Déclaration de M. Georges Sarre, porte-parole du Mouvement Républicain et Citoyen, et interview dans "L'Est-Eclair" le 13 mai 2004, sur les enjeux des élections européennes, les objectifs et la stratégie du MRC et le libéralisme.

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Média : L'Est éclair

Texte intégral

ALLOCUTION DE GEORGES SARRE À LA RÉUNION PUBLIQUE MRC DE ROMILLY

jeudi 13 mai 2004
Mesdames, Messieurs, Chers camarades,
Nous sommes à un mois des élections européennes ! Des élections pour quoi faire ? Me direz-vous Il est effectivement légitime de se poser la question.
J'ai fait partie des premiers élus au suffrage universel au Parlement de Strasbourg en 1979. J'ai souvent le sentiment que rien n'a changé. Tout s'est aggravé. L'alibi démocratique que constitue cette assemblée sert une fois tous les cinq ans à légitimer la construction européenne qui n'a rien de démocratique.
Regardons la réalité en face : Les élections auront lieu le 13 juin. Le 17 ou le 18 juin suivant, nos gouvernements signeront la fameuse et prétendue " Constitution " européenne. Ainsi seront-ils sûrs de ne pas voir les peuples sanctionner ce funeste texte !
Les élections du 13 juin ne seront donc pas une occasion d'aller à l'essentiel : dire " non " à la " Constitution " européenne.
Regardons les faux débats que l'on nous impose :
La Turquie d'abord ! Elle est l'objet de tous les assauts de démagogie, de lâcheté et de petits arrangements électoraux avec la vérité.
Le Sommet d'Helsinki en 1999 a fait de la Turquie une candidate à l'adhésion. Personne n'a, en revanche, pris la responsabilité politique de dire explicitement " oui " à son entrée dans l'Europe communautaire. On la laisse en revanche franchir toutes les étapes techniques de son adhésion
Les gouvernements européens qui laissent la Turquie faire tous les efforts requis pour entrer dans l'Union européenne confient la rédaction de leur pseudo constitution à un adversaire farouche de l'adhésion d'Ankara !
Jacques Chirac se contente de dire : " Oui à la Turquie mais dans quinze ans ! " tandis que son parti - l'UMP - dit : " La Turquie jamais, mais dans quinze ans quand même. " On cherche à coller à un électorat que l'on sent réticent Ce n'est même plus de la navigation à vue, c'est une lente dérive.
Quant aux " souverainistes ", ils prétendent maintenant " sauver l'Europe " en refusant l'entrée de la Turquie. Il faut quand même manier le paradoxe avec brio pour dénoncer la machinerie communautaire et en même temps vouloir la sauver !
Les socialistes sont loin d'être exempts de critiques en la matière : se partageant les rôles, ils envoient l'un dire " oui " à la Turquie, l'autre " non " et le troisième dire que ce n'est pas le moment !
Voilà résumée l'Europe : Une machinerie incapable de définir ses propres frontières, une entité incapable de prendre des décisions politiques, des hommes politiques qui oscillent entre contemplation satisfaite de leur impuissance organisée et dissimulation éhontée.
L'autre volet de la campagne électorale, c'est l'Europe sociale !
Merveilleux gadget que l'on nous ressort depuis des années ! En 1992, le PS faisait déjà campagne pour Maastricht en mettant en avant l'Europe sociale !
Laurent Fabius déclarait, le 12 septembre 1992 - il y a donc douze ans - : " Partout le monde du travail appelle à la ratification du traité. Ce n'est pas un hasard. Le chemin du progrès social passe par le " oui ". Ce traité va permettre des avancées pour le monde du travail. Le rejeter quand on est un représentant du monde du travail ? On n'y comprend plus rien. "
Jacques Delors nous disait qu'il fallait " voter oui pour ne pas casser la dynamique ".
Et Jacques Delors anone comme il y a douze ans la ritournelle selon laquelle, il faut voter oui et après " on se mettra au boulot pour l'Europe sociale " !
Il faudra bien un jour nous expliquer comment on peut se moquer du monde à ce point ! Chaque avancée du néo-libéralisme, chaque recul de nos acquis sociaux, de notre démocratie, chaque traité européen est bon parce qu'il fait avancer l'Europe et qu'il permettra, un jour, l'Europe sociale !
Et l'on nous présente une pochette surprise frappée du poing et de la rose à l'intérieur de laquelle on découvre, les yeux embués de bonheur, un Smic européen, des services publics européens ou mieux un traité social européen ! C'est beau comme une image pieuse de Jean Monnet ! C'est merveilleux ! On en est émus !
