Déclaration de M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire, sur les différentes stratégies de développement économique, notamment les systèmes de l'économie de marché et l'économie sociale et l'importance de l'aide au développement solidaire, Paris le 26 juin 2000.

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Circonstance : Forum 2000 de l'OCDE à Paris le 26 juin 2000

Texte intégral

Monsieur le Secrétaire Général,
Mesdames, Messieurs les Ministres, les Ambassadeurs,
Mesdemoiselles, Mesdames, Messieurs,
C'est avec un immense plaisir que je me trouve aujourd'hui parmi vous pour participer à la réflexion engagée dans ce forum. Je voudrais profiter des quelques minutes qui me sont offertes pour vous présenter ce qui, j'espère, sera demain au cur des problématiques de développement tant au plan international que national. Je veux parler de la nouvelle alliance entre économie et solidarité, entre développement et durabilité, entre éthique et rentabilité.
A défaut d'être une nouvelle économie, il s'agit pour le moins d'une nouvelle vision économique.
Cette nouvelle vision s'appuie sur une première analyse, ce que l'on pourrait appeler l'illusion libérale. Nombreux sont ceux qui ont cru, notamment depuis la chute du mur de Berlin, que l'économie en général et le libéralisme en particulier constitueraient le moteur central de la création de valeur et de la régulation des rapports sociaux au sein des sociétés et des relations internationales entres pays, voire même l'outil majeur de la démocratisation de certains États.
Et puisque seuls l'économie libérale et le libre-échange international étaient porteurs de développement et de progrès, rien ne devait entraver la globalisation des économies et la concurrence totale entre les acteurs, ni des règles de régulation internationale, ni des dispositions nationales. Je fais ici rapidement allusion au projet de l'accord multilatéral d'investissement.
Ainsi, l'intervention publique et la démocratie se sont trouvées délégitimées, pour ne pas dire bafouées. Parfois même il s'est agi, au nom de l'efficacité, de mettre dans le champ concurrentiel ce qui était jusque là pris en charge par la puissance publique ou le secteur privé non lucratif, comme par exemple, les associations. Or cette vision totalisante de l'économie libérale se heurte à son propre discours : celui de l'efficacité.
A cet égard, et à titre tout à fait significatif, le rapport de l'O.M.S sur la santé dans le monde portant sur l'efficacité des systèmes de santé classe la France au premier rang ; dans le même temps ces indicateurs de performance ne classent les Etats-Unis d'Amérique qu'à la 37ème place où pourtant -je cite le rapport- " le système de santé absorbe une part plus importante du produit intérieur brut que dans tout autre pays ". Quant on repense aux attaques répétées contre le système de protection sociale de la France : système archaïque, dispendieux, inefficace il y a de quoi aujourd'hui relativiser les propos de ceux qui avaient fait de la performance et de l'efficacité un dogme fondateur de leur pensée économique.
Il est devenu nécessaire de changer notre regard, de modifier notre point de vue pour sortir de cette opposition artificielle entre l'économique et le social. Cette dualité, très largement entretenue, entre logique économique et logique sociale, signifie implicitement qu'il y a ce qui rapporte et ce qui coûte, ce qui est performant et ce qui est inefficace, ce qui est moderne et ce qui est archaïque. Cette dualité factice est devenue quasiment idéologique.
Force est de constater que l'économie de marché seule n'a pas su réguler le développement ; bien au contraire la concentration du capital s'est accrue car la densité va toujours à la densité : l'activité attire l'activité, les métropoles urbaines se développent et contribuent au déménagement du territoire, les écarts entre niveaux de vie dans chaque pays et entre pays du Nord et pays du Sud se sont accrus, les inégalités ont progressé, l'auto-suffisance alimentaire n'est toujours pas atteinte dans nombre d'endroits de la planète, les atteintes, pour certaines irréversibles, à l'environnement se sont multipliées De telle sorte qu'aujourd'hui, nombreux sont ceux qui s'accordent, y compris pour les plus libéraux d'entre eux, sur la nécessité de repenser le développement économique et les règles devant l'encadrer.
