Interview de M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, à RMC le 6 octobre 2003, sur le remplacement des personnels de l'éducation nationale partant à la retraite, la lutte contre l'illettrisme, la violence à l'école et l'absentéisme des élèves.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J. -J. Bourdin-. Ces 35 heures, ce vrai ou faux débat, est-ce un leurre franchement pour cacher les difficultés actuelles du Gouvernement ?
- "Pourquoi cela ? Non, les 35 heures, c'est quand même un vrai problème, ce n'est pas une nouveauté. D'ailleurs, je crois qu'on a toujours dit que c'était, au plan économique, une véritable catastrophe. Maintenant, ce qui est vrai, c'est qu'une fois qu'une loi, qui apparaît comme un acquis social est passée, il est extrêmement difficile de revenir en arrière. Mais il faut évidemment l'aménager, l'assouplir, pour faire en sorte qu'elle ne produise plus des effets désastreux au plan économique. Je crois que c'est vraiment un débat sérieux"
Le personnel de l'Education n'y est pas ?
- "Il y est à certains égards. Mais en même temps, pas en termes de présence devant les élèves. Heureusement pour les professeurs, ils ne sont pas présents 35 heures devant les élèves."
Autre sujet d'actualité, la Tchétchénie : silence du Gouvernement français. Sommes-nous tous coupables de ne rien dire sur la Tchétchénie ?
- "Non, je crois qu'il y a des gens qui disent des choses. Simplement, il faut bien voir que le gouvernement russe est dans une situation qui est très difficile par rapport à ce problème qu'il ne peut pas laisser flotter, et qu'en même temps, malheureusement, ces guerres, qui sont des guerres semi-civiles, sont toujours d'une très grande atrocité. Je crois que cela s'est toujours passé comme cela dans la région. Ce sont des guerres abominables, donc je pense qu'il est bien qu'à certains égards des intellectuels attirent l'attention sur les violations des droits de l'homme. En même temps, il est clair aussi que le président Poutine peut difficilement laisser flotter les rubans en Tchétchénie, et qu'on a une situation qui est quasiment insoluble."
Mais n'est pas notre rôle et votre rôle, à vous, politiques, au pouvoir dans les différents pays d'Europe, de faire pression sur les Russes pour qu'ils...
- "Si, je crois que c'est le cas de la diplomatie française. Enfin, il faudrait que vous demandiez à mon ami D. de Villepin, il vous répondrait mieux que moi. Mais je crois que c'est le cas, c'est ce que fait la diplomatie française. Et en même temps, il est clair aussi qu'il n'y a pas d'ingérence possible dans les affaires intérieures russes, et que la situation est quasiment insoluble."
Le Premier ministre est à Moscou...
- "Je pense qu'il doit lui en parlé."
J'espère qu'il va en parler. Nous verrons, nous écouterons. L'Education nationale, c'est ce qui vous concerne directement. Allez-vous remplacer tous les emplois, tous les personnels qui vont partir à la retraite à partir de 2004 ?
- "En termes de professeurs, pour ce qui est des professeurs, oui, pour l'essentiel. Parce que nous travaillons en termes de budget sur une hypothèse qui est la suivante : c'est qu'on a en gros à peu près 50-55 000 élèves nouveaux dans le primaire, donc cela suppose qu'on crée des postes dans le primaire. Et comme on a, en revanche, une baisse démographique très importante dans le secondaire, on travaille par redéploiement. C'est-à-dire qu'on prend des postes dans les secondaire pour les mettre sur le primaire, sans baisser les taux de l'encadrement, c'est-à-dire sans augmenter le nombre d'élèves par classe."
Tous les départs à la retraite seront remplacés ?
- "Pour ce qui est des professeurs, oui. Pour ce qui est des postes administratifs, non."
Combien ? Vous avez les chiffres ? Je crois qu'il s'agit de supprimer de 1 100 emplois, c'est cela ?
