Déclarations de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, sur les relations franco-haïtiennes, notamment le rôle des militaires français dans le maintien de la paix en Haïti et la coopération décentralisée et sur le soutien de la France au rétablissement de la paix civile et de la stabilité politique, Port au Prince le 15 mai 2004.

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Circonstance : Voyage de Michel Barnier en Haïti, les 15 et 16 mai 2004 : déclarations à l'occasion du déjeuner offert par la chambre de commerce franco-haïtienne et devant la communauté française le 15 à Port-au-Prince

Texte intégral

(Déclaration de Michel Barnier à l'occasion du déjeuner offert par le chambre franco-haïtienne, à Port au Prince le 15 mai 2004) :
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je remercie toute l'équipe de la Chambre de commerce franco-haïtienne d'avoir pris l'initiative de ce grand déjeuner qui n'est pas seulement festif puisque nous imposons aux uns et aux autres un certain nombre de discours. Mes premiers mots seront, Mesdames et Messieurs, pour vous remercier de participer à cette rencontre, et pour vous saluer dans la diversité de vos responsabilités, de vos engagements politiques, Monsieur le Premier Ministre, Madame, Messieurs les Ministres, professionnels, représentants des Chambres consulaires ou d'entreprises, élus politiques ou encore ambassadeurs de plusieurs pays, des Etats-Unis, d'Europe, représentants de l'Union européenne.
Quelles que soient les responsabilités que vous assumez ici, parce que vous êtes haïtiens, parce que vous représentez des collectivités, des pays, des secteurs professionnels ou associatifs, ou culturels, je suis très touché que vous ayez pris un moment de votre journée, un samedi pour rencontrer le ministre des Affaires étrangères qui vient vous saluer. Mes premiers mots sont pour vous apporter le salut très cordial, très amical du président de la République française, Jacques Chirac, que vous avez rencontré, Monsieur le Premier Ministre, jeudi matin - nous étions ensemble à l'Elysée. Il m'a chargé de vous transmettre ce message de solidarité et d'amitié.
Pour mon épouse Isabelle et pour moi-même cette visite à Haïti n'est pas la première. Je n'ai pas oublié le souvenir, il y a quelques années, de mon passage à Port-au-Prince et à Hinche. Vous l'avez dit, Monsieur le Président, cette visite est bien la première - la première ! - qu'effectue en Haïti le ministre des Affaires étrangères de la France. Et je puis vous dire que je n'attendrai pas deux cents ans pour revenir !
En venant aujourd'hui chez vous je viens donc réparer une sorte de faute, en tout cas combler une absence, et également tenir l'engagement de mon prédécesseur, Dominique de Villepin. Deux jours avant sa visite, il a changé de ministère et donc je suis là pour tenir son engagement et aussi pour dire mon propre message.
Deux cents ans après votre indépendance, deux cents ans après la naissance de la nation haïtienne, vous venez de démontrer avec éclat que votre pays, une fois de plus confronté à de très graves problèmes, pouvait trouver en lui-même, avec l'aide de ses amis, les voies d'une solution pacifique et constitutionnelle afin d'éviter le chaos. Dans cette dernière épreuve, très grave, que vous traversez et dont vous sortez à peine, la France s'est placée à vos côtés. Je sais que les relations entre nos deux pays n'ont pas toujours été marquées par la sérénité, qu'elles ont été parfois difficiles, que l'histoire nous a aussi un temps opposés, mais c'est bien aux mêmes sources politiques et spirituelles que nous puisons cependant nos identités respectives et si proches. Aujourd'hui, ce sont nos affinités qui ont pris le dessus sur les ressentiments ou la nostalgie. Votre héros, Toussaint Louverture, avant d'être l'artisan de votre liberté et de votre indépendance nationale a été général de la République française à la tête de la première armée noire. Et comme nos ancêtres avaient pris la Bastille, il a combattu l'esclavage et obtenu son abolition avant de conduire la nation haïtienne à son indépendance. C'est dans la logique de son combat que la France, à son tour, a demandé que l'esclavage soit considéré comme un crime contre l'humanité.
Malgré les aléas, souvent douloureux, et que nous ne pourrons pas effacer, mais que nous pouvons dépasser, qui ont marqué nos relations depuis deux siècles, nous savons que ces racines communes nous lient à jamais, que notre histoire nous unit au même titre que la langue, cette belle langue que nous avons en partage et à laquelle vous avez apporté votre propre empreinte.
