Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, dans "Ach-Chourouq" du 30 janvier 2005, sur la diplomatie française au Proche-Orient.

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Circonstance : Voyage officiel en Tunisie du Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, accompagné d'une importante délégation d'hommes d'affaires, les 30 et 31 janvier 2005

Média : Ach-Chourouq

Texte intégral

QUESTION : La relation entre la France et le Maghreb est bâtie sur des fondements culturels et des principes politiques partagés. Or le Maghreb constitue aujourd'hui une zone d'attraction économique, ainsi que militaire, pour les Etats Unis d'Amérique. Comment percevez-vous cet intérêt américain pour la région ?
Jean-Pierre RAFFARIN : Le Maghreb doit prendre toute la place qui lui revient dans la mondialisation. Le renforcement de ses liens avec ses partenaires extérieurs, quels qu'ils soient, est une bonne nouvelle. Nous ne raisonnons pas en termes de rivalité, mais au contraire de complémentarité et de solidarité face aux défis communs dans cette région.
Ces défis sont ceux de la stabilité, du développement, de l'intégration régionale. La France est pour sa part engagée auprès des Etats du Maghreb, par des relations privilégiées avec chacun d'eux et une coopération sans équivalent (l'aide publique française au développement représentant plus de 350 M euros par an pour les trois pays du Maghreb central et même près de 400 M euros en 2003). Elle est aussi engagée dans le partenariat euro-méditerranéen, dont l'autonomie et la centralité doivent être préservées. Son approfondissement est pour nous une priorité, d'ailleurs partagée par les autorités tunisiennes
QUESTION : Les relations franco-libyennes ont connu récemment une nette amélioration. Comment voyez-vous la possibilité de capitaliser cette amélioration et jusqu'à quel point considérez-vous la Libye comme un pays partenaire de la France, actif et influent dans la région ?
Jean-Pierre RAFFARIN : Le Président de la République française s'est rendu en visite officielle à Tripoli les 24 et 25 novembre dernier. Cette visite a constitué un événement historique dans les relations franco-libyennes puisqu'aucun chef d'Etat français ne s'était rendu en Libye. Elle a consacré la relance de nos relations rendue possible par la signature, le 9 janvier 2004, d'un accord entre la Fondation Qaddafi et les familles des victimes de l'attentat contre le DC10 d'UTA.
Un tel rapprochement entre nos deux pays, comme entre la Libye et l'Union européenne, n'aurait pu se passer sans la réorientation majeure de la politique extérieure de la Libye avec une série de gestes positifs qui correspondaient aux attentes de la communauté internationale : l'indemnisation des familles des victimes des attentats du DC10 d'UTA, de Lockerbie et de la discothèque " La Belle " de Berlin, l'engagement à coopérer dans la lutte contre le terrorisme, la renonciation aux armes de destruction massive, l'entrée de la Libye dans l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques.
Ces gestes témoignent d'une volonté libyenne de retrouver une place dans le concert des Nations. La France encourage ce mouvement de réinsertion.
Elle a repris avec les autorités libyennes un dialogue politique parce qu'elle a avec la Libye des sujets d'intérêt et de préoccupation communs : le Maghreb, l'espace méditerranéen, les questions liées à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, ou encore l'Afrique. La Libye est un interlocuteur incontournable et il est souhaitable qu'elle redevienne un partenaire à part entière dans les enceintes régionales.
QUESTION : Le Président Chirac vient de recevoir à Paris le président iraquien désigné. Cela est-il révélateur d'un changement d'attitude envers le régime iraquien, malgré la présence évidente de l'occupation ?
