Texte intégral
J.-P. Elkabbach-. Bonjour J. Dray.
- "Bonjour. "
Q- Le Parti socialiste réclame la vérité, il ne cesse de le répéter. Le Président de la République et son Premier ministre, qui reçoit aujourd'hui les groupes parlementaires à Matignon, disent-ils ce qu'ils savent ? Ont-ils choisi, selon vous, la vérité ? Et faut-il, au fur et à mesure, la dire toute ?
R- "Je vais vous répondre franchement. Il s'agit, dans la manière de lutter contre le terrorisme, qu'il y ait la plus grande solidarité. Je pense que le Premier ministre a un petit peu attendu. Maintenant, il répare. Moi, je ne veux pas de polémique en la matière, je veux la transparence, l'honnêteté et s'il y a transparence et honnêteté, il y aura solidarité, il y aura combat commun. "
Q- Est-ce qu'il fait, le Gouvernement, ce qu'il faut, ce qu'il peut contre le terrorisme ?
R- "Je ne vais pas lui faire de procès en sorcellerie. Je pense qu'il y a mobilisation de l'ensemble de nos services de renseignements. Il y a mobilisation de la police, il y a mobilisation de l'opinion, il faut la plus grande solidarité, il ne faut pas donner le sentiment que les terroristes sont en train de gagner la partie, parce qu'ils fragilisent les démocraties et parce qu'ils suscitent des polémiques et des tensions. Dans la lutte contre le terrorisme international, qui est un fléau, il doit y avoir la plus grande solidarité mais il doit y avoir de la part de ceux qui sont au pouvoir aucune utilisation politicienne de cela. "
Q- Et l'opposition, même chose ? L'ensemble, vous voulez dire des dirigeants français ?
R- "Oui, je pense que c'est une cause nationale qui doit mobiliser tout le monde dans l'honnêteté et la transparence. "
Q- J. Dray, une lettre des terroristes islamistes, si elle est authentifiée, accorderait une trêve aux vainqueurs socialistes des élections espagnoles à condition qu'ils tiennent leurs promesses de retirer les 1300 soldats espagnols d'Irak. C'est un dilemme. Qu'est-ce qu'il faut répondre ? Et est-ce que Al Qaïda pense que les socialistes deviennent en Europe ou pourraient devenir en Europe, leurs alliés ?
R- "Je suis contre le neutralisme, je suis contre l'esprit munichois. Et donc il faut savoir une chose, c'est qu'Al Qaïda est un ennemi pour les socialistes. Et les socialistes n'ont pas, pour directeur de conscience, Al Qaïda ou le terrorisme international. Donc les choses sont claires. Zapatero n'a pas dit qu'il allait retirer les troupes de manière inconditionnelle. Il a dit la chose suivante : " je retire les troupes si le droit international ne l'emporte pas ". Cela veut dire qu'au contraire, il faudrait aujourd'hui qu'il y ait une initiative européenne de tous les pays - de la France, de l'Espagne, de l'Angleterre, de l'Allemagne - qui disent : Le droit international reprend le dessus, on écrit une Constitution en Irak, on fait voter les Irakiens sur cette Constitution et on met en place un pouvoir irakien fait par des élus irakiens. Mais il n'est pas question de retirer les troupes de manière inconditionnelle. Il ne s'agit pas d'abandonner l'Irak à un gouvernement islamiste. "
Q- Céder et faire d'Al Qaïda les maîtres de la politique intérieure des Etats européens, c'est inadmissible ?
R- "Oui. Alors là, les choses sont claires. Moi, je suis contre l'idée, et je vous le dis ici, qui serait la suivante. C'est, en gros, l'Europe se replie sur elle-même parce qu'elle a peur. Au contraire, il faut que l'Europe agisse, mais qu'elle dise aux Américains qu'ils ne peuvent pas décider tout seuls. Et après, nous avons à payer les pots cassés. Il faut simplement que le droit international l'emporte et surtout que le message qui soit délivré au peuple irakien, c'est qu'aujourd'hui s'il y a des troupes, c'est pour la démocratie et pas simplement pour le pétrole. "
Q- Aujourd'hui en France, et à quelques jours des élections régionales, on a l'impression que chaque camp espère obtenir à son avantage une sorte d'effet Espagne. Vous les premiers ?
