Texte intégral
Q - Dans les sondages, les Français semblent défavorables à l'élargissement. Pensez-vous que ce soit justifié ?
R - Par rapport aux citoyens des 14 autres Etats membres actuels de l'Union, nos compatriotes paraissent plutôt réservés concernant le nouvel élargissement de l'Union en 2004 : 34 % d'opinions favorables (contre 47 % en moyenne pour les 15) et 55 % d'opinions défavorables (contre 36 % en moyenne pour les 15), selon l'Eurobaromètre de fin 2003.
La portée historique et politique de ce nouvel élargissement est souvent oubliée. Cet élargissement est inédit par son ampleur (10 Etats membres, 75 millions d'habitants supplémentaires soit +20 % de population pour l'Union européenne), et, suite à la chute du mur de Berlin et l'accession à la démocratie des Etats d'Europe centrale et orientale, est un acte politique fondamental pour l'Europe. Cette situation crée des devoirs à l'Union européenne que nous devons assumer.
Sur le plan économique, cet élargissement représente un processus gagnant-gagnant, dans un marché unique élargi de 450 millions de consommateurs. La France détient déjà une part de marché de 5 % dans les nouveaux Etats membres. Elle y a quadruplé ses ventes depuis dix ans.
Ces nouveaux Etats membres sont engagés dans une dynamique durable de rattrapage économique. La croissance y est évaluée à 5 % en moyenne au cours des prochaines années. Le niveau de vie croît, ce qui se traduit par une demande de consommation à laquelle nos entreprises vont répondre (le niveau de vie moyen par habitant est aujourd'hui de 40 % de celui de l'Union à 15 dans les 10 nouveaux Etats membres). La France peut atteindre 8 à 10 % de part de marché dans ces 10 Etats d'ici 2010.
Les opportunités y sont également fortes dans le domaine des investissements (les infrastructures de transports et l'environnement). Ce sont des secteurs d'activité dans lesquels les entreprises françaises jouissent d'une renommée mondiale. L'Union européenne alloue 22 milliards d'Euros de financements (fonds structurels et fonds de cohésion) à ces grands projets pour la période 2004-2006. La France est déjà le premier investisseur en Pologne et globalement le troisième dans cette zone.
Nous agissons afin de garantir la réussite partagée de ce nouvel élargissement. Nous conduisons depuis deux ans une veille active, en liaison avec les entreprises, sur l'environnement des affaires dans ces 10 pays. Elle permet de l'améliorer, par un dialogue suivi et concret avec nos partenaires et de veiller au respect des engagements pris par ces pays (normes sociales, environnement, subventions...). Des plans d'action commerciale ont été lancés sur les principaux marchés (Pologne, Hongrie, République tchèque).
Q - Quelles seront les conséquences de l'élargissement de l'Union européenne pour le marché du travail ?
R - L'élargissement est le meilleur moyen de stabiliser les citoyens des nouveaux Etats membres dans leur pays en leur offrant des perspectives de rattrapage économique et d'amélioration de leur niveau et de leur mode de vie (PIB par habitant en moyenne de 40 % de celui de l'Union à 15 dans les 10 nouveaux Etats membres de 2004). Un bon exemple en est l'élargissement de la CEE à l'Espagne et au Portugal dans les années 80.
Les flux migratoires prévisionnels sur le marché du travail de l'UE élargie devraient demeurer limités. Selon plusieurs études, reprises notamment par la Fondation Robert Schuman, seulement 150 000 ressortissants des 10 nouveaux adhérents pourraient choisir de s'installer pour raisons professionnelles dans un autre pays de l'Union que le leur. Cette migration concernerait en tout premier lieu l'Allemagne et l'Autriche, pays frontaliers des nouveaux Etats membres.
Les Français n'ont pas de craintes à avoir car une ouverture progressive a été prévue. Les Etats membres de l'Union à 15 peuvent attendre jusqu'à 7 ans à compter du 1er mai 2004 pour ouvrir leur marché du travail aux ressortissants de 8 nouveaux Etats membres (les 10 moins Chypre et Malte). Cette période transitoire se décompose en trois phases (2+3+2 ans), un réexamen intervenant à chacune de ces étapes au vu d'un rapport de la Commission européenne. L'immense majorité des Etats membres de l'UE à 15 souhaite aujourd'hui faire usage de cette possibilité. A noter que des périodes transitoires du même ordre avaient été prévues et appliquées lors des élargissements des années 80 (7 ans pour la Grèce à partir de 1981, 5 ans pour l'Espagne et le Portugal à partir de 1986)
La France a décidé d'appliquer aux travailleurs des 8 nouveaux Etats membres concernés une période transitoire de 5 ans, avec un réexamen 2 ans après l'adhésion. Les ressortissants des nouveaux Etats membres admis sur notre marché du travail pendant cette période bénéficieront, dès le premier jour, de l'ensemble des droits en particulier sociaux prévus par notre législation (principe constitutionnel de l'égalité de traitement).
Q - Si même les services se délocalisent que restera-t-il à terme comme emplois en France ?
R - Se sont surtout les activités à faible valeur ajoutée qui se sont délocalisées. Prenons l'exemple de l'industrie. 80 % des échanges mondiaux portent sur les biens industrialisés. Or la part de l'industrie française dans le PIB reste stable depuis 20 ans. Il n'y a donc pas de désindustrialisation mais des restructurations entre secteurs qu'il faut accompagner économiquement et socialement. C'est le résultat de l'adaptation continue de nos entreprises et d'une productivité horaire parmi les plus élevées du monde.
Les investissements à l'étranger contribuent à la croissance économique et à l'emploi en France. Ces investissements permettent en fait aux entreprises françaises d'être présentes localement sur des marchés qui seraient difficilement accessibles depuis la France.
Les investissements internationaux ne sont pas à sens unique. Si les entreprises françaises ont investi depuis 20 ans à l'étranger, les sociétés étrangères ont aussi massivement investi en France et créé des emplois. Aujourd'hui 16 % des salariés français sont employés par des sociétés étrangères.
Beaucoup d'entreprises françaises sont leaders mondiaux dans des secteurs aussi variés que l'aéronautique, le textile médical, le nautisme, l'équipement pour l'auscultation des rails ou encore le matériel agricole. Plus de la moitié des exportations françaises correspondent à des secteurs où la demande mondiale croît de 20 % par an !
