Texte intégral
Chère Amie,
Je souhaite m'adresser à tous les Parlementaires, Députés et Sénateurs de l'opposition pour leur parler de l'Europe.
Si je prends la liberté de le faire, c'est parce que, pendant deux ans, tous les membres des groupes qui constituaient hier la majorité ont apporté sans réserve ni défaillance leur appui et leur soutien au gouvernement que j'avais l'honneur de diriger.
Ensemble, nous nous sommes alors efforcés de redresser la situation de la France et de faire progresser concrètement la construction de l'Europe.
Je sais qu'aujourd'hui nos ambitions pour notre pays sont grandes, largement identiques et qu'une même volonté de participer à la nécessaire construction européenne peut nous rassembler.
C'est dans cet esprit qu'à l'occasion du Conseil européen de la Présidence Grecque qui doit se tenir à Rhodes le 2 décembre prochain, je voudrais dresser un rapide bilan de la politique européenne de la France telle que nous l'avons conduite entre 1986 et 1988 et exprimer mes inquiétudes sur celle que le gouvernement socialiste mène depuis sept mois. J'aimerais également évoquer les principaux problèmes auxquels l'Europe va être confrontée dans un avenir immédiat.
Notre volonté de construire l'Europe, chacun a pu la voir en uvre au cours des deux années que nous venons de passer aux affaires. Sous ma responsabilité et avec le soutien de l'ensemble de l'ex-majorité, nous avons pris des décisions essentielles pour que l'Europe soit de moins en moins un concept vague, et de plus en plus une réalité.
En décembre 1986, ce fut la ratification de l'Acte Unique par le Parlement français, texte qui sera précieux pour réaliser le Marché Unique Européen de 1993.
Le 30 juin 1987 ce fut, dans le domaine agricole, la disparition des montants compensatoires monétaires positifs et l'assurance du démantèlement des M.C.M. négatifs en cas d'ajustement su sein du S.M.E., ce qui était une très ancienne revendication de nos agriculteurs.
Le 13 février 1988, ce furent les accords de Bruxelles, par lesquels la Communauté retrouva le financement suffisant et durable qui lui faisait défaut depuis plusieurs années.
En dehors de ces événements importants que je mets volontairement en exergue, nous sommes attachés à développer l'Europe dans tous les domaines.
D'abord, l'Europe de la Recherche et de la Technologie, grâce notamment à l'adoption d'un programme-cadre de recherche et de développement technologique de 6,5 milliards d'écus pour cinq ans ; au lancement des programmes Airbus 330 et 340 ; au lancement, en novembre 1987, des programmes spatiaux Ariane 5, Colombus, Hermès ; ou encore au doublement des crédits d'Euréka.
L'Europe des hommes, par l'adoption du programme Erasmus qui doit permettre à 40 000 étudiants d'effectuer dans les trois ans à venir une année d'étude dans un autre État-membre de la Communauté ; par l'adoption, également, du programme Yes grâce auquel 80 000 jeunes européens pourront effectuer un stage professionnel dans un autre pays de la C.E.E. ; par la mise en place, début 1988, des premières mesures prévues dans le Livre Bleu sur l'Europe de la Culture et de la Communication, comme par exemple la carte jeune qui permet de voyager à prix réduit.
Inséparable de cette Europe des hommes, l'Europe des Droits de l'Homme, avec la ratification en 1987 de la Convention Européenne sur la Prévention et la Répression du Terrorisme, et la signature de la Convention sur la Prévention de la Torture et des Traitements inhumains ou dégradants.
L'Europe de la Défense avec, fin 1987, la charte de l'U.E.O. sur les principes de sécurité européenne et l'initiative du gouvernement français en faveur de l'entrée de l'Espagne et du Portugal qui vient de se réaliser.
L'Europe Monétaire, ensuite, avec les accords de Nyborg très utiles au moment de la tempête boursière d'octobre 1987 et le Mémorandum de M. BALLADUR en janvier 1988 qui a permis de relancer les travaux sur l'Europe Monétaire et qui a donné naissance au Conseil Européen d'Hanovre au Comité des gouverneurs de banques centrales.
Enfin, nous avons développé le Marché Intérieur Européen, en franchissant une première étape sur la voie de la libéralisation des transports aériens et en adoptant un premier volet de règlements visant à doter l'Europe d'une véritable politique maritime. Dans le même esprit, nous avons lancé l'Europe de l'Assurance ; nous avons également contribué à l'adoption de 80 directives pour achever le Marché Intérieur Européen avant le 31 décembre 1992.
Nous avons donc mené ensemble une politique européenne active, avec le double souci d'assumer l'héritage et de relancer dans les faits la construction européenne qui, en 1986, était au bord de la faillite, en prenant dans tous les domaines des initiatives utiles pour la France et porteuses d'avenir pour l'Europe.
