Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, à Europe 1 le 16 juin 2005, sur sa suspension à l'UDF suite à sa décision de rester dans le gouvernement Villepin, l'application de la loi d'orientation sur l'enseignement et les réformes en cours.

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Média : Europe 1

Texte intégral


Q- Vous avez été suspendu de certaines de vos fonctions à l'UDF pour avoir tenu tête à F. Bayrou, en restant dans le nouveau gouvernement de monsieur De Villepin. Quel effet cela fait-il, à 64 ans, d'être puni parce qu'on a désobéi ?
R- "Désobéi", je ne crois pas. D'abord, j'ai gardé mes conditions et je reste évidemment à l'UDF. L'impression que cela fait ? C'est une décision qui est blessante, c'est une décision qui est illégitime, c'est une décision qui est vraiment inquiétante. Elle est blessante à titre personnel, je ne m'appesantis pas bien sûr là-dessus. Elle est illégitime, parce qu'elle est vraiment contraire à la culture démocratique que je connais à l'UDF depuis 1978. Je suis un des "militants fondateurs", on va dire ça comme ça. Et puis elle est inquiétante, parce qu'elle révèle vraiment une drôle d'organisation au sein du parti. C'est une sorte d'excommunication. Et je rappelle cette fameuse phrase de F. Bayrou, qui disait, alors que je l'accompagnais à Toulouse en 2002, que "quand tout le monde pense la même chose, c'est que l'on ne pense plus rien". Eh bien, je propose qu'il médite à nouveau cette phrase envers lui même.
Q- Certains de vos collègues députés disent c'est vous même qui vous êtes mis en dehors du parti. C'est un langage qu'on connaît plutôt chez les communistes, si je me souviens bien, il y a quelques années !
R- C'est vous qui l'avez dit ! Je n'osais pas aller jusque là, mais effectivement il y a une dérive qui est vraiment inquiétante au sein de l'UDF. Je préfère un parti vraiment démocratique et je m'emploierai effectivement à cultiver tout cet ensemble de militants et d'élus qui depuis hier - je crois qu'il y a 27 parlementaires qui l'ont fait - m'ont manifesté leur amitié et leur soutien, pour que le parti vive cette démocratie et non pas sous l'autoritarisme d'un seul.
Q- Comment F. Bayrou vous a-t-il appris la chose ?
R- Il ne me l'a pas appris ! Je fais parti du comité exécutif, où je siège comme vice-président : je n'ai même pas été invité ! C'est vous dire à quel point cette décision est finalement assez dérisoire dans sa forme.
Q- Vous avez appris cette mesure par la presse ? Ce n'est pas très courtois !
R- Ecoutez, je vous laisse juge !
Q- En voulez-vous à F. Bayrou ?
R- Pas du tout, je ne suis pas du tout rancunier. Vous savez, la politique j'y attache beaucoup d'importance parce que c'est quelque chose de très fort. J'ai eu une vocation tardive, je suis venu à la politique il n'y a que quelques années. Je suis très engagé et je trouve qu'il y a beaucoup plus important. Vous savez au moment où se passait de drôle de tribunal, en l'absence de beaucoup des membres qui devaient siéger dans ce tribunal, il y a Florence qui faisait sa conférence de presse. Et entre les deux, franchement, il y a quand même une différence de valeurs.
Q- C'est vrai tout de même, quand on regarde ce Gouvernement, qu'on a pas franchement tiré les conséquences du vote du 29 mai. Ce n'est pas un gouvernement de rupture, c'est un petit peu ça qu'on vous reproche à l'UDF...
R- C'est un Gouvernement mobilisé pour l'emploi, c'est un Gouvernement qui est dirigé par un homme dont on ne connaissait même pas la déclaration de politique générale au moment où le président de l'UDF décidait de ne pas le soutenir, de ne pas y participer et de ne pas voter la confiance. Vous voyez, ce sont vraiment des décisions qui sont prises sans connaître les objectifs et on prend les décisions avant même de connaître le discours de politique générale ! Ceci me semble aussi contraire à une démocratie saine, surtout quand on appartient à la majorité.
Q- Vous appartenez à la majorité, mais l'UDF appartient-elle à la majorité ?
