Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur le bilan de son gouvernement, la cohésion de la majorité et le soutien de l'opinion publique et de la presse à la veille de l'élection présidentielle de 1995, à Paris le 10 janvier 1995.

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Circonstance : Présentation des voeux à la presse, Paris le 10 janvier 1995

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, d'abord, je n'ai pas manqué d'être extrêmement sensible, Monsieur le Président, aux voeux que vous avez bien voulu m'adresser et adresser aux miens. Permettez-moi de vous dire aussi à mon tour, tous les souhaits que je forme pour vous-même, pour les vôtres, pour votre famille et tous les souhaits que je forme pour vous tous, Mesdames et Messieurs, en ce début d'année 1995. Sur le plan de vos personnes, sur le plan de vos entourages, sur le plan de votre activité professionnelle. C'est un exercice qui est rituel, mais il peut arriver qu'il ait aussi un contenu, c'est le cas aujourd'hui de votre part j'en suis sûr, et de la mienne j'en suis certain. Vous avez évoqué les conditions de travail des journalistes et de la presse en général, la présence à mes côtés du ministre en charge de la Communication en est d'ailleurs le témoignage, ça a été une préoccupation constante du gouvernement depuis l'origine, nous avons pu obtenir un certain nombre de résultats, je sais qu'il y en a d'autres à obtenir, afin que la presse française se trouve dans des conditions de concurrence et de compétition avec les grands organes de presses étrangères qui lui permettent de relever le défi. Voilà donc que s'ouvre devant nous l'année 1995, mais vous me pardonnerez, Mesdames et Messieurs, vous le comprendrez sûrement, un certain retour sur le point de départ. Pour moi, le point de départ, c'est le mois d'avril 1993. J'ai parfois le sentiment qu'on a un peu oublié ce qu'était la situation de notre pays à l'époque tellement les choses sont présentées aujourd'hui comme allant de soi, faciles et sans efforts. Vous me permettrez quand même de rappeler que notre pays était en récession, que le chômage augmentait de 30000 chaque mois, que l'on prédisait qu'il augmenterait de 400000 en 1994, les organes officiels le prédisaient, je ne parle pas des déclarations politiques, mais des organes officiels et supposés scientifiques. Je vous rappelle que nous étions engagés dans une négociation du GATT qui paraissait extrêmement périlleuse pour notre agriculture et pour notre pays, je vous rappelle que les rapports entre la Justice et l'Etat étaient l'objet de malentendus, pour ne pas dire davantage, permanents. Et que les déficits publics étaient considérables. Lorsqu'on m'a appelé à former le gouvernement, il m'a semblé, que malgré les difficultés, je n'avais pas le droit de me dérober. Même si je ne me dissimulais pas la rudesse de l'effort nécessaire. Et je ne vous cacherai pas qu'il m'est arrivé certains jours d'être extrêmement préoccupé, lorsque mois après mois, les statistiques du chômage montraient que l'inversion que je souhaitais tardait à venir, lors de la crise monétaire, par exemple, de la fin du mois de juillet 1993, où ce dont j'étais convaincu, c'est-à-dire que la France avait le plus grand intérêt à être dans le peloton des nations bien gérées, où ce dont j'étais convaincu risquait d'être menacé. Aujourd'hui, quelle est la situation ? Je m'étais fixé un objectif, que la France aille mieux au bout de deux ans. Va-t-elle mieux ? On peut en discuter, mais enfin, il y a quelques éléments objectifs. La croissance est de retour, personne ne le nie plus, ce qui est discuté c'est de savoir si c'est à cause du gouvernement, soit. La croissance est de retour, le chômage est en voie de stabilisation, j'espère fermement qu'il diminuera l'année prochaine. Les déficits demeurent considérables, mais ils le sont moins qu'ils ne l'étaient et nous sommes dans la bonne direction. Les affaires de la Justice continuent de vous préoccuper, de vous occuper, Mesdames et Messieurs les journalistes, mais je ne crois pas que vous puissiez dire que le gouvernement ait intervenu si peu que ce soit, ou alors, ce serait une singulière preuve de son inefficacité, s'il l'avait fait. Bref, notre pays a repris la bonne direction, c'est encore un début, j'en suis aussi conscient que quiconque. C'est encore insuffisant, je le sais aussi bien que quiconque, mais il me semble que la direction prise est la bonne et que beaucoup de choses ont changé, sans omettre la politique étrangère, où je vous rappelle que dans deux mois, nous allons tenir à Paris une conférence sur le pacte de stabilité qui, je l'espère, et c'est une initiative française que