Interview de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, à France info le 24 juin 2003, sur les relations entre l'Europe et les Etats-Unis, la conférence des donateurs pour la reconstruction de l'Irak, à l'ONU, l'arrestation d'opposants iraniens à Auvers-sur-Oise et sur l'engagement de la France en Afrique.

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Média : France Info

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Q - Demain George Bush accueille un sommet Etats-Unis - Union européenne, c'est le premier depuis la guerre en Irak. La page est tournée, la crise irakienne est oubliée ?
R - Il y a une claire volonté de part et d'autre de travailler ensemble. Ces sommets sont réguliers, annuels. C'est l'occasion de faire un point sur les relations transatlantiques avec une volonté claire du côté des Européens de prendre mieux en compte leurs propres responsabilités et de marquer toute l'importance qu'ils accordent à cette relation transatlantique. Je crois que du côté américain aussi, il y a la volonté de multiplier les domaines de coopération, d'actions communes, de réflexions nécessaires de part et d'autre de l'Atlantique.
Q - Le récent Conseil européen de Thessalonique a affirmé le souhait des Européens d'un partenariat avec les Américains mais, on l'a bien précisé, d'un partenariat sur un pied d'égalité. Les Américains sont-ils prêts à entendre ce discours ?
R - C'est leur intérêt et c'est une nécessité si l'on veut véritablement donner plus d'équilibre au monde. Nous avons besoin d'une relation forte, d'une relation de respect et d'échange et c'est vrai que pour la première fois, à Thessalonique, les Européens ont réfléchi à un concept commun de sécurité, une doctrine stratégique de sécurité. Il s'agit à la fois d'avoir une évaluation commune des menaces et de se doter des moyens nécessaires pour agir ensemble. On le voit dans le domaine de la politique européenne de sécurité et de défense. Pour la première fois depuis quelques jours, il y a une initiative européenne commune, en dehors de l'Europe. C'est le cas en Ituri au Congo et vous savez que c'est une opération dirigée par la France.
Q - Aujourd'hui même se tient au siège des Nations unies à New York, la conférence des donateurs en vu de la reconstruction de l'Irak. On va faire le point des besoins de l'Irak. Quelle est la place de la France dans cette reconstruction ?
R - Vous savez que c'est une conférence préparatoire qui se situe dans le cadre des Nations unies et nous sommes dans la première période de cette reconstruction essentielle, celle où la communauté internationale, des forces présentes sur le terrain posent les bases de la reconstruction. Une reconstruction d'abord dans le domaine humanitaire - il s'agit de faire face aux besoins les plus immédiats -, dans le domaine de la sécurité - et l'on voit bien que la situation est encore très insatisfaisante -. Il y a encore beaucoup à faire dans les différents secteurs, dans les différentes régions de l'Irak, pour tourner vraiment la page de la guerre. Il y a aussi la reconstruction économique qu'il faut préparer dès maintenant, c'est l'objectif de la conférence préparatoire de New York, c'était aussi l'un des objectifs de la réunion de Davos qui s'est tenue en Jordanie où Nicole Fontaine était présente.
Q - C'est le retour du réalisme et du pragmatisme ?
R - J'avais employé ce terme de pragmatisme, il faut qu'il soit bien compris. La France reste fidèle à ses principes, la France maintient les positions qui sont les siennes mais la France prend évidemment acte de la guerre qui s'est tenue. Elle se félicite de la chute du régime de Saddam Hussein. Il faut maintenant, pour l'intérêt même de l'Irak, pour l'intérêt du peuple irakien, pour la stabilité de la région, tout faire pour que cette stabilité, cette reconstruction puissent s'engager sur de meilleures bases.
Q - Vous avez même utilisé une autre formule, vous avez dit : la diplomatie, c'est parfois l'humilité.
R - Oui, c'est l'humilité. L'humilité, c'est d'abord de reconnaître les situations. C'est aussi de s'interroger avec ses partenaires sur les meilleurs moyens possibles. Je crois qu'une diplomatie qui ne se soumet pas à la question, une diplomatie qui ne serait que de certitudes et de positions, serait une diplomatie qui se couperait de la réalité.
Q - Au point de mettre ses principes dans sa poche ?
R - Non, certainement pas et je crois d'ailleurs que les principes font partie de la substance vive de la diplomatie, surtout dans un monde où, on le voit bien, tout ce qui touche à l'identité, à la culture, au fondement profond des peuples, est très important. Les principes, le droit, la morale, non ce ne sont pas des éléments négociables mais par contre, la façon d'appliquer ces principes, de travailler ensemble demande un examen permanent.
Q - Il n'empêche que l'on n'a jamais trouvé en Irak d'armes de destruction massive et que l'on voit tous les jours que l'administration américaine est incapable de faire face à la situation qu'elle a, en grande partie, créée ?
