Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la situation de l'Afrique et les voies vers la paix et le développement en Afrique, Paris le 13 juin 2000.

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Circonstance : Forum de l'IHEDN sur le thême : "Vers quels retours à des paix durables en Afrique : contribution politique, sécuritaire, humanitaire et économique", à Paris le 13 juin 2000

Texte intégral

Vers quels retours à des paix durables en Afrique :
contribution politique, sécuritaire, humanitaire et économique.
Messieurs les Ambassadeurs,
Messieurs les Généraux,
Mesdames, Messieurs,
Au moment où commence la nouvelle session du Forum de l'IHEDN sur le continent africain, je suis particulièrement heureux d'être une nouvelle fois parmi vous pour ouvrir ces travaux. Je le fais devant un auditoire élargi à toute l'Afrique, signe que la réforme de notre dispositif de coopération prend en compte l'ensemble des pays du continent.
Vous allez réfléchir ensemble sur un thème ambitieux : "vers quels retours à des paix durables en Afrique : contribution politique, humanitaire, sécuritaire et économique".
Interrogation légitime. Ce n'est pas aux Africains présents dans cette salle, civils ou militaires, que je l'apprendrai: sur tous les continents, mais sans doute en Afrique plus qu'ailleurs, les problèmes de développement et de sécurité sont intimement liés.
De plus, la situation sur le continent africain est loin d'être homogène, en effet qu'y a-t-il de commun entre la guerre entre l'Ethiopie et l'Erythrée, le conflit en Sierra Leone et celui entre le Rwanda et l'Ouganda, et les solutions à ses problèmes ne peuvent être que diversifiées, même s'il nous appartient de réfléchir à ce que pourrait être une construction globale dans laquelle les conflits de pouvoirs ou d'intérêts économiques pourraient se résoudre selon des règles communes.
I. D'abord trois constats :
- l'Afrique s'est trouvée fragilisée lorsque la fin du conflit Est-Ouest a relativisé son importance stratégique ;
- l'économie de marché et la modification des flux financiers, en particulier en Asie, ont entraîné une précarité et une pauvreté grandissantes de ce continent ;
- l'Afrique tend à glisser vers une marginalité génératrice de conflits.
Je n'insiste pas sur ce cadre général dans lequel se sont développées la plupart des crises. J'aborderai plutôt les façons d'en sortir de manière durable. J'insiste sur ce dernier terme car il ne suffit pas de mettre fin à un conflit, il faut aussi réussir la paix et reconstruire des pays exsangues.
1. Un pays qui entre dans une phase post-conflit est nécessairement confronté à des problèmes conjoncturels gigantesques: réfugiés, personnes déplacées, démobilisation et réintégration des combattants, déminage, circulation des armes, etc. Il s'agit aussi de trouver des solutions aux problèmes structurels souvent à l'origine des crises : absence de légitimité de l'Etat, situation économique catastrophique, fossé entre un pouvoir reposant sur la force et une société civile traumatisée, corps social démantelé, bref une situation appelant des solutions multiformes.
Bien entendu, le retour à la normalité passe d'abord par la réconciliation et une volonté politique forte. Il s'appuie ensuite sur la reconstitution de l'Etat dans ses fonctions régaliennes, ce qui inclut l'Etat de droit : la remise en marche des pouvoirs publics, la promotion des Droits de l'Homme, la bonne gouvernance, la préparation puis la tenue des élections, l'accès pour tous à une justice indépendante, sont autant de bases indispensables pour un Etat plus stable et plus juste.
Dans une phase post-conflit, la difficulté vient aussi de ce qu'il faut substituer une culture de paix à une culture de guerre qui peut représenter une situation plus confortable pour certains. Sans une adhésion profonde des responsables politiques et militaires ainsi que de la société civile aux objectifs que je viens de rappeler, aucune vision de long terme n'est possible.
