Texte intégral
J.-M. Aphatie-. Vous êtes ministre de l'Intérieur depuis bientôt dix-huit mois. Mercredi dernier, dans le journal Le Monde, vous avez déclaré : "J'ai eu la naïveté de penser qu'une discussion loyale pouvait avoir lieu en Corse, avant que la neutralisation du système mafieux soit achevée". On ne vous imaginait pas naïf en quoi que ce soit dans votre démarche politique. On se trompe ?
- "Non, j'essaie d'être honnête et d'expliquer aux gens ce que je suis en train de faire."
Vous aviez une mauvaise appréciation du dossier corse ?
- "Je ne présente pas ce que j'ai défini à l'époque comme un échec comme un succès. Vous savez, les gens sont très intelligents, ils comprennent tout. Il ne faut pas raconter d'histoires si on veut être cru. C'est peut-être d'ailleurs la leçon du mois d'avril 2002 : dire les choses telles qu'elles sont. La question corse est l'une des questions les plus difficiles. Si elle n'était pas difficile et complexe - n'en déplaise à certains simplistes - ça ne ferait pas trente ans que tous les gouvernements, sans exception, de gauche ou de droite, échouent ! [...] Je veux dire les choses le plus simplement possible. J'ai cru que, par le dialogue, en libérant la parole - c'était le référendum -, on pouvait essayer de créer un sursaut en Corse. Bien sûr que j'ai toujours pensé qu'il fallait mener la lutte contre la délinquance, mais je pensais qu'en donnant la parole, les forces positives de la Corse allaient se rassembler. Le problème, quel est-il ? C'est qu'en Corse - je veux dire les mots tels que je les pense -, la parole n'est pas libre, parce que les gens ont peur. Et les gens ont peur parce qu'une petite minorité fait régner une forme de terreur et empêche certains de s'exprimer. Donc, dans ces conditions, le dialogue ne peut pas fonctionner."
La parole des élus politiques, en Corse, n'est pas libre, par exemple ?
- "Je pense que tout le monde, en Corse, ne peut pas dire ce qu'il pense, élus ou pas. Cela m'a été confirmé par le président de l'Association des maires de Haute-Corse. Il m'a dit : "Oui, M. Sarkozy, c'est vrai, on ne peut pas tout dire". En 2003, sur une parcelle du territoire de la République ?! Et donc cette stratégie qui primait sur le dialogue - j'essaie d'être un homme de dialogue... Vous savez, même dans une famille il faut du dialogue. Dans un pays, comment peut-on faire ? Eh bien, les dés sont pipés là-bas, tant qu'on empêche un certain nombre de gens de prendre la parole librement, de dire librement ce qu'ils pensent. Et voilà pourquoi j'ai donc décidé d'engager une lutte très déterminée contre ce que j'appelle un "système mafieux". Qu'est-ce que c'est qu'un système mafieux ? Eh bien, un système mafieux, ce sont des gens qui ne vivent que de l'argent du crime. Quels crimes ? On pose des bombes et on demande aux propriétaires de vous verser une dîme. Ca s'appelle "la mafia" ! La politique, le nationalisme, au fond, c'est un prétexte. Il y a des gens, en Corse, qui ont pignon sur rue, qui ne travaillent pas depuis des années et qui vivent grand train !"
On ne va pas tourner autour du pot : est-ce que vous pensez, en disant cela, très précisément, à cette figure majeure du nationalisme aujourd'hui en Corse qu'est C. Pieri ?
- "On ne va pas tourner autour du pot. Nous sommes dans un Etat de droit. Et dans un Etat de droit, je n'ai pas à m'attaquer à des idées ou à un individu bien précis. Il y a aujourd'hui une procédure judiciaire qui a été ouverte par un magistrat du pôle financier, avec le Parquet de Paris et avec la brigade financière. Ils vont mener leur travail. Mais je veux prendre un exemple pour que nos auditeurs comprennent : quand les policiers de la brigade financière font leur travail, sous le contrôle d'un juge, et que le lendemain, la voiture d'un des policiers qui a fait des contrôles est plastiquée, et l'appartement d'un des policiers qui a fait le contrôle est plastiqué, ça s'appelle un comportement "mafieux" ! Je ne l'accepterai pas. D'ailleurs, l'un des coupables présumés est aujourd'hui sous les verrous. Nous connaissons son complice présumé. Nous le poursuivrons et nous l'arrêterons ! Mais ce sont des méthodes, quand même, qui sont invraisemblables dans un pays démocratique !"
Ce que vous appelez "le système mafieux", se limite-t-il, selon vous, à quelques dirigeants nationalistes ? Ou bien, comme J.-G. Talamoni l'a dit dans le journal de P. Cohen, tout à l'heure à 7h30, ceci concerne-t-il aussi d'autres responsables ? J.-G. Talamoni a cité des élus UMP, de manière vague. Le système mafieux, est-ce seulement quelques nationalistes ou est-ce plus grave que ça en Corse ?