R- "Je pense qu'il y a un petit air de printemps. Un petit air de printemps pour les socialistes, parce qu'ils sont recrédibilisés par la victoire en Espagne. Et cette victoire, elle n'est pas circonstancielle. Elle est liée à un parti qui a fait une campagne électorale de proximité et qui a dénoncé un pouvoir hautain qui a méprisé son peuple en lui mentant. "
Q- Est-ce que vous pouvez me dire combien vaut la peau de l'ours ?
R- "Moi, je ne vends pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Et pour l'instant, on ne l'a pas tué. Je ne cherche pas à le tuer. Je cherche simplement à dire à mon pays, aujourd'hui, qu'il est en difficulté parce que ce gouvernement fait une mauvaise politique. "
Q- Mais est-ce que vous ne finissez pas par croire que les Espagnols ont voté la semaine dernière, pour vous, le PS. Et les Français ne sont pas des Espagnols hein ?
R- "Non. Vous savez, on a maintenant une opinion publique internationale. Et quand il se passe quelque chose chez nos voisins, ça a forcément des conséquences chez nous. On est tous, on a tous été des Espagnols au moment du terrorisme, on a tous vu la manoeuvre politicienne du gouvernement Aznar et on était pour qu'il soit sanctionné. Voilà. Donc ça créait, je crois, une crédibilité nouvelle pour les socialistes parce que c'est un vent qui commence à naître en Europe et qui change la donne. "
Q- Le Parti socialiste, ai-je dit, réclame la vérité, vous le répétez. On va voir s'il l'a dit. D'abord est-ce que J. Chirac a bien fait de ne pas envoyer la France dans la guerre et l'occupation de l'Irak ?
R- "Je pense que dans les conditions dans laquelle s'est faite cette guerre, oui. Et je pense que ça permet aujourd'hui, à la France d'être en pointe pour le retour du droit international. Encore faut-il qu'elle ne reste pas sur son Levantin. Encore faut-il qu'elle profite, y compris de la victoire espagnole, pour faire qu'il y ait une initiative européenne au Conseil de Sécurité qui dise aux Américains : " maintenant, il faut sortir de l'impasse dans laquelle vous êtes ". "
Q- Le Parti socialiste a-t-il besoin, aujourd'hui et demain, d'un leadership Jospin ?
R- "Non. L. Jospin, il a tourné la page. Donc laissez-le tourner la page. Laissez-le vivre tranquille sa vie de militant."
Q- Pas moi, je parle de vous. Puisqu'il vous accompagne à chaque fois sur les marchés.
R- "Non, moi, je ne l'accompagne pas sur les marchés. Je l'ai rencontré..."
Q- Lui, lui.
R- "Je considère que c'est un militant actif du Parti socialiste, mais il nous a dit la chose suivante : Il faut maintenant que vous viviez votre vie tout seuls. Moi, je suis là simplement pour vous conseiller. "
Q- J. Dray, vous vous êtes fait piéger, paraît-il, par un micro caché, oublié, comme des bleus, avec J. Lang. Vous avez reconnu devant lui, paraît-il, que vous n'aviez pas d'idées nouvelles, s'il y avait une victoire et pas de programme pour gouverner le mouvement venu. Est-ce que c'est vrai ? Pas que vous vous soyez fait piéger, mais que vous n'ayez pas d'idée ?
R- "Je me suis fait piéger, mais ça arrive à tout le monde et puis tant pis pour moi, ça m'apprendra à mieux tenir ma langue. "
Q- Là, vous voulez dire que vous avez dit la vérité ?