Dans le secteur des services, la France est le quatrième exportateur mondial. Sa position est forte dans les services aux entreprises, les services liés aux infrastructures et le tourisme. L'ouverture mondiale de ces marchés bénéficiera donc aux entreprises françaises et à l'emploi en France si nous savons gérer dans les bassins d'emploi fragiles les restructurations qui se traduiront par des changements d'emplois.
Aujourd'hui, les délocalisations menacent principalement les industries à fort contenu de main-d'oeuvre qui ont quitté la France dans les années 70 à 80. C'est donc les pays à revenus intermédiaires qui sont aujourd'hui principalement affectés par des nouvelles délocalisations vers la Chine (Mexique, Turquie, Maghreb...).
Q - Pensez-vous que nous avons vraiment plus à gagner qu'à perdre avec l'adhésion en mai 2004 des nouveaux Etats membres ? Pouvez-vous anticiper des retombées économiques chiffrées de l'adhésion des 10 nouveaux Etats ?
R - En matière économique, on peut dire que l'élargissement a déjà eu lieu. En effet, les économies des dix nouveaux entrants du 1er mai 2004 se sont largement transformées depuis la chute du mur de Berlin. Ces économies se sont largement ouvertes aux échanges extérieurs, à tel point qu'elles le sont désormais plus que la moyenne de l'UE 15. Et c'est vers l'Union européenne que les échanges de ces pays se sont orientés. En effet, ils réalisent aujourd'hui 62,7 % de leur commerce extérieur (58,6 % de leurs importations et 67,6 % de leurs exportations) avec l'UE 15.
Il faut rappeler que l'Union européenne dispose d'un excédent commercial structurel important sur la zone Elargissement qui s'élève aujourd'hui à 5,2 Mds d'euros (taux de couverture : 105,5). Seules la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie ont un excédent sur l'Union à 15. Les échanges commerciaux de la France avec la zone Elargissement (les dix nouveaux entrants, la Bulgarie et la Roumanie) sont en progression rapide depuis 10 ans.
Quant à la France, entre 1993 et 2003, elle a plus que quadruplé ses exportations à destination de cette région. Parmi les zones émergentes, la zone Elargissement a ainsi été celle où les exportations françaises ont le plus progressé en 2002 et 2003. Les exportations françaises dépassent désormais 12 Mds d'euros par an (3 % de notre commerce extérieur). Parallèlement, le développement moins rapide des importations a permis à la France de dégager un excédent commercial croissant avec ces pays de 2,42 Mds d'euros en 2002 et de 2,35 Mds d'euros en 2003, contre moins de 600 M d'euros en 1994. Les investissements directs en provenance de l'UE 15 ont joué un rôle majeur dans la transition des économies des pays candidats.
La rapidité des transformations que ces pays ont connues depuis une dizaine d'années a en effet été favorisée par des afflux massifs d'IDE, en majorité en provenance de l'Europe de l'Ouest.
En définitive, l'adhésion effective des 10 nouveaux membres, symbolique sur le plan politique, n'emporte en elle-même peu de conséquence économique. Nous avons d'ores en déjà plus gagné que perdu dans notre intégration avec cette zone, ne serait-ce que parce la croissance y a été, toutes ces dernières années, nettement plus forte que chez nous.
En revanche, l'adhésion aura, d'un point de vue économique, deux vertus majeures :
- la sécurisation juridique des contrats et des implantations des entreprises (résultant des négociations d'adhésion, qui alignent les législations nationales des nouveaux membres sur l'acquis communautaire)
- la dynamique de convergence, qui conduit ces pays à un " rattrapage " rapide, dont il appartiendra aux entreprises françaises de tirer le meilleur profit.
Q - Quelle est notre part de marché dans les pays de l'élargissement, et en particulier en Pologne et en Hongrie ?
R - La part moyenne de la France sur les marchés des nouveaux entrants est de 5,3 %.
La France est correctement positionnée en Pologne (6,0 %), le plus grand marché de la zone.
Sur les trois autres principaux marchés (Hongrie, République tchèque et Slovaquie), la part de marché française se situe dans une fourchette étroite entre 4,2 % et 4,6 %.
En revanche, la France est moins bien placée dans les Etats baltes.
Quant à la situation de la Slovénie et de Malte, où les parts de marché de la France sont élevées (respectivement 7,9 % et 12,7 % en 2002), elles relèvent d'une logique particulière, celle des flux intra-firme. L'implantation de Renault en Slovénie et celle de ST Microelectronics à Malte expliquent en effet à elles seules respectivement la moitié et les trois quarts des exportations françaises vers ces deux pays.
Bien que non négligeable, la part de marché de la France est sensiblement inférieure à sa part dans l'Union européenne (9,9 %). Même en tenant compte de la distance géographique et de l'absence de frontière commune, les échanges actuels entre la France et la zone Elargissement sont inférieurs à leur potentiel estimé à partir des relations intra Union européenne et aux parts de marché acquises par ses principaux concurrents dans cette zone, notamment l'Allemagne (25,1 %) et l'Italie (6,8 %).
Q - Quels sont les secteurs qui exportent dans cette zone ? Quels sont les secteurs qui seront les plus dynamisés par cette ouverture et quels sont ceux qui risquent de souffrir ?
R - Les échanges de la France avec les pays candidats en 2003 ont été dominés par l'industrie (94 % du total), et plus précisément par les biens intermédiaires, les biens de consommation et les biens d'équipement.
Les excédents commerciaux de la France sont les plus importants dans l'industrie automobile et le secteur des biens intermédiaires.
A l'inverse, dans le secteur des biens de consommation (vêtements, meubles, bois) nous subissons un déficit commercial de 515 M d'euros en 2003 avec les 10 nouveaux entrants. En contraste avec la structure globale des échanges commerciaux français, l'agroalimentaire ne représente qu'une faible part relative de nos échanges avec les pays candidats.
C'est certainement des secteurs de biens de consommation, et notamment de l'agroalimentaire, qu'il faut attendre le plus de dynamisme dans les échanges avec les pays de la zone, du fait du processus de rattrapage déjà en oeuvre.
Q - Pensez-vous que l'élargissement européen va encourager les entreprises françaises à localiser leur production dans les PECO au détriment des pays d'Afrique du Nord ?
R - Une réorientation géographique des investissements sortants de l'UE au détriment des pays de la périphérie de l'Union Européenne, tels que le Maroc, la Tunisie et les autres pays candidats non retenus et au profit des PECO, s'est en effet produite dans un passé récent.