Car l'économie de marché a, malgré des avantages certains comme la libération des initiatives entrepreneuriales, trois handicaps majeurs :
- L'économie de marché ne couvre pas l'ensemble des besoins des populations, ou les couvre très mal : c'est le cas notamment de toutes les activités où valeur ajoutée réside dans la qualité des relations humaines.
- L'économie de marché ne prend pas en compte le long terme ; on peut même dire que l'accroissement considérable du capitalisme financier au détriment du capitalisme industriel a fait basculer l'économie dans la dictature de l'instantanéité. Cela pose à l'évidence le problème de la préservation de l'environnement et des ressources naturelles mais plus largement autour de l'enjeu du développement durable se profile la problématique de la solidarité avec les générations futures.
- L'économie de marché ne répond pas aux aspirations de ceux qui souhaitent entreprendre sans pour autant avoir pour objectif de rémunérer le capital. Nombreux sont ceux aujourd'hui, porteurs d'initiatives et d'innovations, dans des secteurs extrêmement variés, qui veulent développer une activité et qui se trouvent dépourvus de cadres et de moyens pour passer à l'acte.
De la même façon, nous savons aujourd'hui que la puissance publique ne peut pas et ne sait pas prendre en charge la totalité des besoins des populations. Elle a même parfois un rôle d'inhibition de l'initiative ; tiraillée entre sa volonté de contrôler, l'inquiétude de perdre sa légitimité et les attaques du marché, la puissance publique peut avoir tendance à s'arc-bouter sur ses prérogatives. Extrêmement performants lorsqu'il s'agit " d'industrialiser " la prise en charge de certains besoins ou services, les pouvoirs publics, nationaux ou locaux, se trouvent être beaucoup moins à l'aise dans la construction minutieuse de réponses à des demandes complexes, localisées, demandant souvent une forte capacité d'innovation. C'est toute la différence entre le prêt à porter et le sur mesure.
Alors ne nous trompons pas d'époque ! Ne nous berçons pas de douces illusions !
L'internet ne permettra pas, aujourd'hui, le développement de l'Afrique quand la très grande majorité de la population n'a pas accès à l'eau potable, à l'électricité, au téléphone Sauf à dire que le développement n'est en fait que l'accroissement des richesses de quelques uns. J'en profite ici pour dire à ceux qui attendent beaucoup de l'ouverture de nouveaux marchés, que leur intérêt est d'asseoir le développement sur des fondations solides.
Les effets " soufflet ", comme la crise asiatique, ont des conséquences dévastatrices, notamment auprès des populations qui étaient déjà largement pénalisées. Un développement de l'économie de marché suppose nécessairement et simultanément le développement de l'économie solidaire mais aussi de la puissance publique. C'est en cela qu'il faut une nouvelle alliance.
Alors attachons-nous à construire et reconnaître la pluralité des démarches économiques. Organisons leur complémentarité en refusant l'hégémonie de l'une d'elles, quelle qu'elle soit. L'économie plurielle peut être, si nous nous y employons, le nouvel horizon du développement de nos sociétés. Un développement durable, équitable, performant, rentable, quoi qu'il en soit un développement solidaire.
La pensée unique est archaïque, car dogmatique donc inopérante. La modernité se trouve dans la pluralité, la diversité ; il convient de construire des modèles économiques où co-existent une approche lucrative, productrice de richesses financières et matérielles, aujourd'hui qualifiée de secteur marchand, une approche régulatrice, productrice de cohésion garantissant des droits fondamentaux, c'est la puissance publique, et enfin une approche solidaire, productrice d'activités et d'innovations : c'est le troisième secteur ou l'économie sociale et solidaire.
Cette approche économique recouvre des formes et des activités très diverses : de l'entrepreunariat coopératif à la garantie solidaire des risques avec les mutuelles, en passant par les associations et les ONG pour satisfaire les besoins de la petite enfance, des personnes âgées, de la protection de l'environnement, de la préservation du patrimoine culturel ou pour promouvoir l'organisation d'activités sportives, l'accès de tous à l'internet etc Les champs couverts par l'économie sociale et solidaire sont immenses mais ont en commun d'impliquer des sociétés de personnes dont l'objectif n'est pas la rémunération du capital mais la production de valeur ajoutée dont le développement humain serait la mesure de toute chose.
