Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, à RTL le 30 septembre 1998, sur la coopération militaire entre la France et l'Allemagne après l'élection de G. Schröder, la coopération dans l'industrie aérospatiale, la mise en place de l'appel de préparation à la défense et les relations entre la police et la gendarmerie au moment du redéploiement des forces.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

- Olivier Mazerolle : Bonjour Alain Richard. Gérard Schröeder est nouveau Chancelier Allemand, il est à Paris aujourd'hui, est-ce que l'on peut penser à une relance des actions communes franco-allemandes, dans le domaine de la défense ?
- Alain Richard : C'est vraisemblable en effet. Vous savez, Gérard Schröeder est l'expression de la nouvelle Allemagne, une Allemagne qui s'est construite progressivement après les drames de la guerre. Je crois que cette nouvelle Allemagne souhaite être vraiment participante d'une Europe qui se construit, y compris sur les terrains politiques. Des bases existent déjà ; nous agissons en commun dans les crises ...
- Olivier Mazerolle : Où ?
- Alain Richard : Au Kosovo. Vous avez sans doute noté, cela a peu été observé dans la presse, que l'Allemagne et la France sont totalement au coude à coude pour chercher une solution à la crise du Kosovo. Et ils sont d'accord sur des options militaires qui s'imposeraient éventuellement. Nous sommes côte à côte en Bosnie : il y a une brigade franco-allemande qui sert en Bosnie ; nous sommes déjà en train de définir des objectifs en commun. Nous avons par exemple les mêmes positions sur la crise du Proche Orient. Et en plus nous travaillons à construire nos équipements d'armement en commun. Donc il y a déjà de bonnes bases et en effet, nous espérons - c'est la position du chef de l'Etat et de Lionel Jospin -, que l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle équipe entraînera, comme c'est normal, une relance.
- Olivier Mazerolle : Enfin, la France rêve de puissance européenne : on peut penser à une avancée vers un pilier européen qui aurait une autonomie de décision sans l'alliance Atlantique ?
- Alain Richard : Nous y avançons progressivement. Les Européens ont la volonté et les Etats Unis le tolèrent assez bien, parce qu'en même temps ils veulent partager les charges et les responsabilités. Fréquemment nos partenaires américains nous disent : " écoutez, sur des crises comme le Kosovo, c'est tout de même à vous d'assumer la responsabilité ". Je crois que c'est une tendance historique, donc ; par ailleurs, si cela correspond à notre volonté politique, tant mieux !
- Olivier Mazerolle : Sur la restructuration industrielle de l'Europe, de la production, donc du matériel de défense, on soupçonne parfois les Allemands de vouloir se tourner plus souvent vers les Anglais que vers la France...
- Alain Richard : On le fait en parlant comme s'il s'agissait des autorités politiques qui décident. Nous avons en effet en France notre mot à dire puisqu'il s'agit d'entreprises, soit publiques soit dans lesquelles l'Etat a des actions . En Grande Bretagne et en Allemagne, ce sont des entreprises privées et elles cherchent leurs intérêts. Je crois qu'il y a forcément cette volonté de construire un grand groupe de défense aéronautique et spatial, pour faire contrepoids à nos partenaires américains. Il y a des oppositions d'intérêts entre les entreprises ; et quand vous avez une discussion à trois, vous avez forcément des moments dans lesquels il y en a deux qui pensent à se rapprocher au détriment du troisième. Il se trouve que la France a un poids très important dans ces métiers-là : c'est à nous, à nos entreprises, Aérospatiale et Matra en l'occurrence, de jouer suffisamment habilement pour qu'on ait la constitution d'un groupe qui soit équilibré. C'est notre position : il n'est pas question qu'un groupe unifié de défense se fasse en minorant la part française et je pense que ce n'est pas l'intérêt des partenaires.
- Olivier Mazerolle : Samedi le service national nouveau arrive en France : la journée d'appel de préparation à la défense, dont c'est la première journée samedi prochain. Les garçons et à partir de l'an 2 000 les filles vont y aller. Alors une seule journée pour parler de la défense ça va la convaincre que c'est un sujet contemporain la défense ?
- Alain Richard : C'est l'objectif et à partir de cette rentrée également, vous l'avez déjà signalé, la défense entre dans les programmes des futurs citoyens au collège et au lycée. Donc l'appel de préparation à la défense n'est pas un acte isolé. Il viendra à la suite d'une initiation aux problèmes de défense, à l'école. Je crois que dans cette journée on peut en effet montrer aux jeunes les points principaux qui font les enjeux de la défense, c'est à dire les menaces et les risques auxquels il faut se préparer , les grands choix qui organisent notre défense c'est à dire à la fois protéger le territoire et aussi pouvoir agir à l'extérieur pour traiter des crises où nous avons des intérêts et des principes à défendre, montrer également comment marche le système et ce que font les femmes et les hommes qui travaillent à la défense. Je crois qu'à la sortie de cette journée, les jeunes auront une compréhension de sujets sur lesquels, au fond, ils auront à opter en tant que citoyen.