- "Oui, c'est ça, administratifs. Ce qui n'est pas facile à faire et ce qui ne peut se faire que dans le cadre d'un vrai réaménagement en profondeur, d'une vraie réorganisation, et de l'administration centrale, et des rapports entre l'administration centrale et les services déconcentrés, les services académiques, les rectorats pour parle clairement. Donc, c'est un gros travail mais qui est nécessaire. Ce ne sera pas commode mais c'est vraiment quelque chose qu'il faut faire pour sauver ce service public. Je crois que tous les ministres de l'Education nationale ont été obligés de le reconnaître : on est dans un système qui est difficilement pilotable, c'est compliqué à piloter, c'est une machine très lourde. On a des services qui sont extrêmement performants mais qui ne sont pas toujours bien organisés, les uns par rapport aux autres. Donc, il faut restructurer ces services de l'administration de l'Education. Et c'est cela qui justifiera le non renouvellement, parce qu'il faut savoir qu'on ne renvoie jamais personne évidemment, chez nous. Ce n'est pas comme un licenciement dans une entreprise privée. Il s'agit de ne pas renouveler un certain nombre de départs à la retraite, 1 100, puisque vous avez cité le chiffre."
[2ème partie de l'interview]
Dans la lutte contre l'illettrisme, quels sont les moyens dans le budget 2004 ?
- "Nous avons créé 1 500 postes supplémentaires dans le primaire dont une partie sera consacrée à poursuivre l'expérience des dédoublements ou des renforcements de Cours préparatoires. Il s'agit que, dès cette rentrée, en ce moment où nous parlons - ce ne sont pas des mots, c'est une réalité -, il y a 70 000 enfants dans les Cours préparatoires qui apprennent à lire et à écrire par groupe de 10. C'est évident, pour les professeurs d'école, pour les instituteurs et institutrices qui mènent cette opération, que c'est une chance formidable de faire en sorte que tous ces enfants - les dédoublements se font dans des écoles difficiles, qui cumulent beaucoup de difficultés - apprennent à lire et à écrire. Evidemment, le dédoublement en lui-même ne produit pas d'effet en soi, le dédoublement n'est pas une pédagogie mais cela permet au professeur de profiter de ce dédoublement pour mettre en place des pédagogie adaptée aux enfants en difficultés. Par exemple de faire en sorte qu'on ne sépare plus l'apprentissage de ce que l'on appelle "la remédiation". C'est-à-dire que quand un enfant à des difficultés, on répare tout de suite, donc c'est quelque chose qui peut être formidable."
Est-ce que vous réhabilitez le redoublement ?
- "Je voudrais que l'on ouvre le débat, parce que c'est un sujet très lourd, très compliqué, difficile, parce que l'on sait que sur le plan pédagogique, le redoublement produit rarement de bons effets. En même temps, je pense que dans certains cas - mais ce n'est pas simplement moi -, beaucoup de gens pensent que dans certains cas, le redoublement précoce peut être utile. pourquoi ? Parce qu'il faut savoir qu'au Cours préparatoire et au CE1, les enfants qui apprennent à lire et à écrire ont jusqu'à un an d'écart dans une classe, en raison de l'inscription dans l'année civile. Quand on a 6 ans ou 7 ans, eh bien ce n'est pas la même chose. C'est une distance énorme. Dans certains cas, ne vaut-il pas mieux faire en sorte qu'un enfant redouble une classe de CP ou de CE1, plutôt que d'être mis en difficulté, en échec scolaire ? A partir du CE1, qu'il passe en CE2 et puis de se retrouve en grande difficulté, en échec scolaire pendant toute la suite de la scolarité. ne vaudrait-il pas mieux dans certains cas - pas dans tous - consolider les bases plutôt que de laisser un enfant partir dans la voie de l'échec scolaire ? C'est une question qui est posée, que je ne trancherai pas avant que le débat ait eu lieu."
Dans le débat autour du foulard ou du voile, certains disent qu'il y a une solution qui est de réhabiliter l'uniforme, une blouse pour tous. Est-ce une bonne solution à vos yeux ?
-"Non, je ne suis pas convaincu que cela soit une bonne solution parce que c'est un peu trop massif comme réponse par rapport à une problème dont il faut quand même rappeler qu'il ne recouvre que dix contentieux par an. On a dix problèmes de voile islamique qui remontent au niveau juridique. Je crois que si l'objectif est clair, les moyens ne le sont pas. L'objectif, pour moi, est très clair, c'est que quand un professeur rentre dans sa classe, il ne devrait pas savoir où est le clan des catholiques, des musulmans, des juifs. On ne devrait pas structurer les classes en communauté. Ca, c'est l'objectif et je suis prêt à le soutenir. Est-ce que pour le réaliser il faut des blouses grises, une loi qui interdise tous les signes religieux ? On est en train d'en discuter dans la commission Stasi. J'attendrai évidemment qu'elle rende ses conclusions avant de décider moi-même. Mais je ne suis pas absolument certain que ce soit le seul moyen de parvenir à cet objectif qui est légitime."
