Point de presse de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur l'aide européenne à l'Afrique et aux pays ACP, la disproportion entre l'importance de l'aide européenne et la modestie de son influence politique, la suspension de l'aide au développement à l'Ethiopie et à l'Erythrée et sur l'application des accords de Lusaka en Afrique centrale, Bruxelles le 18 mai 2000.

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Circonstance : Conseil de l'UE sur le développement à Bruxelles le 18 mai 2000

Texte intégral

Ce qui intéresse la présidence française, ce sera de réussir dans les mois qui viennent à faire adopter une déclaration de politique générale en matière d'aide au développement. Cette ambition avait été exprimée lors d'un Conseil en mai 1999 et aura mis un peu de temps à se concrétiser. La communication de M. Nielson était attendue un peu plus tôt mais les changements intervenus au sein de la Commission justifiaient bien qu'il y ait un délai supplémentaire et le travail fourni, je le répète, est de qualité. Parmi les autres questions évoquées aujourd'hui, il y a eu celle de la coordination opérationnelle, y compris sur le terrain, l'aide humanitaire, les conflits et les situations de crise dans les pays en développement et il est vrai que, malheureusement l'actualité à cet égard était assez féconde. Ce sont d'ailleurs ces situations de crise qui auront retenu, pour l'essentiel, l'attention des ministres à l'occasion du dîner d'hier soir et du déjeuner de ce midi. Et parmi les pays évoqués : Sierra Leone, Zimbabwe, Ethiopie, Erythrée, Côte d'Ivoire pour en citer quelque uns. Nous avons aussi évoqué, bien que cela ne soit pas une situation aussi actuelle, le Burundi et les Grands Lacs qui restent quand même l'une de nos premières préoccupations pour l'Afrique.
J'ai eu l'occasion tout à l'heure, en rendant hommage à Luis Amado de souligner l'importance qu'a pris au cours de ce dernier semestre la négociation des accords ACP, qui aura été le grand chantier conclu sous présidence portugaise. Nous sommes très satisfaits de ce qui va donc représenter une sorte de nouveau pacte de confiance, c'est en tout cas ce que nous en attendons entre les pays européens et les 71 pays ACP, une confiance dont nous sommes convaincus qu'il faut plus que la consolider, peut-être la reconstruire à l'échelle du monde dès lors que les mouvements qui se sont manifestés ici où là, de Seattle à Washington, et dont nous pouvons penser qu'ils auront quelques suites au Japon peut-être ou à Prague lors des prochaines assemblées du Fonds monétaire, témoignent bien d'une crise de confiance entre le Nord et le Sud, une crise de confiance dans la mondialisation. A cet égard, la relation privilégiée que l'Europe entretient avec un nombre significatif de pays en développement dont l'essentiel des pays les moins avancés, nous donne une responsabilité particulière pour rétablir à la fois la confiance de nos populations dans une aide au développement que nous les appelons à financer au travers de leurs impôts (alors qu'ils ne voient pas toujours les effets sur le terrain surtout quand ces effets sont contredits par des crises à répétition qui donnent évidemment une mauvaise image des pays qui bénéficient de notre aide), mais confiance aussi des populations de ces pays là qui ne voient pas toujours concrètement, sur le terrain, la traduction de nos propres efforts. Tout au long de la journée, la question de l'efficacité de l'aide a été commentée. Cela renvoie à des questions de procédure, à un dialogue plus serré avec les pays bénéficiaires, toutes questions dont nous aurons l'occasion de reparler, et en particulier lors d'un séminaire que la présidence portugaise et la future présidence française organisent à Paris, le 30 juin, et auquel nous avons convié nos collègues ministres. Ce séminaire traitera précisément du thème de l'identité européenne en matière de politique d'aide, de politique de coopération au développement.
