Interview de M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du Gouvernement, à RTL le 13 juillet 2004, sur la fausse agression antisémite dans le RER D et la nomination de Yves Guéna à la présidence de l'Institut du Monde arabe.

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Question (Jean-Michel APHATIE) : Le doute est en train de s'installer sur les modalités, et peut-être même sur la réalité de l'agression qu'une jeune femme dit avoir subie, vendredi sur la ligne D du RER, en région parisienne. Que pouvez-vous nous dire, ce matin, de l'état d'esprit dans lequel les policiers mènent cette enquête ?
Jean-François COPÉ (Réponse) : Vous comprendrez, d'abord que je ne puisse pas faire de commentaires précis. Cette enquête est en cours. La seule chose que je veux vous dire, c'est que Dominique de Villepin a tout de suite donné tous les moyens nécessaires pour que cette enquête se fasse dans les meilleures conditions possibles, sous la conduite, bien entendu, de la justice. Et donc, c'est vrai que la mobilisation est très forte pour que cette affaire soit élucidée le plus rapidement possible
Question (Jean-Michel APHATIE) : C'est vrai aussi que le doute est en train de s'installer ?
Jean-François COPÉ (Réponse) : Ecoutez, je ne peux pas dire cela à ce stade. Vous savez, les enquêtes d'investigations sont extrêmement poussées en la matière. Il s'agit bien sûr de retrouver des témoins - et c'est vrai que pour l'instant nous n'en avons pas - et, de la même manière, essayer de reconstituer ce qui a été évoqué, de telle manière que toute la lumière soit faite sur cette affaire.
Question (Jean-Michel APHATIE) : Hier soir, la chaîne LCI citait le témoignage de la mère de la victime, qui aurait mis en cause devant les policiers la santé mentale de sa fille. Confirmez-vous ce témoignage ?
Jean-François COPÉ (Réponse) : Je ne confirme ni n'infirme rien du tout. Comprenez-le, c'est d'abord les enquêteurs qui doivent faire ce travail. Mais vous savez, il y a en tout état de cause - d'ailleurs Alain Duhamel le rappelait très justement - un certain nombre d'éléments qui méritent d'être tirés de ce que nous venons de vivre.
Question (Jean-Michel APHATIE) : Lesquels ?
Jean-François COPÉ (Réponse) : D'abord, il y a eu une mobilisation considérable. Et ça, c'est le signe, à la fois que le mal est profond, et qu'il y a ici et là des gens très responsables, de tous bords politiques, qui se sont mobilisés. On a entendu le président de la République et le Premier ministre, naturellement. Mais on a entendu aussi de tous bords politiques une mobilisation forte. Comme, par exemple, le président du Conseil régional d'Ile-de-France qui, hier, a fait une séance spéciale au conseil régional pour que chacun exprime son indignation.
Question (Jean-Michel APHATIE) : À laquelle vous étiez ?
Jean-François COPÉ (Réponse) : J'étais en déplacement ministériel dans le Cantal au même moment, mais je veux saluer tout de même les initiatives qui sont prises, comme elles le sont de tous les milieux associatifs. Cela veut dire quoi, tout ça ? Cela veut dire que sur des sujets comme ceux-là, il y a des moments où il faut vraiment maintenant prendre les choses extrêmement au sérieux, et en appeler à la mobilisation de tous.
Question (Jean-Michel APHATIE) : Mais si toutes ces initiatives se déroulent sur une affaire qui après se dégonfle, ce n'est pas un peu gênant ? Cela n'entame-t-il pas la crédibilité de la parole des responsables politiques ?
Jean-François COPÉ (Réponse) : Je vais vous dire une chose : il faut bien voir qu'au-delà de l'émotion considérable qu'un récit comme celui-là peut provoquer, chez toute personne, il y a une réalité. Cette réalité, quoi qu'il arrive, ne doit pas être dissimulée : l'explosion du nombre d'actes racistes et antisémites, commis dans notre pays ces dernières années, est une réalité que nous devons combattre, car c'est un mal qui est réel, qui est probablement profond, et qui nécessitera à la fois beaucoup de moyens, beaucoup de temps et une intransigeance totale. Vous savez, ce que chacun doit comprendre, c'est qu'au-delà des exhortations, des mesures qui commencent à être prises de manière très méthodiques : tous les mois, un comité interministériel contre le racisme et l'antisémitisme, présidé par le Premier ministre ; un chantier prioritaire pour le ministre de l'Intérieur, avec des moyens, avec une mobilisation forte, des parquets ; une réflexion active dans le domaine de l'Education nationale, parce que ce sont les jeunes qui sont les principaux concernés. Tout cela veut dire que tout le monde est concerné. Cela veut dire qu'il faut en appeler aux citoyens et notamment la lutte contre l'ignorance et contre l'indifférence mérite une sacrée mobilisation ! Il y en a qui se disent que cela ne les concerne pas. Eh bien, je vais vous dire : quand ça commence comme ça, il faut bien que chacun comprenne qu'on est toujours le Juif ou le Noir de quelqu'un. Et ça, cela veut dire une nation qui a besoin de se remobiliser !
Question (Jean-Michel APHATIE) : Parmi les leçons à tirer de cet épisode, est-ce qu'il ne faudra pas attendre la prochaine fois avant de stigmatiser, avant de dénoncer, avant d'en appeler à l'opinion publique, que la réalité des faits soit établie ?
Jean-François COPÉ (Réponse) : Je crois que la vie n'est pas tout à fait organisée comme ça. Lorsque des faits sont rapportés dans une société hyper médiatisée comme la nôtre
Question (Jean-Michel APHATIE) : Qu'ils soient vrais ou qu'ils soient faux ?