R- "Oui, je dis la chose suivante : Nous ne sommes pas encore, nous, le Parti socialiste, en situation d'être une alternative politique immédiate. D'abord la question de l'alternance, elle n'est pas posée, nous avons que des élections régionales et cantonales. Ca ne va pas changer le cours de la politique nationale. "
Q- Il y a une forte majorité au Parlement. Il y a un président de la République, il y a encore trois ans.
R- "Voilà, on n'en est pas encore au temps de l'alternance. Maintenant, ce que je sais, c'est que si nous gagnons les élections cantonales et régionales, nous aurons un devoir de nous préparer à cette alternative politique. Ca veut dire qu'il ne s'agira pas simplement de critiquer la droite, mais de proposer une alternative au pays, c'est-à-dire de construire un projet, c'est ça que je disais, peut-être dans des termes un peu..."
Q- Qu'est-ce que vous appelez victoire, pour vous ?
R- "Pour moi, victoire c'est de garder d'abord les régions, notamment l'Ile-de-France, la mienne, avec J.-P. Huchon. Et deuxièmement, d'en gagner d'autres. Je pense que par exemple si nous gagnons Poitou-Charentes, ça sera symbolique et si nous gagnons la Bourgogne, ça sera doublement symbolique, puisque le Premier ministre a jugé utile d'aller soutenir J. Blanc, l'homme qui avait fait alliance avec le Front national. "
Q- Ce serait la victoire de qui ? De Fabius ?
R- "Non, ça sera la victoire collective d'une équipe autour de F. Hollande. Ce n'est pas la victoire d'un homme, mais ça sera surtout la victoire d'une énergie militante. Parce que vous savez, dans cette campagne ce qui est très important pour nous, c'est qu'on a vu un parti politique, le Parti socialiste avec beaucoup de militantes et de militants au travail. Et je voudrais leur rendre hommage ce matin. "
Q- On continue à essayer de voir, si vous dites la vérité. Le président de la République a envoyé une lettre aux chercheurs et au collectif Trautmann qui l'a demandé. Si J.-P. Raffarin et C. Haigneré donnent effectivement 3 milliards d'euros en trois ans aux chercheurs et aux jeunes chercheurs...
R- "Mais ça c'est de la monnaie de singe. "
Q- Ah bon !
R- "C'est de la monnaie de singe. L'Etat est en déficit permanent aujourd'hui. Il a pris les engagements devant Bruxelles qu'il n'arrivera pas à tenir. Donc ce que disent les chercheurs, ils ont raison, ils disent : Nous on ne veut pas des milliards dont on sait qu'on va nous les reprendre une fois qu'on nous les aura donnés. Ils veulent des postes. C'est ça qu'ils demandent. 550 postes..."
Q- C'est dans la lettre, c'est dans la lettre. Mais si c'est dans la loi d'orientation et de programmation, est-ce que le PS dit " chiche " ?
R- "S'il les donne, on va dire tant mieux. Aujourd'hui on ne va pas jouer contre la recherche, en essayant de politiser pour le plaisir. Maintenant ce que je vous dis, c'est que je pense qu'ils n'ont pas l'argent aujourd'hui, au regard de leur politique économique. "
Q- Mais vous avez une politique alternative pour les chercheurs, pour les intermittents, pour l'assurance maladie ?
R- "On commence à en avoir une, parce que d'abord on n'aurait pas baissé les impôts et on reviendrait sur ces baisses d'impôts qui privent l'Etat de ses recettes budgétaires. Il y a 8 milliards d'euros de baisses d'impôts. Avec ces 8 milliards, on peut faire beaucoup de choses. Et deuxièmement, nous ne donnerions pas, par exemple, aujourd'hui, la priorité à la baisse des charges dans la restauration. Nous préférions donner l'argent, par exemple, aux étudiants d'Education Physique qui ont besoin de postes et nous on a besoin de ces moniteurs d'Education Physique, dans les quartiers. Nous donnerions l'argent à la prévention, parce qu'il n'y a plus de politique de prévention dans les quartiers et que la tension recommence. "
Q- Vous êtes à la fois un stratège et vous savez lire les stratégies des autres.
