Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur les nominations dans le domaine du spectacle vivant, notamment dans les théâtre nationaux, Paris le 1er février 2000.

Prononcé le 1er février 2000

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Texte intégral

De nombreux mandats de directeurs de théâtres nationaux ou de centres dramatiques arrivent à échéance d'ici la fin de l'année 2000. Si on y ajoute ceux qui seront également dans ce cas en 2001, nous nous trouvons face à un nombre très significatif de nominations à effectuer (24 entre les théâtres nationaux, les centres dramatiques nationaux et régionaux).
La recherche de la tranquillité pourrait m'inciter à reconduire les uns et les autres dans les postes qu'ils occupent actuellement. Il est vrai que je risquerais alors de me faire taxer d'immobilisme, de manque d'audace ou d'imagination.
Mais mon objectif n'est pas la recherche de la tranquillité.
Mes objectifs, vous les connaissez et je n'en changerai pas. Par rapport au sujet qui nous réunit aujourd'hui, je les résumerai en trois lignes :
1. Soutenir la création et notamment la jeune création
2. Faire droit à la diversité des styles, des genres, des expressions qui correspondent à la diversité des attentes des publics ;
3. Favoriser le développement d'un théâtre citoyen ouvert sur son environnement. C'est l'application de la charte des missions de service public du spectacle vivant, document qui définit les fondements de ma politique dans le domaine du spectacle vivant.
Les nominations à la tête des théâtres publics constituent, bien entendu, un moment important, sinon fondamental, de l'application de cette politique. Je l'assume comme tel, sans ignorer les difficultés inhérentes à l'exercice de cette responsabilité.
Je ne m'étendrai pas sur les répercussions médiatiques des passions que soulèvent depuis toujours ces questions. En matière de nomination, chacun a son point de vue. C'est bien normal. J'ai donc le mien, qui ne doit rien à l'improvisation.
J'insisterai quelques instants sur les conditions de ces nominations.
Les scènes publiques n'ont pas toutes le même statut et le pouvoir de nomination du ministre ne s'exerce pas de la même façon selon les cas.
En ce qui concerne les théâtres nationaux, la responsabilité du ministre est pleine et entière. Les procédures de nomination sont également à sa discrétion. Pour ma part, cela ne m'empêche nullement d'écouter les avis et les suggestions des uns et des autres mais ensuite, il faut trancher et le faire à temps.
Pour les centres dramatiques nationaux, la ministre et ses services ne sont pas seuls en cause. Les collectivités locales, qui cofinancent, pour une part significative, ont également leur mot à dire. Il y a donc une nécessaire concertation qui peut prendre du temps et c'est finalement le ministre qui nomme.
Dans le cas des scènes nationales et des centres chorégraphiques, ce sont les associations de gestion qui proposent, la ministre étant appelée à agréer ce choix.
Pardonnez-moi ce rappel, mais ignorer ces nuances peut conduire à des erreurs d'interprétation et faire prendre pour de l'indécision ou, à l'inverse, de l'autoritarisme, ce qui n'est que l'exercice normal d'une responsabilité.
La troisième difficulté relève des dates d'échéances des contrats et des conditions de succession qu'ils impliquent.
Il faut, en effet, tenir compte du rythme des saisons de programmation (septembre à juillet) qui ne correspond pas au rythme de l'année civile, seule période de référence en matière budgétaire.
Dans le cas des théâtres nationaux, dont le budget relève entièrement de la responsabilité de l'Etat, j'ai décidé de privilégier le rythme de la programmation. Les nominations iront donc de juillet à juillet. Une réforme en ce sens du statut des théâtres nationaux est en cours.
Pour les centres dramatiques et les scènes nationales, la responsabilité budgétaire incombe au directeur. Il me paraît donc très difficile de faire chevaucher sur un même exercice budgétaire deux responsables différents.
C'est la raison pour laquelle les contrats seront systématiquement calés sur l'année civile mais avec l'engagement de prévenir le sortant éventuel neuf mois à l'avance et de désigner son successeur au moins six mois avant le début de sa prise de responsabilité.
La dernière difficulté notable tient au respect des personnes qui sont l'enjeu de ces nominations.
Comment faire pour qu'un changement ne soit pas interprété automatiquement comme une sanction ?
A relire vos articles depuis plus de 20 ans, je ne crois pas qu'il existe de recettes miracle.
Je voudrais donc seulement préciser ma propre façon de procéder
Mon premier souci est d'assurer un nécessaire renouvellement sans pour autant exclure ou sanctionner.
Mon deuxième souci est de constituer des équipes qui ont véritablement envie de travailler ensemble.
Et le troisième, qui n'est pas le moindre, est de trouver une cohérence entre les artistes et le lieu où ils sont appelés à travailler.
C'est dans cet esprit que je viens de nommer José Montalvo et Dominique Pitoiset à la direction du théâtre national de Chaillot.