Jean-François COPÉ (Réponse) : Attendez : l'émotion est toujours ce qui submerge en premier. Ensuite, il y a bien entendu l'esprit de responsabilité. La vérité doit toujours être connue. Tout doit être fait dans une République moderne, pour que tout soit mis en oeuvre afin que la vérité soit connue. C'est le travail bien entendu de la police, sous l'autorité de la justice. Cela va de soi et c'est à cela que nous nous employons. Pour autant, il y a aujourd'hui dans notre pays une montée avérée des actes racistes et antisémites. Songez par exemple que sur le premier semestre de l'année 2004, il y a plus eu d'actes constatés que sur toute l'année 2003. Et je ne parle là que des actes qui ont donné lieu à dépôts de plaintes. Chacun sait, au quotidien, que dans beaucoup de nos quartiers, il y a une montée très forte dans ces domaines, et que cela se traduit, hélas, par une loi du silence qui marque profondément beaucoup de nos concitoyens, et notamment les jeunes.
Question (Jean-Michel APHATIE) : Vous aviez reproché au gouvernement Jospin, en son temps, de ne pas avoir pris l'exacte mesure de la montée de l'antisémitisme en France. Depuis deux ans, votre Gouvernement en parle beaucoup, le dénonce, et pourtant, vous le dites vous-même, les faits antisémites n'ont jamais été aussi nombreux. Comment expliquez-vous cette contradiction ?
Jean-François COPÉ (Réponse) : Non, ce n'est pas une contradiction. C'est aujourd'hui un mal qui est réel
Question (Jean-Michel APHATIE) : Plus on en parle et plus ça monte ?
Jean-François COPÉ (Réponse) : Je pense l'inverse. En réalité, rien ne permet aujourd'hui de dire que ces actes n'étaient pas nombreux également il y a quelques années. Je pense qu'il y a deux méthodes de gouvernement
Question (Jean-Michel APHATIE) : Mais vous dites vous-même que dans les six premiers mois, ils sont beaucoup plus nombreux qu'en 2003.
Jean-François COPÉ (Réponse) : Oui, bien sûr, c'est vrai. Mais on peut aussi constater, en regardant les courbes que, par exemple, il y a une accélération juste après des attentats, par exemple, comme celui de Madrid. Donc tout ça, bien entendu, est à regarder très finement. Mais je veux aller au-delà de ça. Il y a deux méthodes de gouvernement en la matière : il y a celle qui consiste à dire : n'en parlons pas ; si on en parle, cela fait de la publicité. Moyennant quoi on ne prend pas de mesures et on est pour le moins dans une espèce de loi du silence généralisée. Il y a l'autre méthode, qui consiste à mettre le débat sur la table, à le poser dans sa plénitude, c'est-à-dire en terme de sanction naturellement, mais aussi en termes de prévention, d'éducation, de sensibilisation. Parmi les ennemis à combattre lorsqu'il s'agit de combattre l'antisémitisme ou le racisme, il y a l'ignorance. Il y a la manipulation, pour beaucoup de nos jeunes qui aujourd'hui sont victimes, par exemple dans certains quartiers, on le sait dans nos différentes villes, de comportements de prédicateurs qui tiennent des propos inadmissibles, inacceptables ! Tout cela doit donner lieu à une mobilisation, à tous les niveaux. C'est-à-dire qu'effectivement, il faut bien sûr que l'on identifie qui sont ces personnes. Mais aussi que l'on ait à chaque fois la sanction adaptée, la réponse à chacun de ces actes. Mais vous le comprenez : bien sûr, c'est l'affaire du Gouvernement, mais c'est l'affaire de tout le monde !
Question (Jean-Michel APHATIE) : Mais en parler ne fait pas régresser l'antisémitisme. Hélas !
Jean-François COPÉ (Réponse) : C'est pour cela que nous prenons également un certain nombre de mesures concrètes ! Mais ce que je veux vous dire, c'est qu'au-delà des crédits engagés, au-delà de la sécurisation des lieux, au-delà des sanctions qui sont prises, du travail qui est fait dans nos écoles, cela va être un travail de longue haleine et on ne relâchera pas l'effort !
Question (Jean-Michel APHATIE) : Plus anecdotique : Yves GUÉNA vient de quitter la présidence du Conseil Constitutionnel. Il va être nommé jeudi, en Conseil des ministres, à la tête de l'Institut du Monde Arabe. Yves GUÉNA a 82 ans. Vos amis politiques n'ont-ils pas droit à une retraite bien méritée ?
Jean-François COPÉ (Réponse) : Je crois que là, en l'occurrence, il s'agit d'un choix de compétence. Mais vous savez, je vois que votre question concerne bien sûr le problème de l'âge
Question (Jean-Michel APHATIE) : Mais à 82 ans, on n'a pas le droit à la retraite, à la tranquillité, à une vie différente ?
Jean-François COPÉ (Réponse) : Ce qui me paraît vraiment important dans tout cela, c'est qu'au-delà de cette polémique que je vois monter, il y a quelque chose...
Question (Jean-Michel APHATIE) : Je ne veux pas faire de polémique, je vous parle d'Yves Guéna
Jean-François COPÉ (Réponse) : Oui j'ai compris, mais j'entendais tout à l'heure que l'on parlait d'autres sujets sur les chefs d'entreprise. Dans tout cela, ce qui me paraît important, c'est de s'assurer que l'on met à chaque fois les hommes de compétence, aux postes qui conviennent.
Question (Jean-Michel APHATIE) : Quel que soit leur âge ? Jean-François Copé, avocat des octogénaires,
Jean-François COPÉ (Réponse) : Oh, pas seulement ! J'espère que vous l'avez bien compris !
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 juillet 2004)