Déclaration de M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur la campagne pour l'élection européenne, Aubervilliers le 9 mai 2004.

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Circonstance : Conseil national de l'UMP à Aubervilliers le 9 mai 2004

Texte intégral

Des croix gammées dans le cimetière juif d'Herrlisheim, des inscriptions nazies sur le monument juif de Verdun, une bombe dans une synagogue et cela au moment même où la Pologne, les Etats baltes, la Hongrie, l'ex-Tchécoslovaquie rejoignent l'Union européenne.
Mes amis, mes chers compagnons, deux mondes se chevauchent, se disputent l'avenir. Celui du XXè siècle avec ses ombres encore menaçantes, ses nostalgies, et celui du XXIè siècle avec ses incertitudes mais aussi avec ses promesses. Dans cette dispute historique, notre mouvement a vocation à jouer le rôle de passeur. Nous devons construire la France que nous voulons, pour servir l'organisation du monde que nous souhaitons.
Pour ce faire, nous avons le devoir de mesurer la force des mutations qui sont en cours.
La première est d'ordre stratégique. Le monde est désormais interdépendant et ce qui se passe dans une madrassa de Kaboul, près d'un pipeline de Bakou, dans une centrale nucléaire d'Ukraine, à la Bourse de Pékin, peut avoir une forte influence sur notre pays.
Celui qui sous-estime cette interdépendance et la nécessité d'y répondre, place la France en situation de marginalisation.
La seconde mutation est d'ordre politique et économique. Nous assistons à la fin d'un cycle historique qui a vu nos anciennes puissances industrielles dominer de tout leur poids économique, culturel, militaire, le système international.
Désormais, de nouveaux Etats, dont la Chine et l'Inde, entrent sans complexe dans un jeu dont nous avons pendant plusieurs siècles fixés les règles. Ce temps-là est révolu. Depuis un demi-siècle, la puissance américaine nous a déjà livré un avant-goût de ce que signifiait la présence d'un acteur prédominant. Bientôt ce seront trois, quatre, cinq acteurs de cet ordre, auxquels nous devrons répondre.
Face à cette nouvelle donne, le temps des Nations n'est pas mort, du moins des Nations qui ont choisi de se tenir debout. Plus que jamais nous avons besoin de la France, d'une France fière et parlant haut, d'une France qui se modernise et qui croit en ses atouts et en son avenir.
Cette volonté nationale doit être mise à profit, non pour nier, comme le fait la gauche, les mutations que je viens d'évoquer, non comme le fait l'extrême droite, pour leur opposer une illusoire ligne Maginot, mais pour saisir ces changements, les réguler, les arbitrer à notre profit.
Dans cette perspective, mes chers amis, l'Union européenne est l'alliée évidente de l'ambition française. Il nous faut être animé par un patriotisme ouvert et engagé dans la conduite de l'Union européenne. Un patriotisme hissé au niveau des larges défis du XXIè siècle.
En un mot, il faut un patriotisme éclairé.
Cette élection européenne, certains sont tentés de l'esquiver, certains la craignent, certains redoutent à juste raison la voir dévoyée par nos adversaires pour des raisons tactiques.
Il est vrai que les circonstances ne se prêtent pas à un débat de fond. Il est possible que nous fassions une fois encore, les frais d'une élection détournée de ses véritables objectifs.
Tout me laisse croire que la gauche s'apprête à faire l'une de ses campagnes les plus déloyales qui soit. Elle oubliera tout ce qu'elle a fait de l'Europe et qu'aujourd'hui elle dénonce, sans scrupules. Elle oubliera toutes les directives qu'elle a soutenue et agréé en son temps, comme celle de la libéralisation du secteur des télécommunications, de l'énergie ou des transports. Elle oubliera tout cela et fustigera cependant sans complexe les conséquences économiques de tout cela.
Elle stigmatisera, selon le vocable en vigueur au PS, l'Europe ultra-libérale, pour mieux vanter les mérites d'une Europe socialiste, qu'aucun Etat européen et surtout ceux dirigés par les socialistes, n'appellent de ses voeux. Tony Blair et Gerard Schröder ne courent pas après le projet de François Hollande.
A cet égard, la gauche française est singulière, elle est l'une des plus bruyante d'Europe mais également l'une des moins écoutée de notre continent.
Cette élection ne sera pas aisée car la démagogie y sera sans doute à son aise, qu'importe. Je vous propose d'aborder ce rendez-vous avec passion et avec la hauteur e vue qu'exige le sujet.
Avec passion parce que nous devons être fidèle au formidable événement historique que représente l'élargissement. Oui, l'histoire est bien là, sous nos yeux, dix pays hier emprisonnés, martyrisés, rejoignent pacifiquement et librement notre communauté.
Ne faisons pas la fine bouche, nous avons gagné notre pari contre le totalitarisme, contre cette division idéologique et militaire qui brimait l'unité géographique et militaire de l'Europe.
Dans sa tombe, le Général de Gaulle doit sourire devant cette revanche de l'histoire, qu'il pressentait mais que personne n'envisageait il y a 15 ans à peine.
