Déclaration de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur les enjeux actuels de la construction européenne, le passage à l'euro et la crise financière Paris le 30 septembre 1998.

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Circonstance : Réunion du groupe parlementaire européen Gauche unitaire européenne et verte nordique, Paris le 30 septembre 1998

Texte intégral

Chers amis,
Vous comprendrez qu'avant toute chose je tienne à exprimer ma très grande satisfaction face à la nouvelle donne en Europe que représente le changement politique qui vient de se produire en Allemagne avec les résultats obtenus par l'ensemble de la gauche. Je suis sûr que je traduis un sentiment général en souhaitant que la future coalition appelée à diriger ce grand pays réponde à l'attente qui est aujourd'hui placée en elle. A cet égard, le moment ne serait-il pas particulièrement opportun de créer les conditions d'un échange d'idées avec toutes les composantes de la gauche allemande sur les perspectives qu'elles envisagent pour faire avancer l'Europe sociale? Permettez-moi de verser cette proposition à vos débats.
Je tiens évidemment à féliciter chaleureusement nos amis du PDS pour leur remarquable résultat. Après celui obtenu par le Parti de gauche de Suède, ça fait beaucoup d'excellentes nouvelles en quelques jours!
D'une façon générale la tenue de vos journées d'études, ici à Paris, en ce moment, revêt, pour nous, pour le Parti communiste français, une grande signification. En ce moment, c'est-à-dire au moment où le débat sur l'avenir de l'Europe et sur les politiques européennes traverse toutes les questions du débat politique national. Ce moment, c'est aussi celui où s'amorcent les réflexions et les stratégies en vue des prochaines élections européennes en 1999.
Ce qui est en jeu, dans la période présente, c'est la possibilité ou non pour les citoyens, d'intervenir sur les grandes options d'avenir de l'Union et de l'unification européenne. C'est la question qui est posée à la gauche dans son ensemble, et dans la gauche plus particulièrement aux partis, aux organisations, aux mouvements, qui se réclament de la transformation sociale.
Ces interrogations, ces questions sur les choix d'avenir ne se posent pas dans l'abstrait. Elles se posent à partir des échéances institutionnelles que nous connaissons - mise en place de l'euro, ratification ou non du traité d'Amsterdam, réforme des institutions, Agenda 2000, sommet de l'OTAN au printemps, et la question cruciale de l'élargissement -, et en relation avec les attentes de changement exprimées dans chacun de nos pays, selon des calendriers et des mouvements de la société qui leur sont propres.
Dans cette accélération des échéances, ce qui me semble être l'élément nouveau, c'est la montée de l'esprit critique envers la logique ultralibérale qui marque trop la construction européenne actuelle. Nous en tirons pour notre part la conviction que la réorientation progressiste pour laquelle nous agissons est l'objectif de l'heure.
Je prends un exemple: celui du pacte de stabilité et des contraintes lourdes qu'il exerce sur les budgets et sur les dépenses sociales et publiques. Si on s'accorde sur l'idée que le fondement d'une croissance saine réside dans la demande intérieure, le moment n'est-il pas venu d'exiger avec plus de force encore sa renégociation afin de lui substituer un pacte de croissance et de progrès pour l'emploi?
La même démarche vaut pour les services et entreprises publics systématiquement menacés de démantèlement. De même, avec l'ampleur de la tourmente financière - résultat prévisible de la libéralisation sauvage des marchés des capitaux- la question se pose de savoir comment l'Europe peut contribuer, non seulement à nous protéger de ce chaos annoncé, mais surtout à enrayer la spirale actuelle. Pour contrecarrer la volatilité des capitaux, les gouvernements européens n'ont-ils pas l'opportunité de faire avancer, en Europe, et dans les instances internationales, la proposition de taxe Tobin? Plus fondamentalement, il s'agit d'enclencher un cercle vertueux de croissance saine, fondée sur l'économie réelle, orientant l'argent vers l'emploi, la formation, le développement durable.
J'entends bien ce qui nous est répété sur les mérites de l'euro. Je présume qu'il en est de même dans vos propres pays.
J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises: l'ampleur de la crise actuelle - et elle n'est pas seulement financière - appelle beaucoup de prudence dans les jugements et les prévisions, et surtout beaucoup de lucidité. En l'occurrence, l'autosatisfaction peut être très mauvaise conseillère.
Le risque est réel qu'à trop vouloir convaincre des opinions inquiètes des mérites de l'euro, on ne se sente exonéré des grandes réformes qu'appelle la gravité de la situation.
Si aujourd'hui l'euro se met en place, nous ne retirons rien aux critiques et aux propositions que nous avons faites. Quand le dernier communiqué du G.7 lui-même nous explique que le problème, ce n'est plus l'inflation, mais l'encouragement de la croissance de la demande intérieure en Europe, je me dis que le moment est venu de rediscuter le rôle de la Banque centrale européenne. Sa mission ne peut rester la lutte obsessionnelle "contre l'inflation" - c'est à dire la pression sur les budgets, les salaires, l'investissement productif -, mais au contraire une politique expansive et de crédit au service de l'emploi.
Aujourd'hui ces propositions prennent une crédibilité nouvelle avec les effets de la crise, mais aussi et surtout avec ce besoin de changement, de justice sociale, que nous sentons monter dans les différents pays.
