Interview de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, dans "Les Echos" du 18 juillet 2000, sur l'Europe de la recherche, notamment la coopération franco-britannique en matière de synchrotron et de génome humain.

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Texte intégral

Q - Vous prenez la présidence de l'Europe de la recherche. Quelles sont vos priorités ?
R - Nous sommes à mi-chemin dans l'exécution du 5ème programme-cadre de recherche et développement, et la réflexion sur l'élaboration du 6ème PCRD va commencer sous la présidence française. Je souhaite améliorer l'accessibilité aux crédits européens pour les entreprises et les organismes de recherche en allégeant les procédures. Pour le reste, il faut encore améliorer la mobilité des chercheurs et mettre davantage en réseau les actions européennes. Je souhaite aussi la création d'une Académie des sciences européenne qui soit un organisme d'excellence et d'expertise. Ce serait une haute autorité indépendante d'environ 150 membres s'appuyant sur 2.000 experts pouvant conduire des expertises et rendre des avis au Conseil, à la Commission ou au Parlement européen. Je propose aussi la création de maisons de la recherche dans les pays fortement émergents comme l'Inde, le Mexique ou le Brésil, qui seront des vitrines du savoir-faire technologique européen.
Q - Bruxelles souhaite améliorer sa capacité d'intervention scientifique et technologique en se dotant de moyens d'expertise propres. Comment voyez-vous cette évolution ?
R - L'Europe ne va pas faire de la recherche à la place des pays membres, sauf quand elle apporte une claire plus-value ou un financement particulier. Elle doit jouer essentiellement un rôle de coordination. Par exemple dans le domaine des équipements scientifiques ou des infrastructures. On peut aussi envisager que le 6e PCRD apporte des financement au moins en fonctionnement aux grands investissements scientifiques lourds.
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Q - Vous êtes revenu sur la décision de Claude Allègre de construire un synchrotron de troisième génération en Grande-Bretagne. Pour quelles raisons ?
R - Le projet franco-britannique ne permet pas de satisfaire à lui seul toutes les demandes d'accès au rayonnement synchrotron de troisième génération. II est donc nécessaire d'avoir un équipement en France. Ce projet comportera une participation forte de régions ou de collectivités locales et des partenaires étrangers. Probablement la Grande-Bretagne, l'Espagne et peut-être la Belgique. C'est un instrument indispensable pour la physique et la chimie mais aussi pour la biologie. Par exemple, pour la mise au point des médicaments ou des tests de diagnostic qui vont résulter de l'exploitation des connaissances tirées du séquençage du génome humain. La France doit donc disposer comme les autres pays d'un accès à un rayonnement synchrotron de troisième génération. Il existe ou existera 3 équipements de ce type en Suède, 5 en Allemagne, 11 aux Etats Unis et 16 au Japon.
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Q - Comment voyez-vous l'avenir du secteur spatial ?
R - Ariane est un très grand succès commercial, et l'important, c'est que ce lanceur puisse emporter des charges de plus en plus lourdes. Les versions plus puissantes sont indispensables pour faire face à la concurrence américaine, et il faut bétonner cette avance de deux à trois ans que nous avons sur celle-ci. Il faut qu'il y ait un équilibre entre le public et le privé. C'est souvent le secteur public qui fait effet de levier en donnant l'impulsion initiale, et se priver de cette impulsion serait une erreur. Je trouve parfaitement normal que le CNES soit un des actionnaires principaux d'Arianespace.
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Q - Où en est la polémique entre la France et Bruxelles dans le domaine de la brevetabilité du vivant ?
R - La position du gouvernement français est simple. Les données fondamentales issues du séquençage du génome humain doivent être mises dans le domaine public. Tout le monde est d'accord sur ce point : les séquences brutes doivent être versées dans le domaine public. Deuxième règle, on ne peut breveter qu'une véritable invention et non de simples découvertes de ce qui existe à l'état naturel. Troisième règle : définir le niveau d'inventivité à partir duquel on peut déposer un brevet. La réponse française est de dire qu'il faut identifier la fonction d'un gène, et à partir de cette identification, définir concrètement des applications thérapeutiques, diagnostiques ou vaccinales. Il y a un article 5 dans la directive européenne, qui, par sa rédaction, peut paraître un peu ambigu. Nous avons saisi la Commission pour qu'elle apporte des précisions et qu'elle confirme que l'interprétation française est bien la bonne. Si la réponse est positive, et il y a de très bonne chance que ce soit le cas, il n'y aura plus de problème.
Q - Quelle est la nature des divergences avec les Américains ?
R - Il faut rapprocher les pratiques de l'Office européen des brevets et son équivalent américain de manière à aboutir à des critères communs. Pour qu'il y ait brevetabilité, il faut définir l'applicabilité d'une invention biotechnologique et non seulement son utilité, comme le font les Américains. Mais, il ne faut pas non plus surestimer les effets de la brevetabilité, qui n'est pas l'appropriation matérielle ou intellectuelle d'une invention mais seulement un droit d'exploitation. Le brevet n'est pas ce monstre qu'on nous présente parfois. Il a pour avantage de protéger les chercheurs. Etre abusivement contraignant aurait pour conséquence de les démotiver ou de les dissuader.
Q - Le gouvernement britannique a décidé d'endiguer la fuite des cerveaux. Craignez-vous ce phénomène pour la France ?
R - C'est un problème réel, mais plus limité qu'on ne le croit généralement. D'après le dernier rapport du Cereq, seulement 7 % des postdoctorants ne reviendraient pas en France au bout de trois ans. Les Etats-Unis attirent chez eux de nombreux jeunes docteurs formés en Europe. La France ne peut pas devenir un institut de formation de pointe dont les élites dont nous avons financé la formation seraient aspirées par d'autres Etats. Chaque Etat européen doit se prémunir contre ce risque, qui représente une perte de substance et de matière grise. La solution passe par une politique de l'emploi scientifique qui redonne des perspectives aux jeunes chercheurs./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juillet 2000)