Et les tenues à l'école, de certains jeunes filles qui ont 8 ou 10 ans, qui portent des strings ou qui montrent leur nombril ? Les chefs d'établissement se posent des questions...
- "Je crois qu'il y a des problèmes plus urgents. Quand on a 160 000 gamins qui sortent du collège en état d'échec scolaire, quand on a le chiffre d'illettrés à l'entrée au collège ou de jeunes qui ne savent pas bien lire et écrire, je pense qu'on a d'autres soucis que le string."
A propos du principal C. Roussin, qui a été assassiné à l'arme blanche le 25 septembre dernier, sur le parking d'un collège à La Ciotat, je ne vais pas vous demander où en est l'enquête, vous ne le savez pas plus moi...
- "On n'a malheureusement pas, à ma connaissance, d'information nouvelle sur ce drame qui nous a bouleversé au ministère. J'étais aux obsèques et tous les enfants qui étaient là pleuraient, la famille était dans un état terrible - ce père, amiral, qui a peut-être quelque chose comme 80 ans, qui attend cet âge pour voir son fils assassiné, [un fils] en plus qui avait l'air d'être quelqu'un d'épatant, que tout le monde l'adorait. C'est vraiment atroce. Maintenant, ne nous précipitons pas à faire des hypothèses sur les causes, on ne sait rien."
On a besoin de la vérité.
- "On a tous besoin de la vérité, en l'occurrence. Mais je crois que personne ne cherche à la cacher. Les services de police travaillent très activement, mais cela à l'air d'être un cas difficile à résoudre - pour l'instant en tout cas. Et dès qu'il sera résolu, on en tirera les conséquences. Mais on ne peut pas faire d'hypothèses, on ne peut pas savoir de quoi il s'agit."
Vous avez une réunion, aujourd'hui, autour de l'école et du communautarisme, à Marseille.
- "Justement, je vais rencontrer des proviseurs à Marseille, un peu dans ce contexte là, puisqu'ils sont très choqués, évidemment - nous sommes tous choqués par ce meurtre abominable. Et donc, je voudrais rencontrer à nouveau des chefs d'établissement qui sont parfois dans des établissements difficiles pour essayer de voir avec eux comment mettre en place des bonnes solutions. J'aimerais, par exemple, qu'autour des chefs d'établissement, il y ait dans les collèges et les lycées, un conseil scientifique et pédagogique, où ils puissent prendre des décisions utiles avec les professeurs. Il y a plusieurs autres hypothèses de travail. Et puis, comme vous le savez, on a mis en place tout un plan de lutte contre les communautarisme au sein des établissements contre la violence scolaire. Cela donne de bons résultats."
Je rappelle aussi que l'Education nationale, va participer ce soir, via les établissements scolaires de la région PACA, à l'organisation de ce fameux match des champions de la Coupe du monde 98 face à l'équipe de l'OM, au stade Vélodrome.
- "Je vais rencontrer Zidane pour la première fois de ma vie !"
Une partie des recettes ira à la réhabilitation ou la construction d'un ou plusieurs centres de santé en Algérie, une autre sera réservée aux familles des pompiers décédés, et une troisième à l'oeuvre nationale des orphelins des pompiers.
- "Exactement. J'y participe dans le cadre de l'opération que j'ai lancée comme ministre de la Jeunesse, qui est l'opération "Envie d'agir", puisque les jeunes des lycées de Marseille ont concouru entre eux pour réaliser la plus belle affiche annonçant ce match. Ce sont deux jeunes de lycées marseillais qui ont gagné le concours."
Pour montrer que les jeunes ne sont pas que des délinquants, qu'il y a des jeunes qui ont envie d'agir...
- "Exactement. Cette image des jeunes qu'on donne parfois dans les médias est absurde. Il y a évidemment une immense majorité, une quasi-unanimité de jeunes qui sont prêts à faire des choses formidables. Ce que j'aimerais, c'est pouvoir médiatiser, faire connaître les projets positifs des jeunes au lieu que l'on parle toujours des banlieues, des voitures qui brûlent ou que sais-je. "
Cela existe aussi...