Oui, avec passion, parce que le monde a besoin de l'Europe et l'Europe a besoin de la France. Devant la puissance américaine et ses funestes erreurs stratégiques, dont on ne dira jamais assez, combien Jacques Chirac a eu raison de les dénoncer, et combien il a eu raison de ne pas y associer notre pays, face au défis planétaires militaires, économiques, sociaux, écologiques, le système international a besoin d'une force d'équilibre et d'expérience. Cette force si nous le voulons, c'est l'Europe.
Avec passion enfin, parce que nos concitoyens attendent que nous leur parlions de politique autrement. L'un des problèmes de notre démocratie, l'une des raisons du zapping électoral que nous subissons depuis 20 ans, l'un des motifs de cette catégorisation électorale si meurtrière pour la République, c'est l'absence d'un horizon politique transcendant l'hexagone, un horizon qui explique pourquoi nous réformons, pour quel but, pour quelle civilisation.
A l'occasion de notre défaite aux régionales, j'ai dit avec franchise, et j'ai cru comprendre que cela m'était reproché, que c'était un 21 avril à l'envers. Je persiste et je signe, quand un pays en l'espace de deux ans est capable d'un revirement aussi brutal, c'est que les desseins stratégiques qui l'animent ne sont plus perçus avec acuité.
Voilà mes chers amis pourquoi il faut profiter de cette élection pour hisser notre ambition modernisatrice à un niveau supérieur, celui de l'Europe de demain. C'est cette passion, cette hauteur de vue que nous devons tenter d'incarner.
Dans cet esprit, je suis heureux de voir qu'au sein de l'UMP la question européenne suscite un débat contradictoire. C'est tout le mérite d'Alain Juppé et de François Baroin de l'avoir organisé.
Ce débat est normal, utile, vital, conformément à notre vocation de rassemblement populaire, il est à l'image des sensibilités qui traversent notre pays. Il doit préfigurer une démocratisation mieux structurée de l'UMP au sein de laquelle républicains, souverainistes et libéraux, doivent pouvoir échanger avec clarté et tolérance.
Aux fédéralistes qui sont parmi nous, je veux amicalement dire que l'Europe élargie est désormais trop panachée pour obéir à des règles uniformes. Mais je veux aussi leur dire qu'une part de leur intuition est juste, l'Union européenne a besoin de clarté institutionnelle.
A mes amis souverainistes, avec lesquels j'ai partagé de nombreuses batailles, comme celle qui nous opposât ensemble au Traite de Maastricht, je veux dire que l'Europe élargie édulcore une partie de leurs craintes, dans cette Europe à 25 et un jour à 30, la politique devrait plus que jamais retrouver ses droits naturels.
La souplesse dans l'action qui épouse les géométries variables et des coopérations renforcées va progressivement devenir réalité. S'il en était autrement, alors l'Union européenne serait condamnée au sur-place. C'est pourquoi je leur dit qu'il ne faut pas confondre le combat d'hier et celui de demain. Noter place est désormais au coeur du fonctionnement de l'Europe, et non dans une posture plus contestataire qu'influente.
Les griefs adressés à la future Constitution européenne ne sont pas tous erronés, je les mesure. Mais soyons sincères, cette constitution, pouvait-il en être autrement, est à l'évidence un compromis. Dans ce compromis institutionnel, il y a des marges de manoeuvre, que nous devrons dans la pratique savoir saisir pour donner un relief plus politique à l'Europe et à ses initiatives.
Cette Europe des grandes priorités économiques, industrielles, scientifiques et militaires, c'est à nous de l'impulser, mais soyons clair, cette volonté européenne ne peut être respectée et convaincante qu'à deux conditions : que notre peuple la soutienne et que la France soit en position de force.
On revient là à la politique nationale, à la nécessité de poursuivre sans faiblesse la modernisation de notre pays, de former notre jeunesse, de libérer son potentiel économique et scientifique, de rétablir l'autorité et la fraternité du pacte républicain.
Nous devons entendre le message à répétition des Français. Celui du 21 avril comme celui des élections régionales.
Oui, les Français ont soif de justice sociale, mais la justice sociale n'est pas la défense des avantages acquis.
Oui, les Français ont soif de cohésion sociale, mais la cohésion sociale n'est pas l'assistance et la protection pour les uns et les impôts et les risques pour les autres.
Oui, nous devons renforcer la cohérence de l'action gouvernementale, tracer plus explicitement les lignes de notre projet national, rassembler les convictions et les talents, mais nous ne devons pas faire la politique de nos adversaires, celle-là même qui a été à l'origine de leur humiliation du 21 avril.
Mes amis, chers compagnons, derrière jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin, nous devons faire bloc, être unis dans l'action mais être aussi ouvert dans notre organisation et divers dans notre réflexion.
Après ces élections régionales, qui ont été pour nous comme un coup de tonnerre, il n'y a pas pour aujourd'hui d'autre voie possible que celle de l'audace intellectuelle et du courage politique.
(Source http://www.u-m-p.org, le 14 mai 2004)