Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur le "nouveau parcours de citoyenneté" mis en place avec la réforme des armées et la suspension du service national, Paris le 13 novembre 1998.

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Circonstance : Visite de M. Richard au lycée professionnel régional du bâtiment à Paris le 13 novembre 1998

Texte intégral

Messieurs les élus,
Monsieur le recteur,
Monsieur le proviseur,
Mesdames, messieurs,
Merci pour votre accueil. J'ai été ravi de découvrir votre cadre de travail ce matin. Je souhaite maintenant, puisque c'est l'un des buts de cette visite, évoquer avec vous très directement les problèmes qui nous intéressent ; et j'espère que les quelques réflexions personnelles qui vont suivre pourront stimuler plus encore le débat de tout à l'heure.
Permettez-moi d'introduire un peu trivialement les questions graves que nous allons aborder ensemble. Une habitude populaire a été prise de considérer le secteur du bâtiment comme la référence de toute l'économie française, d'en faire le thermomètre de l'activité et du moral de nos concitoyens : " Quand le bâtiment va, tout va. ".
Si j'extrapole un peu à partir de ce proverbe, et si je prends la réflexion que vous avez menée, dans ce lycée, sur la citoyenneté et l'esprit de défense, comme point de référence, je suis tenté à mon tour de dire que tout va bien et que le pays tout entier s'interroge sur la nouvelle place des armées dans la nation, les mérites du nouveau parcours de citoyenneté, ou encore l'avenir du volontariat.
Pourtant, je crains que cette fois le bâtiment n'ait eu davantage un rôle de guide, de précurseur, que de référence ; et je ne peux que vous féliciter de cette position ! Elle montre que vous savez construire aussi un espace de dialogue public, c'est-à-dire un espace de citoyenneté ; que vous savez aussi bâtir la République à travers l'une des ses fondations essentielles, la réflexion et le débat.
Mais j'en viens tout de suite au cur du sujet : la nouvelle place des armées et de l'esprit de défense dans la République, au moment où le service national est suspendu pour ceux d'entre vous qui sont nés après 1979. Vous avez rappelé, Monsieur le proviseur, la force du lien qui existe entre la République et la conscription. Pour moi, la suspension de l'appel automatique sous les drapeaux pose deux vrais défis :
*la modification de l'une des étapes de citoyenneté, de l'un des facteurs de cohésion nationale d'une part ;
*le renouvellement du lien entre l'armée et la société ; sa place nouvelle et son rôle dans la République, compte tenu de la disparition des appelés, d'autre part.
Concernant le premier problème, je voudrais commencer par prendre un peu de recul et peut-être nuancer votre propos, Monsieur le proviseur, sur un point historique : la conscription est plus vieille que la République, et par ailleurs elle n'a pas toujours été le mode de recrutement de son armée.
Fin septembre, je me trouvais à Valmy, qui reste dans les mémoires comme l'origine du pacte entre la République et ses armées. En réalité, les combattants de Valmy n'étaient pas des conscrits : c'etait tout à la fois des soldats professionnels directement issus de l'armée d'Ancien Régime, et des soldats volontaires qui s'étaient engagés, principalement à Paris, pour défendre la liberté en même temps que le territoire contre l'envahisseur.
Notre armée de demain, vous le savez, renoue dans sa composition avec l'armée de Valmy, et je pense que les deux caractéristiques de cette armée, le professionnalisme et le volontariat, peuvent s'insérer très bien dans un cadre républicain.
Il s'agit en effet avant tout d'assurer les missions nouvelles que la République doit remplir pour rester fidèle à ses valeurs et à ses responsabilités internationales, notamment en matière de respect du droit et des principes démocratiques. Or ces missions nouvelles, tout comme la protection de notre territoire et de l'Europe, qui est la première des tâches de l'armée française, réclament de plus en plus de compétences professionnelles et d'expertise, elles réclament des qualifications de haut niveau qu'on ne peut demander aux conscrits.
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue qu'une armée de volontaires porte naturellement un enthousiasme, une ardeur à servir la République très grands. Il est vrai que la conscription a eu un rôle important dans la citoyenneté ; mais peut-être davantage dans le passé que dans les années les plus récentes.
De plus, la contrainte qu'elle impose - et que Mirabeau contestait, parce qu'il la trouvait contraire à l'idée de liberté - a toujours fait l'objet d'une certaine animosité, et ce dès les cahiers de doléances de 1789 ! De ce point de vue, instaurer le volontariat tout en préservant un lien solide entre l'armée et le corps des citoyens me semble synonyme de progrès pour la République.
Vous avez également fait référence, Monsieur le proviseur, à deux caractéristiques de l'armée de conscription qui me paraissent à moi aussi précieuses : l'égalité et l'intégration.
A propos de l'égalité, de cet idéal d'un creuset du service militaire qui mélangerait les origines sociales, religieuses ou régionales pour fondre un citoyen républicain, on peut malheureusement rappeler que les dernières décennies n'ont pas été à la hauteur de nos espérances.
Mais ce n'est à mes yeux qu'un aspect de la question. L'armée de demain, il faut le rappeler, conserve et renforce son rôle de promotion sociale, d'égalité des chances.
Pour moi, l'expression "modèle social de l'armée" a une réelle consistance, et recouvre deux notions.
Elle décrit d'abord la particularité du lien social à l'intérieur de ce groupe, qui combine structure verticale et horizontale, et qui donne à chacun des devoirs précis, en même temps qu'il assure l'égalité et la promotion. Il se distingue en cela du reste de la société civile qui apparaît par comparaison plus irrémédiablement inégalitaire.