- "Oui, mais si c'est 0,1 % de la jeunesse, pour les 99, 9 % qui restent, cela fait toujours un choc quand on en parle comme cela.
Question d'une auditrice, Brigitte, professeur des écoles en Isère, sur l'insolence des enfants dans les quartiers favorisés.
- "D'abord, je suis heureux de vous entendre dire cela et puis de dire cela calmement. Manifestement, vous n'êtes pas excitée, il n'y a pas de hargne derrière, parce que ce sont des réalités qui ont été niées, notamment par mon prédécesseur, pendant des années. Donc, c'est bien que l'on en parle. C'est, dans cette perspective, notamment, que j'ai décidé de remettre les professeurs dans les conseils de discipline, à la place où ils étaient avant que mon prédécesseur ait la mauvaise idée, à mes yeux, de diminuer leur nombre par rapport aux parents et eux élèves. Je suis très heureux que les parents et les élèves soient présents dans les conseils de discipline mais je pense qu'il n'y a aucune raison pour que les professeurs soient nombreux que les élèves et que les parents. Il faut donc rétablir l'autorité des professeurs et tout ce qui pourra aller dans ce sens est bon, sans pour autant, évidemment écarter la présence des parents. Il faut que l'on trouve un équilibre. Mais je pense qu'on ne l'a pas suffisamment trouvé dans les dernières années. Le fait qu'on ait "vexé" les professeurs et amoindri leur situation par rapport aux élèves et aux parents n'est pas une bonne chose. Mais il y a évidemment d'autres mesures à prendre. Si on avait le temps, je pourrais vous les raconter en détail. Mais je pense que vous avez raison."
Le Gouvernement britannique prévoit d'imposer des amendes pouvant aller jusqu'à 100 livres - 144 euros - aux parents d'enfants qui font l'école buissonnière.
- "Mon collègue et ami C. Jacob, le ministre de la Famille, a fait un beau travail sur la question de l'absentéisme. Vous vous souvenez qu'il y avait une espèce de polémique sur le montant de l'amende qui était de 200 euros, ce qui était évidemment une blague. Mais c'est un vrai problème puisque l'on estime que l'on a à peu près 100 000 enfants qui sont absentéistes chroniques. Je ne crois pas que la sanction soit la seule solution, loin de là, parce qu'il faut d'abord s'interroger sur la cause : pourquoi ces enfants ne vont pas au collège, quittent le collège ? C'est aussi dans cette perspective que l'on a mais en place les dispositifs en alternance, c'est-à-dire la possibilité d'avoir des parcours de réussite au collège, des découvertes de métiers, offrir à des jeunes qui sont en rupture avec le collège d'autres voies de formation, notamment la voie professionnelle. Je pense que cela s'inscrit aussi dans cette perspective."
Question d'une autre auditrice, Claire, conseiller principal d'Education, sur la décentralisation des personnels de santé de l'Education nationale, notamment les conseillers d'orientation-psychologues, les infirmières, les médecins, sachant, dit-elle, que dans les formations initiales des enseignants, il n'y a rien, ou très peu concernant la psychologie de l'adolescent...
- "Ces trois catégories de personnels que vous évoquez, les médecins scolaires, les assistantes sociales et les conseillers d'orientation psychologues, ils restent dans la fonction publique d'Etat. Ils ne seront pas transférés à la territoriale. Entre nous, je pense que c'est dommage, mais quand on ouvre une négociation, il faut bien négocier. Ce qui veut dire qu'on lâche des choses et qu'on parvient à un compromis. Personnellement, je pense, notamment pour ces trois catégories, qu'elles ont manqué une chance historique, parce que les Conseils généraux auraient créé beaucoup plus d'assistantes sociales et de médecins scolaires que l'Etat n'est capable de le faire. Et pour les conseillers d'orientation-psychologues, parce que je pense que ces conseillers d'orientation auraient trouvé un métier plus à leur mesure, plus légitime, plus important, en travaillant dans un service public régional d'information et d'orientation. Tous les parents que je rencontre, sans exception, tous les élèves et les jeunes que je rencontre me disent qu'ils sont mal orientés, mal informés sur la réalité des métiers qui les attendent quand ils quitteront le système scolaire. Créer un service public régional de l'information et de l'orientation serait très utile. On va essayer de le faire mais sans transférer les personnels. Il faut quand même garder le cap, l'objectif, mais sans transférer les personnels."
[...]
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 ctobre2003)