Jean-Pierre RAFFARIN : La visite officielle que le Président iraquien, Cheikh Ghazi Al-Yaouar, a effectuée à Paris était prévue de longue date. Elle s'est inscrite dans le cadre de notre soutien constant au processus de transition engagé en Iraq sous les auspices de la résolution 1546, qui a été adoptée à l'unanimité des membres du Conseil de sécurité. Cette visite a notamment permis aux autorités françaises de redire leur souhait de voir les élections du 30 janvier réussir, et de renouveler leur détermination à aider l'Iraq et les Iraquiens, au niveau tant national qu'européen.
QUESTION : Pensez-vous que les élections puissent aboutir au départ effectif des forces américaines alors que les objectifs américains consistent à installer des bases militaires permanentes en Iraq ?
Jean-Pierre RAFFARIN : Je ne crois pas que les Etats-Unis aient jamais fait part de telles intentions, en tout cas publiquement. Quoi qu'il en soit, je rappelle que la question du départ des forces armées étrangères est traitée dans la résolution 1546. Ce départ fait partie du processus politique soutenu par la France. Mon pays a toujours plaidé pour que les Iraquiens retrouvent la pleine maîtrise de leur destin, une souveraineté effective, ce qui passe par le départ des troupes étrangères.
QUESTION : Les représentants de plusieurs formations politiques iraquiennes non liées au pouvoir se sont rendus à Paris. Cela signifie-t-il que la France a des relations avec la résistance iraquienne ?
Jean-Pierre RAFFARIN : L'invitation en France de responsables de partis politiques iraquiens est un élément de notre contribution au processus politique engagé en Iraq. Quatorze formations politiques, représentant les principales tendances en Iraq - gouvernementales et d'opposition - ont accepté notre invitation, qu'elles aient déclarées ou non leur participation aux élections.
QUESTION : Paris se trouve derrière la résolution 1559 réclamant le retrait des forces étrangères du Liban. Pourquoi cette initiative française coïncidant avec la tendance américaine à intimider la Syrie ?
Jean-Pierre RAFFARIN : La France est depuis toujours attachée à l'indépendance et à la souveraineté du Liban. Le Président Chirac l'a souvent exprimé, notamment à Beyrouth en octobre 2002. Notre politique est constante depuis 1978, date du vote de la première résolution du Conseil de Sécurité sur la souveraineté du Liban.
La position que nous avons récemment prise, qui s'est traduite par le vote de la résolution 1559, s'inscrit dans ce droit fil. Nous avons parrainé et voté cette résolution dans le seul intérêt du Liban. Nous n'avons pas d'autre agenda.
QUESTION : Ne croyez-vous pas que la France, à travers cette résolution, s'éloigne de la Syrie et d'une grande partie de l'opinion publique libanaise, sans toutefois gagner la confiance américaine ?
Jean-Pierre RAFFARIN : Le dialogue avec la Syrie doit se poursuivre. Nous sommes prêts à apporter notre contribution à la mise en uvre de la résolution 1559. Nous attendons de la Syrie des gestes concrets qui manifestent son intention de respecter la légalité internationale. Il ne s'agit pas d'isoler ou d'écarter tel ou tel pays, mais de permettre au Liban de retrouver sa souveraineté nationale et l'intégrité de son territoire. C'est notre seule ambition qui s'inscrit dans la continuité d'une politique ancienne. Elle n'induit aucun changement de la politique française au Proche-Orient.
QUESTION : D'après vous, est-ce que le rôle du secrétaire général des Nations unies, consistant à veiller à l'exécution de cette résolution, porte également sur le retrait israélien des fermes de Shebaa et le respect de la souveraineté du Liban par les Israéliens ?
Jean-Pierre RAFFARIN : Ne mélangeons pas les deux résolutions. La résolution 1559 demande que toutes les forces étrangères qui se trouvent encore au Liban se retirent de ce pays et que toutes les milices libanaises et non-libanaises soient dissoutes et désarmées. La question de l'occupation israélienne du Liban a été traitée par une autre résolution : la 425. Les Nations Unies ont vérifié et attesté qu'Israël s'était retiré du Liban conformément à ce que demandait la résolution 425. C'est aussi notre position.
(Source http://www.ambassadefrance-tn.org, le 24 mai 2005)