j'ai prise dès le début, marquera l'attachement des pays européens au respect des frontières et des minorités, et je vous rappelle également que la France exerce la présidence de l'Union Européenne et que nous tenterons de faire progresser nos idées, et notamment, de mettre sur pied la rédaction d'un nouveau traité de l'Elysée entre l'Allemagne et la France. Donc, sans céder à l'auto-satisfaction, du moins je l'espère, il me semble que les choses ont pris la bonne direction. Pourquoi ? Pourquoi ? C'est une question qui mérite que l'on se la pose. D'abord, sans doute, parce que l'état du monde s'est quelque peu amélioré, depuis deux ans, il serait absurde de le nier, mais je pense que ce n'est pas la cause unique. Je crois que c'est en raison des changements profonds que nous avons portés, apporté à la société française et des réformes nombreuses qui ont été opérées, dans tous les domaines de la vie collective, économique, sociale, financière, juridique, la justice, l'administration, l'aménagement du territoire, je ne vais pas dérouler devant vous la litanie des changements. Changements dont j'avais donné la liste dans un livre que j'avais écrit en 1992 et que j'avais précisés dans le discours de politique générale que j'avais prononcé devant le Parlement le 8 avril 1993. Reportez-vous à ces deux documents, Mesdames et Messieurs, pointez et vous verrez s'il y a eu un gouvernement plus réformateur dans notre pays depuis de nombreuses dizaines d'années. Donc, je pense que les changements que nous avons faits ont joué leur rôle dans cette évolution. En second lieu, il y a eu la cohésion de la Majorité. Une majorité considérable qui ne pouvait donc pas parler toujours d'une seule voix sur tous les sujets, d'ailleurs, ce n'était pas souhaitable. Moi, par nature et par construction, si je puis dire, je n'aime pas le conformisme. Et je suis toujours reconnaissant que l'on m'apporte une idée et même sous forme de critique, j'aime mieux que cela ne soit pas sous forme de critique, bien entendu, mais enfin, je m'en accommode très bien tout de même. Donc, la Majorité a été cohérente. Et puis le troisième motif pour lequel je pense que les choses ont pu aller dans la bonne direction, c'est que je crois que les Français ont compris notre effort. On peut nier pendant 15 jours, 1 mois ou 2 mois, l'analyse de l'opinion à laquelle vous vous livrez avec tellement de complaisance et que vous sollicitez très volontiers, moi aussi d'ailleurs, soyons honnêtes. Enfin, solliciter, je veux dire souhaiter, il ne faut pas dire qu'on sollicite les résultats. Mais lorsque pendant 20 mois, vous l'avez rappelé monsieur le Président, un gouvernement dispose malgré tout du soutien de la Majorité de la population, cela veut dire, je pense, que ce qu'il fait est compris et soutenu. Soutenu de deux manières et dans deux directions, d'abord, le sens des réformes que nous avons faites et en second lieu, la méthode que nous avons retenue pour faire ces réformes. Une méthode qui est fondée sur le dialogue, sur la concertation, sur l'échange des idées, sur le temps, quand il faut prendre du temps. Sur l'acceptation de l'erreur lorsque l'on s'est trompé, on à toujours le droit de se tromper, bien entendu, il vaut mieux ne pas en abuser, bien entendu, aussi, ce qu'il faut, c'est de ne pas recommencer les mêmes erreurs, c'est-à-dire, savoir en tirer les leçons. Alors, voilà que commence une nouvelle période pour ce gouvernement, dont le terme, vous l'avez rappelé, monsieur le Président, je l'avais rappelé aussi moi-même devant l'Assemblée dont le terme approche, c'est la Constitution qui le fixe, c'est 4 mois, et durant les 4 mois qui restent, le gouvernement va continuer, aussi surprenant que ça puisse paraître, à gouverner. C'est-à-dire, à prendre des décisions. Si vous le voulez bien, j'en citerai quelques-unes unes devant vous, je vais dans les jours qui viennent réunir à nouveau les ministres en charge de répondre aux réponses que la jeunesse a faites au questionnaire que je lui ai adressé, succès considérable que nous n'avons pas le droit de décevoir. Qui aurait prévu que tant et tant de jeunes nous auraient répondu ? Nous allons également, au cours de ces mois qui viennent, faire en sorte que l'engagement collectif que j'ai proposé, qui n'est pas une promesse, je le répète encore une fois, de diminution du chômage de 200000 par an durant 5 ans pour nous mettre à peu près au niveau de nos grands partenaires, que cet engagement soit tenu. La France exerce la présidence de l'Union Européenne et ce matin même, avant de venir vous rejoindre, avec un retard de quelques minutes que je vous demande de bien vouloir me pardonner, je présidais une