R - C'est un immense chantier que de reconstruire l'Irak, c'est une immense tâche que de jeter les bases d'un nouvel Irak, nous voulons tout faire pour que cela soit possible. Nous l'avons clairement dit lors de la négociation sur la résolution 1483, notre conviction est que cela ne sera possible que si l'on sait utiliser au mieux l'unité de la communauté internationale. Il faut des moyens très importants, il faut éviter à tout prix de se diviser sur le meilleur moyen d'agir, il faut mobiliser tous les pays de la région, tous les pays voisins, parfois dans des circonstances difficiles. Il faut mobiliser la Syrie, l'Iran. Tout ceci est une tâche immense que nous avons devant nous.
Q - On a tout de même le sentiment que la France cherche à démontrer que finalement, elle est un allié sur lequel les Américains peuvent compter. On l'a bien vu avec l'affaire d'Auvers-sur-Oise où l'on avait le sentiment que l'on donnait des gages aux Américains, même si les Américains, sur les Moudjahidines, ont des positions assez ambiguës ?
R - Ne nous méprenons pas sur le sens des choses et évitons des conclusions hâtives sur des dossiers aussi difficiles. Le dossier des Moudjahidines du peuple iranien, le dossier d'Auvers-sur-Oise, est un dossier judiciaire, ce sont des questions de justice. Il y a une instruction ouverte par le juge Bruguière en 2001, il y a une organisation, celle des Moudjahidines, qui a été mise au ban comme organisation terroriste par l'ensemble de l'Europe. Cette instruction a suivi son cours, elle a abouti et donné lieu à l'opération d'il y a quelques jours. Il n'y a pas de dimension ni de prise en compte d'une dimension diplomatique dans cette affaire. Nous avons, sur la stricte base de la justice, la volonté de tout faire pour lutter contre le terrorisme.
Q - "Le Figaro" affirmait ce matin que ces Moudjahidines du peuple s'apprêtaient à commettre des attentats en France. Avez-vous des informations ?
R - Cette organisation a revendiqué de très nombreux attentats en Iran. Cette dimension terroriste ne pouvait pas être occultée. Nous devons assumer notre responsabilité, lutter de toutes nos forces contre ce risque. Il n'y a pas pour la France de bon ni de mauvais terrorisme, nous sommes mobilisés sur tous les fronts.
Q - Vous serez, à la fin de la semaine, en Afrique du Sud, puis au Ghana, l'Afrique du Sud qui préside l'Union Africaine et le Ghana qui préside la CEDEAO. C'est le retour de la présence française en Afrique ?
R - Il y a un engagement très marqué. Depuis mon arrivée, j'ai voulu que cela soit ressenti car il y a un besoin en Afrique de la mobilisation de la communauté internationale. La France a une longue pratique de l'Afrique, une profonde affection, une connaissance de l'Afrique. Il était normal que la France prenne la tête de cet engagement. Si nous voulons donner une chance à l'Afrique dans le domaine social ou dans celui du développement, il faut régler les crises. C'est l'urgence. C'est pour cela que nous nous sommes impliqués dès mon arrivée dans la crise malgache et nous avons pu faire avancer les choses à Madagascar, tourner la page.
C'est pour cela que nous nous sommes engagés en Côte d'Ivoire, dans des circonstances, vous vous en souvenez, difficiles, mais la Côte d'Ivoire progresse, nous avançons sur ce chemin à travers le gouvernement de réconciliation.
Q - Peut-être que la méthode a changé, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, l'on cherche plus des partenariats avec les Africains ?
R - La méthode a changé par rapport à des années anciennes car il faut agir ensemble, dans le respect des pays africains. Ce qui a changé, c'est une volonté qui s'exprime aujourd'hui très clairement de la part de nos partenaires africains. Alors, agissons ensemble. Nous agissons pour soutenir des médiations africaines. Vous avez parlé de l'Union africaine, nous soutenons les médiations de l'Union africaine et nous saluons l'esprit d'initiative des pays africains. C'est le cas de l'Afrique du Sud par exemple au Congo, c'est le cas du Ghana qui exerce la présidence de la CEDEAO dans la crise de la Côte d'Ivoire ou encore dans la crise du Liberia. Si nous voulons avancer, nous devons nous appuyer sur ces Etats comme nous nous appuyons sur le reste de la communauté internationale et en particulier le Conseil de sécurité des Nations unies. C'est à sa demande que nous intervenons en Ituri au Congo, avec d'autres pays de la communauté internationale et d'autres pays européens. C'est aussi dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité que nous avons été amenés à nous engager plus profondément en Côte d'Ivoire
Q - Merci, Monsieur de Villepin.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juin 2003)