En 1995, les pays méditerranéens et les PECO avaient chacun accumulé un stock d'IDE de 35 milliards de dollars. Cinq ans plus tard, les montants cumulés étaient respectivement de 80 et 120 milliards de dollars.
Néanmoins, si les coûts unitaires de travail sont effectivement nettement moins élevés dans les pays de l'élargissement que dans l'UE 15, les salaires y augmentent régulièrement, dans un contexte où la réglementation du travail et la fiscalité ne sont pas fondamentalement différentes de celles de l'Union à 15.
D'ailleurs des déplacements d'activité au départ de la Hongrie ou de la Pologne vers les pays plus à l'Est où la main d'oeuvre est encore moins chère (Ukraine, Roumanie) commencent à apparaître.
La recherche du coût salarial le plus bas ne conduira donc pas, à moyen terme, à privilégier les nouveaux entrants.
Q - Comment expliquer notre retard sur les Allemands et sur les Italiens ? Qu'exportent les PME allemandes et italiennes dans les PECO ?
R - Dans le cas de l'Allemagne, la proximité géographique joue sans doute un rôle important. Néanmoins, l'évaluation des potentiels de croissance du commerce entre les dix pays " en rattrapage " et les pays de l'Union européenne à 15 montre que les exportations de la France à destination de cette région atteignent seulement un peu plus de 60 % de leur niveau potentiel.
Parmi les autres pays de l'UE, l'Autriche et l'Italie font mieux que la France puisque ces pays se situent à un niveau proche ou supérieur à 80 % de leur potentiel à l'exportation.
Deux facteurs explicatifs à notre " retard " sur l'Allemagne et l'Italie peuvent être avancés :
- la moindre implication des PME françaises dans les flux commerciaux et d'investissement (par rapport aux grandes entreprises). Les PME allemandes et italiennes se sont, dès le début de la transition, implantées dans ces créneaux étroits (" niches ") de marché desquels les PME françaises sont longtemps restées absentes. Ce phénomène est observable dans la majorité des secteurs de l'industrie légère ;
- la plus forte part des services dans les IDE français vers cette zone qui engendre moins d'échanges commerciaux qu'un investissement industriel (flux commerciaux durables comme l'approvisionnement des usines).
En effet, les grands investissements tertiaires (télécom, traitement des eaux, banque) peuvent engendrer, au moment de la réalisation de l'investissement, un flux commercial correspondant à la construction ou à la modernisation d'équipements.
La comparaison avec l'Allemagne permet également de remarquer que, en corollaire à ce qui précède, l'Allemagne est plus touchée que la France par les délocalisations (V. question suivante).
Q - Quel est le montant de nos investissements dans ces pays ? Dans quels domaines les français investissent-ils ? Ces investissements reflètent-ils des délocalisations ?
R - En forte croissance depuis le milieu des années 90, les investissements directs français dans la zone Elargissement ont connu leur apogée en 2000 et 2001 avec respectivement 4,9 Md d'euros et 4,6 Md d'euros. La part des investissements français dans la zone est passée de 4,6 % en 1998 à plus de 20 % en 2001.
Cependant, la progression régulière des flux d'IDE français à destination des 12 pays de la zone s'est notablement enrayée en 2002. Dans un contexte où les IDE français diminuent de près de 40 % entre 2001 et 2002, ceux à destination des 12 pays candidats chutent en effet de 4643 M d'euros en 2001 à 1 802 M d'euros en 2002, soit une baisse relative d'environ 60 %.
L'exemple le plus marquant est sans doute la Pologne, qui voit le flux d'investissements français entrant s'inverser, passant de 2,4 Mds d'euros en 2001 à un désinvestissement de 9 M d'euros en 2002.
Le ralentissement brutal qu'ont connu les flux d'investissements français dans la zone d'élargissement de l'UE suit en fait une dynamique générale, que l'on peut illustrer par l'évolution des flux d'IDE à destination de l'UE 15, qui représentent 57,4 % des flux d'IDE sortant de France, et chutent de près de 45 % entre 2001 et 2002.
Les IDE français sont majoritairement tournés vers les services. Les IDE dans les services marchands représentent dans la zone près de 75 % du stock total d'investissement français. Si l'on compare la répartition sectorielle des IDE français au total des IDE reçus par chaque pays, on constate que les entreprises françaises ont davantage investi dans les services que leurs concurrentes, notamment en Pologne, en République tchèque et en Slovaquie.
Les secteurs de services les plus porteurs pour les investissements français dans la zone sont le BTP, l'environnement, notamment le traitement et la distribution d'eau, la banque, avec l'implantation de grands réseaux bancaires français en banque d'affaires et en banque de détail, la grande distribution (les chaînes françaises d'hypermarchés sont toutes présentes dans la zone), les télécommunications. Le poids des opérations de privatisation dans ces investissements tertiaires a été important, et le ralentissement du rythme de ces opérations à partir de 2002 est un facteur explicatif de la baisse des IDE français vers la zone.
Cette orientation vers les services explique que les investissements français de délocalisation sont très minoritaires vers la zone Elargissement. La grande majorité des opérations d'IDE a en effet visé, notamment au travers des privatisations, à conquérir des marchés dans ces pays, et non à y transférer des activités auparavant réalisées en France.
Dans le secteur secondaire, les implantations françaises les plus importantes se situent dans des secteurs dynamiques, créateurs d'emplois en France, dont les exportations vers la zone ont augmenté en même temps qu'elles y réalisaient des IDE. En d'autres termes, les IDE sont davantage complémentaires que substitutifs des échanges commerciaux. Ils reflètent une intégration économique croissante entre la France et les pays de la zone, qui prend simultanément la forme d'échanges commerciaux et de flux d'investissement direct. Et même si une partie des implantations s'effectue dans le cadre d'une sous-traitance en vue de réexportation, comme dans le textile, les métiers du bois ou encore la fabrication de composants pour l'industrie automobile, elle n'en représente qu'une fraction très minoritaire.
Q - Les produits agroalimentaires issus ou en transit dans l'un de ces nouveaux Etats-membres (notamment dans les pays baltes) seront-ils soumis aux mêmes exigences de sécurité alimentaire qu'en Europe occidentale ?
R - A l'approche de l'adhésion, la Commission européenne a intensifié son travail de contrôle de la reprise de l'acquis. En matière de sécurité alimentaire, les négociations avaient abouti à dresser une liste d'établissements (laiteries, abattoirs, etc.) que les nouveaux membres s'étaient engagés à mettre aux normes sanitaires européennes.
