Texte intégral
De la tribune du Laurent Fabius dans ces colonnes (Le Monde du 12 mars) se dégage un paradoxe qui résume l'impasse intellectuelle dans laquelle se sont enfermés les socialistes. Comment peut-on percevoir avec acuité une réalité difficile et préconiser des mesures qui n'y changeraient rien ?
Mais le paradoxe n'est qu'apparent. Si Laurent Fabius est social- démocrate dans la forme tout en faisant preuve d'un banal conservatisme de gauche sur le fond, c'est qu'il n'ose aborder de front les véritables défis auxquels la France est confrontée.
Non qu'il les ignore - je le sais trop lucide pour cela -, mais parce que le courage politique fait défaut pour dire la vérité qui métamorphoserait enfin la gauche. Le Parti socialiste prolonge la fiction de l'ancienne gauche en recourant aux artifices de la posture morale. La gauche incarnerait naturellement le progressisme et la générosité, la droite la "régression sociale", teintée d'un "zeste d'ordre moral".
Exploitée systématiquement à l'occasion des élections régionales, cette caricature binaire dénature le débat démocratique en occultant les questions qui doivent être tranchées. Elle oblige à revenir sur une évidence : le morcellement français que diagnostique Laurent Fabius n'a pas été créé depuis deux ans.
La gauche, qui a gouverné douze ans dans les deux dernières décennies, peut-elle s'exonérer du fait qu'en France plus de 4 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté ? Le dernier rapport du CERC, remis par Jacques Delors, précise que le chiffre douloureux de 1 million d'enfants pauvres a été atteint entre 1999 et 2000.
La gauche ne se sent-elle pas concernée quand 150 000 jeunes sortaient du système éducatif en 2002 sans qualification et 75 000 sans savoir lire ou écrire ? Face à ce constat, Laurent Fabius avance les formules éculées au lieu de s'engager sur les évolutions structurelles indispensables, comme la rénovation du collège unique. Ecrire, comme il le fait, que c'est l'accès au bac et au diplôme universitaire qui réglera le problème d'une partie de la jeunesse proche de la dérive, c'est être à côté de la plaque. A gauche on le sait, mais on n'ose le dire.
La gauche est-elle étrangère à la stagnation des salaires depuis si longtemps ? Chacun sait pourtant que la pression fiscale en est la première cause depuis vingt ans. Les classes moyennes ont payé cher une politique de redistribution sociale qui n'a pas tenu toutes ses promesses puisque les écarts entre riches et pauvres n'ont cessé de croître. Au bas de l'échelle, en 2002, il y avait six smic différents. Cette explosion du salaire minimum, due au diktat des 35 heures, rendait impossible toute dynamique salariale. Nous avons harmonisé les smic par le haut, en décidant d'une augmentation historique de 11,4 % sur trois ans.
Mais, surtout, la gauche peut-elle s'exonérer du chômage de masse que connaît la France depuis les années 1980 ? En 2001, notre pays se situait au onzième rang européen en matière d'emploi malgré une croissance exceptionnelle, malgré le recours abusif aux contrats aidés dans la fonction publique, malgré la loi dite de modernisation sociale, qui devait dissuader les licenciements.
Entre 2001 et mi-2002, près de 1 500 plans sociaux démontraient déjà combien ces recettes dirigistes étaient peu concluantes. Ceux qui, aujourd'hui, utilisent le slogan démagogique de "casse sociale" refusent de voir que le chômage prend ses racines dans la politique économique qui est la leur depuis des décennies.
A qui la faute si le modèle français s'est essoufflé et morcelé ? Le 21 avril 2002, les Français ont répondu à cette question. Ils ont fait tomber le masque d'une gauche accrochée à des clivages dépassés. C'est ce clivage entre supposés "néoprogressistes" socialistes et prétendus "néoconservateurs" libéraux que Laurent Fabius tente de faire renaître de ses cendres.
Il n'y a plus lieu de choisir entre cohésion sociale ou économie libérale, cette dichotomie trompeuse qui conduit la France dans une impasse intellectuelle. L'économie libérale est là et elle est mondiale. L'enjeu n'est pas de refuser cet état de fait, mais de moderniser notre pacte social pour lui permettre de subsister dans un monde ouvert et concurrentiel de 6 milliards d'habitants.
Laurent Fabius répond à cet enjeu en multipliant les "cadeaux": c'est le toujours plus sans effort, sans jamais nous dire comment il le rendra possible. Les Français peuvent-ils continuer sur la route du progrès social sans être appelés à s'interroger sur les conditions et contreparties de ce progrès ?