Aujourd'hui, il s'agit de donner toutes leurs chances aux valeurs dont vous êtes les détenteurs et qui constituent l'identité du peuple haïtien, l'identité de la première République noire. Une identité féconde, aux sources multiples, où se mêlent religions et traditions. Elle s'exprime chez vos artistes, qui sont reconnus et aimés bien au-delà de vos frontières, vos peintres eux-aussi, vos écrivains ou vos poètes, mais aussi dans les plus humbles quartiers de vos villes, de Cap Haïtien à Jacmel, et dans les campagnes les plus éloignées, célébrées avec un talent unique par René Depestre, qui m'a fait l'honneur et l'amitié de m'accompagner dans ce voyage de retrouvailles et qui revient sur sa terre natale, pour la première fois après 45 ans d'absence.
Est-ce que je me trompe, cher René Depestre, en disant, même si nous ne nous connaissons pas bien, je le dis au-delà du grand respect et de l'admiration que j'ai pour vous, que le choix que vous avez fait de venir avec moi aujourd'hui, après si longtemps, est le signal d'une nouvelle confiance ?
Cette identité haïtienne, forgée au carrefour de tous les continents, là où se rencontrent l'Afrique, l'Amérique, la Caraïbe et l'Europe, se rencontre partout dans le monde où votre peuple a essaimé. Elle est votre force et votre vitalité. La pauvreté qui frappe votre pays a conduit beaucoup d'entre vous à faire preuve d'une inventivité remarquable puisqu'il fallait parfois, tout simplement, survivre. Mais aujourd'hui, il faut aller, il nous faut aller, bien sûr, au-delà, Monsieur le Premier Ministre. C'est pour cela que je veux surtout maintenant vous parler de l'avenir, de votre avenir, et dans beaucoup de domaines, de notre avenir partagé, de ce que la France solidaire souhaite vous apporter.
J'ai salué ce matin le détachement de 900 soldats français qui, avec nos amis américains, canadiens et chiliens, sont venus naturellement prendre leur place dans la force multinationale intérimaire que le Conseil de sécurité des Nations unies, en réponse à votre appel, a pris la décision de vous dépêcher dès le 29 février. Cette expression puissante de la solidarité internationale a été unanime, rapide, généreuse. Au cours de cette nuit du 29 février au 1er mars, à New York, pas une voix n'a manqué à Haïti. Il en est allé de même pour la résolution 1542, votée le 30 avril. Et pourtant cela n'avait pas été le cas en 1993, où les débats ont été longs, difficiles, et la communauté internationale profondément divisée.
Cette unanimité, devenue assez rare, répondait en réalité à une situation d'urgence, que vous étiez les premiers à vivre et dont vous étiez les premiers à souffrir tant la nécessité fait obligation. Par commodité, on a parlé quelque fois d'intervention des Nations unies, mais c'est bien d'assistance internationale à un peuple en danger qu'il s'agissait. C'est ainsi que nous l'avons ressenti, à Paris, et c'est ainsi que nous continuons de le comprendre et de le vouloir.
Il y a un peu plus de deux mois, votre pays se trouvait très près du chaos, parce qu'un renouveau d'espoir et de démocratie avait encore une fois été déçu, parce que les libertés avaient été remises en cause, parce que certains faisaient régner la terreur, parce que l'escalade d'une violence fratricide inquiétait les pays voisins. J'ai la certitude que chacun ici, dans les rues et dans les champs, ne pouvait se méprendre sur le sens de l'action et des objectifs de la communauté internationale. Et vous encore, cher René Depestre, vous l'avez parfaitement écrit, "Mon pays d'origine est un appel au secours". Et si certains ont pu malgré tout se demander alors "Que viennent donc faire ces Blancs ici ? Que veulent-ils, et que peuvent-ils ?", moi je voudrais simplement, à la place qui est la mienne, comme le ministre des Affaires étrangères de la France, tenter de vous apporter quelques réponses, franchement et sans détour.