Ces derniers mois, voire ces dernières semaines, de nombreuses restructurations ont eu lieu dans ce secteur, qui amènent la Commission à modifier la liste initialement établie par les nouveaux membres.
Des inspecteurs de l'OAV se sont rendus dans les établissements en question pour vérifier la qualité des contrôles de mise à niveau effectuée par les organismes de contrôles nationaux. A partir du 1er mai, la Commission, éventuellement alertée par les Etats membres, peut faire fermer les établissements qui ne seraient pas à niveau.
Les Etats baltes ont été identifiés comme posant des problèmes à deux niveaux :
- insuffisance du dispositif de contrôle des maladies, notamment en matière de maladie de la pomme de terre : la France reste vigilante et se réserve le droit de demander à la Commission de prendre des mesures restrictives si ces difficultés perduraient après le 1er mai ;
- persistance de méthodes consistant à brûler ou à enterrer des animaux d'élevage : la Lettonie a reçu un avertissement de la Commission sur ce sujet, et risque également des mesures de rétorsion en cas de non conformité.
En tout état de cause, la France est extrêmement vigilante sur le sujet de la sécurité alimentaire, qui est une de ses principales préoccupations concernant cet élargissement.
Elle n'hésitera pas à informer l'ensemble des Etats membres des difficultés rencontrées, ainsi que cela a été suggéré au COREPER du 1er avril 2004, afin que l'échange d'information puisse conduire la Commission à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des consommateurs.
Notons que les actions entreprises au titre de la sécurité alimentaire relèveront de l'objectif de protection des citoyens, et non de la PAC.
Q - Quels sont vos objectifs chiffrés en matière de relations commerciales avec certains pays-clés de cette zone (PDM, croissance de nos échanges, investissements ; objectifs sectoriels) ?
R - L'objectif est clairement d'amener progressivement la France à sa part de marché potentielle, estimée à 10 %, qui est également sa part de marché dans l'UE à 15.
Pour y arriver, il s'agit avant tout d'orienter les entreprises françaises vers les principales opportunités d'affaires que dégage cette zone.
Ces opportunités sont liées à trois processus :
* Le rattrapage des modes de vie
Dans de nombreux secteurs de consommation, l'écart est encore grand entre les modes de consommation des pays de l'élargissement et les pays de l'UE 15, même si le rattrapage est déjà à l'uvre depuis quelques années. C'est l'accès de tranches de population de plus en plus nombreuses à ces biens qui est en jeu, et qui offre de réelles perspectives aux entreprises.
Quelques secteurs sont particulièrement concernés par ce phénomène :
- les biens alimentaires transformés, pour lesquels la part de marché française peut indéniablement être améliorée ;
- le textile-habillement, notamment dans les gammes moyenne et supérieure du prêt à porter ;
- les biens d'équipement du foyer, la décoration, le bricolage-jardinage ;
- les produits cosmétiques ;
- les biens liés aux technologies de l'information et de la communication, les services aux particuliers (grandes surfaces, loisirs, tourisme par exemple).
* La mise à niveau des infrastructures
Dans le domaine de la mise à niveau des infrastructures, des besoins se manifesteront encore pendant de nombreuses années, auxquels les investisseurs et les exportateurs étrangers seront les plus à même de répondre.
* Le développement industriel de la zone :
Dans de multiples secteurs industriels, les besoins industriels des économies de la zone Elargissement constituent des opportunités pour les exportateurs français :
- biens d'équipement des entreprises : matériels pour les industries agricoles et agroalimentaires, matériels de transport, équipements électrique et électronique, équipements de stockage-logistique ;
- biens intermédiaires pour les infrastructures industrielles : matériaux de second oeuvre, matériels d'isolation, chauffage, climatisation,
- biens intermédiaires pour la production industrielle : plasturgie, emballage, composants pour l'industrie automobile, métallurgie de pointe.
Q - Quels sont vos moyens d'action pour augmenter la présence d'entreprises françaises et de produits français dans les PECO ? Sur quoi misez-vous ?
R - Nous préparons l'élargissement depuis plus de deux ans. Cette préparation s'est faite en étroite concertation avec les entreprises françaises, grands groupes ou PME, ainsi qu'avec les fédérations professionnelles, le réseau des chambres de commerce et d'industrie, la CGPME, le Medef...
Nous sommes intervenus (avec la DREE) dans l'ensemble de la France et nous nous sommes également déplacés " sur le terrain " avec les acteurs concernés.
Nous avons multiplié les actions d'information et de sensibilisation dans les régions.
Je me suis rendu dans chacun des pays candidats, parfois à plusieurs reprises, accompagné d'importantes délégations d'entreprises françaises composées majoritairement de PME (plus d'une centaine au total).
Des plans d'action commerciale ont été lancés sur les principaux marchés des nouveaux Etats membres (Hongrie, Pologne, République tchèque), qui font partie des 25 pays prioritaires de notre commerce extérieur.
Ils comportent des actions nouvelles ou renforcées de prospection, d'information et de soutien aux exportateurs (notamment les PME via le parrainage, VIE, portage, l'aide aux partenariats concrets) afin de faire de ces pays le marché naturel de nos PME.
Ces plans d'action font un diagnostic qualitatif et quantitatif de la présence française (investissements + importations) dans le pays-cible. Ils permettent d'identifier les potentiels de croissance qui existent pour les entreprises françaises. Quand on sait que, par exemple, seules 280 entreprises françaises sont présentes en Hongrie contre environ 3000 allemandes, l'action prioritaire à mener est de sensibiliser grands groupes et PME français au dynamisme hongrois, de leur faciliter l'accès à ce marché mais également de renforcer l'information en Hongrie sur l'offre française !
Le développement des partenariats public-privé est encouragé et fait l'objet d'une forte promotion tant auprès de la Commission européenne que des gouvernements des nouveaux Etats membres. Ce cadre de conduite de projet doit permettre une consommation efficace des financements européens pour les grands projets
L'action de veille active sur l'évolution de l'environnement des affaires dans les pays de l'élargissement, engagée depuis deux ans déjà, va se poursuivre de manière évolutive. Cette action repose sur le réseau des missions économiques auprès de nos ambassades, en liaison avec les entreprises françaises. Elle a permis de favoriser les évolutions souhaitables des textes et des pratiques qui constituent le cadre de l'activité quotidienne de nos entreprises sur ces marchés.
Cependant, on doit avant tout miser sur le dynamisme des entreprises pour accroître la présence de la France dans la zone.