L'arrivée ou la présence de la gauche - dans une diversité qu'il faut toujours avoir en tête- aux gouvernements dans la plupart des pays de l'Union fait grandir la question sur ce qu'elle est capable de faire avancer. Je ne suis pas naïf. Je mesure bien combien les grands partis sociaux-démocrates ou de centre gauche peuvent être sensibles aux pressions libérales, voire assument délibérément des choix sociaux-libéraux. Mais, justement, en ce qui nous concerne, nous pensons qu'il est de notre responsabilité de travailler à un débouché de gauche à la critique de l'Europe libérale; de poser au grand jour l'exigence que non seulement l'Europe ne soit pas le cheval de Troie du libéralisme, mais bien plus encore qu'elle contribue à la réussite de politiques de gauche qui rompent avec les choix ultralibéraux de ces dernières années.
Avancer vers l'Europe sociale c'est prendre des mesures pour favoriser la réduction sensible du temps de travail, pour l'harmonisation vers le haut des législations sociales. Nous ne partons pas de rien. Je sais l'impact de la législation française pour les 35 heures dans d'autres pays. Le conflit des routiers a posé en termes tout à fait concrets la nécessité de l'harmonisation des législations, face à la libéralisation du transport routier. Vous pourriez sans doute évoquer chacun d'autres exemples.
Avancer vers l'Europe sociale, c'est aussi promouvoir une éthique de la solidarité, à l'intérieur même de l'Union, et avec nos voisins et partenaires du Sud.
C'est modifier la conception de l'élargissement, pour faire des pays candidats de véritables partenaires, acteurs à part entière de la construction commune. C'est substituer aux dogmes de "la paix par la force" et à l'extension de l'OTAN, une OSCE rénovée garante d'une sécurité partagée.
Vous le comprenez, de telles idées sont pour nous-mêmes en mouvement. Elles indiquent un sens, et non pas un projet clé en main. Car évoquer une telle réorientation revient en fin de compte à s'interroger sur les moyens politiques, institutionnels que se donnent les citoyens pour être partie prenante des décisions qui les concernent.
Aujourd'hui l'Europe est trop souvent subie, parce qu'elle est faite en dehors des peuples. Depuis Amsterdam, on mesure mieux l'impasse dans laquelle se trouve ce que Jacques Delors appelle "la méthode de l'engrenage", cette méthode du fait accompli, dont on ne mesure les conséquences qu'une fois la décision prise. Je suis convaincu que si nous voulons que les gouvernements de nos pays apportent des réponses progressistes à la hauteur des problèmes communs, il y aura de plus en plus besoin que les citoyens interviennent et soient associés aux décisions.
C'est dire combien je considère que la démocratisation sera le cur de la réorientation. Démocratisation des institutions, démocratisation des instances de décision, démocratisation du débat national sur les enjeux européens.
La réponse qu'apporte le traité d'Amsterdam ne nous satisfait pas. Pour notre part nous voterons contre sa ratification. Et nous continuons au demeurant à demander que celle-ci fasse l'objet d'un débat national et d'un référendum.
Il est non seulement normal mais nécessaire que le peuple soit consulté à toutes les étapes importantes de la construction européenne.
C'est dans ce même esprit que nous travaillons à élaborer notre projet - ou mieux, notre vision de l'Europe - par un débat le plus large possible, ouvert, et qui connaîtra un moment fort les 7 et 8 novembre prochain avec la réunion de notre Conseil national à Strasbourg.
C'est avec la même démarche que nous aborderons les prochaines élections européennes, avec une liste ouverte, représentative de ce large courant d'opinion favorable à la réorientation progressiste de l'Union européenne, et dans laquelle, bien entendu, le Parti communiste aura une place visible.
Ce débat nous ne voulons pas le mener en cercle fermé. Il est nourri par les contacts avec d'autres forces européennes. Ces dernières années, les consultations et les coopérations entre les partis représentés dans le groupe - et plus largement - se sont multipliées pour le plus grand profit de tous. Dans cette dynamique, votre groupe de la Gauche unie européenne / Gauche verte nordique a joué un rôle tout à fait déterminant. Je voudrais souligner à cet égard combien nous nous félicitons de la qualité des liens établis entre les différentes composantes, faite de respect, de la recherche de convergences en dehors de toute contrainte. Et j'ajouterai: ça marche!
Par la qualité de votre travail, votre ouverture et votre capacité à trouver les points de convergence avec d'autres, vous faites entendre au Parlement européen une voix de gauche et écologiste, originale sans être marginale. A votre niveau, vous faites la démonstration qu'à partir d'approches ou de points de vue différents, on peut construire. Ce n'était pas acquis il y a cinq ans Or, aujourd'hui, le travail accompli offre des bases solides pour réfléchir à l'avenir.
Nous souhaitons pour notre part valoriser les coopérations engagées entre nos partis. C'est pourquoi je renouvelle ici notre proposition d'organiser dans les premières semaines de l'année prochaine, à Paris, une initiative publique où chacun pourrait présenter, à travers des débats et des expositions, ses propositions, ses orientations.
Vous le savez, nous sommes partie prenante de tout ce qui permet de développer les coordinations et les initiatives communes entre forces progressistes européennes, dans l'esprit des propositions avancées lors des rencontres de Madrid et de Berlin, et récemment à Rome.
Chers amis,
Vous le voyez, le Parti communiste français est totalement impliqué dans notre pays et en Europe, dans un effort constructif et déterminé pour réorienter la construction européenne. C'est pour nous une dimension essentielle de notre engagement pour la réussite du changement en France. C'est dire, je le répète, l'importance que j'accorde à vos journées d'études de Paris et ma reconnaissance pour m'avoir donné la possibilité de vous faire part de ces quelques réflexions. Je tiens à remercier tout particulièrement votre Président, mon ami Alonso Puerta, pour la chaleur de son accueil.
Je suis maintenant à votre disposition, si vous le souhaitez, pour échanger sur la situation en France et la manière dont le Parti communiste situe son apport dans la gauche plurielle et dans la politique menée par le gouvernement de la France.
(source http://www.pcf.fr, le 20 février 2002)