Depuis deux ans, nous leur disons la vérité : la prospérité française n'est plus une donnée intangible. Elle est même menacée. Il y a cinquante ans encore, la France dominait le monde avec une petite dizaine d'Etats industrialisés. Cette puissance sans égale nous a permis de construire un modèle social ambitieux. Dans le cadre d'une économie ouverte, des pays se réveillent, se développent à rythme accéléré et réclament légitimement leur part de progrès. Cette nouvelle donne force les pays riches à se remettre en cause pour ne pas voir leur niveau de vie balayé par le sens de l'histoire.
Je n'ai qu'un objectif, qu'une obsession : sauver notre modèle social en recadrant, ajustant, tout ce qui mérite de l'être. Le sauver en recherchant l'efficacité maximale de notre économie pour financer le progrès social.
Le toujours plus de Laurent Fabius n'est à aucun moment permis par un plus pour la performance économique. Mais qui paie le social ? Parce qu'il n'y a pas de trésor caché, ce sont les Français, leur travail, les entreprises dont la compétitivité doit être constamment accrue. La gauche ne dit pas les choses telles qu'elles sont. On ne peut avoir l'une des meilleures santés du monde, l'un des régimes de retraite et d'assurance-chômage parmi les plus favorables d'Europe, l'école et l'université gratuites pour tous, sans qu'en retour nous ne nous battions, par le travail et la réforme, pour assurer le maintien de ces acquis sociaux.
C'est la réforme qui réconcilie les deux France et c'est le conservatisme qui les divise. La réforme des retraites illustre cet axiome. Nous avons demandé aux Français de travailler un peu plus, non seulement pour sécuriser le régime par répartition, mais aussi pour faire émerger un nouveau droit social, unique en Europe : celui qui permet à 500 000 personnes qui ont commencé à travailler très jeunes de partir plus tôt à la retraite.
Avec le jour férié travaillé, c'est cette même logique que nous avons fait prévaloir pour financer le traitement social de la dépendance et du vieillissement.
La création du revenu minimum d'activité (RMA) constitue l'autre symbole de notre politique de redressement social. Il s'agit, avec le RMA, de permettre au bénéficiaire du revenu minimum d'insertion (RMI) de renouer avec une activité professionnelle. Bref, il s'agit d'inciter au retour vers le travail. L'opposition a hurlé au "démantèlement social", alors qu'il s'agit de relancer un dispositif qui se transforme en trappe à pauvreté.
Près d'un bénéficiaire sur trois est au RMI depuis plus de trois ans et près d'un sur dix depuis plus de dix ans. Le réformisme social commande de chercher à activer la dépense de solidarité en responsabilisant chacun : c'est tout l'objet du RMA.
L'opposition s'est émue à l'idée que les entreprises allaient pouvoir embaucher des RMIstes pour un coût peu élevé... Cette critique stupéfiante révèle d'une posture morale indifférente à l'efficacité sociale. L'important n'est pas tant de savoir si l'entreprise y trouve quelque avantage que de savoir si le RMIste qui décroche enfin un emploi y trouve, lui, son intérêt ! Il faut être animé par une étrange logique pour préférer un RMIste sans travail à un RMIste ayant une activité.
Le camp de la justice sociale n'est pas là où on le croit. Au cur du malaise français, il y a le chômage de masse, avec lequel la France vit depuis vingt ans. Là encore, Laurent Fabius s'en tient aux poncifs qui nous ont conduits là où nous en sommes.
Notre pays cumule deux handicaps : un marché du travail trop rigide et trop complexe pour les entreprises ; des salariés insuffisamment préparés à la mobilité professionnelle. D'un côté, les entreprises sont prudentes dans leurs embauches, de l'autre les demandeurs d'emploi ne sont pas armés pour rebondir face aux fluctuations de l'économie moderne.
C'est le défi que je veux relever avec la loi de mobilisation pour l'emploi voulue par le président de la République : concilier souplesse économique et sécurisation des parcours professionnels. Ici encore, le débat stérile qui oppose flexibilité et emploi durable ne nous a conduits qu'au chômage. Il faut marier ces principes. C'est de la sorte que nous créerons les conditions d'un marché du travail générateur d'emplois.
La souplesse, c'est clarifier notre code du travail, c'est réfléchir aux modalités de la rupture négociée du contrat de travail, c'est élargir les conditions d'accès aux contrats courts et intérimaires pour les chômeurs de longue durée, c'est rénover la gestion des restructurations par la négociation...