(Source http://www.europe.gouv.fr, le 18 octobre 2004)
R - Par rapport aux citoyens des 14 autres Etats membres actuels de l'Union, nos compatriotes paraissent plutôt réservés concernant le nouvel élargissement de l'Union en 2004 : 34 % d'opinions favorables (contre 47 % en moyenne pour les 15) et 55 % d'opinions défavorables (contre 36 % en moyenne pour les 15), selon l'Eurobaromètre de fin 2003.
La portée historique et politique de ce nouvel élargissement est souvent oubliée. Cet élargissement est inédit par son ampleur (10 Etats membres, 75 millions d'habitants supplémentaires soit +20 % de population pour l'Union européenne), et, suite à la chute du mur de Berlin et l'accession à la démocratie des Etats d'Europe centrale et orientale, est un acte politique fondamental pour l'Europe. Cette situation crée des devoirs à l'Union européenne que nous devons assumer.
Sur le plan économique, cet élargissement représente un processus gagnant-gagnant, dans un marché unique élargi de 450 millions de consommateurs. La France détient déjà une part de marché de 5 % dans les nouveaux Etats membres. Elle y a quadruplé ses ventes depuis dix ans.
Ces nouveaux Etats membres sont engagés dans une dynamique durable de rattrapage économique. La croissance y est évaluée à 5 % en moyenne au cours des prochaines années. Le niveau de vie croît, ce qui se traduit par une demande de consommation à laquelle nos entreprises vont répondre (le niveau de vie moyen par habitant est aujourd'hui de 40 % de celui de l'Union à 15 dans les 10 nouveaux Etats membres). La France peut atteindre 8 à 10 % de part de marché dans ces 10 Etats d'ici 2010.
Les opportunités y sont également fortes dans le domaine des investissements (les infrastructures de transports et l'environnement). Ce sont des secteurs d'activité dans lesquels les entreprises françaises jouissent d'une renommée mondiale. L'Union européenne alloue 22 milliards d'Euros de financements (fonds structurels et fonds de cohésion) à ces grands projets pour la période 2004-2006. La France est déjà le premier investisseur en Pologne et globalement le troisième dans cette zone.
Nous agissons afin de garantir la réussite partagée de ce nouvel élargissement. Nous conduisons depuis deux ans une veille active, en liaison avec les entreprises, sur l'environnement des affaires dans ces 10 pays. Elle permet de l'améliorer, par un dialogue suivi et concret avec nos partenaires et de veiller au respect des engagements pris par ces pays (normes sociales, environnement, subventions...). Des plans d'action commerciale ont été lancés sur les principaux marchés (Pologne, Hongrie, République tchèque).
Q - Quelles seront les conséquences de l'élargissement de l'Union européenne pour le marché du travail ?
R - L'élargissement est le meilleur moyen de stabiliser les citoyens des nouveaux Etats membres dans leur pays en leur offrant des perspectives de rattrapage économique et d'amélioration de leur niveau et de leur mode de vie (PIB par habitant en moyenne de 40 % de celui de l'Union à 15 dans les 10 nouveaux Etats membres de 2004). Un bon exemple en est l'élargissement de la CEE à l'Espagne et au Portugal dans les années 80.
Les flux migratoires prévisionnels sur le marché du travail de l'UE élargie devraient demeurer limités. Selon plusieurs études, reprises notamment par la Fondation Robert Schuman, seulement 150 000 ressortissants des 10 nouveaux adhérents pourraient choisir de s'installer pour raisons professionnelles dans un autre pays de l'Union que le leur. Cette migration concernerait en tout premier lieu l'Allemagne et l'Autriche, pays frontaliers des nouveaux Etats membres.
Les Français n'ont pas de craintes à avoir car une ouverture progressive a été prévue. Les Etats membres de l'Union à 15 peuvent attendre jusqu'à 7 ans à compter du 1er mai 2004 pour ouvrir leur marché du travail aux ressortissants de 8 nouveaux Etats membres (les 10 moins Chypre et Malte). Cette période transitoire se décompose en trois phases (2+3+2 ans), un réexamen intervenant à chacune de ces étapes au vu d'un rapport de la Commission européenne. L'immense majorité des Etats membres de l'UE à 15 souhaite aujourd'hui faire usage de cette possibilité. A noter que des périodes transitoires du même ordre avaient été prévues et appliquées lors des élargissements des années 80 (7 ans pour la Grèce à partir de 1981, 5 ans pour l'Espagne et le Portugal à partir de 1986)
La France a décidé d'appliquer aux travailleurs des 8 nouveaux Etats membres concernés une période transitoire de 5 ans, avec un réexamen 2 ans après l'adhésion. Les ressortissants des nouveaux Etats membres admis sur notre marché du travail pendant cette période bénéficieront, dès le premier jour, de l'ensemble des droits en particulier sociaux prévus par notre législation (principe constitutionnel de l'égalité de traitement).
Q - Si même les services se délocalisent que restera-t-il à terme comme emplois en France ?
R - Se sont surtout les activités à faible valeur ajoutée qui se sont délocalisées. Prenons l'exemple de l'industrie. 80 % des échanges mondiaux portent sur les biens industrialisés. Or la part de l'industrie française dans le PIB reste stable depuis 20 ans. Il n'y a donc pas de désindustrialisation mais des restructurations entre secteurs qu'il faut accompagner économiquement et socialement. C'est le résultat de l'adaptation continue de nos entreprises et d'une productivité horaire parmi les plus élevées du monde.
Les investissements à l'étranger contribuent à la croissance économique et à l'emploi en France. Ces investissements permettent en fait aux entreprises françaises d'être présentes localement sur des marchés qui seraient difficilement accessibles depuis la France.
Les investissements internationaux ne sont pas à sens unique. Si les entreprises françaises ont investi depuis 20 ans à l'étranger, les sociétés étrangères ont aussi massivement investi en France et créé des emplois. Aujourd'hui 16 % des salariés français sont employés par des sociétés étrangères.
Beaucoup d'entreprises françaises sont leaders mondiaux dans des secteurs aussi variés que l'aéronautique, le textile médical, le nautisme, l'équipement pour l'auscultation des rails ou encore le matériel agricole. Plus de la moitié des exportations françaises correspondent à des secteurs où la demande mondiale croît de 20 % par an !
