Texte intégral
Qu'est-ce qu'être européen? : tel est le thème du colloque organisé par "Sources d'Europe" en l'honneur du cinquantenaire du SGCI. Abrupte question, qui ne va pas de soi malgré cinquante ans de construction européenne. Pourtant, cette question a du sens pour des centaines de millions de citoyens européens, alors que, sur toute la durée de l'histoire de l'Europe, je ne crois pas qu'elle fut simplement posée.
S'interroger sur l'identité européenne c'est déjà reconnaître qu'on ne sait pas exactement ce qu'elle est. Mais c'est toujours marquer un attachement à l'idée qu'elle existe, sinon l'interrogation serait parfaitement vaine. Entre les deux, il y a ce formidable défi à l'histoire des Etats-Nations que constitue le projet européen, cet essai permanent de construire une identité neuve. Entre les deux, s'ébauche, probablement, un lieu où s'aventurent les Européens.
Pour ma part, j'ai la conviction que cette identité européenne est, en un certain sens, contrairement à nos perceptions des identités nationales, une identité sans attributs. Les caricatures, si fréquentes, qui donnent à voir un Européen, composé absurde des caricatures des traits nationaux prêtés à chacun des Etats membres témoignent, a contrario, de cette identité sans attributs. Je ne dis pas pour autant que l'Européen serait cet "homme sans qualité" surfant sur les méandres d'une nouvelle Cacanie, imaginée par un Musil qui serait entre-temps devenu bruxellois.
Je crois qu'un Européen est d'abord et toujours un Français, un Franc-Comtois, un Catalan, un Ecossais, un Pragois, un Italien ou que sais-je?...Ceux-ci s'identifient parce qu'ils se distinguent par des différences qu'ils revendiquent ou reconnaissent ; ce n'est pas cela qui fait l'identité européenne. Et parce qu'elle est, pour moi, d'une nature radicalement autre il ne peut s'agir d'une identité rivale, d'une identité supplémentaire, d'une identité de substitution.
Etre Européen c'est d'abord l'adhésion, sans allégeance, à un projet politique, à l'Europe, comme dessein. C'est l'expression de l'appartenance à une forme de société. A une société qui soit plus qu'une coalition d'intérêts, qu'une association commerciale, qu'une amicale culturelle ou un cercle confessionnel. Loin de moi toute méfiance à l'égard de l'économie ou de la culture. L'une et l'autre participent de ce projet et le permettent, mais il ne se réduit ni à l'une à l'autre de ces dimensions.
L'économie a été le terrain de prédilection de la construction européenne. C'est la méthode inaugurée par les pères fondateurs. Il faut leur en rendre justice parce qu'elle a, jusqu'à ce jour, permis la production de l'Europe, en dépit des insatisfactions qu'elle continue d'alimenter. La constitution du marché unique, comme le prochain passage à l'euro donnent plus de chair au projet européen qu'aucune déclaration d'intention. Ils donnent aux Européens la possibilité d'expérimenter l'Europe, possibilité sans laquelle le chantier ouvert il y a cinquante ans aurait été depuis longtemps abandonné. Ils montrent aux Européens que l'Europe n'est pas une utopie - une de plus dans ce siècle qui en a tant fourni de lugubres et de tragiques - mais un lieu où s'inscrivent nos efforts concrets pour vivre ensemble - mieux et d'abord en paix!
C'est cela que nous avons à l'esprit quand nous parlons de l'acquis communautaire, c'est-à-dire de l'ensemble des règles élaborées par l'Union depuis sa création, qui constitue le contrat auquel ont souscrit six, puis douze, puis quinze Etats, et qui concerne directement les citoyens. Cette Europe est pour l'essentiel celle des échanges, celle des rapports marchands diront les déçus. Marchands certes, mais pacifiques, qui engagent, parce qu'ils sont soumis à des règles, la responsabilité des acteurs. En ce sens, ils réalisent l'imbrication des sociétés civiles.
La culture ? naturellement l'Europe a, de ce côté, des alliés substantiels - pour reprendre les mots du poète. On peut même égrener leur noms. Dante, Goethe, Shakespeare. Galilée, Descartes, Kepler. Spinoza, Erasme, Leibniz. Mais aussi, Homère, Platon, Aristote. Mais, plus encore Averroès, Maimonide, Al Farabi, ... Rien ne me permet d'arrêter cette liste, mais aussi longtemps qu'on la poursuive on n'évitera pas de limiter cette haute société à quelques membres. Cette démarche risque d'aboutir à un élitisme eurocentriste.
Je crains plus encore une approche patrimoniale qui fait de la culture un héritage, qui se reçoit et se transmet. Les biens culturels, monuments, pièces, oeuvres sont susceptibles d'inventaires. Nous en sommes les dépositaires. Cela renvoie, me semble-t-il, à une attitude frileuse et nostalgique de repli sur soi.
Je crois, sans récuser l'attachement aux coutumes locales ni céder au relativisme clochemerlesque, que le trait commun des cultures européennes et de la culture européenne est que rien n'y est tenu pour acquis, rien ne peut échapper à la critique. A cet égard, je fais mienne la conclusion de Paul Hazard: "Qu'est-ce que l'Europe ? Une pensée qui ne se contente jamais." Il y a, me semble-t-il, dans cette conception, une générosité morale qui permet de fonder l'Europe une et plurielle.