- "Alors, d'abord, il y a un système, c'est incontestable. La justice dira jusqu'où il va. Premier point. Deuxième point : s'il devait y avoir des connexions avec d'autres organisations, d'autres camps, d'autres partis, personne ne sera protégé. Et ce sera l'occasion - excellente - de faire la différence entre la rumeur et la vérité. Personne ne sera à l'abri ! Quant à J.-G. Talamoni, je vois quel acharnement il met à défendre un certain nombre de gens qui, la nuit venue, revendiquent les attentats ! Vous savez, les attentats dont je parlais tout à l'heure, si ce n'est pas un aveu, qu'est-ce que c'est ? Vous en connaissez, vous, des honnêtes gens qui, contrôlés par la police ou le fisc, vont mettre une bombe devant la porte de l'appartement de celui qui l'a contrôlé ? Comment appelez-vous ça ? Moi j'appelle un chat, un chat ! Et je veux que les Français comprennent une autre chose : c'est que les Corses, dans leur immense majorité, sont davantage victimes que coupables. Et que si nous autres nous devions vivre dans cette ambiance, peut-être que nous aurions le même comportement. L'île ne veut plus qu'une minorité défigure son image ! Et je suis très heureux de voir qu'hier, j'ai reçu le soutien de tout le monde, de la gauche comme de la droite, de ceux qui ont voté "non" comme de ceux qui ont voté "oui". C'est un travail extrêmement difficile, sans doute dangereux. Ce travail, il faut le faire et il n'a jamais été fait comme cela, car jamais on n'a envoyé la brigade financière et les magistrats du pôle financier."
Mais ce n'est pas vous qui maîtrisez tous ces gens-là, c'est le ministère de la Justice. Pourquoi est-ce qu'on entend davantage le ministre de l'Intérieur que le ministre de la Justice dans ce type de dossier et dans cette dénonciation du système mafieux ?
- "D. Perben et moi, nos montres marquent la même heure sur ce sujet comme sur bien d'autres. Mais d'abord parce que le travail de la justice, c'est un travail qui se fait au moment de l'instruction. Le travail de la police, c'est de collecter tous les éléments possibles pour les mettre à la disposition de la justice. Et croyez-moi, il y a la même volonté des deux côtés. J'ajoute que pour mener cette action, je le fais avec l'accord du Premier ministre et du président de la République avec qui, naturellement, j'ai discuté de cette situation, de cette stratégie."
Et qui vous encourage à la poursuivre ?
- "Est-ce que vous croyez que je pourrais le faire si je n'avais pas le soutien du président de la République ?"
Le président de la République justement, quand L. Jospin avait parlé pendant la campagne présidentielle de "naïveté" à propos de l'insécurité, avait dit : "La naïveté n'est pas une excuse, c'est une faute". Votre naïveté sur le dossier corse ?
- "Je vois très bien où vous voulez m'amener ! Mais il y a une petite différence : c'est que L. Jospin a attendu pour dire ça d'avoir quitté le pouvoir, donc il ne pouvait plus rien faire ! Et c'était en pleine campagne !"
Non, il était en vacances...
- "Bien sûr ! Je dis une chose : voilà une stratégie. Je l'ai essayée, de toutes mes forces, elle n'a pas marché. Mais vous voulez que je prenne les Français pour ce qu'ils ne sont pas ?! Vous pensez qu'il y a besoin de leur expliquer que le référendum s'est traduit par un échec des partisans du "oui", dont j'étais. Eh bien, j'essaie de réagir tout de suite. J'essaie de le faire avec honnêteté. Et il est venu le temps, je crois, pour les responsables politiques, de parler clairement, franchement, sincèrement. Je ne suis pas venu pour vous dire : "Oui, oui, je continue exactement comme avant, sans différence". J'essaie d'expliquer, devant un dossier extraordinairement difficile, ce que j'essaie de faire. Vous savez, alors, après j'ai bien vu le Parti socialiste faire des remarques, très bien... Quand on a son bilan... Le préfet Bonnet, qu'ils ont nommé - M. Chevènement - a terminé en prison. Franchement, quelle idée de l'Etat ! Quant au préfet Erignac, il a été assassiné. Et son assassin présumé, c'est moi qui ai mis un an pour - avec les services de police - le retrouver ! Honnêtement, je ne leur fais pas de reproches, mais quand on a un bilan pareil, c'est peut-être inutile d'aller donner des leçons aux autres. Il n'y a qu'une seule réaction des responsables d'Etat - s'ils voulaient être à ce niveau - : c'est de serrer les coudes, face à un système mafieux, qui demandera beaucoup d'énergie et beaucoup de courage pour les policiers et les gendarmes qui se trouvent en Corse, et à qui je veux rendre un hommage signalé."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 octobre 2003)
- "Non, j'essaie d'être honnête et d'expliquer aux gens ce que je suis en train de faire."