Il y a surtout le fait que l'armée offre à cette société civile ce qu'on appelle communément un "ascenseur social", la possibilité, la deuxième chance parfois, de trouver sa voie par son mérite et ses efforts dans une institution qui développe des qualités de courage, de discipline, de rigueur, de dignité et de service qui sont celles de l'Armée.
J'en ajouterai une autre : l'estime de soi par la fierté collective, c'est précisément cela que perdent ceux qui sont exclus de notre société, c'est le début de leur exclusion. Ce rôle social, à l'avenir, ne sera pas oublié, il sera même par la force des choses accru par les très nombreux recrutements auxquels nous allons procéder.
En effet, entre 1997 et 2002, près de 28 000 jeunes de 18 à 25 ans seront recrutés chaque année par ce ministère, pour des emplois très divers dont certains sont très spécialisés - et je prendrai comme exemple, compte tenu de votre spécialité, le Génie. Ce ministère reste l'un des plus importants employeurs dans ce pays ; il offre au corps social de réelles chances d'évolution de carrière, et une formation continue que nous essayons d'améliorer en permanence.
J'en viens à l'intégration et à la citoyenneté. Comme vous l'avez souligné, Monsieur le proviseur, la conscription est en France l'une des étapes du processus d'intégration des jeunes issus de l'immigration. Avec la suspension de l'appel sous les drapeaux, désormais, les autres piliers vont prendre une importance plus grande : l'école, le travail (et je sais que le bâtiment compte parmi les secteurs où le processus d'intégration est le plus vivant), le vote, les activités culturelles communes
Il y a un autre aspect à ces composantes de l'appartenance à la République. Mon collègue Jean-Pierre Masseret a écrit tout récemment, au sujet de la citoyenneté, qu'elle devait s'enraciner dans une histoire connue et partagée. Il a eu cette jolie formule que je voudrais reprendre à mon compte : " Il est nécessaire de donner à la France plurielle d'aujourd'hui cette communauté d'histoire. "
Et il insistait sur l'importance de rendre tout l'hommage qui convenait à la participation des colonies et des protectorats français à la défense de la France au cours de ce siècle. Je crois en effet que la citoyenneté et l'esprit de défense ne sont pas que des affaires concrètes ; ils reposent à la fois sur une mémoire partagée et sur une ambition commune pour l'avenir.
C'est sur ces constats que le Ministère de la Défense a fondé son action pour créer des liens nouveaux entre nos concitoyens et la défense de la République ; et au cur de ces liens, il y a ce que nous avons appelé le "nouveau parcours de citoyenneté".
De quoi s'agit-il ? Tout simplement des différentes étapes qui doivent mener le jeune citoyen vers une conscience claire de ses droits et surtout de ses devoirs. De cette prise de conscience progressive, qui va de l'éveil à la prise de responsabilité, on peut décrire les jalons :
Le parcours commence dès l'école, aux différents niveaux, conformément à la circulaire signée par mon collègue Claude Allègre : il s'agit de l'enseignement des principes et des exigences de défense. Cette réforme s'inscrit aussi dans la volonté gouvernementale de revaloriser l'enseignement civique Etre citoyen, c'est aussi aider les jeunes à le devenir. Votre rôle à vous, professeurs qui êtes dans cette salle, est donc primordial, et je sais que vous avez animé une réflexion approfondie pour préparer le débat qui va suivre ces quelques mots. Je ne peux que vous encourager sur cette voie.
La seconde étape arrive à l'âge de 16 ans, moment de l'obligation de recensement. Le recensement, parce qu'il autorise le suivi des jeunes entre 16 et 25 ans, garantit en effet la possibilité de rétablir la conscription si la Défense de la nation le justifie. En outre, cette démarche individuelle constituera une première étape dans l'exercice de la citoyenneté active.
Ensuite, entre le recensement et le 18ème anniversaire, vient la journée d'appel de préparation à la défense. Je ne la détaille pas, vous avez dû en entendre parler lors de son lancement le 3 octobre dernier. Il s'agit de familiariser les jeunes à l'activité concrète des armées et de leur présenter les possibilités de participation aux moyens de défense. Cette journée comporte aussi d'autres aspects, comme une évocation du devoir de mémoire, dont je parlais tout à l'heure au sujet de l'appartenance à la communauté nationale, ou encore un dépistage de l'illettrisme et de l'exclusion - cette fonction traditionnelle du service national étant conservée. Enfin, ce n'est pas le moins important dans un parcours de citoyenneté, l'inscription sur les listes électorales.
Enfin, en plus de ces obligations, il y a pour les jeunes Français la possibilité de choix personnels :
*Préparation militaire (30 à 40 jours en plusieurs périodes) ;
*Volontariat (militaire ou civil) ;
*Engagement dans la réserve
Il reste un second défi pour nous adapter à la situation nouvelle créée par la suspension du service national : il s'agit, maintenant que va être amenée à disparaître l'ouverture que représentaient les conscrits, d'ouvrir grandes les portes de notre institution de défense, de chacune des armées, pour que l'ouverture sur la société reste forte, et continue à l'enrichir.
Ce devoir d'ouverture, cette "respiration" de l'Armée, on peut la décliner sur d'autres modes : ouverture sur des armées étrangères, ouverture et accueil de personnel civil et de personnel féminin plus nombreux encore, de réserves toujours plus précieuses, ouverture sur les autres fonctionnaires de la République, ouverture sur la société civile en général, ouverture sur le secteur concurrentiel L'Armée de demain est une armée qui garde ses traditions, gages de sa continuité et de sa qualité, mais qui respire sur le monde extérieur.
Une armée à l'image de la société, plus proche de ses habitudes et de ses caractéristiques, plus au fait de ses changements et de ses innovations, techniques notamment, c'est là la condition d'une armée républicaine, démocratique et avancée. C'est l'armée que je souhaite pour demain.
Je vous remercie.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 17 septembre 2001)