Dans le secteur des services, la France est le quatrième exportateur mondial. Sa position est forte dans les services aux entreprises, les services liés aux infrastructures et le tourisme. L'ouverture mondiale de ces marchés bénéficiera donc aux entreprises françaises et à l'emploi en France si nous savons gérer dans les bassins d'emploi fragiles les restructurations qui se traduiront par des changements d'emplois.
Aujourd'hui, les délocalisations menacent principalement les industries à fort contenu de main-d'oeuvre qui ont quitté la France dans les années 70 à 80. C'est donc les pays à revenus intermédiaires qui sont aujourd'hui principalement affectés par des nouvelles délocalisations vers la Chine (Mexique, Turquie, Maghreb...).
Q - Pensez-vous que nous avons vraiment plus à gagner qu'à perdre avec l'adhésion en mai 2004 des nouveaux Etats membres ? Pouvez-vous anticiper des retombées économiques chiffrées de l'adhésion des 10 nouveaux Etats ?
R - En matière économique, on peut dire que l'élargissement a déjà eu lieu. En effet, les économies des dix nouveaux entrants du 1er mai 2004 se sont largement transformées depuis la chute du mur de Berlin. Ces économies se sont largement ouvertes aux échanges extérieurs, à tel point qu'elles le sont désormais plus que la moyenne de l'UE 15. Et c'est vers l'Union européenne que les échanges de ces pays se sont orientés. En effet, ils réalisent aujourd'hui 62,7 % de leur commerce extérieur (58,6 % de leurs importations et 67,6 % de leurs exportations) avec l'UE 15.
Il faut rappeler que l'Union européenne dispose d'un excédent commercial structurel important sur la zone Elargissement qui s'élève aujourd'hui à 5,2 Mds d'euros (taux de couverture : 105,5). Seules la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie ont un excédent sur l'Union à 15. Les échanges commerciaux de la France avec la zone Elargissement (les dix nouveaux entrants, la Bulgarie et la Roumanie) sont en progression rapide depuis 10 ans.
Quant à la France, entre 1993 et 2003, elle a plus que quadruplé ses exportations à destination de cette région. Parmi les zones émergentes, la zone Elargissement a ainsi été celle où les exportations françaises ont le plus progressé en 2002 et 2003. Les exportations françaises dépassent désormais 12 Mds d'euros par an (3 % de notre commerce extérieur). Parallèlement, le développement moins rapide des importations a permis à la France de dégager un excédent commercial croissant avec ces pays de 2,42 Mds d'euros en 2002 et de 2,35 Mds d'euros en 2003, contre moins de 600 M d'euros en 1994. Les investissements directs en provenance de l'UE 15 ont joué un rôle majeur dans la transition des économies des pays candidats.
La rapidité des transformations que ces pays ont connues depuis une dizaine d'années a en effet été favorisée par des afflux massifs d'IDE, en majorité en provenance de l'Europe de l'Ouest.
En définitive, l'adhésion effective des 10 nouveaux membres, symbolique sur le plan politique, n'emporte en elle-même peu de conséquence économique. Nous avons d'ores en déjà plus gagné que perdu dans notre intégration avec cette zone, ne serait-ce que parce la croissance y a été, toutes ces dernières années, nettement plus forte que chez nous.
En revanche, l'adhésion aura, d'un point de vue économique, deux vertus majeures :
- la sécurisation juridique des contrats et des implantations des entreprises (résultant des négociations d'adhésion, qui alignent les législations nationales des nouveaux membres sur l'acquis communautaire)
- la dynamique de convergence, qui conduit ces pays à un " rattrapage " rapide, dont il appartiendra aux entreprises françaises de tirer le meilleur profit.
Q - Quelle est notre part de marché dans les pays de l'élargissement, et en particulier en Pologne et en Hongrie ?
R - La part moyenne de la France sur les marchés des nouveaux entrants est de 5,3 %.
La France est correctement positionnée en Pologne (6,0 %), le plus grand marché de la zone.
Sur les trois autres principaux marchés (Hongrie, République tchèque et Slovaquie), la part de marché française se situe dans une fourchette étroite entre 4,2 % et 4,6 %.
En revanche, la France est moins bien placée dans les Etats baltes.
Quant à la situation de la Slovénie et de Malte, où les parts de marché de la France sont élevées (respectivement 7,9 % et 12,7 % en 2002), elles relèvent d'une logique particulière, celle des flux intra-firme. L'implantation de Renault en Slovénie et celle de ST Microelectronics à Malte expliquent en effet à elles seules respectivement la moitié et les trois quarts des exportations françaises vers ces deux pays.
Bien que non négligeable, la part de marché de la France est sensiblement inférieure à sa part dans l'Union européenne (9,9 %). Même en tenant compte de la distance géographique et de l'absence de frontière commune, les échanges actuels entre la France et la zone Elargissement sont inférieurs à leur potentiel estimé à partir des relations intra Union européenne et aux parts de marché acquises par ses principaux concurrents dans cette zone, notamment l'Allemagne (25,1 %) et l'Italie (6,8 %).
Q - Quels sont les secteurs qui exportent dans cette zone ? Quels sont les secteurs qui seront les plus dynamisés par cette ouverture et quels sont ceux qui risquent de souffrir ?
R - Les échanges de la France avec les pays candidats en 2003 ont été dominés par l'industrie (94 % du total), et plus précisément par les biens intermédiaires, les biens de consommation et les biens d'équipement.
Les excédents commerciaux de la France sont les plus importants dans l'industrie automobile et le secteur des biens intermédiaires.
A l'inverse, dans le secteur des biens de consommation (vêtements, meubles, bois) nous subissons un déficit commercial de 515 M d'euros en 2003 avec les 10 nouveaux entrants. En contraste avec la structure globale des échanges commerciaux français, l'agroalimentaire ne représente qu'une faible part relative de nos échanges avec les pays candidats.
C'est certainement des secteurs de biens de consommation, et notamment de l'agroalimentaire, qu'il faut attendre le plus de dynamisme dans les échanges avec les pays de la zone, du fait du processus de rattrapage déjà en oeuvre.
Q - Pensez-vous que l'élargissement européen va encourager les entreprises françaises à localiser leur production dans les PECO au détriment des pays d'Afrique du Nord ?
R - Une réorientation géographique des investissements sortants de l'UE au détriment des pays de la périphérie de l'Union Européenne, tels que le Maroc, la Tunisie et les autres pays candidats non retenus et au profit des PECO, s'est en effet produite dans un passé récent.
En 1995, les pays méditerranéens et les PECO avaient chacun accumulé un stock d'IDE de 35 milliards de dollars. Cinq ans plus tard, les montants cumulés étaient respectivement de 80 et 120 milliards de dollars.