Q - inaudible
R - C'est votre lecture, ce n'est pas la nôtre car si le besoin d'une meilleure cohérence entre les politiques européennes et les politiques conduites par les institutions multilatérales, qu'elles soient à Washington à New York ou à Genève, a été souligné c'est bien de meilleure cohérence à l'intérieur de l'Europe dont il aura été aussi beaucoup question. Cohérence entre les politiques européennes et j'y insiste à nouveau, recentrage sur un certain nombre de priorités. Avec, dans le même temps, une simplification des procédures qui nous évite, par exemple, cette situation peu satisfaisante même si elle n'est pas due seulement à des procédures trop compliquées, d'avoir des reliquats aussi conséquents. Il vrai que nous n'avons pas le temps d'en donner des détails mais dans la journée il y a eu des débats sur la question de savoir si l'identité européenne devait prévaloir ou si d'autres que l'Europe devaient être plus sûrement chargés de la coordination de la cohérence et c'est une question dont on peut penser qu'elle sera à nouveau à l'ordre du jour de prochaines réunions car cela renvoie aux sensibilités des uns et des autres. La France, de ce point de vue, a une position très claire. Nous sommes partisans de rechercher une meilleure cohérence entre l'Europe et les Organisations internationales, mais nous pensons qu'au préalable il faut que la politique européenne soit mieux identifiée et que l'expression de l'Europe dans ces instances multilatérales lui donne une influence à la mesure du prix qu'elle paie. En clair, il y a des institutions où les pays qui donnent le moins ont parfois la plus grande influence. L'Europe est un peu dans la situation inverse. Nous aimerions bien que l'expression plus claire, plus forte de la politique européenne permette à l'Europe de regagner en influence ce que la part qu'elle prend dans le financement de l'aide au développement devrait lui donner. On a rappelé que l'Europe représentait 56% de l'aide (toutes aides confondues, elle paie même les deux tiers des dons) ce qui est tout à fait considérable et devrait lui valoir une position dominante, qu'elle n'a pas parce qu'elle n'a pas encore su se donner les moyens de son organisation et d'une expression homogène. C'est à cela que la France va s'employer pendant les mois qui viennent, en sachant que 6 mois ne suffiront sans doute pas pour atteindre l'objectif.
Q - Sur les crises, le bilan de celles-ci, au-delà du constat fait par les uns et les autres de la catastrophe, y a-t-il eu autre chose qu'un tour de table, y a-t-il eu des solutions préconisées ?
R - C'est l'absence de coordination où l'insuffisance de coordination des interventions des pays européens qui a été mise en évidence et nous pouvons penser que les procédures de coordination, qui sont d'ailleurs inscrites dans la communication du Commissaire, permettront normalement de faciliter notre travail.
Quand je dis interventions humanitaires, je pourrais faire allusion au désordre dans lequel nos moyens militaires respectifs ont été mobilisés au Mozambique par exemple. Nous y avons tous contribué. Et une fois de plus, alors que l'Europe est certainement le premier intervenant en situation dans une crise comme celle-là, on aura plus entendu de critiques que de compliments à propos de l'intervention de l'Europe. Ce qui n'est pas normal. Si vous voulez faire allusion à une actualité plus récente : la Sierra Leone, car c'est celle qui a retenu l'attention, nous avons bien sûr constaté l'insuffisance des moyens et aussi la lenteur avec laquelle normalement les interventions se mettent en place. Nous n'avons pas été jusqu'à reprendre à notre compte telle ou telle proposition dont il est question dans cette maison, sachant en plus que ces questions là sont, du moins autant de la compétence sinon plus du ministre des Affaires étrangères ou du ministre de la Défense. Mais toutes ces questions ont été évoquées.
Q - On voit quand même une analyse complètement différente entre la France, l'Allemagne, les Pays-Bas, (par exemple au Burundi, il y a encore plus de 200.000 personnes déplacées ou réfugiées), en matière de reprise de l'aide.
R - C'est exact et on peut considérer aussi que la manière dont le Rwanda et le Burundi sont traités témoigne de différentes appréciations que la situation de terrain ne justifie pas. C'est un des points qui ont été évoqués et là encore sans avoir été jusqu'à la convergence des uns et des autres. J'ai constaté que les points de vue se rapprochent et j'ai bon espoir. Les efforts que le président Mandela conduit au Burundi déclencheront assez rapidement une aide substantielle de l'Union européenne. L'intérêt, c'est au moins que nous puissions très librement, très franchement, parler de ces choses entre nous et je suis heureux que l'habitude ait désormais été prise durant ces Conseils Développement de parler aussi de l'actualité, même politique, tant il est vrai qu'elle retentit totalement sur la situation de ces pays en terme de développement.
Q - Sur la guerre qui reprend de plus belle en Afrique dans la corne de l'Afrique.
R - Nous avons parlé du rapport du sénateur M. Serri qui comme vous le savez était l'envoyé de l'Europe sur ce théâtre d'opérations, nous avons parlé de cette guerre et nous sommes convenus que nous ne pouvions pas continuer une aide à long terme en faveur de deux pays qui se sont engagés dans une guerre totalement archaïque, qui a déjà fait des milliers de victimes, même si dans le même temps nous savons bien que l'aide humanitaire doit être préservée parce qu'il ne faudrait pas que les populations civiles soient les victimes des pressions que nous exerçons sur ces deux pays pour qu'ils trouvent un accord de paix. Il y a eu un large consensus pour considérer que nous ne pouvions pas dans ces conditions maintenir l'aide à moyen et long terme et que c'était sur l'aide humanitaire qu'il fallait nous concentrer en espérant que très vite la cessation des hostilités, le retour à la paix, permettrait de développer notre action à long terme, notamment les questions d'infrastructures que la situation de famine au sud a mis particulièrement en évidence.
