Interview de M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État, à La Chaîne Info LCI, le 4 octobre 2004, sur l'initiative du député Didier Julia pour tenter de faire libérer les otages français d'irak, la volonté d'éviter l'amalgame entre le référendum sur la Constitution européenne et le débat sur l'élargissement de l'UE à la Turquie.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

QUESTION : Membre du Gouvernement, est-ce que vous estimez que le Gouvernement auquel vous appartenez a frisé le ridicule, comme le lui reproche d'ailleurs l'opposition aujourd'hui, dans cette affaire de la libération des otages, en ne décourageant pas l'opération foireuse du député UMP Didier JULIA ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Le Gouvernement - le Premier ministre l'a rappelé hier soir assez fermement - n'a qu'une obsession : obtenir la libération de nos deux compatriotes et de leur accompagnateur syrien.
QUESTION : A cet effet, est-ce qu'il ne fallait pas décourager l'opération JULIA au moment...
Renaud DUTREIL (Réponse) : ...Et il a rappelé [Ndlr : le Premier ministre] que des initiatives privées intempestives, lancées sans coordinations avec le Gouvernement ou avec les autorités sur place, risquaient de compromettre ce processus de libération. C'est exactement ce qui s'est passé. Donc, on voit bien que la règle d'or dans ces opérations extrêmement délicates, c'est d'abord faire confiance au Gouvernement pour conduire les opérations et éviter toute initiative qui risque de compromettre ce travail. On voit bien aujourd'hui à quel point la situation est complexe, délicate et doit être entourée de la plus grande discrétion. Il faut toujours y penser, il faut toujours agir, mais en parler n'est pas forcément un service à rendre à nos deux compatriotes.
QUESTION : Est-ce que cela signifie dans votre esprit que Didier JULIA, député UMP devrait être sanctionné par son parti, par le groupe parlementaire ou par le Gouvernement ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Nous verrons bien quelles sont les initiatives que prendront le groupe et le parti. Le Gouvernement, lui, respecte l'indépendance du Parlement. C'est un parlementaire qui a pris cette initiative et le Gouvernement n'a pas à faire la police à l'intérieur du Parlement, c'est évident.
QUESTION : Mais comme vous êtes également membre de l'UMP, je pose la question pour l'UMP et pour le Parlement.
Renaud DUTREIL (Réponse) : En tant que militant UMP, on ne peut que réprouver ce type d'initiative. Il est évident que sur ce sujet-là, les amateurs n'ont pas leur place. Il faut, au contraire faire confiance à nos diplomates, au ministre des Affaires étrangères qui s'est fortement engagé et continuer sur la ligne qui est la nôtre, c'est-à-dire un pays uni. Je déplore que l'opposition ait tenté d'exploiter cet incident à des fins purement politicienne. Je crois que ce n'est vraiment pas un service à rendre à nos compatriotes. Et puis, également saluer l'attitude des musulmans français qui ont été à la fois très déterminés, très dignes, qui sont engagés dans cette opération. Pour l'instant, la France a montré un visage sérieux, et derrière, une action, qui je l'espère sera couronnée de succès. Mais il ne faudrait pas compromettre ce travail.
QUESTION : Un mot de votre part sur un autre sujet d'actualité, qui est la fameuse possible entrée de la Turquie dans l'Union européenne. D'abord, qu'elle est votre position personnelle ? Est-ce que vous êtes écartelé entre la position du président de la République, favorable à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne et la position de votre parti, qui lui est défavorable ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : J'ai une position qui est très claire : je pense que la France a une responsabilité essentielle au Sud de l'Europe. L'Europe s'est entendue à l'Est, au Nord, mais le Sud existe. Et nous, la France, nous sommes très concernés par ce qui va se passer autour de la Méditerranée. Si nous pouvons élargir le cercle de la laïcité, de la démocratie, de la prospérité, et que l'entrée de la Turquie, après avoir rempli toutes les conditions nécessaires, soit ce nouveau lien avec le Sud, et bien moi, j'en serai extrêmement heureux. Je pense qu'il faut faire aujourd'hui très attention à ne pas entrer tout de suite dans le débat de fond. D'ailleurs, le président de la République a très bien fait. Qu'est-ce qu'il a fait ? Il a dit "il y a une question, qui est : êtes-vous pour la Constitution. Si vous répondez à la question "êtes-vous pour la Constitution", "non, je suis contre l'entrée de la Turquie", il y a contresens sur la question. Donc, il a pris toutes les dispositions nécessaires pour les Français soient consultés à la fois sur la Constitution - c'est le référendum de l'année prochaine - et puis sur la Turquie le moment venu. Voilà qui devrait éviter tout amalgame entre ces deux questions. Je crois que c'est important de le rappeler.
QUESTION : Pour clarifier ce débat et pour éviter les confusions, vous seriez d'accord, comme le souhaite l'opposition, qu'il y ait à l'Assemblée nationale un débat avant le 17 décembre, date à laquelle le président de la République devra prendre la décision d'accepter ou non au Conseil européen le début des négociations sur l'adhésion, donc un débat à l'Assemblée nationale, avec un vote qui serait, en l'occurrence, indicatif.