La sécurisation des parcours professionnels suppose, pour sa part, une triple ambition. La première, en voie de réalisation, est la formation tout au long de la vie. Un salarié formé n'est plus prisonnier des mutations économiques, mais en capacité de les surmonter. Dans cet esprit, nous venons d'ouvrir un nouveau droit : chaque salarié aura la possibilité d'accumuler un droit individuel à formation de 20 heures par an.
La seconde ambition est de rénover le service public de l'emploi pour assurer un meilleur suivi individualisé des chômeurs. Ceux-ci doivent se sentir épaulés et entraînés vers l'emploi. Sur ce sujet, la gauche hurlera une fois encore. Elle aura tort, une fois de plus.
Enfin, il faut mettre un coup d'arrêt à l'exclusion des jeunes sans qualification par une action de la deuxième chance. Ces jeunes doivent bénéficier d'une solution individuelle, soit sous la forme d'un contrat aidé prioritairement en entreprise, soit sous la forme d'une formation rémunérée par l'Etat et ciblée sur les métiers qui cherchent à recruter.
Voilà nos réponses pour mettre la France en mouvement et préserver l'essence de sa tradition sociale. Ce mouvement, il faut aussi qu'il s'enclenche dans la société française, car il ne peut être exclusivement piloté par l'Etat. C'est pourquoi nous avons rénové notre démocratie sociale en élargissant la responsabilité des partenaires sociaux et les champs de la contractualisation.
Face à l'émiettement social et à la montée des poujadismes de tous bords, nous avons besoin de syndicats forts, modernes et influents. L'histoire retiendra que c'est ce gouvernement et non la gauche qui a rénové le cadre des relations sociales de notre pays.
La France est en pleine transition économique et sociale. Elle exige du courage, de la méthode, une confiance en nous-mêmes. Elle réclame une pédagogie politique pour accompagner nos concitoyens.
Par commodité intellectuelle et électorale, le Parti socialiste refuse d'y prendre sa part. Pour l'heure, nous prenons nos responsabilités. La reprise n'en est qu'à ses débuts et se traduira par une amélioration de la situation de l'emploi. Mais l'ambition réformatrice ne devra pas être relâchée si nous voulons réconcilier la France avec le progrès pour tous.
(source http://www.u-m-p.org, le 29 mars 2004)
Mais le paradoxe n'est qu'apparent. Si Laurent Fabius est social- démocrate dans la forme tout en faisant preuve d'un banal conservatisme de gauche sur le fond, c'est qu'il n'ose aborder de front les véritables défis auxquels la France est confrontée.
Non qu'il les ignore - je le sais trop lucide pour cela -, mais parce que le courage politique fait défaut pour dire la vérité qui métamorphoserait enfin la gauche. Le Parti socialiste prolonge la fiction de l'ancienne gauche en recourant aux artifices de la posture morale. La gauche incarnerait naturellement le progressisme et la générosité, la droite la "régression sociale", teintée d'un "zeste d'ordre moral".
Exploitée systématiquement à l'occasion des élections régionales, cette caricature binaire dénature le débat démocratique en occultant les questions qui doivent être tranchées. Elle oblige à revenir sur une évidence : le morcellement français que diagnostique Laurent Fabius n'a pas été créé depuis deux ans.
La gauche, qui a gouverné douze ans dans les deux dernières décennies, peut-elle s'exonérer du fait qu'en France plus de 4 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté ? Le dernier rapport du CERC, remis par Jacques Delors, précise que le chiffre douloureux de 1 million d'enfants pauvres a été atteint entre 1999 et 2000.
La gauche ne se sent-elle pas concernée quand 150 000 jeunes sortaient du système éducatif en 2002 sans qualification et 75 000 sans savoir lire ou écrire ? Face à ce constat, Laurent Fabius avance les formules éculées au lieu de s'engager sur les évolutions structurelles indispensables, comme la rénovation du collège unique. Ecrire, comme il le fait, que c'est l'accès au bac et au diplôme universitaire qui réglera le problème d'une partie de la jeunesse proche de la dérive, c'est être à côté de la plaque. A gauche on le sait, mais on n'ose le dire.