Je le répète l'Europe est d'abord, pour moi, un projet politique. C'est le maître mot. L'Europe doit être la réponse aux défis du siècle à venir, une réponse capable de préserver la paix et la solidarité sociale. C'est cette conviction qui inspire l'action du gouvernement./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2001)
S'interroger sur l'identité européenne c'est déjà reconnaître qu'on ne sait pas exactement ce qu'elle est. Mais c'est toujours marquer un attachement à l'idée qu'elle existe, sinon l'interrogation serait parfaitement vaine. Entre les deux, il y a ce formidable défi à l'histoire des Etats-Nations que constitue le projet européen, cet essai permanent de construire une identité neuve. Entre les deux, s'ébauche, probablement, un lieu où s'aventurent les Européens.
Pour ma part, j'ai la conviction que cette identité européenne est, en un certain sens, contrairement à nos perceptions des identités nationales, une identité sans attributs. Les caricatures, si fréquentes, qui donnent à voir un Européen, composé absurde des caricatures des traits nationaux prêtés à chacun des Etats membres témoignent, a contrario, de cette identité sans attributs. Je ne dis pas pour autant que l'Européen serait cet "homme sans qualité" surfant sur les méandres d'une nouvelle Cacanie, imaginée par un Musil qui serait entre-temps devenu bruxellois.
Je crois qu'un Européen est d'abord et toujours un Français, un Franc-Comtois, un Catalan, un Ecossais, un Pragois, un Italien ou que sais-je?...Ceux-ci s'identifient parce qu'ils se distinguent par des différences qu'ils revendiquent ou reconnaissent ; ce n'est pas cela qui fait l'identité européenne. Et parce qu'elle est, pour moi, d'une nature radicalement autre il ne peut s'agir d'une identité rivale, d'une identité supplémentaire, d'une identité de substitution.
Etre Européen c'est d'abord l'adhésion, sans allégeance, à un projet politique, à l'Europe, comme dessein. C'est l'expression de l'appartenance à une forme de société. A une société qui soit plus qu'une coalition d'intérêts, qu'une association commerciale, qu'une amicale culturelle ou un cercle confessionnel. Loin de moi toute méfiance à l'égard de l'économie ou de la culture. L'une et l'autre participent de ce projet et le permettent, mais il ne se réduit ni à l'une à l'autre de ces dimensions.
L'économie a été le terrain de prédilection de la construction européenne. C'est la méthode inaugurée par les pères fondateurs. Il faut leur en rendre justice parce qu'elle a, jusqu'à ce jour, permis la production de l'Europe, en dépit des insatisfactions qu'elle continue d'alimenter. La constitution du marché unique, comme le prochain passage à l'euro donnent plus de chair au projet européen qu'aucune déclaration d'intention. Ils donnent aux Européens la possibilité d'expérimenter l'Europe, possibilité sans laquelle le chantier ouvert il y a cinquante ans aurait été depuis longtemps abandonné. Ils montrent aux Européens que l'Europe n'est pas une utopie - une de plus dans ce siècle qui en a tant fourni de lugubres et de tragiques - mais un lieu où s'inscrivent nos efforts concrets pour vivre ensemble - mieux et d'abord en paix!
C'est cela que nous avons à l'esprit quand nous parlons de l'acquis communautaire, c'est-à-dire de l'ensemble des règles élaborées par l'Union depuis sa création, qui constitue le contrat auquel ont souscrit six, puis douze, puis quinze Etats, et qui concerne directement les citoyens. Cette Europe est pour l'essentiel celle des échanges, celle des rapports marchands diront les déçus. Marchands certes, mais pacifiques, qui engagent, parce qu'ils sont soumis à des règles, la responsabilité des acteurs. En ce sens, ils réalisent l'imbrication des sociétés civiles.
La culture ? naturellement l'Europe a, de ce côté, des alliés substantiels - pour reprendre les mots du poète. On peut même égrener leur noms. Dante, Goethe, Shakespeare. Galilée, Descartes, Kepler. Spinoza, Erasme, Leibniz. Mais aussi, Homère, Platon, Aristote. Mais, plus encore Averroès, Maimonide, Al Farabi, ... Rien ne me permet d'arrêter cette liste, mais aussi longtemps qu'on la poursuive on n'évitera pas de limiter cette haute société à quelques membres. Cette démarche risque d'aboutir à un élitisme eurocentriste.
Je crains plus encore une approche patrimoniale qui fait de la culture un héritage, qui se reçoit et se transmet. Les biens culturels, monuments, pièces, oeuvres sont susceptibles d'inventaires. Nous en sommes les dépositaires. Cela renvoie, me semble-t-il, à une attitude frileuse et nostalgique de repli sur soi.
Je crois, sans récuser l'attachement aux coutumes locales ni céder au relativisme clochemerlesque, que le trait commun des cultures européennes et de la culture européenne est que rien n'y est tenu pour acquis, rien ne peut échapper à la critique. A cet égard, je fais mienne la conclusion de Paul Hazard: "Qu'est-ce que l'Europe ? Une pensée qui ne se contente jamais." Il y a, me semble-t-il, dans cette conception, une générosité morale qui permet de fonder l'Europe une et plurielle.
Je le répète l'Europe est d'abord, pour moi, un projet politique. C'est le maître mot. L'Europe doit être la réponse aux défis du siècle à venir, une réponse capable de préserver la paix et la solidarité sociale. C'est cette conviction qui inspire l'action du gouvernement./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2001)