Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur l'origine du lien entre l'armée et la nation lors de la bataille de Valmy, Valmy le 19 septembre 1998.

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Circonstance : Commémoration de la bataille de Valmy (20 septembre 1792) à Valmy le 19 septembre 1998

Texte intégral

M. le Préfet, Mes chers collègues élus, Messieurs les officiers généraux, Mesdames Messieurs
Mes premiers mots sont pour rendre hommage à tous ceux dont l'oeuvre nous rassemble aujourd'hui, autour d'un lieu qui mérite des soins particuliers. La commune de Valmy et ses partenaires d'intercommunalité le département de la Marne et la région Champagne-Ardennes, les associations du département, les services de l'Etat, tous se mobilisent pour soutenir, embellir et faire rayonner cet ensemble exceptionnel. Je vous en exprime d'autant plus de gratitude que je sais vos moyens limités et relayés par un dévouement profond. Je vous encourage dans cette oeuvre constante de souvenir et d'interpellation, qui sied bien sûr tout particulièrement à cette Champagne où s'est si souvent joué le sort politique de notre nation. Et je vous encourage aussi dans les multiples initiatives que prennent aujourd'hui vos collectivités avec l'Etat pour mettre en valeur votre situation maintenant favorable comme place d'échanges de l'Europe que nous construisons. Dans ce lieu dont le nom parle à chaque Français, j'aimerais évoquer avec vous deux aspects de la bataille de Valmy qui me semblent utiles à notre temps : la force du mythe qui en fait encore aujourd'hui un de nos lieux de mémoire, et le modèle militaire que Valmy nous propose.
1. La force du mythe de Valmy et son importance aujourd'hui
Pourquoi en effet, plus de deux cents ans après la bataille, et une fois passé le bicentenaire des années révolutionnaires, perpétuer la mémoire de la bataille de Valmy ? Si ce lieu continue à compter parmi ceux qu'on doit honorer, et si j'ai tenu à être parmi vous aujourd'hui pour remercier tous ceux qui maintiennent et valorisent ce site, c'est parce que Valmy me semble être au cur du lien entre la nation et son armée. C'est une origine qui reste chargée de sens à travers les mutations de notre République et de notre défense, et je voudrais montrer en quoi ce symbole reste important aux yeux du gouvernement.
En quoi, en effet, cette victoire mérite-t-elle sa force symbolique ? On sait bien que ce ne fut pas une Bataille acharnée et sanglante, et que la belle résistance des troupes françaises aux feux de l'artillerie a été idéalisée par les contemporains et par les Républicains du XIXème siècle. Le matin du 20 Septembre, 30.000 soldats français ont fait face à 60 000 soldats étrangers. Seul le canon a parlé : les troupes ont manuvré, mais sans s'y affronter. Il y eut très peu de morts. Mais le lendemain, au lieu de la bataille attendue, les fameuses troupes prussiennes ont fait retraite.
Pour autant Valmy n'est pas le malentendu, la rumeur amplificatrice qu'ont prétendu des polémistes. Dans sa phrase historique Goethe, témoin direct de la bataille, a pu dire sans se tromper que " de ce lieu et de ce jour date une nouvelle époque dans l'histoire du monde " ?
En effet l'importance de Valmy et la force de ce mythe tiennent à deux choses : à l'esprit de défense qui s'y est exprimé, et à son rôle dans la fondation de la République Valmy est bien à l'origine du lien entre la nation et ses armées.
L'esprit de défense, d'abord. Mais je devrais plutôt parler d'une double défense : une défense militaire, contre les ennemis extérieurs, et une défense morale, contre les ennemis intérieurs, complices des premiers.
Je crois possible d'évoquer Valmy comme une des sources de la dissuasion d'aujourd'hui parce que cette force de résistance a montré à l'adversaire les dangers inacceptables qu'il encourrait en poursuivant son agression. C'est bien la détermination à combattre de ces hommes de la République qui a eu raison des terribles grenadiers prussiens et impériaux - pourquoi s'y risquer, se sont dit leurs chefs, cette bataille serait un carnage, nous n'avons rien à y gagner. Car contrairement à leur attente, et contrairement aux batailles précédentes, les sans-culottes n'ont pas fui, ils ne se sont pas débandés, ils ont fait face. Et lorsque Kellerman a crié " Vive la nation ! , ils ont répondu comme un seul homme, montrant leur résolution à défendre la liberté nouvellement acquise contre la force venue rétablir l'Ancien Régime.
Si ce cri eut un écho, c'est que l'ancien cri, " Vive le roi ", n'en avait plus. Le roi a laissé apparaître que son propre sort différait de celui du peuple, et c'est un noble émigré, le marquis de Linon, qui a rédigé le Manifeste de Brunswick proclamé quelques semaines plus tôt, promettant à la ville de Paris une " exécution militaire et une subversion totale " si quiconque prenait les armes pour se défendre ou menacer la famille royale.
Valmy est donc le moment où, doublement menacée, la nation s'en remet à l'armée pour sa défense, et cette bataille est le baptême de la République française, proclamée le lendemain à Paris. Ce baptême s'est fait d'abord dans les rangs de l'armée, et ceci explique la force du mythe de Valmy.
Le mythe que cette canonnade est devenue a été une victoire en lui-même, parce qu'il a démoralisé les ennemis de la Révolution, conforté l'Assemblée et galvanisé les troupes, parce qu'il a enthousiasmé le peuple réconcilié avec la mission de la défense soudain devenue sa chose et non plus celle du roi. Il est contemporain de la naissance de la Marseillaise, qui elle aussi conjugue la résistance à l'invasion et le refus de la tyrannie.