R- L'UDF appartient à la majorité : la preuve, c'est que le PS va déposer une motion de censure et l'UDF déclare, Dieu merci !, qu'elle ne votera pas la censure. L'UDF ne vote pas la censure. Une partie de l'UDF vote la confiance au Gouvernement. Et le président de l'UDF dit que "l'UDF ne votera ni la censure ni la confiance". Cela veut dire que l'UDF serait nulle part ?! Mais une formation politique qui, sous la Vème république, n'est nulle part, cela veut dire qu'elle cherche à ne plus exister. Et moi, je me battrai pour que l'UDF continue d'exister, pour qu'elle se développe et qu'elle choisisse son camp. Parce qu'il ne faut pas se faire d'illusion, il faut pas se raconter d'histoires : l'UDF est associée à l'UMP. Cela fait quelquefois mal à certains d'entendre ça. Mais l'UDF est associée à l'UMP. Nous, les élus, nous sommes élus avec des électeurs de l'UMP et de l'UDF, et ni de l'UMP ni de l'UDF. Nous aurons besoin de l'UMP. Nous aurons besoin les uns des autres. Et qu'on ne raconte pas d'histoires, puisque à la fois nous sommes élus ensemble et qu'au deuxième tour des élections présidentielles, nous devrons être de toute façon ensemble.
Q- Rejoindre l'UMP comme vous y incite P. Méhaignerie : c'est non ?
R- Je suis à l'UDF, je milite à l'UDF, je reste à l'UDF.
Q- Il y a un proverbe tibétain qui affirme que "les vrais chefs doivent savoir désobéir" et Victor Hugo disait "désobéir, c'est chercher". Vous choisissez laquelle de ces citations ?
R- Je ne cherche pas à désobéir pour désobéir. Je cherche à désobéir pour garder mes convictions et pour garder ma ligne démocratique, ma ligne de loyauté, à la fois avec une famille politique dans laquelle je suis engagé depuis très longtemps. C'est affectif mais, en plus de ça, c'est rationnel. Et puis, ma loyauté vis-à-vis d'un gouvernement, parce que je suis à l'UDF et j'y reste, mais je sers mon pays au sein du Gouvernement et je suis content de pouvoir le faire.
Q- Et vous respectez toujours l'autorité du président de l'UDF ?
R- Eh bien, je respecte l'autorité du président de l'UDF, tant que ses mesures sont démocratiques, intelligentes et sont de nature à sauver ou à défendre ou à développer l'UDF. Là, je remarque simplement que je reprends disons une grande liberté, qui va me permettre d'exprimer quand même l'opinion de la majorité des militants et certainement la majorité des élus.
Q- Entre vice-président de l'UDF et ministre de l'Education, il n'y a pas photo : on peut faire plus de choses comme ministre. Par quoi allez-vous commencer ? Vous êtes-vous fixé un calendrier, des objectifs, des priorités ? Vous avez vu les syndicats, vous avez vu les parents d'élèves, les associations de parents d'élèves. Vos premières impressions, après cette prise de contact ?
R- Les impressions sont excellentes. J'ai voulu commencer par la concertation. Quand on arrive dans un ministère aussi vaste, avec des ambitions aussi merveilleuses que de construire la société de demain, on ne peut pas arriver comme ça, les mains dans les poches en disant "on continue comme avant". Et donc chacun son style. J'ai voulu commencer par écouter et par faire de la concertation, avec bien entendu les organisations syndicales, mais aussi les parents d'élèves. Hier, j'ai passé six heures d'écoute et aucune minute n'était inutile. Alors, il y a une loi, c'est la loi Fillon, la loi d'orientation...
Q- On la garde ?
R- La loi d'orientation sera appliquée. Simplement, ce que je veux, c'est pouvoir optimiser au maximum les textes d'application. Et pour les optimiser, je veux écouter les uns et les autres, parce que je sais que C texte a créé des remous, des manifestations. Donc je veux et je cherche à mieux comprendre, pour mieux optimiser les textes d'application.
Q- L'action, quand commence-t-elle ?
R- Dès le 6 juillet, le CSE, c'est-à-dire le Conseil supérieur de l'éducation, va se réunir pour examiner toute une série de textes. Et cette série de textes va avoir un sens. Plutôt que de prendre des textes dans le désordre, au fur et à mesure qu'ils sont prêts, ce que j'essaye, c'est de donner un sens. Et ce sens, c'est le sens qu'a donné le Premier ministre à l'action gouvernementale : comment donner plus d'égalité des chances ? Comment réduire les inégalités dans notre pays ? Et à travers l'éducation, bien entendu, il y a une mission extraordinairement belle contre l'inégalité des chances. Début juillet, je vais, après avoir passé le texte sur la création du haut conseil de l'éducation qui définira, comme vous le savez, le socle des connaissances, c'est-à-dire vraiment la base, le bagage donné à tous les jeunes français, il y aura un certain nombre de textes à connotation sociale. C'est-à-dire le soutien, à l'école primaire et au collège, en faveur des élèves qui ont besoin d'être aidés spécialement, les bourses au mérite pour relancer l'ascenseur social...
Q- "Au mérite" pour qui ?
