Entretiens de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, avec France 2 et France 3 le 17 février 2004 à Paris, sur la position et les propositions de la France face à la crise politique et à la violence en Haïti.

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Média : France 2 - France 3 - Télévision

Texte intégral

(Entretien de Dominique de Villepin avec France 2, à Paris le 17 février 2004) :
Q - Que peut-on faire aujourd'hui, selon vous, pour Haïti ?
R - Il faut bien évidemment se mobiliser. Chacun voit la situation catastrophique, l'engrenage de la violence, des milices, des bandes armées. Voilà un pays où 80 % de la population vit avec moins de 1 dollar par jour, où l'espérance de vie est de 52 ans, un pays qui a connu l'instabilité, le désordre, depuis déjà trop d'années. Il faut se mobiliser en s'appuyant sur les forces qui existent encore et qui permettent d'agir dans ce pays, les forces morales, les Eglises, rassembler l'ensemble des composantes, l'Eglise catholique et l'Eglise protestante ; les forces de la région, la CARICOM, la Communauté des Etats des Caraïbes, l'Organisation des Etats américains, peut-être aussi l'Organisation de la Francophonie - je vais voir cet après-midi le président Diouf, pour voir ce qu'il est possible de faire dans ce cadre-là.
Il faut s'appuyer aussi sur la communauté internationale. Nous sommes regroupés entre pays amis qui désirons agir pour Haïti. J'ai rencontré, au cours des derniers jours, nos amis sud-américains, le Brésil, le Mexique. J'ai rencontré Colin Powell, j'ai longuement parlé et travaillé avec mon collègue canadien, ma collègue sud-africaine. Je crois qu'ensemble, il faut que nous réfléchissions à ce que nous pouvons faire dans le cadre, par exemple, du Conseil de sécurité : une force d'interposition, ce qui implique un arrêt des violences, la reprise du dialogue. Rien ne sera possible en Haïti s'il n'y a pas un sursaut de la classe politique, ce qui veut dire que le président démocratiquement élu, même s'il y a interruption de la légalité constitutionnelle - il n'y a plus de parlement, par exemple, actuellement en Haïti -, le président Aristide, démocratiquement élu, se doit d'agir en vue de la paix civile. De la même façon l'opposition ne peut pas se cantonner dans la réserve, dans l'abstention, elle doit travailler pour sortir ce pays de la crise.
Q - L'envoi d'une force d'interposition n'est donc pas exclu ?
R - Elle pourrait être requise, effectivement, si les conditions sont satisfaisantes pour cela. Nous avons aussi des atouts, dans le cadre de l'urgence, et c'est pour cela que nous agissons, nous Français, de notre côté. J'ai demandé, il y a plusieurs semaines, à Régis Debray de nous faire des propositions. Il nous les a remises il y a quelques jours. Parmi ces propositions, il y a cet atout que constitue pour la France sa présence aux Antilles et en Guyane. Nous allons donc, dès aujourd'hui, réunir une cellule de crise au Quai d'Orsay pour rassembler l'ensemble des administrations et voir comment nous pouvons mobiliser nos capacités dans le domaine de l'éducation, de la santé, d'une force d'intervention d'urgence, de façon à être prêts à répondre à la moindre possibilité d'action en Haïti.
Q - Pourquoi la France se mobilise en particulier ?
R - Nous avons des liens très anciens avec Haïti, des liens d'amitié vis-à-vis d'un peuple qui est le premier peuple francophone d'Amérique latine, avec 8 millions d'habitants francophones. Il y a par ailleurs une très profonde proximité, fraternité avec ce peuple d'Haïti, qui vous le savez est frappé de plein fouet par la misère, par les difficultés depuis trop d'années. Il y a donc un devoir de la France d'aide et d'assistance vis à vis de ce pays.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 février 2004)
(Entretien de Dominique de Villepin avec France 3, à Paris le 17 février 2004) :
Q - En quoi consisterait l'aide de la France ?