R- "Non. "
Q- On peut le dire modestement. Qu'est-ce que vous pensez de la déclaration de J.-L. Debré à Châteauroux dans l'Indre ? Il appelle à une nouvelle ambition française et je le cite, cette définition : " ce n'est pas celle de la proximité contre la grandeur, elle n'est pas celle de la France rurale contre les zones urbaines, elle n'est pas celle des buralistes et des restaurateurs contre les savants ou les chercheurs ". Est-ce qu'il se place ou il parle au nom de quelqu'un, au profit de quelqu'un et de qui ?
R- "Je ne pense pas que J.-L. Debré se place, parce que je pense que ce n'est pas son habitude. Maintenant, c'est un véritable réquisitoire contre la politique actuelle du gouvernement Raffarin qu'a prononcé, hier, J.-L. Debré. Et ce qui est important, c'est qu'il le fait en constat. C'est que nous avons une France étriquée, une France repliée sur elle-même. Et ça veut dire que le Gouvernement de mission du 21 avril n'a pas rempli sa mission. Et J.-L. Debré appelle donc à sanctionner ce Gouvernement, lui aussi. "
Q- Et vous voulez dire qu'à l'Elysée, on est en train de préparer les conditions d'un rebond ? Qu'est-ce que ça peut être ?
R- "Je considère, moi, que ce discours qui est forcément un discours autorisé, laisse entendre qu'on a peur du résultat de ces élections et qu'on se prépare à une alternative. "
Q- Et quand vous regardez votre camp, un succès - parce que vous avez parlé, vous vous êtes mis dans cette hypothèse - est-ce qu'il ouvrirait pour Hollande aussi les perspectives 2007 ?
R- "Le problème, jamais..."
Q- La vérité.
R- "La vérité, je vais vous le dire. On en a discuté avec F. Hollande. Sincèrement et honnêtement..."
Q- Ah ! Ah !
R- "Parce que pourquoi, on écarterait cette question-là. Pas moi..."
Q- Vous en avez décidé collectivement ou en tête-à-tête ?
R- "Collectivement, je veux dire l'équipe qui travaille avec lui. Il a toujours répondu la chose suivante : Je ne suis pas dans un calendrier présidentiel ; je suis dans la responsabilité de faire que le Parti socialiste remporte les élections ; je suis après dans la responsabilité que la gauche se mette au travail, tous ensemble, pour créer les conditions d'un projet et d'une relation nouvelle avec la population. C'est-à-dire que nous ne soyons pas simplement détenteurs d'une vérité, mais que nous ayons un échange permanent, parce que la leçon que nous tirons, c'est que les meilleurs projets finissent dans les sables si les gens ne sont pas mobilisés derrière nous. "
Q- D'accord, d'accord. Tout ça, ça veut dire que c'est lui qui veut annoncer qu'il fait l'union. Il n'a pas ouvert par exemple un site, lui, puisqu'on dit que L. Fabius a ouvert son propre site dans la perspective de ce qui va arriver ?
R- "Qu'il y ait des camarades qui se préparent à l'élection présidentielle, c'est leur droit. Maintenant, il ne doit pas y avoir au Parti socialiste de guerre des chefs. Ca, ça nous a tué et on ne va pas recommencer. Donc la question qui est posée pour le premier secrétaire, c'est de faire qu'au sortir de cette élection, si nous gagnons et je l'espère, si le message est clair, c'est-à-dire l'appel à une autre politique, nous nous mettions au travail. C'est-à-dire que nous réunissions toute la gauche, pour réfléchir à ce que nous ferions si nous sommes en capacité en 2007 de gagner les élections. ''
Q- François Zapatero est en place, il est prêt ?
R- "François Zapatero, non, mais... Je pense qu'il y a une nouvelle génération de responsable politique qui est en train d'arriver aujourd'hui à maturité, et il faut lui donner sa chance. "
Q- A droite comme à gauche ?
