Déclaration de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à Paris le 13 juin 2004 et interview à "France Inter" le 14 juin 2004, sur les résultats et la faible participation aux élections européennes.

Prononcé le

Média : France Inter

Texte intégral

Déclaration de François HOLLANDE
13.06.2004
Je veux exprimer ce soir un regret, une satisfaction et une exigence.
Le regret, c'est la faible participation au scrutin.
L'Europe est notre avenir, mais les citoyens ont le sentiment de ne pas peser sur son destin. C'est cette insuffisance démocratique qui doit être réduite. C'est de notre responsabilité collective : acteurs politiques, responsables des grands médias et citoyens eux-mêmes.
La satisfaction, c'est le résultat de la gauche et du Parti socialiste. Avec plus de 30 % des voix, les socialistes font non seulement le meilleur score de leur Histoire aux élections européennes, mais deviennent la première force politique française, très loin devant l'UMP -le Parti unique de la droite et du gouvernement. Le Parti socialiste fait plus du double du principal parti du gouvernement. Le Parti socialiste -sans doute avec plus de 30 députés européens- sera l'une des plus fortes délégations du Parlement européen. Elle met, et j'en prends de nouveau l'engagement, l'Europe sociale au cur de son action. L'Europe sociale, c'est-à-dire les services publics, l'emploi, un haut niveau de protection sociale. Voilà pour notre satisfaction, mais elle doit d'abord être celle de tous les électeurs que je veux ici remercier de s'être mobilisé et de l'avoir fait autour du Parti socialiste pour que le résultat soit le plus clair possible. Et le résultat, ce soir, est sans appel.
L'exigence est maintenant adressée au Président de la République. Après les élections régionales et cantonales, il doit tirer toutes les leçons des scrutins qui viennent de se dérouler.
La politique que poursuit le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin n'a pas la confiance des Français. Ceux qui la conduisent n'ont pas la crédibilité requise. Dès lors, il faudra bien -et le plus tôt sera le mieux- que le Président de la République prenne ses responsabilités. Il ne pourra pas toujours considérer que le vote des Français est sans conséquence.
L'exigence est aussi posée à la gauche. Elle doit aujourd'hui se rassembler. D'abord à l'échelle de l'Europe sur une politique véritablement sociale, sur une volonté de démocratie européenne, sur des avancées claires pour les citoyens susceptibles de les mobiliser pour les prochaines échéances. Mais la Gauche doit aussi se rassembler à l'échelle de la France. Le succès du Parti socialiste -et je n'oublie pas pour autant nos échecs- est, une nouvelle fois, une chance pour la Gauche dans son ensemble. À condition que les socialistes respectent leurs partenaires et surtout les citoyens. Ce sera l'esprit qui m'animera tout au long des prochains mois.
Plus que jamais, les Français nous ont demandé d'être prêts et de faire en sorte d'incarner l'espoir. C'est désormais, pour les socialistes, leur prochaine échéance.