Néanmoins, si les coûts unitaires de travail sont effectivement nettement moins élevés dans les pays de l'élargissement que dans l'UE 15, les salaires y augmentent régulièrement, dans un contexte où la réglementation du travail et la fiscalité ne sont pas fondamentalement différentes de celles de l'Union à 15.
D'ailleurs des déplacements d'activité au départ de la Hongrie ou de la Pologne vers les pays plus à l'Est où la main d'oeuvre est encore moins chère (Ukraine, Roumanie) commencent à apparaître.
La recherche du coût salarial le plus bas ne conduira donc pas, à moyen terme, à privilégier les nouveaux entrants.
Q - Comment expliquer notre retard sur les Allemands et sur les Italiens ? Qu'exportent les PME allemandes et italiennes dans les PECO ?
R - Dans le cas de l'Allemagne, la proximité géographique joue sans doute un rôle important. Néanmoins, l'évaluation des potentiels de croissance du commerce entre les dix pays " en rattrapage " et les pays de l'Union européenne à 15 montre que les exportations de la France à destination de cette région atteignent seulement un peu plus de 60 % de leur niveau potentiel.
Parmi les autres pays de l'UE, l'Autriche et l'Italie font mieux que la France puisque ces pays se situent à un niveau proche ou supérieur à 80 % de leur potentiel à l'exportation.
Deux facteurs explicatifs à notre " retard " sur l'Allemagne et l'Italie peuvent être avancés :
- la moindre implication des PME françaises dans les flux commerciaux et d'investissement (par rapport aux grandes entreprises). Les PME allemandes et italiennes se sont, dès le début de la transition, implantées dans ces créneaux étroits (" niches ") de marché desquels les PME françaises sont longtemps restées absentes. Ce phénomène est observable dans la majorité des secteurs de l'industrie légère ;
- la plus forte part des services dans les IDE français vers cette zone qui engendre moins d'échanges commerciaux qu'un investissement industriel (flux commerciaux durables comme l'approvisionnement des usines).
En effet, les grands investissements tertiaires (télécom, traitement des eaux, banque) peuvent engendrer, au moment de la réalisation de l'investissement, un flux commercial correspondant à la construction ou à la modernisation d'équipements.
La comparaison avec l'Allemagne permet également de remarquer que, en corollaire à ce qui précède, l'Allemagne est plus touchée que la France par les délocalisations (V. question suivante).
Q - Quel est le montant de nos investissements dans ces pays ? Dans quels domaines les français investissent-ils ? Ces investissements reflètent-ils des délocalisations ?
R - En forte croissance depuis le milieu des années 90, les investissements directs français dans la zone Elargissement ont connu leur apogée en 2000 et 2001 avec respectivement 4,9 Md d'euros et 4,6 Md d'euros. La part des investissements français dans la zone est passée de 4,6 % en 1998 à plus de 20 % en 2001.
Cependant, la progression régulière des flux d'IDE français à destination des 12 pays de la zone s'est notablement enrayée en 2002. Dans un contexte où les IDE français diminuent de près de 40 % entre 2001 et 2002, ceux à destination des 12 pays candidats chutent en effet de 4643 M d'euros en 2001 à 1 802 M d'euros en 2002, soit une baisse relative d'environ 60 %.
L'exemple le plus marquant est sans doute la Pologne, qui voit le flux d'investissements français entrant s'inverser, passant de 2,4 Mds d'euros en 2001 à un désinvestissement de 9 M d'euros en 2002.
Le ralentissement brutal qu'ont connu les flux d'investissements français dans la zone d'élargissement de l'UE suit en fait une dynamique générale, que l'on peut illustrer par l'évolution des flux d'IDE à destination de l'UE 15, qui représentent 57,4 % des flux d'IDE sortant de France, et chutent de près de 45 % entre 2001 et 2002.
Les IDE français sont majoritairement tournés vers les services. Les IDE dans les services marchands représentent dans la zone près de 75 % du stock total d'investissement français. Si l'on compare la répartition sectorielle des IDE français au total des IDE reçus par chaque pays, on constate que les entreprises françaises ont davantage investi dans les services que leurs concurrentes, notamment en Pologne, en République tchèque et en Slovaquie.
Les secteurs de services les plus porteurs pour les investissements français dans la zone sont le BTP, l'environnement, notamment le traitement et la distribution d'eau, la banque, avec l'implantation de grands réseaux bancaires français en banque d'affaires et en banque de détail, la grande distribution (les chaînes françaises d'hypermarchés sont toutes présentes dans la zone), les télécommunications. Le poids des opérations de privatisation dans ces investissements tertiaires a été important, et le ralentissement du rythme de ces opérations à partir de 2002 est un facteur explicatif de la baisse des IDE français vers la zone.
Cette orientation vers les services explique que les investissements français de délocalisation sont très minoritaires vers la zone Elargissement. La grande majorité des opérations d'IDE a en effet visé, notamment au travers des privatisations, à conquérir des marchés dans ces pays, et non à y transférer des activités auparavant réalisées en France.
Dans le secteur secondaire, les implantations françaises les plus importantes se situent dans des secteurs dynamiques, créateurs d'emplois en France, dont les exportations vers la zone ont augmenté en même temps qu'elles y réalisaient des IDE. En d'autres termes, les IDE sont davantage complémentaires que substitutifs des échanges commerciaux. Ils reflètent une intégration économique croissante entre la France et les pays de la zone, qui prend simultanément la forme d'échanges commerciaux et de flux d'investissement direct. Et même si une partie des implantations s'effectue dans le cadre d'une sous-traitance en vue de réexportation, comme dans le textile, les métiers du bois ou encore la fabrication de composants pour l'industrie automobile, elle n'en représente qu'une fraction très minoritaire.
Q - Les produits agroalimentaires issus ou en transit dans l'un de ces nouveaux Etats-membres (notamment dans les pays baltes) seront-ils soumis aux mêmes exigences de sécurité alimentaire qu'en Europe occidentale ?
R - A l'approche de l'adhésion, la Commission européenne a intensifié son travail de contrôle de la reprise de l'acquis. En matière de sécurité alimentaire, les négociations avaient abouti à dresser une liste d'établissements (laiteries, abattoirs, etc.) que les nouveaux membres s'étaient engagés à mettre aux normes sanitaires européennes.
