Interview de M. José Bové, porte-parole de la Confédération paysanne à France-Inter le 31 décembre 2003, sur l'actualité, le rassemblement altermondialiste et le Forum social européen, la guerre en Irak et l'arrestation de S. Hussein.

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Média : France Inter

Texte intégral

P. Weill-. Il a été très présent dans l'actualité cette année : il a passé six semaines en prison pour destruction de plans transgéniques, on l'a vu devant près de 200 000 personnes au Larzac, début août, pour un grand rassemblement altermondialiste, dans une grande émission de télévision en septembre, et puis, en novembre, on l'a vu et entendu devant le Forum social européen près de Paris. J. Bové est l'invité de " Question directe ", porte-parole de la Confédération paysanne et véritable icône des altermondialistes. [...] D'abord une mise au point : lors de ce Forum social européen, en novembre, près de Paris, vous avez dit que "N. Sarkozy transformait les banlieues françaises en camps". On a parlé à l'époque d' "un dérapage verbal" de J. Bové. Il y a des camps, donc, actuellement, créés par N. Sarkozy en France ?
- "Je n'ai pas dit N. Sarkozy, j'ai dit que la police de N. Sarkozy, aujourd'hui, effectivement, donnait cette impression et transformait... Effectivement, l'image était forte, l'image est peut-être trop forte, mais ce qui est vécu aujourd'hui, dans les banlieues et ce qui est vécu notamment à Saint-Denis, où il y a véritablement eu des problèmes importants, ont amené les jeunes de la commune de Saint-Denis à faire publier, à transmettre à tous les jeunes, un petit manuel sur la façon dont la police doit se comporter, sur le code de déontologie de la police. C'est vrai qu'il y a une espèce de criminalisation tout à fait insupportable. Je crois que par rapport à cela, il y a nécessité de réagir. Alors, j'ai dénoncé une situation mais ce qui n'a pas été repris, et c'est dommage, c'est que face à une situation qui est de plus en plus tendue, les jeunes plutôt que de réagir par une violence qui serait destructrice et qui n'aboutirait à rien, sont rentrés dans la pédagogie et ont commencé à faire l'instruction civique, ont fait du théâtre pour dénoncer cela, et se sont organisés. Et cela, je l'ai effectivement affirmé, malheureusement cela n'a pas été repris ; seule la situation de départ a été reprise et, une fois de plus, on en est resté là. Donc, je suis très content de pouvoir, ce matin, faire le reste de la proposition qui est de dire que, face à des situations de violence, eh bien il ne faut pas répondre par la violence mais plutôt par la pédagogie et retourner la situation, comme le font les jeunes aidés par la mairie de Saint-Denis."
On se souvient de votre opposition très nette à la guerre en Irak ; qu'avez-vous ressenti le jour de l'arrestation de S. Hussein ?
- "Je n'ai absolument pas pleuré par le fait que le président S. Hussein soit arrêté. J'ai été choqué par les images que j'ai vues et depuis, beaucoup de témoignages, visiblement, vont dans le sens du fait de dire que monsieur S. Hussein était drogué. Donc, le fait qu'un dictateur soit arrêté, c'est quelque chose qui est dans l'ordre des choses. Je m'aperçois que c'est relativement sélectif, parce que malheureusement il reste beaucoup de dictateurs dans le monde. Aujourd'hui, je fais partie de ceux qui disent qu'il faut qu'il y ait un véritable procès, que ce procès ait lieu en Irak, qu'il ait lieu sous les auspices de l'Organisation des nations unies, et que de manière très claire, on affirme qu'il ne puisse pas y avoir de peine de mort qui puisse être prononcée dans ce procès. Je crois qu'il faut qu'on soit dans un procès politique, il y a eu effectivement des choses inacceptables faites par S. Hussein contre sa propre population. Je crois que c'est nécessaire qu'il soit jugé, mais je crois qu'il faut affirmer le droit international et le droit à la vie. Je crois qu'il faut qu'on soit clair, que sous l'auspice des Nations unies la peine de mort soit déclarée illégale."
Cela dit cette guerre obtient donc un résultat important : la fin d'un dictateur sanguinaire.
- "Je pense que si M. Bush avait dit qu'il fallait éliminer un dictateur, je pense qu'il y avait d'autres moyens pour le faire ; on pouvait soutenir la population irakienne. Quelques semaines avant cette guerre en Irak, j'ai participé à la Maison de la radio, au centre de la presse internationale, à une réunion avec l'ensemble des organisations irakiennes qui avaient lutté contre S. Hussein - y compris des officiers, y compris des chiites, y compris les anciens groupes politiques -, et tous attendaient un soutien de la communauté internationale pour organiser une véritable résistance. On a été capable de soutenir ceux qui s'opposaient à la présence soviétique en Afghanistan, il est curieux que dans cette affaire-là, on n'ait pas favorisé le choix de la libération du pays par ses propres habitants. On voit aujourd'hui que de plus en plus d'opposants à la présence américaine se manifestent. On a vu que ces derniers jours, même dans la communauté chiite, que maintenant il commence à y avoir aussi des actions contre cette occupation américaine. Donc, je pense qu'aujourd'hui elle est contre-productive et que, malheureusement, pour la population irakienne, c'est du malheur qui se rajoute à du malheur."
Cela dit, vous parlez de résistance irakienne, mais ce n'est pas facile de résister face à un régime qui pendant près de 20 ans a organisé une dictature redoutablement efficace.