Je parle pour la France et en son nom, mais je suis sûr que la communauté internationale ne me démentira pas si je vous dis que nous ne sommes pas venus ici pour vous imposer un quelconque modèle de société, encore moins pour parachuter une démocratie "clés en main". Chaque pays doit inventer sa voie, sans tuteur, sans tutelle ni parrain pour lui faire la leçon. La liberté ne sort pas de la bouche des fusils, encore moins d'ailleurs des fusils étrangers. Nous sommes simplement venus consolider votre souveraineté, tant il est vrai que le destin du peuple haïtien appartient aux Haïtiens et à eux seuls.
Oui, je ne puis parler que pour la France et en son nom, mais je suis sûr que la communauté internationale, là non plus, ne me démentira pas si je vous dis que nous ne sommes pas venus pour seconder ou couvrir je ne sais quelle restauration politique, je ne sais quelle revanche de classe. La seule restauration à laquelle nous entendons contribuer, c'est celle des services publics de l'eau et de l'électricité, c'est celle du droit à la sécurité pour tous, ce sont des conditions élémentaires de toute vie en commun, et a fortiori de toute vie démocratique. La France moderne n'a jamais séparé, et elle le fera ici moins qu'ailleurs, les droits politiques des droits économiques et sociaux. Il n'y a pas d'Etat de droit qui vaille sans justice sociale, pas plus qu'il n'y a d'équité en agriculture sans cadastre, ni d'élections vraiment fiables sans véritable état-civil.
Ce sont tous ces sujets que nous avons évoqués franchement, de manière constructive, depuis le début de cette matinée soit avec le président Boniface Alexandre, soit avec vous-même, Monsieur le Premier Ministre, Gérard Latortue, et plusieurs de vos ministres, comme vous l'aviez fait avec le président de la République jeudi matin.
Il faut féliciter les forces vives de votre pays - je pense en particulier à la plate-forme démocratique, aux 184 et à d'autres -, d'avoir, hier, refusé l'affrontement armé avec le pouvoir en place, aidés en cela par l'inlassable médiation des Eglises, auxquelles je veux de tout coeur rendre hommage. Des exactions ont été commises. Mais grâce à vous tous, le bain de sang annoncé n'a pas eu lieu. Et, de même que vous n'avez pas cédé aux sirènes de la contre-violence et des batailles de rue, vous devez demain refuser toute forme d'affrontement entre vous, au nom du bien commun dans votre patrie, au nom de la crédibilité dont Haïti a besoin pour convaincre ses partenaires : les Nations unies, les bailleurs de fonds, l'Union européenne, vos voisins. La page qui vient d'être tournée, vous le savez, doit l'être aussi bien pour les plus riches que pour les plus pauvres, aussi bien pour le haut que pour le bas de la ville. Votre victoire de 2004 est celle de tous. C'est comme cela que nous la comprenons et que nous voulons vous encourager à la prolonger. Un échec demain ne serait pas la défaite de quelques-uns, ce serait la fin de l'espoir d'un peuple tout entier.
Nous ne sommes pas venus ici pour apporter le trouble et la division dans la grande famille haïtienne, vous l'imaginez bien, mais pas non plus pour favoriser l'impunité ni l'amnésie. Je sais qu'une Commission citoyenne pour l'application de la justice, présidée par Jean-Claude Bajeux que je veux saluer, a été créée à l'initiative de la société civile, avec un accord de principe du gouvernement. Il ne nous appartient pas d'interférer avec les critères et les procédures que vous estimerez nécessaires. Elles relèvent, comme toutes les décisions et nominations impliquant votre avenir, de votre seul jugement et de votre seul libre-arbitre. Sachez seulement que nous sommes, et que nous serons, à votre disposition sur ce chapitre, avec nos coopérants et nos experts, si vous en avez besoin.
C'est un art toujours difficile de rendre compatible la sanction et la réconciliation. Maintes avancées se sont produites à ce sujet : en Afrique du Sud, où je me trouvais il y a quelques jours au nom du gouvernement pour participer à un moment extrêmement émouvant, le dixième anniversaire de la fin de l'apartheid, et où j'ai eu la chance et l'honneur de pouvoir saluer Nelson Mandela ; au Chili, aussi au Salvador. Pour exorciser les démons du passé, il vous reviendra peut-être de faire le bilan de toutes ces avancées. Il y a le droit de savoir. Il y a le droit des victimes à réparations. Il y a le droit à la sanction pour ceux qui ont franchi la ligne rouge. Notre compatriote Louis Joinet, le rapporteur spécial de la Commission des Droits de l'Homme pour Haïti, qui est revenu en Haïti il y a quelques semaines, a l'expérience de ces questions. Il est sans doute nécessaire que tous les auteurs d'actes criminels, quelle que soit leur famille politique, et ceux qui chercheraient encore aujourd'hui à recourir à des voies de fait, sachent simplement, clairement qu'ils n'échapperont pas à la justice, une justice égale pour tous.