R- "A droite comme à gauche, mais à gauche pour moi. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 mars 2004)
- "Bonjour. "
Q- Le Parti socialiste réclame la vérité, il ne cesse de le répéter. Le Président de la République et son Premier ministre, qui reçoit aujourd'hui les groupes parlementaires à Matignon, disent-ils ce qu'ils savent ? Ont-ils choisi, selon vous, la vérité ? Et faut-il, au fur et à mesure, la dire toute ?
R- "Je vais vous répondre franchement. Il s'agit, dans la manière de lutter contre le terrorisme, qu'il y ait la plus grande solidarité. Je pense que le Premier ministre a un petit peu attendu. Maintenant, il répare. Moi, je ne veux pas de polémique en la matière, je veux la transparence, l'honnêteté et s'il y a transparence et honnêteté, il y aura solidarité, il y aura combat commun. "
Q- Est-ce qu'il fait, le Gouvernement, ce qu'il faut, ce qu'il peut contre le terrorisme ?
R- "Je ne vais pas lui faire de procès en sorcellerie. Je pense qu'il y a mobilisation de l'ensemble de nos services de renseignements. Il y a mobilisation de la police, il y a mobilisation de l'opinion, il faut la plus grande solidarité, il ne faut pas donner le sentiment que les terroristes sont en train de gagner la partie, parce qu'ils fragilisent les démocraties et parce qu'ils suscitent des polémiques et des tensions. Dans la lutte contre le terrorisme international, qui est un fléau, il doit y avoir la plus grande solidarité mais il doit y avoir de la part de ceux qui sont au pouvoir aucune utilisation politicienne de cela. "
Q- Et l'opposition, même chose ? L'ensemble, vous voulez dire des dirigeants français ?
R- "Oui, je pense que c'est une cause nationale qui doit mobiliser tout le monde dans l'honnêteté et la transparence. "
Q- J. Dray, une lettre des terroristes islamistes, si elle est authentifiée, accorderait une trêve aux vainqueurs socialistes des élections espagnoles à condition qu'ils tiennent leurs promesses de retirer les 1300 soldats espagnols d'Irak. C'est un dilemme. Qu'est-ce qu'il faut répondre ? Et est-ce que Al Qaïda pense que les socialistes deviennent en Europe ou pourraient devenir en Europe, leurs alliés ?
R- "Je suis contre le neutralisme, je suis contre l'esprit munichois. Et donc il faut savoir une chose, c'est qu'Al Qaïda est un ennemi pour les socialistes. Et les socialistes n'ont pas, pour directeur de conscience, Al Qaïda ou le terrorisme international. Donc les choses sont claires. Zapatero n'a pas dit qu'il allait retirer les troupes de manière inconditionnelle. Il a dit la chose suivante : " je retire les troupes si le droit international ne l'emporte pas ". Cela veut dire qu'au contraire, il faudrait aujourd'hui qu'il y ait une initiative européenne de tous les pays - de la France, de l'Espagne, de l'Angleterre, de l'Allemagne - qui disent : Le droit international reprend le dessus, on écrit une Constitution en Irak, on fait voter les Irakiens sur cette Constitution et on met en place un pouvoir irakien fait par des élus irakiens. Mais il n'est pas question de retirer les troupes de manière inconditionnelle. Il ne s'agit pas d'abandonner l'Irak à un gouvernement islamiste. "
Q- Céder et faire d'Al Qaïda les maîtres de la politique intérieure des Etats européens, c'est inadmissible ?
R- "Oui. Alors là, les choses sont claires. Moi, je suis contre l'idée, et je vous le dis ici, qui serait la suivante. C'est, en gros, l'Europe se replie sur elle-même parce qu'elle a peur. Au contraire, il faut que l'Europe agisse, mais qu'elle dise aux Américains qu'ils ne peuvent pas décider tout seuls. Et après, nous avons à payer les pots cassés. Il faut simplement que le droit international l'emporte et surtout que le message qui soit délivré au peuple irakien, c'est qu'aujourd'hui s'il y a des troupes, c'est pour la démocratie et pas simplement pour le pétrole. "
Q- Aujourd'hui en France, et à quelques jours des élections régionales, on a l'impression que chaque camp espère obtenir à son avantage une sorte d'effet Espagne. Vous les premiers ?
