?
- "Non, quel rapport ? Chaque haut fonctionnaire ou chaque citoyen peut pratiquer la religion qu'il veut. La question est de savoir si, lorsqu'on est à l'école, on peut venir en portant un signe qui montre une appartenance religieuse, d'une part, et puis, d'autre part, implique un sexisme ou une discrimination ? La réponse est évidemment, non. Ce n'est pas conforme à l'idéal républicain."
C'est-à-dire que tous les Français sont égaux, quelle que soit la religion qu'ils pratiquent ?
- "Exactement."
(Source : premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 janvier 2004)