Les supplétifs de l'Europe libérale ce sont ceux qui, comme le dénommé Larrouturou, se font les chantres d'un " traité social ". Pour le progrès social ? Non pour l'Europe ! Il faut quand même promettre quelques progrès sociaux pour que les peuples suivent ! De là à les réaliser, c'est une autre affaire, à laquelle on ne risque pas de s'attaquer
On échappera miraculeusement à l'ineffable Dany Cohn-Bendit, tout occupé à se faire réélire en Allemagne, pour entendre les sempiternelles péroraisons des Verts sur l'Europe des régions et les propositions du Parti vert européen, dernière invention de bobos en manque de sensations
Les fumigènes sont en place ! Turquie, Europe sociale Voilà de quoi amuser la galerie !
Oui, mesdames, messieurs, il faut dire la vérité sur l'Europe !
Voyez certains responsables de partis politiques - le, PS, l'UDF ou l'UMP : posez leurs quelques questions !
Comment lutter contre les délocalisations ? Une réponse, Monsieur Hollande ? Non un joker : l'Europe !
Comment lutter contre la précarité ? Une réponse, Monsieur Strauss-Kahn ? Non un joker : l'Europe !
Sauver et développer nos services publics ? Une réponse, Madame Guigou ? Non un joker : l'Europe !
Promouvoir une vision du monde alternative de celle des faucons de Washington ? Une réponse, Monsieur Barnier ? Non, un joker : l'Europe !
Lutter contre les dangers de l'économie casino ? Une réponse, Monsieur Juppé ? Non, un joker : l'Europe !
Multipliez les questions : sur la politique industrielle, sur les droits des salariés, sur la santé, vous n'obtiendrez pas de réponse mais un joker : l'Europe !
Pendant ce temps, les vrais sujets ne seront pas abordés !
Et cela dure depuis le traité de Rome ! Depuis 1957 ! A l'époque on entendit deux hommes de gauche se dresser contre le " Marché commun " : Pierre Mendès-France et Pierre Cot.
J'invite chacun à relire les débats de l'époque. Il y eut bien quelques visionnaires pour entrevoir ce qui allait se passer.
Ensuite l'Europe fut un long processus de dépossession des citoyens de leur pouvoir. Peu à peu, la Commission a accru ses pouvoirs. Peu à peu, le Conseil, là où les ministres se réunissent, a développé un système de prise de décision opaque. Peu à peu, le droit européen a rongé notre modèle social.
Les différentes étapes de l'intégration européenne : Acte unique, traité de Maastricht, d'Amsterdam et de Nice ont apporté leur pierre à l'édifice néolibéral. Chaque étape a contribué au " Grand bond en arrière " récemment dénoncé par Serge Halimi, dans un livre que je vous recommande.
Le mariage du libéralisme et de l'Europe est ancien. C'est un mariage sans divorce ni répudiation possible. L'Europe libérale c'est l'Europe. L'Europe c'est l'Europe libérale. L'un ne va pas sans l'autre !
Regardons les choses en face : L'Europe s'en est d'abord pris aux télécommunications. Puis ce fut la Poste, avec la complicité du Parlement européen et de bon nombre de sociaux libéraux y siégeant. EDF-GDF aujourd'hui, la Sncf demain. Quant à Air France, c'est fait.
Peu à peu on jette des pans de notre modèle social dans les griffes du marché.
Les conséquences chacun les ressent ! Chacun les connaît ! Chacun les vit !
Les inégalités n'ont fait que croître !
Alors, pour paraître fréquentable, il faudrait encore nous dire " Européens " ! Mais jusqu'à preuve du contraire, l'Europe, nous avons les pieds dedans !
Et ce n'est sûrement pas en opposant une vision idéalisée de l'Europe que l'on va combatte efficacement la réalité de l'Europe qui se fait et que nous pourrons nous attaquer aux vrais problèmes de fond !
Et il y a des enjeux à traiter ! Nos économies sont confrontées à une crise pétrolière qui couve !
Les causes en sont connues : la croissance chinoise a fait exploser la demande et la politique impérialiste de Washington a semé la confusion et le désordre dans tout le Moyen-Orient.
Aucun pays producteur de pétrole n'est indemne des menées impérialistes des Etats-Unis et cet état de guerre permanente n'arrange rien.
Remarquons que c'est en pleine crise de l'énergie que notre gouvernement et le ministre de l'Economie, Nicolas Sarkozy, décident d'accélérer le changement de statut d'EDF et GDF !
Mais nous n'avons pas besoin de plus de concurrence ! Nous n'avons pas besoin que le marché ronge notre politique énergétique ! C'est une pure folie que de favoriser une telle politique !
Pour répondre au désordre économique, on nous propose un surcroît de libéralisme !