R - D'abord, nous sommes mobilisés parce que, chacun peut le voir, la situation est aujourd'hui tragique. Voilà un pays en crise, un pays qui est au bord du chaos, avec cet engrenage de la violence, des milices d'un côté, des bandes armées de l'autre, un président démocratiquement élu, mais un pays sorti de la légalité constitutionnelle. Il faut donc agir pour répondre à ses besoins. Voilà un pays qui connaît aujourd'hui un drame terrible. C'est le drame de la misère. 80 % de la population vit avec moins de 1 dollar par jour. L'espérance de vie est de 52 ans. La communauté internationale se doit donc d'agir, mais pour agir, il faut s'appuyer sur des forces. D'abord sur les forces morales, celles des Eglises, catholique et protestante. Il faut qu'elles se rassemblent pour constituer une vraie force de proposition ; les forces régionales aussi, la CARICOM, la Communauté des Etats des Caraïbes, l'Organisation des Etats américains, l'Organisation de la Francophonie. Je vais rencontrer ce soir le président Diouf, pour évoquer la situation de ce pays. Mais aussi, bien évidemment, l'ensemble de la communauté internationale et, notamment, les pays amis les plus concernés. Je pense au Brésil, au Mexique, aux Etats-Unis, au Canada, à l'Allemagne, à l'Afrique du Sud. Nous travaillons avec l'ensemble de ces pays pour étudier la faisabilité d'une force d'interposition qui pourrait se déployer si les conditions le permettent, parce que pour cela, il faut qu'il y ait un arrêt des combats. Au-delà de cette perspective de déploiement d'une force, nous étudions, nous-mêmes, au niveau français, ce que nous pourrions faire. Nous avons convoqué, cet après-midi, une cellule de crise au Quai d'Orsay, qui va rassembler l'ensemble des administrations françaises concernées, pour étudier un certain nombre d'actions. Vous savez que nous disposons d'une plate-forme, d'un certain nombre d'atouts et de capacités grâce à nos départements des Antilles et de Guyane, qui vont offrir, dans les domaines de l'urgence humanitaire, de la santé, un certain nombre de moyens, et qui nous permettront de faire face à des crises. Dans ce contexte, nous voulons recenser l'ensemble des moyens pour pouvoir agir.
Q - A priori, on va vers l'envoi d'une force militaire qui s'interposerait entre les belligérants et qui, en même temps, aurait une vocation humanitaire ?
R - La nature de la force reste à définir. Il ne s'agit pas de prendre parti dans la situation actuelle, mais bien de calmer les esprits et de faire en sorte que le processus politique puisse reprendre. Comment faire en sorte qu'un processus de sortie de crise puisse être enclenché en Haïti ? Cela implique que chacun prenne ses responsabilités. Il n'y aura pas de solution sans sursaut politique. Le président Aristide, d'un côté, qui a des devoirs vis à vis de son pays, doit être appuyé dans le sens de la paix civile. De l'autre côté, l'opposition ne peut pas se cantonner dans le silence, dans le mutisme. Nous devons donc tout faire pour encourager la reprise du dialogue et la communauté internationale, une fois de plus, veut travailler dans cette direction.
Q - S'il y a une action, elle serait pour quand ?
R - Aujourd'hui, nous le voyons bien, c'est une situation de crise ouverte en Haïti. Chacun travaille pour faire en sorte que les esprits puissent se mobiliser pour la reprise du dialogue. Qui dit déploiement d'une force, dans quelque cadre que ce soit, suppose des conditions qui puissent le permettre. Tout ceci implique donc que nous travaillions, que nous nous mobilisions ensemble. Nous sommes dans cette phase de concertation avec l'ensemble de nos partenaires de la communauté internationale. Il n'y a pas de fatalité en Haïti, et nous ne pouvons pas rester spectateurs d'une crise aussi grave d'un pays ami. Chacun connaît les liens très profonds qui existent entre la France et Haïti.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 février 2004)