R- "Je pense qu'il y a un petit air de printemps. Un petit air de printemps pour les socialistes, parce qu'ils sont recrédibilisés par la victoire en Espagne. Et cette victoire, elle n'est pas circonstancielle. Elle est liée à un parti qui a fait une campagne électorale de proximité et qui a dénoncé un pouvoir hautain qui a méprisé son peuple en lui mentant. "
Q- Est-ce que vous pouvez me dire combien vaut la peau de l'ours ?
R- "Moi, je ne vends pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Et pour l'instant, on ne l'a pas tué. Je ne cherche pas à le tuer. Je cherche simplement à dire à mon pays, aujourd'hui, qu'il est en difficulté parce que ce gouvernement fait une mauvaise politique. "
Q- Mais est-ce que vous ne finissez pas par croire que les Espagnols ont voté la semaine dernière, pour vous, le PS. Et les Français ne sont pas des Espagnols hein ?
R- "Non. Vous savez, on a maintenant une opinion publique internationale. Et quand il se passe quelque chose chez nos voisins, ça a forcément des conséquences chez nous. On est tous, on a tous été des Espagnols au moment du terrorisme, on a tous vu la manoeuvre politicienne du gouvernement Aznar et on était pour qu'il soit sanctionné. Voilà. Donc ça créait, je crois, une crédibilité nouvelle pour les socialistes parce que c'est un vent qui commence à naître en Europe et qui change la donne. "
Q- Le Parti socialiste, ai-je dit, réclame la vérité, vous le répétez. On va voir s'il l'a dit. D'abord est-ce que J. Chirac a bien fait de ne pas envoyer la France dans la guerre et l'occupation de l'Irak ?
R- "Je pense que dans les conditions dans laquelle s'est faite cette guerre, oui. Et je pense que ça permet aujourd'hui, à la France d'être en pointe pour le retour du droit international. Encore faut-il qu'elle ne reste pas sur son Levantin. Encore faut-il qu'elle profite, y compris de la victoire espagnole, pour faire qu'il y ait une initiative européenne au Conseil de Sécurité qui dise aux Américains : " maintenant, il faut sortir de l'impasse dans laquelle vous êtes ". "
Q- Le Parti socialiste a-t-il besoin, aujourd'hui et demain, d'un leadership Jospin ?
R- "Non. L. Jospin, il a tourné la page. Donc laissez-le tourner la page. Laissez-le vivre tranquille sa vie de militant."
Q- Pas moi, je parle de vous. Puisqu'il vous accompagne à chaque fois sur les marchés.
R- "Non, moi, je ne l'accompagne pas sur les marchés. Je l'ai rencontré..."
Q- Lui, lui.
R- "Je considère que c'est un militant actif du Parti socialiste, mais il nous a dit la chose suivante : Il faut maintenant que vous viviez votre vie tout seuls. Moi, je suis là simplement pour vous conseiller. "
Q- J. Dray, vous vous êtes fait piéger, paraît-il, par un micro caché, oublié, comme des bleus, avec J. Lang. Vous avez reconnu devant lui, paraît-il, que vous n'aviez pas d'idées nouvelles, s'il y avait une victoire et pas de programme pour gouverner le mouvement venu. Est-ce que c'est vrai ? Pas que vous vous soyez fait piéger, mais que vous n'ayez pas d'idée ?
R- "Je me suis fait piéger, mais ça arrive à tout le monde et puis tant pis pour moi, ça m'apprendra à mieux tenir ma langue. "
Q- Là, vous voulez dire que vous avez dit la vérité ?