Cela implique notamment que les indicateurs de performance économique soient modifiés pour prendre en compte des indicateurs de développement humain et des indicateurs de développement durable. Le taux de croissance n'est pas suffisant en soi. Il convient d'interroger la qualité de la croissance.
A une économie plurielle doit correspondre une pluralité d'indicateurs ; dès lors nous pourrons réellement apprécier l'efficacité et juger, secteur par secteur, de l'approche la plus adaptée.
L'économie sociale et solidaire est disposée à prendre le pari de son efficacité ; elle s'emploie déjà à relever le défi des quatre solidarités nécessaires à la construction concrète d'une société moderne, plus juste et plus humaine.
D'abord, la solidarité entre générations contemporaines, partageant, entre toutes et tous, les risques de la vie. Ce sont, notamment dans les secteurs des assurances mutuelles, de la santé, des retraites, de l'assurance chômage ; tous les systèmes de garantie collective qui inscrivent la solidarité entre contemporains.
Ensuite, la solidarité entre catégories sociales. Ce sont tous les systèmes de redistribution des richesses produites, notamment par l'impôt. Mais c'est également la forme coopérative de l'entreprise. En permettant aux personnes de mettre en commun les outils de production, le mouvement coopératif a permis d'entrouvrir une autre perspective entre capital et travail et entres acteurs économiques. Je suis intimement persuadé que le modèle coopératif, à condition d'en décrire les évolutions nécessaires, peut trouver, en ce début de siècle, un élan nouveau.
La solidarité entre territoires. Solidarité quadri-polaire : Nord/Sud et Est/Ouest mais aussi solidarité entre espaces ruraux et espaces urbains. L'avènement du village planétaire et l'interdépendance des économies, nous amène à inscrire nos réflexions et nos actions dans un horizon nécessairement international. A l'évidence, ce qui se passe dans les Balkans par exemple, nous concerne, certes, au plan éthique mais aussi au plan pratique. Favoriser et accompagner le développement d'activités économiques solidaires permet d'agir pour la paix en Europe mais aussi de réduire les atteintes à l'environnement en permettant la conversion des anciennes activités industrielles en projets durables d'un point de vue économique, social et environnemental. Cette solidarité entre territoires trouve tout son sens dans les échanges internationaux. L'essor du commerce équitable en est, pour moi, la principale démonstration et il s'impose comme nouvelle exigence.
Enfin, la solidarité avec les générations futures. Au cur de la révolution industrielle, certains étaient convaincus de l'inépuisabilité des ressources naturelles et du caractère marginal des atteintes de l'activité industrielle à la planète ; cela a eu pour conséquence que durant plus d'un siècle, la question des générations futures ne fut jamais posée. La solidarité avec les générations futures se pose évidemment sur le plan environnemental mais aussi au plan social.
Solidarité entre catégories sociales, solidarité entre générations contemporaines, solidarité entre territoires, solidarité avec les générations futures ; ces quatre solidarités sont couvertes par l'ensemble des acteurs de l'économie solidaire.
En conclusion, je voudrai vous inviter à entendre la voix de plus en plus forte des citoyens ; leur demande est simple : " Ils veulent se mêler de ce qui les regarde ". Le week-end prochain, après Seattle, ce sera Millau, sous-préfecture de l'Aveyron, où se regrouperont tous ceux qui refusent la mondialisation qu'on leur offre : celle de l'impérialisme marchand. Mais que veulent-ils ? Un droit international puissant régissant les échanges marchands de façon équitable, une puissance publique offrant la garantie de droits fondamentaux et des cadres favorables aux initiatives citoyennes. En quelques mots, que l'humain soit la mesure de toute chose. Autorisez-moi un moment de douce folie : je crois que cela est possible !
Je vous remercie de votre attention , et souhaite établir avec l'OCDE, et d'autres organisations internationales, des coopérations fructueuses autour de la bonne gouvernance afin que la solidarité soit le pari gagné du 21ème siècle.

(source http://www.social.gouv.fr, le 24 août 2000)