La gauche est-elle étrangère à la stagnation des salaires depuis si longtemps ? Chacun sait pourtant que la pression fiscale en est la première cause depuis vingt ans. Les classes moyennes ont payé cher une politique de redistribution sociale qui n'a pas tenu toutes ses promesses puisque les écarts entre riches et pauvres n'ont cessé de croître. Au bas de l'échelle, en 2002, il y avait six smic différents. Cette explosion du salaire minimum, due au diktat des 35 heures, rendait impossible toute dynamique salariale. Nous avons harmonisé les smic par le haut, en décidant d'une augmentation historique de 11,4 % sur trois ans.
Mais, surtout, la gauche peut-elle s'exonérer du chômage de masse que connaît la France depuis les années 1980 ? En 2001, notre pays se situait au onzième rang européen en matière d'emploi malgré une croissance exceptionnelle, malgré le recours abusif aux contrats aidés dans la fonction publique, malgré la loi dite de modernisation sociale, qui devait dissuader les licenciements.
Entre 2001 et mi-2002, près de 1 500 plans sociaux démontraient déjà combien ces recettes dirigistes étaient peu concluantes. Ceux qui, aujourd'hui, utilisent le slogan démagogique de "casse sociale" refusent de voir que le chômage prend ses racines dans la politique économique qui est la leur depuis des décennies.
A qui la faute si le modèle français s'est essoufflé et morcelé ? Le 21 avril 2002, les Français ont répondu à cette question. Ils ont fait tomber le masque d'une gauche accrochée à des clivages dépassés. C'est ce clivage entre supposés "néoprogressistes" socialistes et prétendus "néoconservateurs" libéraux que Laurent Fabius tente de faire renaître de ses cendres.
Il n'y a plus lieu de choisir entre cohésion sociale ou économie libérale, cette dichotomie trompeuse qui conduit la France dans une impasse intellectuelle. L'économie libérale est là et elle est mondiale. L'enjeu n'est pas de refuser cet état de fait, mais de moderniser notre pacte social pour lui permettre de subsister dans un monde ouvert et concurrentiel de 6 milliards d'habitants.
Laurent Fabius répond à cet enjeu en multipliant les "cadeaux": c'est le toujours plus sans effort, sans jamais nous dire comment il le rendra possible. Les Français peuvent-ils continuer sur la route du progrès social sans être appelés à s'interroger sur les conditions et contreparties de ce progrès ?
Depuis deux ans, nous leur disons la vérité : la prospérité française n'est plus une donnée intangible. Elle est même menacée. Il y a cinquante ans encore, la France dominait le monde avec une petite dizaine d'Etats industrialisés. Cette puissance sans égale nous a permis de construire un modèle social ambitieux. Dans le cadre d'une économie ouverte, des pays se réveillent, se développent à rythme accéléré et réclament légitimement leur part de progrès. Cette nouvelle donne force les pays riches à se remettre en cause pour ne pas voir leur niveau de vie balayé par le sens de l'histoire.
Je n'ai qu'un objectif, qu'une obsession : sauver notre modèle social en recadrant, ajustant, tout ce qui mérite de l'être. Le sauver en recherchant l'efficacité maximale de notre économie pour financer le progrès social.
Le toujours plus de Laurent Fabius n'est à aucun moment permis par un plus pour la performance économique. Mais qui paie le social ? Parce qu'il n'y a pas de trésor caché, ce sont les Français, leur travail, les entreprises dont la compétitivité doit être constamment accrue. La gauche ne dit pas les choses telles qu'elles sont. On ne peut avoir l'une des meilleures santés du monde, l'un des régimes de retraite et d'assurance-chômage parmi les plus favorables d'Europe, l'école et l'université gratuites pour tous, sans qu'en retour nous ne nous battions, par le travail et la réforme, pour assurer le maintien de ces acquis sociaux.
C'est la réforme qui réconcilie les deux France et c'est le conservatisme qui les divise. La réforme des retraites illustre cet axiome. Nous avons demandé aux Français de travailler un peu plus, non seulement pour sécuriser le régime par répartition, mais aussi pour faire émerger un nouveau droit social, unique en Europe : celui qui permet à 500 000 personnes qui ont commencé à travailler très jeunes de partir plus tôt à la retraite.
Avec le jour férié travaillé, c'est cette même logique que nous avons fait prévaloir pour financer le traitement social de la dépendance et du vieillissement.
La création du revenu minimum d'activité (RMA) constitue l'autre symbole de notre politique de redressement social. Il s'agit, avec le RMA, de permettre au bénéficiaire du revenu minimum d'insertion (RMI) de renouer avec une activité professionnelle. Bref, il s'agit d'inciter au retour vers le travail. L'opposition a hurlé au "démantèlement social", alors qu'il s'agit de relancer un dispositif qui se transforme en trappe à pauvreté.