R- "Oui, je dis la chose suivante : Nous ne sommes pas encore, nous, le Parti socialiste, en situation d'être une alternative politique immédiate. D'abord la question de l'alternance, elle n'est pas posée, nous avons que des élections régionales et cantonales. Ca ne va pas changer le cours de la politique nationale. "
Q- Il y a une forte majorité au Parlement. Il y a un président de la République, il y a encore trois ans.
R- "Voilà, on n'en est pas encore au temps de l'alternance. Maintenant, ce que je sais, c'est que si nous gagnons les élections cantonales et régionales, nous aurons un devoir de nous préparer à cette alternative politique. Ca veut dire qu'il ne s'agira pas simplement de critiquer la droite, mais de proposer une alternative au pays, c'est-à-dire de construire un projet, c'est ça que je disais, peut-être dans des termes un peu..."
Q- Qu'est-ce que vous appelez victoire, pour vous ?
R- "Pour moi, victoire c'est de garder d'abord les régions, notamment l'Ile-de-France, la mienne, avec J.-P. Huchon. Et deuxièmement, d'en gagner d'autres. Je pense que par exemple si nous gagnons Poitou-Charentes, ça sera symbolique et si nous gagnons la Bourgogne, ça sera doublement symbolique, puisque le Premier ministre a jugé utile d'aller soutenir J. Blanc, l'homme qui avait fait alliance avec le Front national. "
Q- Ce serait la victoire de qui ? De Fabius ?
R- "Non, ça sera la victoire collective d'une équipe autour de F. Hollande. Ce n'est pas la victoire d'un homme, mais ça sera surtout la victoire d'une énergie militante. Parce que vous savez, dans cette campagne ce qui est très important pour nous, c'est qu'on a vu un parti politique, le Parti socialiste avec beaucoup de militantes et de militants au travail. Et je voudrais leur rendre hommage ce matin. "
Q- On continue à essayer de voir, si vous dites la vérité. Le président de la République a envoyé une lettre aux chercheurs et au collectif Trautmann qui l'a demandé. Si J.-P. Raffarin et C. Haigneré donnent effectivement 3 milliards d'euros en trois ans aux chercheurs et aux jeunes chercheurs...
R- "Mais ça c'est de la monnaie de singe. "
Q- Ah bon !
R- "C'est de la monnaie de singe. L'Etat est en déficit permanent aujourd'hui. Il a pris les engagements devant Bruxelles qu'il n'arrivera pas à tenir. Donc ce que disent les chercheurs, ils ont raison, ils disent : Nous on ne veut pas des milliards dont on sait qu'on va nous les reprendre une fois qu'on nous les aura donnés. Ils veulent des postes. C'est ça qu'ils demandent. 550 postes..."
Q- C'est dans la lettre, c'est dans la lettre. Mais si c'est dans la loi d'orientation et de programmation, est-ce que le PS dit " chiche " ?
R- "S'il les donne, on va dire tant mieux. Aujourd'hui on ne va pas jouer contre la recherche, en essayant de politiser pour le plaisir. Maintenant ce que je vous dis, c'est que je pense qu'ils n'ont pas l'argent aujourd'hui, au regard de leur politique économique. "
Q- Mais vous avez une politique alternative pour les chercheurs, pour les intermittents, pour l'assurance maladie ?
R- "On commence à en avoir une, parce que d'abord on n'aurait pas baissé les impôts et on reviendrait sur ces baisses d'impôts qui privent l'Etat de ses recettes budgétaires. Il y a 8 milliards d'euros de baisses d'impôts. Avec ces 8 milliards, on peut faire beaucoup de choses. Et deuxièmement, nous ne donnerions pas, par exemple, aujourd'hui, la priorité à la baisse des charges dans la restauration. Nous préférions donner l'argent, par exemple, aux étudiants d'Education Physique qui ont besoin de postes et nous on a besoin de ces moniteurs d'Education Physique, dans les quartiers. Nous donnerions l'argent à la prévention, parce qu'il n'y a plus de politique de prévention dans les quartiers et que la tension recommence. "
Q- Vous êtes à la fois un stratège et vous savez lire les stratégies des autres.