Et de fait, les inégalités ne font que croître : les patrons du CAC 40 voient leurs rémunérations augmenter tandis que le nombre de smicards augmente !
La précarité devient le sort commun de plus en plus de Français, le droit social est de plus en plus souvent bafoué et la violence dans l'entreprise se développe
On nous a proposé tant de remèdes pour sortir de cette situation ! L'excellent traité de Maastricht, la merveilleuse Monnaie unique, le bon Pacte de stabilité, la bonne et efficace Banque centrale européene !
La vérité est que les difficultés n'ont fait que croître !
Le texte de la prétendue " Constitution " de l'Union européenne va nous précipiter dans une spirale de difficultés ! Ce texte nous condamne au libéralisme à perpétuité.
La loi de la jungle pour tous ! Voilà l'essentiel du volet économique du texte préparé par Valéry Giscard d'Estaing pour les gouvernements européens Son article 3 ; sa troisième partie sont sortis des rêves les plus oniriques des " Chicago boys ", ces économistes qui pensaient que le marché allait tout résoudre !
Parallèlement, il développe le mécanisme de prise de décision qui a prévalu depuis le traité de Rome Loin des peuples, très loin des peuples, dans des cénacles inaccessibles se décide l'avenir des citoyens.
La société européenne existe ! Elle concerne quelques dizaines de milliers de personnes sur notre continent qui ont rompu les liens avec les citoyens des Etats membres et se concentre dans les institutions européennes, les lobbies de Bruxelles ou les grandes firmes transnationales. Un bon nombre d'entre eux " font " l'Europe depuis les ministères nationaux
Peut-on continuer plus longtemps ainsi ? Non !
C'est la raison pour laquelle nous mènerons campagne pour obtenir un référendum sur le projet de Constitution européenne. Nous mènerons campagne pour dire " Non ! " à ce funeste texte !
Beaucoup de militants, de sympathisants ou d'amis du MRC, de la gauche républicaine, me disent qu'ils regrettent notre décision de ne pas aller aux élections européennes.
Notre choix découle de la situation que je décrivais précédemment Nous avons fait le choix d'une longue marche et de ne compter que sur nos propres forces. Ce choix, nous l'assumons.
Ne pas aller à ces élections n'a pas été un choix fait de gaîté de cur, mais ce fut un choix nécessaire.
Regardez la situation : Le découpage de la France en huit circonscriptions relève du pur scandale.
Rapprocher les élus des citoyens nous dit on ! Et pourtant les gazettes se font l'écho des parachutages en série !
Il est certain que faire partie des quelques élus d'une circonscription comprenant parfois cinq régions est susceptible de resserrer les liens avec les citoyens De qui se moque-t-on ?
En divisant la France en vastes zones électorales, on est un peu plus sûr de casser toute possibilité de créer un débat et donc de marginaliser les forces alternatives. On laisse aux mastodontes partisans le soin d'organiser une campagne en trompe-l'il afin d'éviter les vrais débats !
Une suite de dialogues Lamassoure-Moscovici, Rocard-Bayrou, Juppé-Fabius, ou même Delors-Barre ! Je dis dialogue, pas débat ! A la manière des brillants échanges récemment parus de Bernard et Dany !
Une campagne ? Non. Un étalage de babillages narcissiques. Une série de connivences bavardes.
Le soir des résultats, chacun pérorera à loisir sur " les Français qui ne comprennent pas l'Europe " ou a contrario sur le fait que " les Français, épris d'Europe, sont plus européens que leurs dirigeants ! "
Alors, comme je vous l'ai dit : Cap sur le référendum ! Notre objectif c'est l'insurrection des urnes contre le projet de " Constitution " européenne !
En la matière Nicolas Sarkozy nous aide. Son opération de dimanche a eu pour mérite d'accroître la pression sur le président de la République. Le vaudeville qui s'en est suivi, avec le ralliement de Juppé à la position de l'UMP, immédiatement contredit pas un communiqué rageur de l'Elysée, prouve que le sujet agace
Il nous faut donc accroître la pression citoyenne pour l'obtention d'un référendum !
Ce travail militant chacun d'entre nous doit le mener !
Le MRC est un parti qui aime la France et les Français.
Je vous remercie !
