Interview de M. Hervé Morin, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à La Chaîne Info LCI le 29 septembre 2005, sur le conflit à la SNCM, la position de l'UDF sur la présentation du budget pour 2006 notamment les prévisions de croissance économique.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

QUESTION : Le Gouvernement est confronté à une crise difficile avec l'affaire de la SNCM. Est-ce que vous estimez qu'il gère aujourd'hui correctement cette crise ?
Hervé MORIN : Il y a deux aspects dans cette crise. Il y a le premier : est-ce que les choses ont été préparées assez en amont ? Est-ce que c'est à un préfet, par exemple, d'annoncer la privatisation d'une société ? Je ne le crois pas. Cela relève du Gouvernement et cela mérite probablement plus d'explications qu'il y en a eues. Le second élément, c'est que sur cette question, le Gouvernement doit avoir un message extrêmement clair : est-ce que c'est à l'Etat et aux contribuables de payer en permanence pour une société qui est déficitaire ? Ce n'est pas plus à l'Etat de faire fonctionner une banque comme le Crédit Lyonnais - cela nous a coûté très cher -, une compagnie d'assurances comme le GAN - cela nous a coûté très cher -, comme Air France - cela nous a coûté très cher - ou comme Renault, toutes entreprises qui aujourd'hui se portent très bien. Et donc, sur une société comme celle-ci, qui a quand même coûté plus d'un milliard d'euros aux contribuables, et sur les trois dernières années plus de 110 millions d'euros, eh bien il faut dire que cette société doit retrouver, retourner dans le giron du secteur privé. Je crois qu'il faut dire les choses clairement.
QUESTION : Est-ce que cela signifie qu'à votre avis, l'Etat ne doit pas y garder une part minoritaire ?
Hervé MORIN : Alors si on veut garder une part minoritaire...
QUESTION : A quoi ça sert ?
Hervé MORIN : A rien, sinon à essayer d'apaiser les choses. Mais ce qui est certain...
QUESTION : Ce serait un geste purement symbolique ?
Hervé MORIN : Oui, c'est un geste symbolique. Et je crois que les salariés de la SNCM ne s'y tromperont pas. La réalité, c'est que cette entreprise a vocation à être une entreprise compétitive, à ne pas coûter chaque année 30 ou 40 millions d'euros aux contribuables.
QUESTION : Est-ce que vous estimez aujourd'hui, c'est un autre aspect de cette crise, que le Gouvernement doit faire preuve de clémence ou, au contraire, de sévérité, à l'encontre des marins qui ont détourné le bateau Paoli ?
Hervé MORIN : C'est vrai qu'on peut y voir parfois une comparaison entre le traitement immédiat et brutal d'un certain nombre de délinquants qui sont dans les banlieues et ce genre de chose - j'ai écouté votre édito d'hier. Mais s'il y a bien un geste d'apaisement à faire, c'est bien celui-ci. C'est-à-dire traiter avec clémence et mansuétude, s'il le faut, cette question.
QUESTION : Parlons du budget, le budget qui a été présenté hier par le ministre de l'Economie et des Finances, et dont va parler tout à l'heure, j'imagine, D. de Villepin. Est-ce que vous estimez l'engagement pris par l'Etat de demeurer en deçà des 3 % à 2,9 % du déficit, un engagement crédible et un engagement qui sera tenu ?
Hervé MORIN : Ce n'est un engagement ni crédible ni tenu, parce que si vous regardez les choses dans le détail, on a un budget comme d'ailleurs le déficit de la Sécurité sociale, les deux sujets sont à peu près les mêmes. Comment vous dire... Un peu, un système de farces et attrapes. C'est-à-dire qu'on crée un système de tuyauterie pour donner le sentiment qu'on est dans les clous, alors qu'on ne l'est pas. La réalité, c'est que nous aurons une croissance plus faible, malheureusement que celle qui est annoncée par Bercy...
QUESTION : Les prévisions de croissance, c'est toujours aléatoire...