(source http://www.europesocialiste.org, le 14 juin 2004)
France Inter
Q- S. Paoli et P. Le Marc-. S. Paoli : Où portez-vous votre élan naturel ce matin ? A faire un commentaire plus sur des enjeux nationaux - et ils sont en effet importants - ou plus sur des enjeux européens, après ces résultats ?
R- "Mon naturel me pousse à la vérité. C'est-à-dire que c'est une élection européenne, faisons le premier commentaire sur l'ensemble de l'Europe. Et on y trouve les mêmes caractéristiques, c'est-à-dire une abstention forte et une sanction à l'égard d'un bon nombre de gouvernements. Et c'est sur l'abstention que je veux revenir : je suis profondément européen, je pense que l'Europe est une volonté partagée, pas simplement des acteurs politiques mais des citoyens. On ne peut pas accepter que l'Europe soit notre avenir et que les citoyens ne pèsent pas sur leur propre destin."
Q- Plus de 57 %, ce serait un échec de l'Europe ?
R- "Je pense que cela renvoie à la difficulté de clarté de l'élection elle-même, c'est-à-dire, à quoi sert une élection ? Et là, les Français, les Européens ne voient pas dans l'élection du Parlement européen des éléments qui peuvent peser sur leur vie au quotidien, alors même que l'on sait qu'une loi française sur deux vient d'une source européenne, en l'occurrence, soit un vote du Parlement, soit un vote du Conseil européen. Il faut donc clarifier nos institutions européennes et faire en sorte que le Parlement européen, soit comme tout parlement dans n'importe quel pays, avec un clivage clair entre la gauche et la droite et des responsabilités claires pour ceux qui conduisent les affaires de l'Europe au nom des Européens. C'est en fonction de cette clarté, de cette lisibilité que l'on aura une participation au scrutin conforme à cette grande ambition qu'est l'Europe."
Q- P. Le Marc : Est-ce qu'il n'y pas non plus dans cette abstention un réflexe contre le manque de vision que les responsables politiques de l'Europe donnent de l'Union et le manque d'efficacité de cette Union ? Est-ce que ce ne sont pas les deux ressorts de ce vote négatif, de cette abstention ?
R- "Oui, on peut dire que le vote sanction s'ajoute à l'abstention pour signifier aux gouvernants de l'Europe, c'est-à-dire d'abord les chefs de gouvernement et les chefs d'Etat qu'ils n'expliquent pas l'enjeu européen, et qu'ils ne donnent pas la vision nécessaire. Je vais prendre un exemple : il y a dans quelques jours une discussion sur la Constitution européenne, et là, le Parlement européen sera le premier concerné. A partir de là, nous aurions souhaité que le président de la République consulte largement les forces politiques - je l'avais demandé ! Nous aurions souhaité que le président de la République s'adresse directement aux Français, y compris avant cette élection, pour en donner la signification. Les chefs d'Etat et de gouvernement préfèrent se taire et renvoient souvent leurs responsabilités à l'échelle de l'Europe pour ne pas avoir à les assumer à l'échelle du pays. Visiblement, cela ne marche pas".
Q- S. Paoli : Mais quelle situation paradoxale ! Voilà le Parlement européen qui ressemble à un territoire de contre-pouvoir aux politiques nationales - en tout cas, pour une grande partie de l'Europe.
R- "Oui. Le Parlement européen, on ne sait pas encore quel sera véritablement son équilibre. Il y a une poussée des extrêmes, notamment dans un certain nombre de pays qui nous rejoignent, c'est-à-dire les pays vers lesquels nous nous sommes adressés, et qui, sans doute par réflexe de peur, ont à la fois connu une forte abstention et des votes de droite dure. Je crois qu'il faudra y faire attention. Ce que je souhaite, c'est qu'une majorité de gauche se constitue au Parlement européen, pas simplement avec les socialistes, mais aussi avec les Verts, avec les communistes et peut-être même avec un certain nombre de mouvements qui se trouvent - par exemple, comme celui de R. Prodi en Italie - à la frange. Je souhaite qu'il y ait une majorité large d'Européens convaincus et de progrès."
Q- P. Le Marc : Le PC demande la démission de J.-P. Raffarin, après ce nouvel échec électoral. Vous ne le demandez pas vous, pourquoi ? Vous pensez ne pas l'obtenir ?
R- "D'abord, parce que je pense que cette décision de démission de J.-P. Raffarin aurait déjà dû intervenir au lendemain des élections régionales. Il y avait là une leçon simple à tirer de ce vote sanction du mois de mars. Et le président de la République n'a pas voulu prendre cette décision. Je le regrette et aujourd'hui encore, la question lui est posée. Mais pas simplement au niveau des personnes, de J.-P. Raffarin, mais au niveau de la politique qui est conduite et il est le premier concerné. Je considère que J. Chirac est le premier concerné par les deux scrutins qui viennent de se produire. Pourquoi ? Parce que J. Chirac est le produit d'une crise civique, rappelons les conditions de son élection, en 2002. Son mandat, c'est de servir la République. Rappelez-vous qui l'a fait Président au second tour de l'élection présidentielle et contre qui. Aujourd'hui, il devrait, au nom même du mandat qu'il a reçu du peuple, écouter ce que disent les électeurs. J'ai d'ailleurs trouvé qu'il y avait une forme de mépris de la part du Premier ministre de faire un commentaire, hier soir, sur le résultat de l'équipe de France et d'oublier de faire un commentaire sur le résultat de l'UMP. Allez jusque-là dans le cynisme ! A mon avis, rien que pour cela, il y aurait quelque moralité à lui demander de prendre un moment du recul."