(Source http://www.mrc-France.org, le 18 mai 2004)
INTERVIEW DE GEORGES SARRE PARUE DANS L'EST-ECLAIR
jeudi 13 mai 2004
Depuis la présidentielle de 2002, le mouvement chevènementiste semble en perte de vitesse
Jean-Pierre Chevènement a réalisé un score très honorable à l'élection présidentielle. Même si nous espérions mieux. Il est vrai que, depuis la présidentielle, on peut croire que le Mouvement républicain et citoyen est, comme vous dites, " en perte de vitesse ". C'est une illusion d'optique liée en premier lieu aux modes de scrutins et aux modes de financement des partis politiques. Il est bien évident que sans argent, et avec des lois électorales qui favorisent outrageusement les grands partis, un mouvement comme le nôtre est réduit à l'alternative suivante : soit il se met dans l'orbite d'un grand parti, et négocie avec lui des élus, soit il défend son indépendance, au risque de perdre des élus. Nous avons, aux élections législatives, chèrement payé notre indépendance. Mais rien n'est plus précieux que la liberté de parole.
Comment le MRC pourrait à nouveau percer dans le paysage politique français ?
Le MRC percera par son analyse et son projet. En 2004, les Français ont dit à l'occasion des élections régionales leur ras-le-bol de l'ultra libéralisme au pouvoir et de la régression sociale que la droite impose au pas de charge. Mais rappelons nous qu'en 2002, les mêmes souffrances et le même ras-le-bol avaient abouti à la sanction du gouvernement socialiste, et du Premier ministre sortant, candidat à l'élection présidentielle Donc, au fond, les Français refusent le libéralisme, et attendent de la Gauche qu'elle change de ligne politique. Le MRC peut fournir à la gauche le logiciel républicain et social qui donnerait un sens à l'alternance : nous sommes porteurs d'une véritable alternative, d'un changement de politique en profondeur. C'est pour cela que nous finirons, non seulement par " percer ", mais par gagner.
Dans quel état d'esprit et avec quels objectifs le MRC aborde-t-il les européennes ?
Nous entendons d'abord réclamer un référendum sur le traité constitutionnel. Jacques Chirac s'y est engagé, sa promesse l'oblige. L'Europe actuelle sert d'outil formidable à ceux qui veulent priver le peuple de tout pouvoir de décision et lui imposer la régression sociale, le nivellement par le bas dans tous les domaines. Nous défendons au contraire une France forte, un peuple souverain, capable de défendre ses acquis sociaux et de coopérer avec tous ceux qui veulent aller dans le sens du progrès, en Europe bien sûr, mais aussi à l'échelle internationale. Nous défendrons cette vision, soit sous nos propres couleurs, soit en alliance, dans des listes de rassemblement contre l'Europe libérale et pour l'Europe des Nations solidaires.
Le MRC milite pour une politique de rupture avec l'Europe libérale et le libéralisme mondialisé ; est-ce l'axe central de votre programme pour les européennes ?
Oui. C'est le sens de tout notre engagement : rendre la parole au peuple pour que les décisions soient prises démocratiquement, et qu'on cesse de nous imposer à Bruxelles ou à l'OMC ce dont nous ne voulons pas. La mondialisation libérale est un processus de mise en concurrence sauvage des peuples et des économies. Il en résulte le nivellement par le bas. Je prendrais deux exemples flagrants : l'emploi et l'environnement. Dans le domaine de l'emploi, la libre concurrence généralisée induit des délocalisations dans les pays à faible coûts de main d'uvre, d'où, chez nous, des pertes d'emplois, ainsi que l'abaissement des salaires, des protections sociales, des services publics, pour être " concurrentiel ". Le monde et l'Europe marchent sur la tête, il faut rebattre les cartes de la mondialisation, et la France doit en prendre l'initiative.
Quels autres projets portez-vous pour l'Europe ?
Il faut remettre à plat le statut de la Banque centrale européenne, qui étouffe la croissance et n'obéit pas aux décisions populaires. L'euro devait nous apporter monts et merveilles, chacun peut aujourd'hui mesurer le résultat. Sans nécessairement remettre en cause l'Euro, il faut changer de politique monétaire. Il faut aussi renforcer considérablement le rôle des Parlements nationaux dans la prise de décision européenne pour qu'ils se prononcent systématiquement sur les grandes lois européennes, et puissent s'opposer à ce qui est contraire à l'intérêt national. Nous proposons aussi que l'Europe engage un partenariat beaucoup plus poussé avec les pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Ne tournons pas le dos à la Méditerranée ! J'ajoute que c'est dans le cadre de ces partenariats que la place de la Turquie en Europe peut être résolue : le débat qui déchire actuellement les européïstes montre bien l'ineptie de l'Europe fédérale. En effet l'UMP, l'UDF et le PS se rejoignent dans le projet mythique d'une grande nation européenne, mais ce projet est tellement surréaliste qu'ils sont incapables d'en définir le sens, ni même les frontières, d'où le débat sur la Turquie
Propos recueillis par Pierre Raynaud.
(Source http://www.mrc-France.org, le 18 mai 2004)