2. Depuis plusieurs années, on le sait, les Etats africains manifestent une volonté accrue de s'impliquer dans la gestion des crises qui les concernent. Je relève d'ailleurs qu'indépendamment de l'ONU et de l'OUA, les organisations sous-régionales jouent de plus en plus un rôle éminent. Ainsi la CEDEAO, la SADC, la CEEAC, l'IGAD disposent-elles maintenant de mécanismes de prévention, de gestion et de règlement des conflits comparables à ceux de l'OUA
Une véritable dynamique régionale africaine est donc née : vous allez y consacrer légitimement une conférence et une table-ronde. Je vous engage à réfléchir à ce qui devrait être fait pour que ces organisations sous-régionales soient plus efficaces, et en particulier aux moyens d'action qui leur sont nécessaires pour accroître leur capacité d'intervention.
Les pays occidentaux, et la France en tout premier lieu, s'efforcent de les y aider. Et de fait, la participation de la communauté internationale à la stabilité africaine est une ambition de bon sens : à la fois devoir de solidarité et réalisme politique. Aider les Africains à mieux s'organiser sur le plan régional pour pouvoir mener des processus politiques et diplomatiques visant au rétablissement ou au maintien de la paix est l'objectif majeur que l'on doit se fixer. Les partenaires extérieurs au continent africain l'ont bien compris et contribuent donc désormais au renforcement des capacités africaines de maintien de la paix.
II. Après la dimension politique, j'en viens maintenant à un second volet - appelons-le "sécuritaire" -, celui de l'implication des armées dans le processus de retour à la stabilité.
Deux rappels :
- en premier lieu, les conflits que nous connaissons en Afrique (mais pas seulement en Afrique) ont de moins en moins souvent des causes militaires et ne peuvent être réglés par les seuls moyens militaires. Les armées ne peuvent traiter de tout, ni être tenues responsables de tout ;
- en second lieu, il est essentiel de veiller à ce que les armées n'abordent pas la période d'après-conflit dans un esprit de rancur, voire de revanche. Instrument de réconciliation nationale, elles devront même parfois accueillir en leur sein les adversaires de la veille. Le Mozambique, le Tchad, le Niger ou le Mali en sont l'illustration, et les accords de paix prévoient de plus en plus ce type de disposition.
Il faut être réaliste : pour que les armées contribuent, comme elles le doivent, au retour à une paix durable, il faut qu'un certain nombre de conditions soient remplies :
- tout d'abord, les forces armées - et donc aussi les gendarmeries - doivent être tournées vers la défense de l'Etat de droit et des institutions, qu'il s'agisse de faire preuve de loyauté à l'égard d'un gouvernement issu d'une consultation démocratique ou de garantir les citoyens, a fortiori ceux qui rentrent dans leur pays, contre les actes de vengeance ou toute forme d'exaction ;
- ensuite, les armées doivent être formées aux opérations de maintien de la paix et aux interventions dans un cadre multilatéral, ce qui suppose une meilleure compréhension des hommes et des manières de travailler, par delà les différences de traditions militaires;
- enfin, des mesures doivent être prises sur le plan économique, social et sécuritaire pour aider les armées à passer plus facilement du temps de crise au temps de paix : plans de professionnalisation, de re-dimensionnement des effectifs, versement régulier des soldes, dédommagement des familles de militaires tués ou blessés. Il est à cet égard particulièrement heureux que ce Forum associe responsables civils et militaires : l'évolution des armées africaines est en effet aussi un problème de bonne gouvernance.
Les programmes de la coopération militaire française ont été évidemment réétudiés en ce sens :
- en premier lieu, la formation dispensée vise à doter les armées d'une éthique militaire respectueuse de l'Etat de droit et des gouvernements démocratiquement élus. Cette formation est dispensée sous forme de partenariat d'Etat à Etat, en écartant l'esprit d'assistance et les actions de substitution ;
- ensuite, il faut former les cadres militaires appelés à participer à des opérations de maintien de la paix, dans un souci d'interopérabilité avec d'autres armées. C'est dans cette perspective que nous avons lancé l'initiative de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP) que j'avais eu l'occasion de présenter longuement ici-même il y a un an. C'est en ce sens également que nous avons mis sur pied l'Ecole de Maintien de la Paix de Zambakro, en Côte d'Ivoire, que j'ai eu l'honneur d'inaugurer avec le Premier ministre de Côte d'Ivoire d'alors.