En revanche et sans vouloir faire preuve d'un pessimisme exagéré, force est de constater que la construction européenne est au point mort depuis l'été 1988.
Certes, les premières semaines du gouvernement ROCARD ont vu la concrétisation, à Bruxelles, de deux décisions importantes qui avaient été préparées par mon gouvernement. Il s'agit de la reconnaissance mutuelle des diplômes, et de la libre circulation des mouvements de capitaux. Notons que ce dernier texte a donné lieu à juste titre à beaucoup de commentaires car il ne comporte aucune garantie d'harmonisation simultanée de la fiscalité des produits de l'épargne. Il ouvre donc des perspectives très dangereuses pour la France si une véritable politique d'accompagnement fiscal n'est pas engagée, ce qui n'est pas le cas, contrairement à ce que nous aurions fait.
Mais en dehors de ces décisions, l'Europe n'a guère progressé.
Aucune action réelle n'a été menée pour commencer à réaliser l'Europe Sociale. M. DELORS s'est contenté de faire quelques propositions sur l'hygiène, la sécurité, la santé, et le "socle minimum" des droits garantis aux travailleurs, mais aucune décision n'a été prise.
En ce qui concerne l'Europe Fiscale, la position du gouvernement ne parait pas établie comme l'illustre le différend public qui a opposé MM. DELORS et ROCARD.
Sur le chapitre de la concurrence mondiale, quelles mesures ont été prises, quelles actions ont été entreprises pour parer aux initiatives américaines et japonaises dirigées contre "la forteresse européenne" ? Où en sommes-nous en ce qui concerne la définition d'une société de "droit européen" et de l'idée d'un "Eurêka audiovisuel", au contenu d'ailleurs imprécis, lancée par le Président de la République.
Nous savons bien par expérience que les procédures communautaires sont longues et complexes, mais je n'échappe pas aujourd'hui à l'impression que l'action du gouvernement français à Bruxelles manque de cohérence et de pugnacité et que nos intérêts n'y sont pas bien défendus. Je ne prendrais que l'exemple de l'agriculture. Malgré l'accord du Conseil Européen du mois de février 1988, les décisions n'ont pas suivi : le démantèlement des M.C.M. n'a été que marginal et ne prendra effet que le 1er janvier 1989, l'inter-profession agricole ne semble plus d'actualité, on ne parle plus de l'éthanol, etc...
En revanche, un discours vague et consensuel sur l'Europe est toujours de mise. Le gouvernement français et le Président de la République lui-même affichent un engagement européen sans faille mais en évitant soigneusement d'être précis, de définir les moyens de sa réalisation et de prendre des décisions à Bruxelles qui pourraient déplaire à telle ou telle catégorie de la population. Ce n'est pas ainsi que l'on avancera sur la voie de l'Europe.
Cette confusion, cette absence de volonté politique sont graves car d'importants dossiers attendent l'Europe au cours des mois à venir.
Il s'agit notamment des relations extérieures de la Communauté. Aboutissement des négociations de la Communauté avec les pays A.C.P. et avec les pays du Golfe arabo-persique. Négociations Commerciales Multilatérales (Uruguay Round). Relations de la Communauté avec les pays de l'Est : tels sont les grands dossiers de politique extérieure que la C.E.E. aura à traiter.
En ce qui concerne le dossier monétaire, le Comité DELORS remettra ses conclusions à la fin du premier semestre 1989.
En matière de fiscalité, la Communauté devra affronter au cours de l'année qui vient certaines difficultés, en particulier au sujet de l'harmonisation des fiscalités des produits de l'épargne et du rapprochement des taux de T.V.A. Rude débat en perspective...
Enfin, il faudra bien, ainsi que je le disais plus haut, aborder la grande question de l'Europe Sociale qui parait incontournable dans la perspective du Marché Unique Européen.
Voilà, Chère Amie, les problèmes majeurs auxquels la Communauté aura à faire face au cours des prochains mois. Ces grands sujets dont les enjeux sont essentiels pour notre avenir, je souhaite que l'Opposition les aborde dans un esprit d'unité, comme elle l'a fait quand elle était la majorité et qu'elle soutenait mon gouvernement. Je fais toute confiance aux commissions et différents groupes de travail de nos grandes formations politiques pour réfléchir et travailler ensemble, et pour déterminer ensemble des positions et des propositions communes. Il s'agit de rappeler ce que nous avons fait, de dénoncer ce qui n'est pas fait, et d'aller de l'avant avec courage, audace et réalisme afin que se construise l'Europe dans le respect des intérêts des États qui la composent.
Veuillez accepter, chère amie, l'expression de mes hommages et de ma bien fidèle et cordiale amitié.