R- Au mérite pour ceux qui ont plus besoin que d'autres d'être soutenus... Et donc l'accès de tous à une meilleure pratique orale des langues étrangères, parce que vous savez qu'on a un grand retard dans notre pays ; le développement des lycées des métiers et de l'apprentissage ; l'enseignement professionnel ; et puis la scolarisation des élèves handicapés. Et tous ces textes-là vont être prêts pour le 6 juillet, vont pouvoir passer devant le CSE...
Q- On garde donc ce qu'il y avait de plus social dans la loi Fillon...
R- On commence par ce qu'il y a de plus social, on commence par ce qu'il y a de plus urgent, on commence par ce qui doit être mis en place dès la rentrée de 2005.
Q- Dans cent jours, sur quoi voulez-vous avoir avancé ?
R- Sur tout ce que je vous ai dit, on aura avancé et on aura mis en place en plus le processus pour pouvoir répondre à la fameuse problématique du remplacement des professeurs absents.
Q- Justement, il y a deux ou trois choses qui fâchent, comme le remplacement de courte durée des professeurs absents. Quelle recette avez-vous pour cela ?
R- Les syndicats, il faut les écouter pour savoir aussi ce qu'ils proposent. Et là, les syndicats m'ont proposé aussi de bonnes réponses pour le remplacement. Il s'agit du remplacement de courte durée, je vous le rappelle, parce que le remplacement de longue durée est réalisé par des professeurs remplaçants qui sont faits pour cela. Mais quand il s'agit de quinze jours, de trois semaines ou d'un mois, là, souvent des classes sont démunies de professeurs. Eh bien, je vais, à partir de la rentrée prochaine, dans beaucoup d'établissements, engager des discussions, pour qu'ils s'organisent en fonction des absences éventuelles. Et les syndicats m'assurent en tous cas que sur ce mode incitatif et sur le mode du volontariat, on aboutira à plus de résultats que sous le mode de l'obligation et, le cas échéant, de la coercition. Et donc, avec cette méthode là, j'espère pouvoir l'étendre à tous les établissements dans le courant de l'année 2006.
Q- La réforme du bac, on l'oublie ?
R- Pas le mot "réforme", c'est sur "l'évolution" du bac. Le bac a déjà beaucoup évolué, au fur et à mesure qu'il en avait besoin. Y a-t-il a encore des besoins d'évolution ? Je suis assez prudent. De simplifications probablement, de durée des épreuves peut-être un jour, mais en tous cas, pour l'instant, je suis extrêmement prudent et je ne me suis pas fait d'opinion particulière sur ce sujet.
Q- Les professeurs qui travaillent dans les zones sensibles, sont-ils plus méritants, faut-il le prendre en compte ?
R- Ils sont plus méritants. Ils ont la tâche souvent plus difficile... Il y a d'abord des différences de rémunération, c'est une chose. Ensuite, il y a renforcement, surtout de l'équipe pédagogique, dans les ZEP, les zones d'éducation prioritaires. Et je suis tout à fait favorable à ce que ce renforcement soit encore plus prononcé, de façon à toujours privilégier l'égalité des chances.
Q- On vous a demandé d'intervenir pour l'abandon des poursuites et la levée des sanctions visant certains lycéens disons plutôt "turbulents"...
R- Je n'ai pas ce pouvoir là, d'une part, et néanmoins, on est en période de bac jusqu'au 11 juillet...
Q- Vous allez demander à Monsieur Clément d'être clément ?
R- M. Clément a sa fonction, il y a la séparation du judiciaire et de la fonction de l'exécutif. Et par conséquent, simplement, je souhaite que tout le monde, dans un bon climat de sérénité, puisse passer des épreuves du baccalauréat. C'est la grande épreuve nationale, c'est la porte ouverte au supérieur. C'est même, pourrait-on dire, le premier diplôme d'enseignement supérieur. C'est une grande tradition dans notre pays. Sachez que cela mobilise beaucoup de monde. Je crois qu'il y a 4 millions de copies à corriger, vous vous rendez compte ! Et tout cela va se terminer dans les meilleures conditions possibles pour le 11 juillet, j'espère pour tout le monde.
Q- On vous demande des sous aussi, on vous demande un collectif budgétaire, on vous demande plus de dotation pour la rentrée 2005. Vous les aurez ?
R- Je pense que la rentrée 2005 va bien se passer...
Q- Vous allez être chouchouté au Gouvernement ?
R- Je ne demande pas à être "chouchouté" ! Simplement, cette mission merveilleuse de l'Education nationale mérite les moyens. Et donc je suis sûr que le Premier ministre a une préoccupation : c'est à la fois que cette mission, qui est de construire la société avec les parents mais aussi avec l'Education nationale ou avec l'Education nationale mais aussi avec les parents, mérite effectivement les moyens dans la mesure effectivement des contraintes budgétaires.
Q- Vous étiez quel genre d'élève ?
R- Pas très bon, j'essaye de me rattraper maintenant !
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 juin 2005)