Vous aviez une mauvaise appréciation du dossier corse ?
- "Je ne présente pas ce que j'ai défini à l'époque comme un échec comme un succès. Vous savez, les gens sont très intelligents, ils comprennent tout. Il ne faut pas raconter d'histoires si on veut être cru. C'est peut-être d'ailleurs la leçon du mois d'avril 2002 : dire les choses telles qu'elles sont. La question corse est l'une des questions les plus difficiles. Si elle n'était pas difficile et complexe - n'en déplaise à certains simplistes - ça ne ferait pas trente ans que tous les gouvernements, sans exception, de gauche ou de droite, échouent ! [...] Je veux dire les choses le plus simplement possible. J'ai cru que, par le dialogue, en libérant la parole - c'était le référendum -, on pouvait essayer de créer un sursaut en Corse. Bien sûr que j'ai toujours pensé qu'il fallait mener la lutte contre la délinquance, mais je pensais qu'en donnant la parole, les forces positives de la Corse allaient se rassembler. Le problème, quel est-il ? C'est qu'en Corse - je veux dire les mots tels que je les pense -, la parole n'est pas libre, parce que les gens ont peur. Et les gens ont peur parce qu'une petite minorité fait régner une forme de terreur et empêche certains de s'exprimer. Donc, dans ces conditions, le dialogue ne peut pas fonctionner."
La parole des élus politiques, en Corse, n'est pas libre, par exemple ?
- "Je pense que tout le monde, en Corse, ne peut pas dire ce qu'il pense, élus ou pas. Cela m'a été confirmé par le président de l'Association des maires de Haute-Corse. Il m'a dit : "Oui, M. Sarkozy, c'est vrai, on ne peut pas tout dire". En 2003, sur une parcelle du territoire de la République ?! Et donc cette stratégie qui primait sur le dialogue - j'essaie d'être un homme de dialogue... Vous savez, même dans une famille il faut du dialogue. Dans un pays, comment peut-on faire ? Eh bien, les dés sont pipés là-bas, tant qu'on empêche un certain nombre de gens de prendre la parole librement, de dire librement ce qu'ils pensent. Et voilà pourquoi j'ai donc décidé d'engager une lutte très déterminée contre ce que j'appelle un "système mafieux". Qu'est-ce que c'est qu'un système mafieux ? Eh bien, un système mafieux, ce sont des gens qui ne vivent que de l'argent du crime. Quels crimes ? On pose des bombes et on demande aux propriétaires de vous verser une dîme. Ca s'appelle "la mafia" ! La politique, le nationalisme, au fond, c'est un prétexte. Il y a des gens, en Corse, qui ont pignon sur rue, qui ne travaillent pas depuis des années et qui vivent grand train !"
On ne va pas tourner autour du pot : est-ce que vous pensez, en disant cela, très précisément, à cette figure majeure du nationalisme aujourd'hui en Corse qu'est C. Pieri ?
- "On ne va pas tourner autour du pot. Nous sommes dans un Etat de droit. Et dans un Etat de droit, je n'ai pas à m'attaquer à des idées ou à un individu bien précis. Il y a aujourd'hui une procédure judiciaire qui a été ouverte par un magistrat du pôle financier, avec le Parquet de Paris et avec la brigade financière. Ils vont mener leur travail. Mais je veux prendre un exemple pour que nos auditeurs comprennent : quand les policiers de la brigade financière font leur travail, sous le contrôle d'un juge, et que le lendemain, la voiture d'un des policiers qui a fait des contrôles est plastiquée, et l'appartement d'un des policiers qui a fait le contrôle est plastiqué, ça s'appelle un comportement "mafieux" ! Je ne l'accepterai pas. D'ailleurs, l'un des coupables présumés est aujourd'hui sous les verrous. Nous connaissons son complice présumé. Nous le poursuivrons et nous l'arrêterons ! Mais ce sont des méthodes, quand même, qui sont invraisemblables dans un pays démocratique !"
Ce que vous appelez "le système mafieux", se limite-t-il, selon vous, à quelques dirigeants nationalistes ? Ou bien, comme J.-G. Talamoni l'a dit dans le journal de P. Cohen, tout à l'heure à 7h30, ceci concerne-t-il aussi d'autres responsables ? J.-G. Talamoni a cité des élus UMP, de manière vague. Le système mafieux, est-ce seulement quelques nationalistes ou est-ce plus grave que ça en Corse ?