- en troisième lieu, j'ai rappelé qu'il s'agit de surmonter les différences de cultures militaires issues de la colonisation. Je me réjouis à cet égard que ce Forum poursuive sur la voie d'une plus grande ouverture en direction des pays anglophones et lusophones pour parler des questions de sécurité en Afrique. La France et la Grande-Bretagne se sont engagées à Saint-Malo, fin 1999, à coopérer plus étroitement sur le terrain, de Dakar à Prétoria. La formation, par une plus grande ouverture des écoles de maintien de la paix de Zambakro, Harare ou Accra, est un domaine où les cadres militaires de cultures et d'horizons différents peuvent apprendre à travailler ensemble, pour mieux agir ensemble sur le terrain le moment venu.
- en quatrième lieu, il faut soutenir les Etats à restructurer leurs armées en fonction des options choisies pour consolider la paix. Ce qui se passe en RCA, par exemple, est à plus d'un titre porteur d'espoir : une opération de maintien de la paix des Nations Unies s'y est déroulée avec succès, des élections ont pu être organisées, un gouvernement mis en place, dans un esprit d'ouverture, et un plan de restructuration et de reprofessionalisation des forces armées est en train d'être mis en uvre. La réforme est conçue sur une base pluri-ethnique, et vise notamment à renforcer les forces armées nationales, à démobiliser les forces para-militaires et à récupérer les armes. La France est fortement engagée dans ce processus, qui devrait bénéficier d'un soutien de plusieurs membres des Nations Unies si l'on en croit le succès de la réunion organisée à ce sujet à New-York, les 15 et 16 mai derniers.
III. Je crois, en outre, qu'il faut aider les armées à travailler et coopérer avec les autres acteurs de la paix, au premier rang desquels ceux qui interviennent dans le domaine humanitaire.
1. Je citerai rapidement quelques chiffres pour souligner la gravité et l'ampleur du problème des réfugiés : dans la région des Grands Lacs, près de 600.000 réfugiés. En Afrique australe, le nombre de personnes affectés par la guerre en Angola est évalué à 3 millions, dont 1 à 2 de déplacés. En Afrique occidentale, 450.000 réfugiés sierra-léonais se trouvent dans les pays voisins, Guinée et Liberia principalement, et 350.000 réfugiés libériens sont rentrés dans leur pays venant de Guinée, de Sierra Leone, de Côte d'Ivoire et du Ghana.
Les principales préoccupations liées aux aspects humanitaires de ces conflits résident d'abord dans les difficultés ou restrictions d'accès aux populations - c'est le cas en RDC, en Angola, en Somalie. Les personnes déplacées constituent, en raison de leur nombre et du fait qu'elles sont placées sous la responsabilité des Etats, un aspect particulier de cette problématique.
Ensuite vient l'insécurité: celle-ci a pour cause notamment la militarisation des camps, surtout lorsqu'ils sont proches des frontières, la présence des mines et les risques d'attaques par les parties en conflit.
Le troisième problème est le risque de déstabilisation pour le pays d'accueil: la présence de réfugiés a souvent un impact important sur les équilibres sociaux et économiques ainsi que sur l'environnement et peut de ce fait engendrer des tensions.
Enfin, en 1999, les appels des organisations humanitaires internationales n'ont pu être totalement couverts, ce qui n'a pas permis de développer tous les programmes prévus. Dans plusieurs régions, le HCR s'efforce, lorsque la situation le permet, d'organiser les retours ; les programmes mis en oeuvre comportent un volet d'aide à la réinsertion des rapatriés. A cet égard, je rends hommage à la générosité dont font preuve les pays africains en faveur de ces populations réfugiées: la solidarité régionale est certainement fondamentale dans la réponse à apporter à ces situations.
