Tribune de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, dans "Korrieri", "Kathimerini", "Dnevnik", "Fakti", "Polikita", "Koha Dirore", "Sega", "Financial Times", "Vecernki List", "Adevarul, et "Proinos Logos" des 19 et 20 juin 2003, intitulée "L'ambition européenne des Balkans".

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Média : Adevarul - Dnevnik - Fakti - Financial Times - Kathimerini - Koha Dirore - Korrieri - Polikita - Presse étrangère - Proinos Logos - Sega - Vecernji List

Texte intégral

A la fin de cette semaine, le Sommet de Thessalonique réunira les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne, des nouveaux Etats membres et des pays des Balkans. C'est l'occasion de dresser le bilan d'une action menée depuis plus de dix ans dans laquelle la France et l'Union européenne ont joué un rôle moteur.
Le premier enseignement, là comme ailleurs, est l'exigence d'unité. La communauté internationale, d'abord hésitante et divisée, a échoué au début des années 90 à prévenir en Bosnie et en Croatie l'un des plus terribles conflits de notre fin de siècle. La création du Groupe de contact en 1994, sous l'impulsion de la France, a permis de dégager une vision puis d'adopter des positions communes entre les principaux acteurs. Cette unité retrouvée a constitué le fondement du retour à la paix et de la stabilisation des pays de la région. Par la suite, la détermination conjointe des Européens et des Américains face à Milosevic ou face aux extrémistes de tous bords a permis d'affronter victorieusement les crises, que ce fût au Kosovo, en Serbie du sud ou en Macédoine.
Le deuxième enseignement, c'est la nécessité du courage : chaque fois que la communauté internationale a su faire preuve de détermination, elle a brisé le cycle de la violence et du fanatisme. En Bosnie, la mise en place en juillet 1995 de la force de réaction rapide franco-britannique a modifié les équilibres des forces sur le terrain et ouvert la voie à la paix conclue à Dayton et signée à Paris. Au Kosovo, deuxième grande étape de l'engagement international dans les Balkans, l'intervention de l'OTAN a été décisive pour donner un coup d'arrêt à la répression menée par le régime de Milosevic et conduire à l'adoption d'un règlement de paix.
Enfin, la troisième leçon de ces années sombres, c'est l'exigence d'une vision et d'un projet mobilisateur. Le Sommet de Zagreb en novembre 2000, fruit d'une initiative du Président Chirac, en a défini les termes : ce projet sera celui de l'Europe. La perspective est ainsi clairement tracée d'un rapprochement des Balkans avec l'Union européenne, jusqu'à leur intégration.
Cette ambition doit être fondée sur l'engagement résolu de tous : les pays des Balkans comme l'Union européenne. L'avenir des Balkans est avant tout entre les mains des peuples de ces pays. Il leur appartient de confirmer le choix de l'Europe et d'en tirer les conséquences.
Ce choix suppose d'abord l'adhésion aux valeurs qui fondent le pacte européen : la démocratie, la tolérance, le respect de l'autre, le refus absolu des haines ethniques et religieuses et de tout recours à la violence. Ces principes doivent avoir une traduction concrète : l'affirmation de l'Etat de droit, à travers l'équilibre des pouvoirs et la protection des libertés individuelles ; le jugement des criminels de guerre, à commencer par Karadzic, Mladic et Gotovina, dans le cadre d'une coopération qui doit être exemplaire avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ; la lutte résolue contre le développement des réseaux mafieux et de la criminalité organisée qui constituent aujourd'hui la menace majeure pour la stabilité politique et le décollage économique de cette région. Ici et là, certains gouvernements n'ont pas encore pris la pleine mesure des engagements qu'implique la perspective européenne. Il faut donc réaffirmer sans relâche ces objectifs et poursuivre leur réalisation avec détermination.