C'est une exigence fondamentale pour tout Etat de droit que de savoir toujours distinguer entre la justice et la vengeance, entre la remise de comptes et la chasse aux sorcières. N'oublions pas les espérances populaires et les revendications qui se sont naguère cristallisées autour du prêtre Jean Bosco et du président bien élu de 1990. Avant même que ne soient disqualifiées toutes les instances de l'Etat, à commencer par le chef de l'Etat lui-même, et que ne s'instaure alors le climat d'intimidation, de sectarisme et de violence dont vous sortez à peine.
C'est pourquoi j'ai tenu aujourd'hui, ici, à saluer des représentants de toutes vos familles politiques et spirituelles. Merci à vous, Evans Paul, Victor Benoît, Micha Gaillard et merci à tant d'autres que j'ai salués, que je saluerai avec beaucoup d'attention. C'est une sage devise que la vôtre : l'union fait la force. Il faut la mettre désormais en oeuvre concrètement. Je vous l'ai dit, vu d'à côté et en même temps vu de si près, puisque la France est si proche, c'est une question de crédibilité pour votre pays dans les mois et les années qui viennent.
Demain, après le 1er juin, quand votre pays sera pleinement revenu à la paix, les Nations unies prendront la relève. Je me suis entretenu de cette question, il y a 48 heures à peine à New York avec Kofi Annan qui est extrêmement attentif pour beaucoup de raisons à ce que vous faites et à ce qui s'est passé. Les experts seront là, les ONG dont vous avez besoin et que nous soutiendrons seront toutes de retour, comme les institutions financières internationales, l'OEA, l'Union européenne et son fonds de développement, auxquels notre pays contribue pour un quart et dont nous entendons stimuler au plus vite les efforts.
Mais je veux aussi être franc avec vous. Même si nous parvenons, entre bailleurs de fonds, à coordonner toutes ces initiatives, même si nous savons, contrairement à la décennie passée, installer cette coopération dans la durée - Monsieur le Premier Ministre, j'ai évoqué ma propre expérience en charge de la politique de solidarité au sein de l'Union européenne lors de ces cinq dernières années, l'exigence d'un programme de 7 ou 10 ans pour inscrire la reconstruction dans la durée -, même si nous y parvenons sans impatience, et en pleine concertation avec la puissance publique, la communauté internationale ne peut ni ne pourra tout faire. Avec la meilleure volonté du monde, elle ne fera que la moitié du chemin. L'autre vous incombe. L'autre moitié, c'est votre affaire, c'est votre responsabilité. C'est le sursaut de vos forces morales, le développement de vos institutions de droit, les contributions de votre diaspora nombreuse, intelligente, le retour de vos expatriés, le rassemblement de vos meilleures volontés, notamment autour d'un calendrier électoral crédible et réaliste, voilà les raisons ou les conditions qui vous permettront de relever le formidable défi auquel vous êtes confronté : celui de doter votre nation d'un Etat digne d'elle.