Q - Avant Fidji, pensez-vous que le problème de l'éventuelle accession de Cuba à la Convention de Lomé sera reposé ?
R - Je ne pense pas que nous ayons le temps avant Fidji de reposer, en quelque sorte, le problème. Convenons que, plus tard, la question sera reprise et que Cuba, comme le souhaite l'ensemble des pays ACP et comme l'espère un nombre significatif de pays européens, puisse rejoindre la relation privilégiée Europe/ACP.
Q - Y aura-t-il d'autres Etats ? On a parlé de micro-îles anglo-saxonnes.
R - On peut penser en effet, sans revoir le périmètre, sans déséquilibrer cette construction, on peut imaginer que certains pays qui sont des pays de taille modeste, puissent voir leur situation examinée et arriver peut-être à leur intégration.
Q - Pensez-vous que les mésaventures des casques bleus en Sierra Leone puissent remettre en cause le déploiement d'une force de l'ONU au Congo ?
R - Je ne pense pas, même s'il est vrai que l'intervention des forces de l'ONU au Congo a pour objet de constater et vérifier un accord entre les parties. Là où cela se gâte, c'est lorsqu'une des parties dénonce l'accord, comme M. Foday Sankoh l'a fait en Sierra Leone. A ce moment-là, les troupes des Nations unies ne sont plus là pour constater une situation et s'assurer de l'application d'un accord de paix et on leur demande en quelque sorte de faire la guerre, ce que leur mandat ne permet pas et qui les met dans une situation totalement inconfortable. La question de la préparation de ces troupes se pose donc. La preuve en a été faite en Sierra Leone : quand les moyens sont le résultat d'un assemblage de soldats ayant une formation différente, des équipements différents, une culture différente les choses se trouvent compliquées et ceci renvoie très certainement à un besoin de préparation, de formation meilleure. D'autres voudraient aller plus loin bien sûr. La question a été évoquée dans d'autres enceintes, elle a été effleurée aujourd'hui ici, mais c'est ailleurs qu'elle devra trouver éventuellement ses conclusions.
Q - En dehors du cadre communautaire à proprement parler, au mois de juin normalement le président Bouteflika doit venir en France en visite officielle. Allez-vous évoquer le suivi du Sommet du Caire ?
R - On peut penser que cela fera partie des questions soulevées, même s'il est vrai que c'est surtout une visite bilatérale. J'aurai moi-même, d'après ce qu'on m'a fait savoir, l'occasion de l'accompagner lors d'un de ses déplacements en province, donc je profiterai de cette proximité pour parler un peu du suivi du Caire et pourquoi pas non plus des efforts de l'Algérie pour faire la paix à moins qu'elle soit intervenue d'ici là entre l'Ethiopie et l'Erythrée puisque vous savez que c'est à Alger qu'on s'est beaucoup employé à essayer de trouver une solution.
Q - Sur les Grands lacs, vous êtes-vous exprimé ?
R - Les Accords de Lusaka, que nous soutenons complètement, intègrent le retrait de toutes les troupes de tous les " envahisseurs " c'est clair. Nous n'avions pas à répéter cela, ce n'était pas à l'ordre du jour. Mais je rappelle que l'Union européenne soutient totalement les Accords de Lusaka. J'ai eu l'occasion de participer à la réunion du Conseil de sécurité organisée à New York en janvier sous présidence de M. Holbrooke qui avait été l'occasion pour l'ensemble des acteurs de ce conflit de s'exprimer et de confirmer leur adhésion aux Accords de Lusaka. Il reste maintenant à les faire vivre. On en n'est pas encore tout à fait là malheureusement. La situation au Rwanda et en Ouganda est relativement stabilisée, il n'empêche que tout reste encore à faire : le dialogue inter-congolais, rebelles compris, et c'est aussi à cela que le président Masire s'emploie puisqu'il est allé les jours derniers les rencontrer et puis le retrait des troupes étrangères. Un retrait qui devrait valoir non seulement pour ce qui est des éléments militaires mais peut-être aussi et ce n'est pas le plus facile, le retrait de cette forme d'exploitation économique. C'est un autre débat./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 mai 2000)