Déclaration de M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail, sur le partenariat européen pour la croissance et l'emploi, et le plan national de cohésion sociale, Paris le 24 février 2005.

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Circonstance : Comité du dialogue social pour les questions européennes et internationales à Paris le 24 février 2005

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
En novembre dernier, je vous avais donné rendez-vous, avant le Conseil européen de printemps pour échanger sur la révision à mi-parcours de la Stratégie de Lisbonne.
J'ai souhaité ajouter à notre ordre du jour une discussion sur le projet de traité constitutionnel et il m'a semblé tout naturel d'associer à notre discussion sur ces deux sujets d'actualité, Mme Claudie Haigneré, Ministre déléguée aux affaires européennes.
Je la remercie d'avoir accepté cette invitation.
Je vous propose d'organiser notre discussion en deux séquences successives :
- la première sur la Stratégie de Lisbonne,
- la deuxième sur le projet de traité constitutionnel.
Je souhaite que ces deux séquences laissent une large place à l'échange, et vous demanderai à cet égard de respecter une certaine discipline pour permettre à chacune de vos Organisations de s'exprimer.
J'essaierai de donner l'exemple en limitant, de mon coté, mon propos liminaire.
Claudie Haigneré rappellera dans quelques instants le contexte dans lequel s'inscrit la révision de la Stratégie de Lisbonne, qui, dans le prolongement du rapport du groupe de haut niveau présidé par M. Wim KOK, a donné lieu de la part de la Commission à une abondante production de documents en vue du Conseil européen de printemps.
Je voudrais, pour ma part, souligner que notre adhésion au recentrage autour de ce que la Commission appelle " Partenariat européen pour la croissance et l'emploi " ne saurait être acquise sans une réelle prise en compte de la dimension sociale de cette Stratégie.
Vous aurez noté, comme moi, que le rapport de printemps est exclusivement conçu sous le prisme de la croissance, de la productivité et de l'emploi.
Certes, nous pouvons nous féliciter que la Commission reprenne à son compte, dans le rapport de printemps (comme dans l'agenda social), l'initiative lancée par le Président de la République avec le Chancelier Schröder et les Premiers Ministres espagnol et suédois en faveur d'un pacte européen pour la jeunesse.
Mais la dimension sociale de Lisbonne ne saurait se réduire à cela. Elle est pour nous consubstantielle de la Stratégie de Lisbonne.
Nous ne partageons pas le postulat de la Commission qui fait du rétablissement préalable de la croissance et du développement de l'emploi la condition du maintien d'ambitions sur le terrain de la solidarité et de la cohésion sociale.
Ce postulat est en contradiction avec la philosophie même du Plan national de cohésion sociale.
L'alliance recherchée entre la compétitivité, l'emploi et la cohésion sociale fonde la spécificité de l'Europe, son originalité et sa force par rapport au reste du monde.
C'est pourquoi j'ai l'intention, à l'occasion du Conseil Emploi et Politiques Sociales du 3 mars prochain, de rappeler que la cohésion sociale ne peut être le parent pauvre du " partenariat pour la croissance et l'emploi ".
Conserver les ambitions de Lisbonne revient à réaffirmer que la croissance n'est pas une fin en soi car elle ne garantira pas à elle seule la cohésion et la solidarité sociales.
Certes, la communication sur la révision de l'agenda social identifie plusieurs pistes d'actions intéressantes, prend en compte les grands enjeux sociaux et identifie une palette d'initiatives dans l'ensemble du champ social.
Mais ce n'est pas suffisant. Il faut que le Conseil européen, dans ses conclusions, considère que cet agenda social ne peut être déconnecté de la Stratégie de Lisbonne, qu'il n'est pas accessoire par rapport à la croissance et l'emploi.
Le social est une des conditions de la croissance et c'est aussi un facteur de compétitivité qui renforce l'attractivité du territoire européen.
Il est essentiel, à un moment où une partie croissante de l'opinion s'interroge sur la construction européenne, que le projet européen allie indissociablement progrès social et progrès économique.
Il s'agit là d'une exigence essentielle, si nous souhaitons améliorer la gouvernance de la Stratégie de Lisbonne - et je laisserai Claudie Haigneré revenir sur ce point - faciliter sa lisibilité, son appropriation par l'opinion publique, le Parlement, les partenaires sociaux .
Il s'agit là d'une exigence essentielle et on le mesure bien à la lumière du débat récent en France autour de la directive " services" que la Commission a accepté de remettre à plat.
Dès le Conseil de juin, j'avais alerté mes collègues européens sur la dimension sociale de cette proposition par rapport au détachement des travailleurs, mais aussi par rapport aux services sociaux d'intérêt général.
Il me semblait nécessaire qu'une discussion sur ce texte ait lieu dans la sphère sociale.