La France ne vous laissera pas seuls dans cette tâche. Elle sera constamment à votre écoute, c'est aussi ce que je suis venu vous dire personnellement, en marge de ses contributions régulières aux programmes multinationaux et que notre ambassadeur continuera de suivre avec toute son équipe. C'est dans cet esprit que j'ai demandé aux départements français d'Amérique - et je salue le préfet de la Région Guadeloupe et les élus du Conseil Régional de Guadeloupe qui sont ici et qui sont venus spécialement aujourd'hui -, je leur ai demandé et je les y aiderai, d'instaurer entre eux et votre pays, mais aussi avec la Guyane française, un lien substantiel, réactif et rapide pour d'ailleurs, je le dis en passant, utiliser un certain nombre d'instruments que j'ai proposés en tant que commissaire européen dans le cadre d'une politique régionale que j'avais appelé de "grand voisinage". Mais au-delà de cette coopération régionale, je peux d'ores et déjà vous indiquer que la France va mettre sur pied des projets de coopération de toute nature au service des besoins essentiels d'Haïti, pour remettre en marche les services sociaux et d'éducation. C'est à quoi correspond ce contrat d'un million d'euros que nous avons signé apportant un crédit budgétaire immédiat pour vous permettre de soutenir le travail des éducateurs, ou des personnels de la santé publique. Je pense aussi au réaménagement des implantations culturelles et universitaires, comme la faculté d'agronomie que je vais visiter. J'ai demandé à nos collectivités locales, et je le ferai d'une manière générale, d'intensifier ce que l'on appelle la coopération décentralisée en faveur d'Haïti et dont j'ai été moi-même, alors que je présidais le Conseil général de la Savoie, dans les Alpes françaises, l'un des plus ardents militants. Certaines de ces collectivités sont ici d'ailleurs. Je veux en remercier les élus, la coopération de Strasbourg et la ville de Suresnes et le Département de Savoie, cher Jean Fressoz, qui m'ont accompagné et qui vont approfondir, dans la durée et l'amitié, leur action de coopération décentralisée avec Haïti.
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
J'ai cette conviction en étant ici, très bien, chez moi, que les leçons du passé ont été tirées, en Haïti comme au sein de la communauté internationale. L'occasion qui se présente à vous est unique dans l'histoire, comme l'a été pour l'Europe, celle de la réconciliation et de l'union après des siècles ou des décennies d'affrontements fratricides. Il faut mettre ses querelles, ses différences et ses affrontements sans les oublier, sans les effacer, dans une perspective de progrès partagé et de paix.
Ensemble, nous pouvons rompre avec les souffrances et les malheurs du passé. Il y a beaucoup de preuves, même en dehors de l'Europe, que cela est possible, que nous pouvons tourner les pages cruelles de l'histoire.
Je sais que la tâche est lourde. Voilà pourquoi nous serons aux cotés de vos ministres et de Monsieur le Premier ministre pour les aider. Mais cette tâche est historique, à la hauteur de l'oeuvre entreprise il y a deux siècles par vos pères, vos ancêtres comme le disaient les enfants ce matin en chantant à Marchand-Dessalines. Ainsi retrouverons-nous ensemble tout le sens du salut haïtien : "Honneur, Respect". Monsieur le Premier Ministre, en vous remerciant beaucoup de votre attention, de votre appui, je peux vous redire - c'est le sens de ma visite aujourd'hui et d'autres que je ferai sans doute -, que la France est là, à vos côtés. Elle le restera et je reviendrai personnellement pour mesurer le chemin parcouru ensemble. Sur ce chemin, où nous vous accompagnerons, puisqu'il s'agit de vous accompagner. Mais c'est d'abord à vous de dire ce que vous voulez faire de votre pays avec votre travail, de tenir bon à la démocratie toute nouvelle et encore fragile, au progrès, à la paix civile. Oui, Mesdames et Messieurs, tenez bon ! "Kim be Pa lage !".
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mai 2004)
(Déclaration de Michel Barnier devant la communauté française, à Port au Prince le 15 mai 2004) :
Je voudrais, au terme de cette longue journée, qui a été précédée d'une nuit passée dans le pays d'Haïti, vous dire combien cette journée, cette longue série d'étapes différentes, restera marquée dans mon coeur et dans mon esprit, à la fois comme homme et naturellement comme membre du gouvernement français.
J'ai été très touché de l'accueil que j'ai reçu ce matin, Mon Général, - et je le dis en pensant aux forces françaises qui sont ici, à nos 900 soldats et gendarmes, mais aussi aux soldats américains, canadiens et chiliens, qui assurent cette phase de stabilisation - et je l'ai été aussi tout au long de cette journée, à Marchand-Dessalines, au coeur de la campagne, une des plus pauvres, et tout à l'heure encore, à la faculté d'agronomie où j'ai rencontré des étudiants qui m'ont ému, dans cette faculté d'agronomie où les dortoirs, les ordinateurs et les laboratoires ont été détruits d'une manière inqualifiable s'agissant de l'outil de travail des jeunes dans un domaine si essentiel pour Haïti.