Près d'un bénéficiaire sur trois est au RMI depuis plus de trois ans et près d'un sur dix depuis plus de dix ans. Le réformisme social commande de chercher à activer la dépense de solidarité en responsabilisant chacun : c'est tout l'objet du RMA.
L'opposition s'est émue à l'idée que les entreprises allaient pouvoir embaucher des RMIstes pour un coût peu élevé... Cette critique stupéfiante révèle d'une posture morale indifférente à l'efficacité sociale. L'important n'est pas tant de savoir si l'entreprise y trouve quelque avantage que de savoir si le RMIste qui décroche enfin un emploi y trouve, lui, son intérêt ! Il faut être animé par une étrange logique pour préférer un RMIste sans travail à un RMIste ayant une activité.
Le camp de la justice sociale n'est pas là où on le croit. Au cur du malaise français, il y a le chômage de masse, avec lequel la France vit depuis vingt ans. Là encore, Laurent Fabius s'en tient aux poncifs qui nous ont conduits là où nous en sommes.
Notre pays cumule deux handicaps : un marché du travail trop rigide et trop complexe pour les entreprises ; des salariés insuffisamment préparés à la mobilité professionnelle. D'un côté, les entreprises sont prudentes dans leurs embauches, de l'autre les demandeurs d'emploi ne sont pas armés pour rebondir face aux fluctuations de l'économie moderne.
C'est le défi que je veux relever avec la loi de mobilisation pour l'emploi voulue par le président de la République : concilier souplesse économique et sécurisation des parcours professionnels. Ici encore, le débat stérile qui oppose flexibilité et emploi durable ne nous a conduits qu'au chômage. Il faut marier ces principes. C'est de la sorte que nous créerons les conditions d'un marché du travail générateur d'emplois.
La souplesse, c'est clarifier notre code du travail, c'est réfléchir aux modalités de la rupture négociée du contrat de travail, c'est élargir les conditions d'accès aux contrats courts et intérimaires pour les chômeurs de longue durée, c'est rénover la gestion des restructurations par la négociation...
La sécurisation des parcours professionnels suppose, pour sa part, une triple ambition. La première, en voie de réalisation, est la formation tout au long de la vie. Un salarié formé n'est plus prisonnier des mutations économiques, mais en capacité de les surmonter. Dans cet esprit, nous venons d'ouvrir un nouveau droit : chaque salarié aura la possibilité d'accumuler un droit individuel à formation de 20 heures par an.
La seconde ambition est de rénover le service public de l'emploi pour assurer un meilleur suivi individualisé des chômeurs. Ceux-ci doivent se sentir épaulés et entraînés vers l'emploi. Sur ce sujet, la gauche hurlera une fois encore. Elle aura tort, une fois de plus.
Enfin, il faut mettre un coup d'arrêt à l'exclusion des jeunes sans qualification par une action de la deuxième chance. Ces jeunes doivent bénéficier d'une solution individuelle, soit sous la forme d'un contrat aidé prioritairement en entreprise, soit sous la forme d'une formation rémunérée par l'Etat et ciblée sur les métiers qui cherchent à recruter.
Voilà nos réponses pour mettre la France en mouvement et préserver l'essence de sa tradition sociale. Ce mouvement, il faut aussi qu'il s'enclenche dans la société française, car il ne peut être exclusivement piloté par l'Etat. C'est pourquoi nous avons rénové notre démocratie sociale en élargissant la responsabilité des partenaires sociaux et les champs de la contractualisation.
Face à l'émiettement social et à la montée des poujadismes de tous bords, nous avons besoin de syndicats forts, modernes et influents. L'histoire retiendra que c'est ce gouvernement et non la gauche qui a rénové le cadre des relations sociales de notre pays.
La France est en pleine transition économique et sociale. Elle exige du courage, de la méthode, une confiance en nous-mêmes. Elle réclame une pédagogie politique pour accompagner nos concitoyens.
Par commodité intellectuelle et électorale, le Parti socialiste refuse d'y prendre sa part. Pour l'heure, nous prenons nos responsabilités. La reprise n'en est qu'à ses débuts et se traduira par une amélioration de la situation de l'emploi. Mais l'ambition réformatrice ne devra pas être relâchée si nous voulons réconcilier la France avec le progrès pour tous.
(source http://www.u-m-p.org, le 29 mars 2004)