- "Alors, d'abord, il y a un système, c'est incontestable. La justice dira jusqu'où il va. Premier point. Deuxième point : s'il devait y avoir des connexions avec d'autres organisations, d'autres camps, d'autres partis, personne ne sera protégé. Et ce sera l'occasion - excellente - de faire la différence entre la rumeur et la vérité. Personne ne sera à l'abri ! Quant à J.-G. Talamoni, je vois quel acharnement il met à défendre un certain nombre de gens qui, la nuit venue, revendiquent les attentats ! Vous savez, les attentats dont je parlais tout à l'heure, si ce n'est pas un aveu, qu'est-ce que c'est ? Vous en connaissez, vous, des honnêtes gens qui, contrôlés par la police ou le fisc, vont mettre une bombe devant la porte de l'appartement de celui qui l'a contrôlé ? Comment appelez-vous ça ? Moi j'appelle un chat, un chat ! Et je veux que les Français comprennent une autre chose : c'est que les Corses, dans leur immense majorité, sont davantage victimes que coupables. Et que si nous autres nous devions vivre dans cette ambiance, peut-être que nous aurions le même comportement. L'île ne veut plus qu'une minorité défigure son image ! Et je suis très heureux de voir qu'hier, j'ai reçu le soutien de tout le monde, de la gauche comme de la droite, de ceux qui ont voté "non" comme de ceux qui ont voté "oui". C'est un travail extrêmement difficile, sans doute dangereux. Ce travail, il faut le faire et il n'a jamais été fait comme cela, car jamais on n'a envoyé la brigade financière et les magistrats du pôle financier."
Mais ce n'est pas vous qui maîtrisez tous ces gens-là, c'est le ministère de la Justice. Pourquoi est-ce qu'on entend davantage le ministre de l'Intérieur que le ministre de la Justice dans ce type de dossier et dans cette dénonciation du système mafieux ?
- "D. Perben et moi, nos montres marquent la même heure sur ce sujet comme sur bien d'autres. Mais d'abord parce que le travail de la justice, c'est un travail qui se fait au moment de l'instruction. Le travail de la police, c'est de collecter tous les éléments possibles pour les mettre à la disposition de la justice. Et croyez-moi, il y a la même volonté des deux côtés. J'ajoute que pour mener cette action, je le fais avec l'accord du Premier ministre et du président de la République avec qui, naturellement, j'ai discuté de cette situation, de cette stratégie."
Et qui vous encourage à la poursuivre ?
- "Est-ce que vous croyez que je pourrais le faire si je n'avais pas le soutien du président de la République ?"
Le président de la République justement, quand L. Jospin avait parlé pendant la campagne présidentielle de "naïveté" à propos de l'insécurité, avait dit : "La naïveté n'est pas une excuse, c'est une faute". Votre naïveté sur le dossier corse ?
- "Je vois très bien où vous voulez m'amener ! Mais il y a une petite différence : c'est que L. Jospin a attendu pour dire ça d'avoir quitté le pouvoir, donc il ne pouvait plus rien faire ! Et c'était en pleine campagne !"
Non, il était en vacances...
- "Bien sûr ! Je dis une chose : voilà une stratégie. Je l'ai essayée, de toutes mes forces, elle n'a pas marché. Mais vous voulez que je prenne les Français pour ce qu'ils ne sont pas ?! Vous pensez qu'il y a besoin de leur expliquer que le référendum s'est traduit par un échec des partisans du "oui", dont j'étais. Eh bien, j'essaie de réagir tout de suite. J'essaie de le faire avec honnêteté. Et il est venu le temps, je crois, pour les responsables politiques, de parler clairement, franchement, sincèrement. Je ne suis pas venu pour vous dire : "Oui, oui, je continue exactement comme avant, sans différence". J'essaie d'expliquer, devant un dossier extraordinairement difficile, ce que j'essaie de faire. Vous savez, alors, après j'ai bien vu le Parti socialiste faire des remarques, très bien... Quand on a son bilan... Le préfet Bonnet, qu'ils ont nommé - M. Chevènement - a terminé en prison. Franchement, quelle idée de l'Etat ! Quant au préfet Erignac, il a été assassiné. Et son assassin présumé, c'est moi qui ai mis un an pour - avec les services de police - le retrouver ! Honnêtement, je ne leur fais pas de reproches, mais quand on a un bilan pareil, c'est peut-être inutile d'aller donner des leçons aux autres. Il n'y a qu'une seule réaction des responsables d'Etat - s'ils voulaient être à ce niveau - : c'est de serrer les coudes, face à un système mafieux, qui demandera beaucoup d'énergie et beaucoup de courage pour les policiers et les gendarmes qui se trouvent en Corse, et à qui je veux rendre un hommage signalé."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 octobre 2003)