R- "Non. "
Q- On peut le dire modestement. Qu'est-ce que vous pensez de la déclaration de J.-L. Debré à Châteauroux dans l'Indre ? Il appelle à une nouvelle ambition française et je le cite, cette définition : " ce n'est pas celle de la proximité contre la grandeur, elle n'est pas celle de la France rurale contre les zones urbaines, elle n'est pas celle des buralistes et des restaurateurs contre les savants ou les chercheurs ". Est-ce qu'il se place ou il parle au nom de quelqu'un, au profit de quelqu'un et de qui ?
R- "Je ne pense pas que J.-L. Debré se place, parce que je pense que ce n'est pas son habitude. Maintenant, c'est un véritable réquisitoire contre la politique actuelle du gouvernement Raffarin qu'a prononcé, hier, J.-L. Debré. Et ce qui est important, c'est qu'il le fait en constat. C'est que nous avons une France étriquée, une France repliée sur elle-même. Et ça veut dire que le Gouvernement de mission du 21 avril n'a pas rempli sa mission. Et J.-L. Debré appelle donc à sanctionner ce Gouvernement, lui aussi. "
Q- Et vous voulez dire qu'à l'Elysée, on est en train de préparer les conditions d'un rebond ? Qu'est-ce que ça peut être ?
R- "Je considère, moi, que ce discours qui est forcément un discours autorisé, laisse entendre qu'on a peur du résultat de ces élections et qu'on se prépare à une alternative. "
Q- Et quand vous regardez votre camp, un succès - parce que vous avez parlé, vous vous êtes mis dans cette hypothèse - est-ce qu'il ouvrirait pour Hollande aussi les perspectives 2007 ?
R- "Le problème, jamais..."
Q- La vérité.
R- "La vérité, je vais vous le dire. On en a discuté avec F. Hollande. Sincèrement et honnêtement..."
Q- Ah ! Ah !
R- "Parce que pourquoi, on écarterait cette question-là. Pas moi..."
Q- Vous en avez décidé collectivement ou en tête-à-tête ?
R- "Collectivement, je veux dire l'équipe qui travaille avec lui. Il a toujours répondu la chose suivante : Je ne suis pas dans un calendrier présidentiel ; je suis dans la responsabilité de faire que le Parti socialiste remporte les élections ; je suis après dans la responsabilité que la gauche se mette au travail, tous ensemble, pour créer les conditions d'un projet et d'une relation nouvelle avec la population. C'est-à-dire que nous ne soyons pas simplement détenteurs d'une vérité, mais que nous ayons un échange permanent, parce que la leçon que nous tirons, c'est que les meilleurs projets finissent dans les sables si les gens ne sont pas mobilisés derrière nous. "
Q- D'accord, d'accord. Tout ça, ça veut dire que c'est lui qui veut annoncer qu'il fait l'union. Il n'a pas ouvert par exemple un site, lui, puisqu'on dit que L. Fabius a ouvert son propre site dans la perspective de ce qui va arriver ?
R- "Qu'il y ait des camarades qui se préparent à l'élection présidentielle, c'est leur droit. Maintenant, il ne doit pas y avoir au Parti socialiste de guerre des chefs. Ca, ça nous a tué et on ne va pas recommencer. Donc la question qui est posée pour le premier secrétaire, c'est de faire qu'au sortir de cette élection, si nous gagnons et je l'espère, si le message est clair, c'est-à-dire l'appel à une autre politique, nous nous mettions au travail. C'est-à-dire que nous réunissions toute la gauche, pour réfléchir à ce que nous ferions si nous sommes en capacité en 2007 de gagner les élections. ''
Q- François Zapatero est en place, il est prêt ?
R- "François Zapatero, non, mais... Je pense qu'il y a une nouvelle génération de responsable politique qui est en train d'arriver aujourd'hui à maturité, et il faut lui donner sa chance. "
Q- A droite comme à gauche ?
R- "A droite comme à gauche, mais à gauche pour moi. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 mars 2004)