L'intégration progressive à l'Union européenne appelle aussi des réformes profondes, souvent difficiles, pour avancer vers l'économie sociale de marché avec ce qu'elle suppose de transparence et d'ouverture. La primauté du droit et l'initiative économique sont des conditions indispensables pour promouvoir la démocratie et la prospérité qui sont au cur du projet européen.
Enfin, et ce n'est pas le moindre, l'intégration progressive à l'Europe doit aller de pair avec le rétablissement de liens d'entente et d'amitié entre les peuples et les pays de la région. Comme nous l'avons unanimement déclaré au Sommet de Zagreb en novembre 2000, "démocratie, réconciliation et coopération régionale d'une part, rapprochement de chacun de ces pays avec l'Union européenne d'autre part, forment un tout".
L'Union européenne est déterminée à accompagner sur ce chemin les pays des Balkans qui font le choix de l'Europe. Afin de leur tendre la main, l'Union a défini une relation contractuelle particulière, les accords de stabilisation et d'association, qui combine l'ouverture progressive des marchés, une assistance technique appropriée mais aussi un dialogue politique qu'il faut renforcer. L'un des objectifs de ces accords doit être précisément de renforcer la coopération entre les pays de cette région pour développer les convergences entre eux. Au surplus, l'Union européenne a mis en place de puissants instruments financiers : dans le cadre du programme CARDS, les Européens accordent 4,65 milliards d'euros sur 6 ans à ces pays ; il faut y ajouter pour les quatre dernières années un soutien financier supérieur à 8 milliards d'euros incluant notamment l'aide humanitaire, les prêts de la Banque européenne d'investissement et de la Banque européenne de reconstruction et de développement, le soutien bilatéral des Etats membres ainsi que l'accès privilégié sans droit de douane au marché commun pour presque tous les produits.
Premier acteur économique dans les Balkans, l'Europe est d'ores et déjà un partenaire politique et militaire privilégié. Elle l'a été en Macédoine, lorsque les Accords d'Ohrid ont scellé le compromis institutionnel entre les différentes parties et mis fin à un nouvel embrasement potentiel. Elle l'a été également en assurant la médiation qui a permis la création, en février dernier, du nouvel Etat de Serbie et Monténégro. Depuis lors et sur le terrain, l'Union européenne a assuré la relève des forces de l'OTAN en Macédoine et pourrait faire de même en Bosnie où elle exerce déjà la responsabilité de l'assistance internationale aux forces locales de police. Les Européens assument ainsi l'essentiel de l'effort international pour le maintien de la paix et la reconstruction dans la région, en étroite coopération avec les Etats-Unis.
Certes, chaque pays des Balkans doit avancer à son rythme vers l'Europe. Mais l'Union forme un tout : elle ne saurait être choisie à la carte. L'adhésion à l'Union européenne ne peut se résumer à une simple série de formalités techniques : il s'agit de faire sien le projet européen, celui d'une Union sans cesse plus étroite entre des Etats et des peuples. Les représentants de la société civile des Balkans occidentaux, de Sarajevo à Pristina, de Belgrade à Skopje, de Zagreb à Tirana, nous pressent de veiller à ce que l'adhésion de leurs pays, le moment venu, soit la consécration d'une transformation en profondeur de leurs sociétés. Ils nous invitent à ne pas brader l'Union, conscients qu'entrer dans une Europe qui aurait fait bon marché de ses valeurs et de ses règles n'aurait aucun sens.
C'est dans cet esprit que nous préparons Thessalonique : nos mots d'ordre sont ambition et espoir, parce que la vocation à l'adhésion européenne de l'Albanie, de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de la Macédoine et de la Serbie et Monténégro est sans ambiguïté ; mais aussi responsabilité, parce que le chemin vers l'Europe est exigeant et passe par le respect de conditions politiques, morales, économiques et sociales. Le nier serait irresponsable face à nos concitoyens européens. L'affirmer, c'est marquer avec éclat notre confiance en un avenir de paix qui nous sera commun.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juin 2003)