Q- S. Paoli : Vous voyez comme décidément, on n'échappe pas - et c'était assez frappant d'ailleurs, hier soir, en écoutant les chaînes de télévision et certaines radios - à la lecture nationale des scrutins, non seulement en France, mais c'est vrai en Allemagne, en Angleterre, en Italie. Ce qu'il a manqué, au fond, à cette campagne européenne, qu'est-ce que c'est ? Ce fameux grand dessein qui aurait pu donner aux citoyens une vision peut-être plus transversale des enjeux qui nous concernent tous, pourquoi ne l'a-t-on pas eu ?
R- "Oui, mais c'est aussi le mode de scrutin. Tous les pays votent dans le cadre national, il est quand même logique que l'élection ait ce double caractère européen et national. Maintenant, je pense comme vous : je pense qu'il faut qu'il y ait un espace politique en Europe avec de grands partis politiques européens. Le Parti socialiste européen devra faire cette mutation. Je crois que c'est aujourd'hui à son ordre du jour. Comme le PS socialiste français va être - et c'est très important - la délégation la plus importante au sein du groupe socialiste européen, le PS français doit prendre toute sa responsabilité et défendre une vision de l'Europe, pas simplement nos propres intérêts - ça, c'est notre second devoir - mais c'est aussi notre premier devoir que de faire vivre un grand Parti socialiste européen. Parce que s'il y a des familles politiques en Europe, à ce moment-là, l'élection sera elle-même plus pertinente."
Q- L'émergence d'un parti centriste indépendante du PPE, c'est une bonne nouvelle pour vous ?
R- "Je pense que le PPE - le parti des droites européennes -, le Parti populaire européen est un parti qui n'est pas populaire et qui n'est plus européen. Donc, à partir de là, je pense qu'il est bon qu'un certain nombre de mouvements qui ont participé à l'histoire même de l'Europe - je pense au mouvement des démocrates chrétiens au lendemain de la guerre, aux libéraux centre-gauche -, que ces partis-là s'écartent du PPE et fassent un groupe en tant que tel au Parlement européen. Si on peut travailler avec eux, j'en serais très heureux."
Q- P. Le Marc : Cette seconde victoire crée à l'égard du PS des attentes très fortes, certainement, en matière de projets, de stratégie d'alliances, en matière d'unité aussi. Est-ce que la légitimité que vous avez acquise à travers ces deux victoires, vous donne la possibilité d'imposer aux présidentiables de votre parti un code de bonne conduite dans l'avenir ?
R- "Le PS et la gauche, plus largement, ont vraiment emporté une victoire historique au moment des élections régionales contre la droite et c'était davantage un vote sanction, je l'ai dit, qu'un vote d'adhésion en tant que tel. Au moment des élections européennes, là, il y avait le choix ; toute la palette était possible pour l'électeurs qui voulait marquer une préférence. Près de 30 % des électeurs ont choisi le PS. Nous sommes déjà dans un début - je suis prudent et modeste - de vote d'adhésion, de confiance. Cela nous donne davantage d'obligations et de devoirs que de droits. Maintenant, je pense que les socialistes doivent remporter une victoire sur eux-mêmes, c'est-à-dire être capables de bâtir un projet fondé sur la vérité - il faut dire la vérité aux Français sur la situation qui est aujourd'hui celle du pays -, fondé la volonté de transformation - il y a des choses inacceptable, on le sait, aujourd'hui, en termes social, en termes d'éducation, de services publics. Il faut que les socialistes soient au rendez-vous avec des propositions fortes et il faut qu'ils soient dans l'unité. S'ils ne le sont pas, s'ils n'arrivent pas à être dans l'unité - et je veillerai à ce qu'ils soient dans l'unité, alors, ils ne méritent pas le pouvoir, parce que le pouvoir, on le voit bien aujourd'hui, cela ne se fait pas simplement par un grand parti, le pouvoir, cela ne se fait pas simplement à travers une élection présidentielle. Le pouvoir cela peut durer si on a la confiance du peuple. La confiance du peuple, cela se mérite, y compris quand on est d'abord dans l'opposition."
Q- Une dernière chose : où est la hiérarchie des importances ? Vous parlez de l'Europe sociale, mais le débat social en France est important aussi ; où se situe votre action maintenant, d'abord ?
R- "Aux deux niveaux. Je l'ai dit : les socialistes vont être très influents au sein du Parlement européen. On n'a pas parlé d'Europe sociale pour la mettre maintenant dans un tiroir et considérer que nous serions quittes avec cet engagement. Il faudra aller jusqu'u bout. Jeudi, j'irai à la réunion des socialistes européens, au nom d'un parti vainqueur à l'élection, pour dire que ce n'est pas seulement une question de personne, de répartition de pouvoir, c'est une question de politique. Deuxièmement, je considère que le scrutin d'hier, venant après les scrutins régionaux et cantonaux, emporte des exigences. Et la première, c'est des exigences de justice sociale. Je ne considère pas que le projet tel qu'il est présenté pour la Sécurité sociale corresponde à cet objectif de justice sociale. De la même manière, je récuse le projet de privatisation de EDF, comme le transfert des personnels de l'Education nationale à des collectivités locales qui n'en veulent pas, non pas parce qu'ils ne voudraient pas de ces personnels, mais parce que ce sont des charges considérables et que c'est un principe d'unité de l'Education nationale qui est mis en cause. Pour toutes ces raisons, je demande, non seulement au président de la République de tirer les leçons au niveau des personnes, mais surtout, au niveau de la politique."
(source http://www.parti-socialiste.fr, le 14 juin 2004)