J'ai, dans un premier temps, fait savoir que le théâtre national de Chaillot serait désormais dévolu à la danse et au théâtre. Cela veut dire que cette maison sera désormais habitée, en permanence, par un metteur en scène et par un chorégraphe associant, au cours des saisons d'autres artistes de ces disciplines et travaillant ensemble à associer théâtre et danse.
J'ai fait un choix d'artistes (et non d'un programmeur entouré d'artistes), pour perpétuer la grande tradition de Chaillot et pour favoriser le dialogue direct entre un chorégraphe et un metteur en scène placés en totale responsabilité pour établir un projet qui leur soit commun.
J'ai donc choisi deux artistes qui se sont associés librement et en pleine connaissance du travail l'un de l'autre ; deux artistes qui avaient une envie forte de travailler à Chaillot.
Dominique Pitoiset et José Montalvo répondaient ensemble plus que d'autres à ces conditions. Leurs réalisations passées et récentes prouvent, de plus, leur véritable talent.
De José Montalvo, je dirai simplement que, puisant dans des sources diverses, il propose aujourd'hui une esthétique où se croisent les références, l'action scénique et les images filmées. Il mêle dans ses spectacles festifs, danse contemporaine, classique ou hip hop avec une parfaite maîtrise. Il séduit à la fois le public des banlieues comme celui de l'Opéra de Paris.
Quant à Dominique Pitoiset, il a fait la preuve de sa grande capacité à diriger ses acteurs comme à approfondir une réflexion scénographique qui va de l'utilisation du plateau nu vers l'intégration du décor comme élément à part entière du jeu.
L'un et l'autre ont travaillé en France aussi bien qu'à l'étranger et ont montré, notamment dans le cadre des rencontres internationales de théâtre de Dijon, leur intérêt et leur attention aux jeunes artistes.
Car, ce que l'on attend de la direction d'un théâtre national, c'est aussi sa capacité d'accueillir dans de bonnes conditions d'autres artistes.
Ce sont donc bien deux personnalités artistiques que j'ai choisies. Ils préciseront leur projet dans les trois prochains mois.
Dans le même temps nous fixerons le calendrier des travaux nécessaires pour adapter Chaillot à sa double vocation.
La nomination de Dominique Pitoiset et José Montalvo aura pour date d'effet le 1er octobre 2000. Pour autant José Montalvo, compte tenu des chantiers engagés à Créteil, conservera la responsabilité du centre chorégraphique national jusqu'au 31 décembre 2001. J'engage d'ores et déjà la discussion avec les collectivités locales partenaires du centre chorégraphique de Créteil et du centre dramatique national de Bourgogne.
Je vous confirme également deux autres nominations que je viens de décider et qui concernent Paris et l'est parisien.
Au TEP (théâtre de l'Est parisien), Guy Retoré a, pendant 40 ans, réalisé un extraordinaire travail alliant création pure et action culturelle de terrain. Je tiens à lui rendre ici un hommage chaleureux.
Pour lui succéder, j'ai choisi un auteur qui est aussi metteur en scène et qui a consacré une bonne partie de son activité à la formation. Il s'agit de Catherine Anne, ici présente.
Son travail passé est une solide garantie pour renouveler, sans les rompre, les liens avec les populations du XXe arrondissement et du nord-est de Paris, car elle s'adresse à des gens d'aujourd'hui, avec des mots d'aujourd'hui, sur des préoccupations d'aujourd'hui. Elle le fait tantôt avec gravité, tantôt avec légèreté et humour, écrivant et mettant en scène pour tout public, y compris les enfants.
Il va de soi que je suis attentive à la complémentarité qui doit s'instaurer entre l'action d'Alain Françon au théâtre national de la Colline et celle de Catherine Anne au TEP. Je sais la difficulté qu'il y a souvent à faire entendre la voix des auteurs contemporains. Je me réjouis que ce soit dans les quartiers populaires de la capitale et par le jeu d'un double héritage de l'histoire (du TEP et de la Colline) que se constitue un pôle très fort pour défendre, sur des plateaux de théâtre, la parole des auteurs vivants.
Connaissant également l'estime que se portent mutuellement Catherine Anne et Alain Françon, je ne doute pas de leur succès.
Quant au Centre dramatique national de Montreuil, il va devenir, sous la direction de Gilberte Tsaï, un lieu de création ouvert à l'échange entre les pratiques artistiques, notamment les interactions entre le théâtre et la danse.
Ce ne sera plus un centre dramatique exclusivement consacré à l'enfance et la jeunesse. Il deviendra un lieu de création tout public, ce qui à l'évidence inclut le jeune public.
Dans le cadre de la restructuration du centre ville de Montreuil, l'actuel théâtre laissera place en 2002 à une salle conçue par l'architecte Alvaro Siza.. Deux saisons intermédiaires, l'une hors les murs, l'autre dans une petite salle destinée à accueillir des créations expérimentales, laisseront le temps à la nouvelle équipe de dessiner le profil du CDN.
Telles sont les décisions que je viens de prendre dans l'esprit d'un renouvellement du théâtre public.
Vous ayant lu attentivement, je ne doute pas que vous allez souhaiter me poser plusieurs questions sur ces lieux ou sur d'autres.

(source http://www.culture.gouv.fr, le 2 février 2000)