Au-delà des faits eux-mêmes, l'idée que les hommes se firent de Valmy l'a emporté sur bien des réalités. Et c'est ici une autre forme de guerre contemporaine, qu'on nomme parfois la guerre psychologique, qui peut nous aider à comprendre en quoi Valmy a été une vraie victoire militaire.
Victoire militaire, victoire symbolique : le peuple s'identifie désormais à son armée qui à lutter pour conserver la liberté acquise en 1789. C'est en raison de ce lien entre les armées et la nation que Valmy mérite sa force et la considération dont elle est l'objet. Cette bataille garde bien sa place comme une fondation du pacte républicain qui inspire toujours notre peuple aujourd'hui.
2. Un modèle militaire pour notre temps : Valmy, victoire d'une armée de volontaires "amalgamés"
Les temps ont changé, et pourtant Valmy redevient aujourd'hui un exemple historique d'une grande actualité. En effet, qui sont véritablement les vainqueurs de Valmy ? Ce n'était pas le peuple levé en masse dans la confusion, moins encore des conscrits dans l'obligation de servir. En réalité, nous disent les historiens, les combattants de Valmy étaient de deux types : les officiers et les soldats de l'armée de ligne, directement transmises par l'ancien régime, les bataillons de citoyens engagés par l'assemblée lorsque celle-ci a proclamé " la patrie en danger "- des jeunes volontaires de la garde nationale prêts à se battre pour la liberté. Les premiers apportaient l'expérience et la discipline ; les seconds, l'enthousiasme et l'ardeur.
Et dans le sillage de Valmy s'est opéré, selon l'expression de ce temps, " l'amalgame ", c'est-à-dire le mélange progressif, de plus en plus efficace de ces deux types de soldats qui porteront l'idéal de la révolution française, les couleurs de la liberté, contre l'oppression - contre les rois d'Europe.
Aujourd'hui, à deux siècles de distance, la république d'aujourd'hui renonce avec la leçon militaire qui a fondé la première république en s'adaptant aux risques et aux crises de demain.
Dans les années que nous vivons, vous le savez, la conscription laisse progressivement la place à une armée de professionnels volontaires. De nouveaux engagements se développent, l'adaptation sera parfois difficile, mais les nouveaux venus seront à leur tour " amalgamés ", comme leurs anciens des guerres révolutionnaires formés pour servir la nation.
Cette armée nouvelle sera adaptée aux missions nouvelles que notre démocratie a déterminées : la défense du territoire et de l'Europe par des moyens complexes et sophistiqués, la réponse aux menaces diffuses comme le terrorisme ou la prolifération des armes de destruction massive, et l'intervention dans des pays proches où lointains pour rétablir la paix et la consolider, pour conforter la démocratie, et les droits de la personne humaine, faire échec aux manipulateurs des haines communautaires, apporter le secours humanitaire d'une France forte, respectée, apte à s'unir avec d'autres pays responsables. En un mot, pour tenir les promesses démocratiques héritées de la révolution, et pour suivre l'uvre des combattants de Valmy.
Valmy nous rappelle donc que la forme des armées françaises n'a pas toujours été la conscription classique, et que ce choix simplificateur entre armée de professionnels volontaires et une armée de conscrits ne représente pas l'opposition entre monarchie et république. L'histoire nous rappelle que l'obligation militaire existait de longue date avant 1789. Elle comptait même au nombre des griefs du petit peuple des campagnes dans les cahiers de doléances, qui réclament l'armée de volontaires ; et Mirabeau refusait l'idée de conscription, contraire, selon lui, à la liberté.
Finalement, l'armée de conscription elle-même a toujours dépendu pour son encadrement du professionnalisme des militaires engagés, et les armées de la République ont toujours été des armées " mixtes ". Ce qui compte en effet, c'est de disposer au bon moment de l'outil militaire dont le pays à besoin pour se défendre, et pour remplir ses missions.
Il est certes légitime de se préoccuper du risque de coupure de ce lien traditionnel que le service militaire obligatoire avait créé entre le peuple et l'armée, particulièrement sous la IIIème République. Mais face à l'inquiétude, je demande de reconsidérer l'enseignement de Valmy, de mesurer l'intérêt d'une armée de professionnels volontaires, d'une armée adaptée à notre temps. Et je veux souligner la priorité politique majeure pour le gouvernement que constitue le renouvellement du lien entre la nation et ses forces armées.
Dans deux semaines à compter d'aujourd'hui le samedi 03 octobre, aura lieu la première journée d'appel de préparation à la défense, qui sera un élément essentiel du nouveau dispositif et va constituer une étape significative dans le parcours d'accès à la citoyenneté des jeunes. Connaissance des activités des armées, sensibilisation aux nécessités de la défense, mais aussi lutte contre l'exclusion et inscription sur les listes électorales : cette journée bien remplie est l'un des aspects du lien renouvelé entre l'armée et la nation.
Alors que les temps changent, on ne peut en rester à des symboles coupés de la réalité : pour être fidèle à l'esprit républicain, à l'esprit des volontaires de Valmy, il faut aujourd'hui savoir adapter notre armée aux exigences du combat moderne pour défendre efficacement les valeurs démocratiques et les intérêts de la République - ces valeurs et ces intérêts pour lesquels, une journée durant, les sans-culottes ont fait face sans broncher aux canons de l'ennemi, ici à Valmy.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 17 septembre 2001)