J'ai été très heureux de cette rencontre à la chambre de Commerce franco-haïtienne avec vous-même, Monsieur le Premier Ministre, et beaucoup de vos ministres et des entretiens que j'ai eus avec le président, tout comme aussi tout à l'heure avec Monseigneur Gayot, avec beaucoup de représentants des forces politiques qui ont bien voulu participer ensemble, autour de ce que l'on pourrait appeler une plate-forme, une table ronde, à un dialogue qui m'a beaucoup intéressé. Voilà ce que je voulais vous dire, sans prétendre vous imposer un nouveau discours.
En me tournant d'une manière plus particulière vers les citoyens français qui sont ici, et qui sont nombreux, je voudrais vous apporter le salut fraternel, amical du président de la République, qui m'a demandé de vous le transmettre. Nous étions, Monsieur le Premier Ministre, dans son bureau jeudi matin, après quoi vous êtes revenu ici, et je suis parti pour New York voir Kofi Annan, puis pour Washington. Je tenais d'autant plus à vous transmettre le message de notre président que les mois qui viennent de s'écouler ont été pour la communauté française, et pour tous, difficiles, éprouvants et que vous avez vécu ces mois, je le sais, avec beaucoup de sang-froid, rassurés par le concours, le secours des forces françaises qui sont venues très vite depuis les Antilles. Je voulais rendre hommage à ce sang-froid et à ce courage.
Monsieur l'Ambassadeur, vous me permettrez aussi de dire un mot pour vous-même, pour toute votre équipe qui a préparé cette visite - ce n'est pas si facile -, mais aussi pour la manière dont vous représentez la République française ici et dont vous servez ce pays, au-delà de la communauté et avec elle, pour aider le gouvernement, les autorités locales à réussir cette nouvelle étape de reconstruction.
J'ai tout à l'heure indiqué que, dans la délégation qui m'accompagnait, il y avait des élus de plusieurs régions françaises : le maire de Suresnes est ici, M. Dupuy, et Jean Fressoz, vice-président du Conseil général de Savoie, des représentants de la communauté urbaine de Strasbourg, qui sont les acteurs d'une coopération décentralisée avec plusieurs régions d'Haïti. Je vais m'efforcer de donner un nouvel élan à cette coopération décentralisée, parfois plus durable et plus proche, avec les collectivités territoriales, les régions, les villes d'Haïti.
Et naturellement, puisque nous parlons de cette coopération, il y a aussi les régions, les départements français de la Caraïbe. Le préfet de Guadeloupe est là, ainsi que des élus de la Guadeloupe, que je remercie. Martinique, Guadeloupe, Guyane française sont plus proches, si proches, pas seulement par la distance mais aussi par la culture, par l'humanité qui nous réunit, les racines communes, l'histoire commune. Et je vais donner un élan à cette coopération-là, pour que, dans cette région des Caraïbes où Haïti a sa place au premier rang, les régions et les départements français jouent leur rôle de partenaires.
Je voulais enfin m'adresser à vous, Monsieur le Premier Ministre, puisque vous nous avez fait l'amitié d'être de nouveau ici - on ne s'est pas quitté aujourd'hui - dans les circonstances difficiles où vous vous trouvez. Au-delà de la période de stabilisation, de sécurisation qui est en cours et qui doit réussir, une nouvelle période commence, celle de la reconstruction politique, économique, humaine de votre beau pays. La France a été présente spontanément, rapidement, naturellement, parce qu'il s'est agi de sécurité et de stabilité, pas seule encore une fois, mais avec d'autres forces. Elle continuera de l'être d'une autre manière, et durablement, je vous le promets : ceux qui me connaissent savent que je suis attentif aux promesses que je fais.
Mais naturellement, je le disais aux représentants des partis politiques tout à l'heure, l'avenir d'Haïti, c'est d'abord votre affaire. J'ai bien compris qu'il n'était question ni de tutelle, ni de tuteurs, ni de leçons. Il s'agit que vous preniez en main votre destin et que nous vous accompagnions pour toutes sortes de raisons, qui touchent à l'histoire, à notre langue, à la proximité, à la stabilité. Voilà, il m'a semblé que c'était l'état d'esprit dans lequel vous êtes déjà les uns ou les autres. Et notre état d'esprit à nous, dès l'instant où nous vous répondons, dès l'instant où nous rencontrons ce volontarisme, cette détermination de votre part, notre état d'esprit, c'est bien de vous accompagner amicalement, durablement et fraternellement, et je suis heureux de vous l'avoir dit ici, à la Résidence de France.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr,le 19 mai 2004)