réunion de 12 ministres français sur la présidence française et les problèmes que cela nous pose, et que cela pose, et j'ai décidé que tous les 8 jours, nous ferions ainsi le point, pour bien marquer que c'est un grand objectif de ce gouvernement que de réussir cette présidence française et de faire avancer l'Europe. Et puis il y a ce qui est imprévu, ce qui s'est passé au moment de Noël, j'espère que pareille épreuve ne nous sera pas à nouveau réservée, mais un gouvernement est en place pour répondre également à ce qui est imprévisible. Mais en même temps, en même temps, va s'ouvrir la campagne présidentielle, vous êtes un peu impatient monsieur le Président, j'ai cru le comprendre, j'ai cru comprendre aussi que vous exprimiez ainsi l'état d'esprit de vos mandants, je ne suis pas inquiet si d'aventure j'avais quelque chose à dire, je suis sûr que vous me ferez l'honneur de revenir me voir. Quoi qu'il en soit, le décor commence à se mettre en place, les acteurs, petit à petit, figurent sur le livret, et la partition est en train de se décider. Je voudrais vous soumettre quelques réflexions à propos de cette campagne présidentielle, réflexions très générales. Tout d'abord, l'on nous explique que se devra être un débat d'idées, je suis tout à fait d'accord, tellement d'accord que j'ai moi-même, depuis un mois, un mois, un mois et demi, je ne sais plus très bien écrit trois articles sur un certain nombre de problèmes de la société française qui visent les relations entre l'Etat et le citoyen, qui visent les relations entre la force économique et la Justice, ou qui concernent l'Europe, je ne prétends pas avoir épuisé les sujets, il y en d'autres que je n'ai pas traités, mais enfin, c'est déjà un élément de ce débat. Et je crois qu'en effet, l'élection présidentielle, qui est l'élection majeure de notre vie nationale, doit être le moyen pour nos compatriotes et l'occasion de choisir l'avenir qu'ils souhaitent à leur pays. J'entends également parler d'un code de bonne conduite, la bonne conduite est plus ou moins spontanée, quand elle ne l'est pas, elle y a tout intérêt à ce qu'elle soit suscitée par un code. A condition qu'il soit respecté bien entendu. Ne nous faisons pas trop d'illusions, mais continuons tout de même à en parler, ça peut aider. Enfin, et surtout, l'élection présidentielle telle que l'a voulue le général de Gaulle. C'est la parole au peuple et le jour de l'élection présidentielle, c'est un jour de grande liberté pour le peuple français, de grande liberté puisqu'il doit choisir en dehors des mots d'ordre de qui que ce soit. Et aussi, de grande responsabilité puisqu'il doit choisir celui auquel dont il pensera à tort ou à raison qu'il est le plus apte à conduire les changements nécessaires dans notre pays. C'est ce qu'a voulu le général de Gaulle et je crois que nous devons, en tout cas, moi je considère que je le dois, rester fidèles à ce message-là. Vous allez-vous aussi, Mesdames et Messieurs, avoir un rôle à jouer dans les mois qui viennent et vous brûlez d'impatience, si j'ai bien compris. Je n'ai pas de recommandations à vous faire ni de voeux à formuler, je suis comme tout le monde, si je puis dire, c'est-à-dire que je ne suis jamais totalement satisfait de toutes les approbations et totalement heureux de toutes les critiques, enfin, les hommes ne sont jamais que des hommes, il n'y a pas lieu de s'en étonner. Vous avez un rôle à jouer parce qu'il vous appartient, dans l'exercice de votre liberté, de votre liberté critique, il vous appartient de faire le tri entre les informations diverses dont vous allez être abreuvés - les commentaires, c'est relativement facile, les informations, ça l'est parfois moins. Et il dépend largement de vous que les mois, que les mois que nous allons vivre soient des mois dignes de notre pays et dignes de la démocratie. Eh bien c'est sur ce voeu que je terminerai ces quelques propos, je souhaite que les mois qui viennent soient dignes de la France et dignes du peuple français, qu'ils permettent aux uns et aux autres, de choisir en toute liberté, en toute intelligence et en toute sincérité. Et puis, pour le reste, faisons confiance à nos compatriotes, Mesdames et Messieurs, encore une fois, bonne année. Merci du soutien que vous avez apporté à mon gouvernement, enfin du soutien parfois critique, mais c'est sans doute mérité. Globalement, je crois que je ne vais pas me plaindre de vous, enfin il ne me semble pas, c'est peut-être le fait que je n'ai pas une nature très exigeante, peut-être suis-je très imprudent de vous dire cela, j'aurai mieux fait d'essayer de vous culpabiliser sans doute, mais je ne suis pas sûr que j'y serai parvenu. Donc, bonne année et merci.