Renaud DUTREIL (Réponse) : Je crois qu'il ne faut pas mettre la charrue avant les bufs et éviter que l'on entre déjà dans un débat sur l'adhésion de la Turquie, alors qu'aujourd'hui il s'agit simplement de répondre à une autre question, qui est : "sommes-nous pour la Constitution ?".
QUESTION : Est-ce que vous êtes pour qu'il y ait un débat pour dire au président de la République : "oui, commencez, acceptez le début des négociations d'adhésion", ou "non, refusez d'entrer dans cet engrenage".
Renaud DUTREIL (Réponse) : Il y a un processus qui est en cours. Nous verrons quelle sera la décision qui sera prise en décembre.
QUESTION : Donc, pas de débat à l'Assemblée nationale ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Jean-François COPÉ, je crois, a évoqué l'idée d'un débat sans vote à l'Assemblée nationale ; pourquoi pas, mais c'est au Premier ministre de voir quelles sont les meilleures conditions pour que cette question soit traitée. L'essentielle, c'est d'éviter l'amalgame, parce que dans ce cas-là, on va polluer à la fois la question essentielle de la Constitution, et en même temps cette affaire très importante de la Turquie, sur laquelle je ne souhaite pas que l'on se satisfasse de caresser l'opinion dans le sens du poil. C'est très facile d'enfourcher les préjugés sur la Turquie, on le voit bien. Je crois qu'il faut laisser du temps pour aborder cette question après l'affaire de la Constitution, et dans des conditions qui soient apaisées. C'est la Turquie qui va venir à nous en respectant les conditions. Pourra-t-elle respecter ces conditions ? Pour l'instant, on ne le sait pas. Ce sera tout le travail qui va être entrepris par la Commission et par l'Europe.
QUESTION : Parlons rapidement de votre département. D'abord, vous avez repoussé à la fin du mois d'octobre un rendez-vous avec les organisations syndicales pour parler des problèmes salariaux et également de réductions de postes. Pourquoi est-ce que vous reportez toujours à plus tard ? Est-ce parce que vous espérer ne plus être ministre de la Fonction publique dans quelques semaines ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Non, je n'ai rien repoussé du tout. Quand je suis arrivé à cette fonction, j'ai dit : "nous aurons un rendez-vous salarial". Et c'était une bonne nouvelle pour les organisations syndicales, qui réclamaient ce rendez-vous depuis très longtemps. Et j'ai dit, "à l'automne". Vous connaissez les dates d'entrée et de sortie de l'automne.
QUESTION : 22 septembre...
Renaud DUTREIL (Réponse) : Voilà. Nous y sommes et donc, ce rendez-vous aura lieu comme je l'ai indiqué et sans être reporté à l'automne et très probablement, fin octobre-début novembre. Pourquoi, parce qu'à l'heure actuelle, je n'ai pas les données macroéconomiques qui me permettent de faire des propositions sur les rémunérations de l'année 2005 aux organisations syndicales. Et que le Parlement va débattre du projet de loi de finances ce qui me parait être un préalable.
QUESTION : Mais vous connaissez les contours de projet de loi de finances. C'est donc 7188 suppressions de postes et 400000 d'euros de revalorisation catégorielle. Autrement dit, rien qui ne vous permette de donner satisfaction aux organisations syndicales. Autrement dit, si on regarde le budget, vous n'avez aucune marge de manuvre.
Renaud DUTREIL (Réponse) : Vous savez que les négociations salariales, quand elles ont lieu, ont lieu après l'ouverture du débat sur la loi de finances et qu'elles peuvent tout à fait exploiter les marges de manuvre qui existent dans le budget. Donc, c'est la tradition. Le point indiciaire, par exemple, est rarement annoncé dans le projet de loi de finances.
QUESTION : Répondez-moi très vite : acceptez-vous de reconnaître que le pouvoir d'achat des fonctionnaires a baissé de 0,5 % depuis 2000 ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Tout dépend de ce que l'on regarde. Si on regarde un indicateur qui s'appelle le revenu moyen des personnels en place, cela a augmenté de 4 % par an. Si on regarde le point indiciaire, là, je veux bien admettre et je le fais de très bonne grâce, que le point indiciaire a perdu du pouvoir d'achat. On va discuter de tout cela avec les organisations syndicales fin octobre-début novembre...
QUESTION : L'augmentation d'un point indiciaire - 0,1 % -, cela représente un milliard d'euros ; est-ce que vous les aurez ?
Renaud DUTREIL (Réponse) : Ce qui est très important, c'est que ces discussions doivent avoir lieu dans le cadre d'une perspective. C'est la raison pour laquelle j'ai abordé la question des effectifs, ce qu'aucun ministre n'avait jusqu'à présent annoncé. J'ai indiqué que dans les années qui viendraient, soit nous aurions la garantie du pouvoir d'achat, soit nous aurions la garantie des effectifs, que nous ne pourrions pas avoir les deux. J'espère que nous sortirons de cette impasse.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 5 octobre 2004)