Je souhaite m'adresser à tous les Parlementaires, Députés et Sénateurs de l'opposition pour leur parler de l'Europe.
Si je prends la liberté de le faire, c'est parce que, pendant deux ans, tous les membres des groupes qui constituaient hier la majorité ont apporté sans réserve ni défaillance leur appui et leur soutien au gouvernement que j'avais l'honneur de diriger.
Ensemble, nous nous sommes alors efforcés de redresser la situation de la France et de faire progresser concrètement la construction de l'Europe.
Je sais qu'aujourd'hui nos ambitions pour notre pays sont grandes, largement identiques et qu'une même volonté de participer à la nécessaire construction européenne peut nous rassembler.
C'est dans cet esprit qu'à l'occasion du Conseil européen de la Présidence Grecque qui doit se tenir à Rhodes le 2 décembre prochain, je voudrais dresser un rapide bilan de la politique européenne de la France telle que nous l'avons conduite entre 1986 et 1988 et exprimer mes inquiétudes sur celle que le gouvernement socialiste mène depuis sept mois. J'aimerais également évoquer les principaux problèmes auxquels l'Europe va être confrontée dans un avenir immédiat.
Notre volonté de construire l'Europe, chacun a pu la voir en uvre au cours des deux années que nous venons de passer aux affaires. Sous ma responsabilité et avec le soutien de l'ensemble de l'ex-majorité, nous avons pris des décisions essentielles pour que l'Europe soit de moins en moins un concept vague, et de plus en plus une réalité.
En décembre 1986, ce fut la ratification de l'Acte Unique par le Parlement français, texte qui sera précieux pour réaliser le Marché Unique Européen de 1993.
Le 30 juin 1987 ce fut, dans le domaine agricole, la disparition des montants compensatoires monétaires positifs et l'assurance du démantèlement des M.C.M. négatifs en cas d'ajustement su sein du S.M.E., ce qui était une très ancienne revendication de nos agriculteurs.
Le 13 février 1988, ce furent les accords de Bruxelles, par lesquels la Communauté retrouva le financement suffisant et durable qui lui faisait défaut depuis plusieurs années.
En dehors de ces événements importants que je mets volontairement en exergue, nous sommes attachés à développer l'Europe dans tous les domaines.
D'abord, l'Europe de la Recherche et de la Technologie, grâce notamment à l'adoption d'un programme-cadre de recherche et de développement technologique de 6,5 milliards d'écus pour cinq ans ; au lancement des programmes Airbus 330 et 340 ; au lancement, en novembre 1987, des programmes spatiaux Ariane 5, Colombus, Hermès ; ou encore au doublement des crédits d'Euréka.
L'Europe des hommes, par l'adoption du programme Erasmus qui doit permettre à 40 000 étudiants d'effectuer dans les trois ans à venir une année d'étude dans un autre État-membre de la Communauté ; par l'adoption, également, du programme Yes grâce auquel 80 000 jeunes européens pourront effectuer un stage professionnel dans un autre pays de la C.E.E. ; par la mise en place, début 1988, des premières mesures prévues dans le Livre Bleu sur l'Europe de la Culture et de la Communication, comme par exemple la carte jeune qui permet de voyager à prix réduit.
Inséparable de cette Europe des hommes, l'Europe des Droits de l'Homme, avec la ratification en 1987 de la Convention Européenne sur la Prévention et la Répression du Terrorisme, et la signature de la Convention sur la Prévention de la Torture et des Traitements inhumains ou dégradants.
L'Europe de la Défense avec, fin 1987, la charte de l'U.E.O. sur les principes de sécurité européenne et l'initiative du gouvernement français en faveur de l'entrée de l'Espagne et du Portugal qui vient de se réaliser.
L'Europe Monétaire, ensuite, avec les accords de Nyborg très utiles au moment de la tempête boursière d'octobre 1987 et le Mémorandum de M. BALLADUR en janvier 1988 qui a permis de relancer les travaux sur l'Europe Monétaire et qui a donné naissance au Conseil Européen d'Hanovre au Comité des gouverneurs de banques centrales.
Enfin, nous avons développé le Marché Intérieur Européen, en franchissant une première étape sur la voie de la libéralisation des transports aériens et en adoptant un premier volet de règlements visant à doter l'Europe d'une véritable politique maritime. Dans le même esprit, nous avons lancé l'Europe de l'Assurance ; nous avons également contribué à l'adoption de 80 directives pour achever le Marché Intérieur Européen avant le 31 décembre 1992.
Nous avons donc mené ensemble une politique européenne active, avec le double souci d'assumer l'héritage et de relancer dans les faits la construction européenne qui, en 1986, était au bord de la faillite, en prenant dans tous les domaines des initiatives utiles pour la France et porteuses d'avenir pour l'Europe.