Ces derniers mois, voire ces dernières semaines, de nombreuses restructurations ont eu lieu dans ce secteur, qui amènent la Commission à modifier la liste initialement établie par les nouveaux membres.
Des inspecteurs de l'OAV se sont rendus dans les établissements en question pour vérifier la qualité des contrôles de mise à niveau effectuée par les organismes de contrôles nationaux. A partir du 1er mai, la Commission, éventuellement alertée par les Etats membres, peut faire fermer les établissements qui ne seraient pas à niveau.
Les Etats baltes ont été identifiés comme posant des problèmes à deux niveaux :
- insuffisance du dispositif de contrôle des maladies, notamment en matière de maladie de la pomme de terre : la France reste vigilante et se réserve le droit de demander à la Commission de prendre des mesures restrictives si ces difficultés perduraient après le 1er mai ;
- persistance de méthodes consistant à brûler ou à enterrer des animaux d'élevage : la Lettonie a reçu un avertissement de la Commission sur ce sujet, et risque également des mesures de rétorsion en cas de non conformité.
En tout état de cause, la France est extrêmement vigilante sur le sujet de la sécurité alimentaire, qui est une de ses principales préoccupations concernant cet élargissement.
Elle n'hésitera pas à informer l'ensemble des Etats membres des difficultés rencontrées, ainsi que cela a été suggéré au COREPER du 1er avril 2004, afin que l'échange d'information puisse conduire la Commission à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des consommateurs.
Notons que les actions entreprises au titre de la sécurité alimentaire relèveront de l'objectif de protection des citoyens, et non de la PAC.
Q - Quels sont vos objectifs chiffrés en matière de relations commerciales avec certains pays-clés de cette zone (PDM, croissance de nos échanges, investissements ; objectifs sectoriels) ?
R - L'objectif est clairement d'amener progressivement la France à sa part de marché potentielle, estimée à 10 %, qui est également sa part de marché dans l'UE à 15.
Pour y arriver, il s'agit avant tout d'orienter les entreprises françaises vers les principales opportunités d'affaires que dégage cette zone.
Ces opportunités sont liées à trois processus :
* Le rattrapage des modes de vie
Dans de nombreux secteurs de consommation, l'écart est encore grand entre les modes de consommation des pays de l'élargissement et les pays de l'UE 15, même si le rattrapage est déjà à l'uvre depuis quelques années. C'est l'accès de tranches de population de plus en plus nombreuses à ces biens qui est en jeu, et qui offre de réelles perspectives aux entreprises.
Quelques secteurs sont particulièrement concernés par ce phénomène :
- les biens alimentaires transformés, pour lesquels la part de marché française peut indéniablement être améliorée ;
- le textile-habillement, notamment dans les gammes moyenne et supérieure du prêt à porter ;
- les biens d'équipement du foyer, la décoration, le bricolage-jardinage ;
- les produits cosmétiques ;
- les biens liés aux technologies de l'information et de la communication, les services aux particuliers (grandes surfaces, loisirs, tourisme par exemple).
* La mise à niveau des infrastructures
Dans le domaine de la mise à niveau des infrastructures, des besoins se manifesteront encore pendant de nombreuses années, auxquels les investisseurs et les exportateurs étrangers seront les plus à même de répondre.
* Le développement industriel de la zone :
Dans de multiples secteurs industriels, les besoins industriels des économies de la zone Elargissement constituent des opportunités pour les exportateurs français :
- biens d'équipement des entreprises : matériels pour les industries agricoles et agroalimentaires, matériels de transport, équipements électrique et électronique, équipements de stockage-logistique ;
- biens intermédiaires pour les infrastructures industrielles : matériaux de second oeuvre, matériels d'isolation, chauffage, climatisation,
- biens intermédiaires pour la production industrielle : plasturgie, emballage, composants pour l'industrie automobile, métallurgie de pointe.
Q - Quels sont vos moyens d'action pour augmenter la présence d'entreprises françaises et de produits français dans les PECO ? Sur quoi misez-vous ?
R - Nous préparons l'élargissement depuis plus de deux ans. Cette préparation s'est faite en étroite concertation avec les entreprises françaises, grands groupes ou PME, ainsi qu'avec les fédérations professionnelles, le réseau des chambres de commerce et d'industrie, la CGPME, le Medef...
Nous sommes intervenus (avec la DREE) dans l'ensemble de la France et nous nous sommes également déplacés " sur le terrain " avec les acteurs concernés.
Nous avons multiplié les actions d'information et de sensibilisation dans les régions.
Je me suis rendu dans chacun des pays candidats, parfois à plusieurs reprises, accompagné d'importantes délégations d'entreprises françaises composées majoritairement de PME (plus d'une centaine au total).
Des plans d'action commerciale ont été lancés sur les principaux marchés des nouveaux Etats membres (Hongrie, Pologne, République tchèque), qui font partie des 25 pays prioritaires de notre commerce extérieur.
Ils comportent des actions nouvelles ou renforcées de prospection, d'information et de soutien aux exportateurs (notamment les PME via le parrainage, VIE, portage, l'aide aux partenariats concrets) afin de faire de ces pays le marché naturel de nos PME.
Ces plans d'action font un diagnostic qualitatif et quantitatif de la présence française (investissements + importations) dans le pays-cible. Ils permettent d'identifier les potentiels de croissance qui existent pour les entreprises françaises. Quand on sait que, par exemple, seules 280 entreprises françaises sont présentes en Hongrie contre environ 3000 allemandes, l'action prioritaire à mener est de sensibiliser grands groupes et PME français au dynamisme hongrois, de leur faciliter l'accès à ce marché mais également de renforcer l'information en Hongrie sur l'offre française !
Le développement des partenariats public-privé est encouragé et fait l'objet d'une forte promotion tant auprès de la Commission européenne que des gouvernements des nouveaux Etats membres. Ce cadre de conduite de projet doit permettre une consommation efficace des financements européens pour les grands projets
L'action de veille active sur l'évolution de l'environnement des affaires dans les pays de l'élargissement, engagée depuis deux ans déjà, va se poursuivre de manière évolutive. Cette action repose sur le réseau des missions économiques auprès de nos ambassades, en liaison avec les entreprises françaises. Elle a permis de favoriser les évolutions souhaitables des textes et des pratiques qui constituent le cadre de l'activité quotidienne de nos entreprises sur ces marchés.
Cependant, on doit avant tout miser sur le dynamisme des entreprises pour accroître la présence de la France dans la zone.
(Source http://www.europe.gouv.fr, le 18 octobre 2004)