2. Il me paraît enfin indispensable d'instaurer un climat de plus grande confiance entre humanitaire militaire et humanitaire non gouvernemental, sans remettre en cause la spécificité des missions de chacun. Une meilleure compréhension des buts, des missions, des manières d'agir peut faciliter les choses sur le terrain, permettre une cohabitation plus harmonieuse, et, en définitive, donner des chances supplémentaires à la paix. Cet effort pédagogique, c'est en amont des crises qu'il faut l'engager : par des enseignements plus ouverts, intégrant la dimension humanitaire du maintien de la paix, comme nous commençons de le faire à Zambakro ; par des exercices, comme en a témoigné le récent " Gabon 2000 ", qui fut un réel succès ; par une réflexion d'ensemble, entre civils et militaires, comme vous allez le faire durant ce Forum.
J'évoquerai enfin le pôle économique du retour durable à la paix.
La lutte contre la pauvreté et le sous-développement, la préservation de l'environnement sont indissociables et requièrent des solutions globales. Tout récemment, la "Déclaration du Caire", adoptée à l'issue du Sommet Afrique/Europe, a insisté sur la nécessité d'aider les pays en crise à mettre fin à leur dépendance en les aidant sur le chemin du développement. Sans réduction de la pauvreté et sans développement, il ne peut y avoir stabilité interne des Etats.
Les guerres civiles, les rivalités de pouvoir dissuadent évidemment les investisseurs. Dans une économie post-conflit, l'Etat doit être suffisamment fort pour lutter contre ceux qui favorisent la spéculation, le pillage des ressources naturelles et minières, les déséquilibres nés des circuits de l'économie informelle. Il me semble que cette session devrait être l'occasion de réfléchir à ces dérives préjudiciables au fonctionnement des pays concernés. Faut il dire l'importance de la relation entre le trafic de diamants et des armes qui peut être ciblé comme participant directement à l'exercice de la violence.
A cet égard, je voudrais aussi évoquer brièvement le problème de la dette. Les mesures d'allègement de celle-ci, aussi généreuses soient-elles, ne peuvent se substituer à une véritable politique de développement. Concernant vingt-six pays africains, l'initiative PPTE est une aide précieuse bien sûr. Elle devrait briser le cycle vicieux de l'endettement et du rééchelonnement et élargir les perspectives de développement.
Le nouvel accord de partenariat de l'Europe avec les ACP, le nouveau "Lomé", crée également un cadre pour répondre de manière globale aux difficultés de ces pays, qu'il conviendra de mettre en oeuvre rapidement. L'Histoire nous joue parfois des tours puisque c'est à Fidji que devaient être signés les nouveaux accords UE/ACP. Ceux-ci se dérouleront, je n'en doute pas, dans de bonnes conditions la semaine prochaine à Cotonou. Je compte m'y employer pendant la prochaine présidence française de l'Union, de même que je souhaite favoriser la cohérence et la complémentarité des Quinze dans l'aide au développement.
Ces efforts tendent vers un but essentiel : éviter, au moment où les institutions de Bretton Woods infléchissent enfin dans la bonne direction leurs opérations, que l'Afrique ne se trouve marginalisée par la mondialisation.
J'ai déjà rappelé la nécessité d'oeuvrer en faveur de l'intégration régionale dont l'intérêt le plus évident est l'insertion progressive des économies dans les échanges mondiaux, l'émergence de capacités institutionnelles et de processus décisionnels plus efficaces. Je souligne qu'à cet égard, l'Union européenne doit jouer un rôle d'accompagnement essentiel en associant toutes les parties : Etat, opérateurs privés et société civile.
En conclusion, je souhaite que vos travaux soient fructueux et vous permettent d'approfondir vos réflexions sur ce défi majeur qu'est ''la paix durable'' en Afrique. Défi majeur si l'on veut éviter à l'Afrique la marginalisation, elle aussi durable, que lui prédisent ceux qui la croient définitivement condamnée à une instabilité politico-militaire synonyme de déclin. Je suis convaincu que les Africains réagiront comme il convient pour faire mentir cette funeste assertion
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 juin 2000)