En revanche et sans vouloir faire preuve d'un pessimisme exagéré, force est de constater que la construction européenne est au point mort depuis l'été 1988.
Certes, les premières semaines du gouvernement ROCARD ont vu la concrétisation, à Bruxelles, de deux décisions importantes qui avaient été préparées par mon gouvernement. Il s'agit de la reconnaissance mutuelle des diplômes, et de la libre circulation des mouvements de capitaux. Notons que ce dernier texte a donné lieu à juste titre à beaucoup de commentaires car il ne comporte aucune garantie d'harmonisation simultanée de la fiscalité des produits de l'épargne. Il ouvre donc des perspectives très dangereuses pour la France si une véritable politique d'accompagnement fiscal n'est pas engagée, ce qui n'est pas le cas, contrairement à ce que nous aurions fait.
Mais en dehors de ces décisions, l'Europe n'a guère progressé.
Aucune action réelle n'a été menée pour commencer à réaliser l'Europe Sociale. M. DELORS s'est contenté de faire quelques propositions sur l'hygiène, la sécurité, la santé, et le "socle minimum" des droits garantis aux travailleurs, mais aucune décision n'a été prise.
En ce qui concerne l'Europe Fiscale, la position du gouvernement ne parait pas établie comme l'illustre le différend public qui a opposé MM. DELORS et ROCARD.
Sur le chapitre de la concurrence mondiale, quelles mesures ont été prises, quelles actions ont été entreprises pour parer aux initiatives américaines et japonaises dirigées contre "la forteresse européenne" ? Où en sommes-nous en ce qui concerne la définition d'une société de "droit européen" et de l'idée d'un "Eurêka audiovisuel", au contenu d'ailleurs imprécis, lancée par le Président de la République.
Nous savons bien par expérience que les procédures communautaires sont longues et complexes, mais je n'échappe pas aujourd'hui à l'impression que l'action du gouvernement français à Bruxelles manque de cohérence et de pugnacité et que nos intérêts n'y sont pas bien défendus. Je ne prendrais que l'exemple de l'agriculture. Malgré l'accord du Conseil Européen du mois de février 1988, les décisions n'ont pas suivi : le démantèlement des M.C.M. n'a été que marginal et ne prendra effet que le 1er janvier 1989, l'inter-profession agricole ne semble plus d'actualité, on ne parle plus de l'éthanol, etc...
En revanche, un discours vague et consensuel sur l'Europe est toujours de mise. Le gouvernement français et le Président de la République lui-même affichent un engagement européen sans faille mais en évitant soigneusement d'être précis, de définir les moyens de sa réalisation et de prendre des décisions à Bruxelles qui pourraient déplaire à telle ou telle catégorie de la population. Ce n'est pas ainsi que l'on avancera sur la voie de l'Europe.
Cette confusion, cette absence de volonté politique sont graves car d'importants dossiers attendent l'Europe au cours des mois à venir.
Il s'agit notamment des relations extérieures de la Communauté. Aboutissement des négociations de la Communauté avec les pays A.C.P. et avec les pays du Golfe arabo-persique. Négociations Commerciales Multilatérales (Uruguay Round). Relations de la Communauté avec les pays de l'Est : tels sont les grands dossiers de politique extérieure que la C.E.E. aura à traiter.
En ce qui concerne le dossier monétaire, le Comité DELORS remettra ses conclusions à la fin du premier semestre 1989.
En matière de fiscalité, la Communauté devra affronter au cours de l'année qui vient certaines difficultés, en particulier au sujet de l'harmonisation des fiscalités des produits de l'épargne et du rapprochement des taux de T.V.A. Rude débat en perspective...
Enfin, il faudra bien, ainsi que je le disais plus haut, aborder la grande question de l'Europe Sociale qui parait incontournable dans la perspective du Marché Unique Européen.
Voilà, Chère Amie, les problèmes majeurs auxquels la Communauté aura à faire face au cours des prochains mois. Ces grands sujets dont les enjeux sont essentiels pour notre avenir, je souhaite que l'Opposition les aborde dans un esprit d'unité, comme elle l'a fait quand elle était la majorité et qu'elle soutenait mon gouvernement. Je fais toute confiance aux commissions et différents groupes de travail de nos grandes formations politiques pour réfléchir et travailler ensemble, et pour déterminer ensemble des positions et des propositions communes. Il s'agit de rappeler ce que nous avons fait, de dénoncer ce qui n'est pas fait, et d'aller de l'avant avec courage, audace et réalisme afin que se construise l'Europe dans le respect des intérêts des États qui la composent.
Veuillez accepter, chère amie, l'expression de mes hommages et de ma bien fidèle et cordiale amitié.