- "Il est évident que de la même manière qu'en Afghanistan les moudjahidins étaient isolés, ils ont été soutenus par la communauté internationale et tout le monde a trouvé cette résistance absolument admirable. Je note que quand les officiers se sont soulevés contre S. Hussein, il y a une quinzaine d'années, ils n'ont absolument pas été soutenus. Bien avant déjà, dans les années 70, des oppositions s'étaient faites dans le sud de l'Irak et dans différentes régions contre le régime de S. Hussein et la communauté internationale a fermé les yeux, a continué à soutenir S. Hussein parce que c'était l'intérêt, en termes géostratégiques, par rapport à l'Iran ou par rapport au pétrole. Donc, je trouve que dans cette affaire, véritablement, la géopolitique est toujours très cynique et pas du tout humanitaire."
Je disais que vous êtes une des figures importantes de l'altermondialisme, une sorte d'icône. On critique souvent les altermondialistes en disant qu'ils surfent sur les mécontentements, qu'ils sont un peu opportunistes, qu'ils critiquent, qu'ils n'ont pas de propositions vraiment concrètes à faire. Qu'est-ce que vous répondez ? On parle même de populisme chez vous.
- "C'est assez étonnant. On parle de populisme chez des gens qui n'ont pas vocation à prendre le pouvoir, qui se sont toujours clairement situés dans une logique de contre-pouvoir face à l'appareil économique ou face à l'Etat. Donc, je pense que cette critique, aujourd'hui, ne tient pas. En termes de propositions, depuis des années, depuis 1999, date emblématique, puisque c'est l'échec du sommet de l'OMC de Seattle, énormément de propositions ont été faites. Et quand on a critiqué, par exemple, le sommet de Cancun au mois de septembre, avant qu'il ait lieu sur le plateau du Larzac comme vous l'avez rappelé, on a dit que ce sommet serait un échec et qu'il fallait que ce soit un échec. Si on l'a dit, c'est parce qu'effectivement cela allait contre le droit des peuples, notamment en matière agricole. On a vu comment la majorité des pays du Sud a refusé le diktat des Etats-Unis et de l'Europe en agriculture ; on a vu le scandale du coton et comment aujourd'hui les producteurs de coton africains sont ruinés par les subventions américaines et européennes à leurs propres producteurs. Donc, on voit bien qu'aujourd'hui, les critiques que nous faisons sont des critiques qui sont fondées, parce qu'elles représentent l'intérêt de la majorité des populations."
C'est très bien de faire des critiques, de jouer le rôle d'aiguillon, de faire de la résistance, mais est-ce qu'à un moment donné, il ne faudrait pas que vous vous lanciez vraiment dans la politique, dans l'action, pour pouvoir prendre des décisions ? Il y a des scrutins qui vont se dérouler en 2004 - élections régionales, élections européennes - cela ne vous tente pas ?
- "Personnellement je suis syndicaliste. Cela ne me tente pas et je continue le combat en tant que syndicaliste. A plusieurs reprises, nous avons parlé du droit et ce qui me paraît important, c'est que grâce à nos mouvements, on a pu faire avancer le droit. Si des associations comme Médecins du monde, l'association Act-Up, des associations africaines, ne s'étaient pas mobilisées, n'avaient pas fait des pressions contre les laboratoires pharmaceutiques, à aucun moment on aurait pu avoir une déclaration affirmant que la santé passait avant le marché, jamais on aurait pu entraîner ce bras de fer contre les firmes pharmaceutiques qui vendent les médicaments à des prix prohibitifs à cause des brevets. De la même manière, aujourd'hui, nous nous battons - et c'est mon rôle, et c'est ce que je vais faire une fois que je ne serai plus porte-parole de la Confédération paysanne -, je vais continuer le combat pour faire reconnaître le droit à la souveraineté alimentaire pour l'ensemble des populations. C'est-à-dire que les agriculteurs puissent vivre de leur travail, que les populations puissent se nourrir à partir de leur propre agriculture sans être victimes du dumping des pays du nord."
J'ai en effet lu que vous avez l'intention de démissionner de votre poste de porte-parole de la Confédération paysanne en 2004. J'aimerais savoir quel est le parti politique français dont vous vous sentez le plus proche actuellement ?
- "Je n'ai jamais appelé à voter pour aucun parti politique, je n'ai jamais affirmé de préférence pour les partis politiques. Il est évident que je me sens plus proche des partis politiques qui affirment être pour la transformation sociale, pour l'égalité des chances, pour la répartition des richesses ou pour que les droits des exclus puissent effectivement avancés. Effectivement, je ne me sens pas proche d'un gouvernement comme celui de monsieur Raffarin, qui, au 1er janvier, va faire des coupes dans le revenu des gens qui sont aujourd'hui au chômage et qui vont se retrouver au RMI par centaines de milliers le 1er janvier. Donc, c'est évident que je ne peux pas me sentir proche de ce gouvernement. Mais de la même manière, au cours des années passées, j'ai été obligé de dénoncer la politique du gouvernement de monsieur Jospin, qui n'allait pas dans le sens d'une répartition des aides et qui laissait filer l'économie européenne vers la logique du libre-échange, vers la mondialisation. C'est pour cela que je me suis affronté très souvent avec P. Lamy, le commissaire européen au Commerce extérieur, et qui est membre en même temps du Parti socialiste."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 décembre 2003)