- Olivier Mazerolle : Tout de même j'y reviens, la société contemporaine parle de mondialisation. Une journée pour parler de la défense...on va en parler un peu à l'école, enfin c'est important... ? Est ce qu'il faut pour qu'un citoyen soit conscient d'un enjeu qu'on prenne énormément de son temps ?
- Alain Richard : Le service militaire a eu son utilité et nous en avons encore besoin pour quelques années pendant la transition. Mais les besoins de défense que nous avons supposent aujourd'hui, pour l'essentiel, des professionnels : c'est cela qu'on va expliquer aux jeunes en leur disant qu'en même temps, en tant que citoyen, ils restent concernés et d'ailleurs un certain nombre d'entre eux feront une préparation militaire et serviront dans la réserve dont nous avons également beaucoup besoin.
- Olivier Mazerolle : Ceux qui redoutent une dilution de la cohésion nationale parce que le service militaire qui quand même formait le ciment dans le creuset français... ?
- Alain Richard : Ceux qui redoutent cela peuvent demander qu'un jour notre pays décide, par exemple, un service civil obligatoire pour tout le monde... ! Ce sont des débats qui peuvent s'ouvrir mais est-ce que c'est à l'activité militaire, alors que ses besoins ne sont plus ceux-là, d'organiser quelque chose qui sert au fonctionnement civique ? En pensant qu'il est bien de le faire par l'organisation de cette journée, les armées continueront à jouer leur rôle dans la société française et à être aussi ouvertes et aussi communicantes que possible. Je crois qu'il est très important qu'elles soient perçues comme un des grands services sur lesquels la nation peut compter, mais y-a t'il au fond besoin d'une obligation pour rendre les gens citoyens ?
- Olivier Mazerolle : Le volontariat ça va marcher ?
- Alain Richard : Nous en sommes convaincus. Ce sont des emplois, les premiers concerneront les jeunes dans la gendarmerie, mais ensuite, dans les armées. Cette année nous commençons avec 800 emplois, et ce sera près de 3000 l'année prochaine dans la gendarmerie. Ce sont des emplois de débutants pour des jeunes qui, s'ils réussissent, entreront ensuite véritablement dans la carrière.
- Olivier Mazerolle : Alors à propos de gendarmerie et de police, il y avait un plan de redéploiement du gouvernement sur l'ensemble du territoire, qui est reporté, parce que les villes qui ont des commissariats de police ne veulent pas de gendarmes.
- Alain Richard : Je crois que nous avons sans doute insuffisamment expliqué ce dont il s'agissait. Ce que le premier ministre a dit, vous l'avez d'ailleurs remarqué, c'est que les objectifs devaient bien être maintenus parce qu'il faut autant que possible que les gendarmes et les policiers, qui remplissent bien leurs missions les uns et les autres, soient chacun sur les terrains auxquels ils sont le mieux préparés.
- Olivier Mazerolle : On dit : " les gendarmes ne se lèvent pas la nuit, ne surveillent pas la sortie de nos écoles, ils ne font pas d'îlotages... "
- Alain Richard : Certaines organisations syndicales de police disent cela et je voudrais les mettre en garde. Les gendarmes font bien leur boulot. Tous les Français dont la sécurité est assurée par les gendarmes le savent. Les policiers, là où ils sont en charge, font également bien leur boulot. Que leurs syndicats défendent leurs intérêts professionnels, parce qu'il ne faut pas oublier de dire que les postes dans les petites villes, là où il y a des commissariats, sont des postes agréables pour les policiers... ; il est donc normal que les policiers tiennent à ces postes là. Mais qu'ils ne critiquent pas les collègues. Je vois tous les jours, beaucoup de responsables locaux qui sont concernés voient tous les jours des policiers et gendarmes travailler ensemble, travailler correctement. Ce n'est pas aux organisations syndicales de policiers d'abîmer ce climat.
- Olivier Mazerolle : Alors les gendarmes n'ont pas de syndicat, c'est vous le syndicaliste en chef, pour parler à leur place.
- Alain Richard : En effet. Je pense que c'est un service public dont le pays peut être fier et qui respecte largement, aussi bien que tout autre, les droits des citoyens.
- Olivier Mazerolle : Merci Alain Richard.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 8 janvier 2002)