On voit bien que les mécanismes démocratiques de l'Europe et notamment le rôle des partenaires sociaux et du Parlement européen mais aussi des Parlements nationaux - qui seront encore renforcés dans le projet de traité constitutionnel - ont joué et ont favorisé cette remise à plat du projet de directive par la Commission et je suis convaincu - je m'en suis d'ailleurs entretenu il y a quelques jours avec mon homologue allemand - que le Conseil Emploi et Politiques Sociales y contribuera.
Dans le même esprit, je voudrais évoquer un autre sujet qui me tient à cur, celui de la directive sur l'aménagement du temps de travail. Tout en posant des règles communes protectrices pour les salariés européens, la directive de 1993 ouvre la possibilité d'y déroger, soit par accord collectif, soit par accord individuel.
Tout l'enjeu du débat aujourd'hui à Bruxelles, c'est de resserrer progressivement le champ de ces dérogations à la durée du travail - fixée je le rappelle par la directive à 48 heures en moyenne par semaine - pour les faire disparaître.
Il y a, en effet, dans la possibilité de déroger à de tels plafonds dans un cadre purement individuel une contradiction avec le double objectif de sécurité et de flexibilité qui sous-tend la directive et qui a guidé jusqu'ici les avancées de l'Europe en matière sociale.
Il s'agit là encore de défendre une conception du modèle social européen, et la primauté de l'accord collectif sur l'accord individuel.
Je voudrais à présent passer la parole à Mme Claudie Haigneré.
Intervention de Mme Claudie Haigneré puis tour de table
Venons à présent au projet de traité constitutionnel, Mme Claudie Haigneré évoquera dans quelques instants l'ensemble des grandes avancées de ce traité.
Je m'arrêterai juste quelques instants sur son volet social, le débat sur la dimension sociale du traité ayant, de façon assez paradoxale, pris au cours des dernières semaines en France, un relief particulier et un tour plutôt polémique.
Force est pourtant de constater que le projet de traité constitutionnel consolide plutôt les outils nécessaires à la poursuite de la construction sociale de l'Europe.
En effet, la Constitution renforce la dimension sociale de l'Europe et affirme le modèle social européen.
L'intégration de la Charte sociale des droits fondamentaux en est l'illustration la plus éclatante. Ces droits sociaux fondamentaux acquièrent ainsi une force juridique contraignante. Le citoyen pourra plus aisément s'en prévaloir. Leur protection devra être garantie par l'Union, par les Etats membres mais aussi par les juges nationaux et communautaires
Par ailleurs, le traité proclame inscrit de manière solennelle le champ social dans les valeurs (l'égalité, la non-discrimination, la justice, la solidarité) et les objectifs de l'Union (le plein emploi et le progrès social, la lutte contre l'exclusion sociale et les discriminations, la promotion de la justice, la solidarité entre les générations, la protection des droits des enfants, la solidarité et le respect mutuel entre les peuples, l'élimination de la pauvreté).
En outre, une " clause sociale " horizontale prévoit la prise en compte des exigences sociales dans tous les domaines des politiques de l'Union, c'est-à-dire notamment la promotion d'un niveau d'emploi élevé, () la garantie d'une protection sociale adéquate, la lutte contre l'exclusion sociale ainsi qu'un niveau élevé d'éducation, de formation et de protection de la santé humaine ".
Il convient de souligner également la reconnaissance du sommet social pour la croissance et l'emploi qui vient renforcer le poids des partenaires sociaux.
Des nouveautés sont introduites dans le processus de décision en matière sociale pour une meilleure efficacité
Ainsi, le vote à la majorité qualifiée est étendu aux prestations sociales pour les travailleurs qui se déplacent à l'intérieur de l'Union européenne. Le droit à la libre circulation en sera facilité.
Encore convient-il de préciser que tout Etat membre peut s'opposer à toute mesure qu'il estimerait contraire " à des aspects fondamentaux de son système de sécurité sociale ". Il aura la possibilité de demander à la Commission de rédiger un nouveau projet ou de faire " appel " devant le Conseil européen. Ceci nous prémunit aussi contre tout risque de nivellement vers le bas de nos systèmes de sécurité sociale.
La Constitution prévoit également la possibilité pour le Conseil européen de décider à l'unanimité de passer à la majorité qualifiée (" clause passerelle ") dans certains domaines.
La Constitution consacre solennellement la " méthode ouverte de coordination ", comme méthode par laquelle la Commission peut encourager la coopération entre les Etats membres dans le domaine de la politique sociale.
Cette liste n'est pas exhaustive, mais je voudrais avant de passer la parole à Claudie Haigneré rappeler que les " services d'intérêt économique général ", auxquels la France attache un intérêt particulier en raison de la spécificité du modèle français, sont, pour la première fois, dotés d'un fondement juridique fort qui permet à l'Union européenne de définir les principes et les conditions applicables à leur mise en place et leur fonctionnement
Au total, je crois qu'on peut dire que la Constitution non seulement ne constitue en aucun cas un recul par rapport au traité de Nice, mais qu'elle contient des améliorations qui devraient permettre de consolider encore à
l'avenir l'Europe sociale.
(Source http://www.travail.gouv.fr, le 28 février 2005