Hervé MORIN : Oui, on le dit, sauf que quand vous allez aux Etats-Unis aujourd'hui, l'ensemble des experts économiques américains vous disent que les Etats-Unis eux-mêmes vont connaître un fort ralentissement de la croissance. Que la montée du pétrole aura forcément des conséquences sur la consommation, et donc, tout cela nous mène à croire qu'il faudrait, au contraire, avoir une vision raisonnable, qui est celle de dire, quelles sont les recettes que je peux attendre, et je vais essayer de caler mon budget sur cela. Au contraire, on fait exactement l'inverse, c'est-à-dire qu'on met une hypothèse de croissance qu'on ne tiendra pas. Ce qui veut dire que le déficit budgétaire - je suis prêt à vous parier le restaurant -, l'année prochaine, sera entre 3,5 et 4 %. Ce qui veut dire, ce qu'il faut dire aux Français, c'est que ce chiffre est un chiffre abstrait. Ce qui veut dire que depuis le 1er septembre de l'année 2005, comme de l'année 2006, la France vivra en totalité à crédit. L'Etat paie la totalité de ses dépenses à partir du 1er septembre en empruntant 50 milliards d'euros, tout du moins en creusant chaque année de 50 milliards d'euros de plus.
QUESTION : C'est la critique, et vous avez notamment reproché au Gouvernement, de faire des promesses indues et de promettre près de 10 milliards de cadeaux fiscaux...
Hervé MORIN : De dépenses.
QUESTION : ...Et de dépenses nouvelles.
Hervé MORIN : Sans recettes correspondantes, sinon des recettes exceptionnelles, type la privatisation des autoroutes.
QUESTION : Parmi toutes ces promesses et tous ces cadeaux annoncés, lesquels, selon vous, pourraient être annulés ?
Hervé MORIN : Il y aurait deux choses à faire. La première, il y a une promesse qui est une promesse fictive, c'est celle de la baisse de l'impôt sur le revenu. Elle est doublement fictive : elle est fictive, parce que lorsqu'on est complètement endetté, promettre des baisses d'impôts, ce sont des baisses d'impôts fictives puisqu'on les fait peser sur les générations futures. Et elles sont d'autant plus fictives, ces baisses d'impôts, qu'elles n'interviennent qu'en 2007, c'est-à-dire que pour le troisième tiers, c'est-à-dire en septembre 2007. Et comme vous le savez mieux que moi, il y aura eu des élections présidentielles et législatives avant, ce qui veut dire que tout pourra être annulé. Premier point. Le second, s'il y a bien des économies à effectuer, c'est sur la dépense...
QUESTION : Où et comment et à quel volume faire ces coupes dans les dépenses publiques ?
Hervé MORIN : Je vais vous donner des pistes que nous avons présentées aux Journées parlementaires de l'UDF, la semaine dernière. La première piste, c'est considérer que les dépenses de l'Etat doivent être maintenues en franc courant. C'est-à-dire considérer que l'Etat doit pouvoir être en mesure de faire 2 à 3 % de gains de productivité par an. Tous les systèmes économiques, toutes les entreprises font beaucoup plus, on doit pouvoir faire 2 à 3 % de gains de productivité par an. Deuxième élément...
QUESTION : C'est l'éternelle réforme de l'Etat qui vient comme l'Arlésienne...
Hervé MORIN : Oui, je suis d'accord avec vous. Mais il va bien falloir un jour qu'on le fasse comme les autres pays occidentaux...
QUESTION : Tous les gouvernements l'ont annoncé...
Hervé MORIN : Tous les gouvernements ont annoncé beaucoup de choses et c'est pour ça qu'il faut essayer d'être crédible et sérieux pour les promesses. Deuxièmement : évaluation des politiques publiques, c'est-à-dire aller, dans le détail, voir si telle dépense est réellement efficace. On consacre par exemple 1,5 % du PIB aux aides à l'emploi, est-ce que ces aides à l'emploi ont un effet quelconque sur la création d'emploi ou non ? Deuxième exemple. Troisièmement - et là, il faut arrêter de toujours crier "haro sur le fonctionnaire" et s'adresser aux élus -, on a décentralisé massivement, sans que l'Etat, à aucun moment, ne réduise son volume à lui, et pendant ce temps, la fonction publique territoriale s'est accrue de façon considérable. Tant que vous n'aurez pas fixé cette règle simple, qui consiste à dire que quand une compétence est décentralisée, plus personne n'a droit de s'en occuper, vous aurez toujours des duplications de service qui fait que la région, le département, les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et l'Etat ont les mêmes compétences et les mêmes services pour gérer le même dossier. Tant que vous aurez tout cela, vous ne ferez jamais réellement d'économie !
QUESTION : Monsieur le président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, après toutes les critiques que vous venez de formuler, à quelle condition pourriez-vous voter d'une part, le budget, d'autre part le plan de financement de la Sécurité sociale ? Ou est-ce que vous avez déjà décidé, en réalité, politiquement de vous abstenir, sinon de dire "non " ?
Hervé MORIN : Ce que je sais, c'est qu'on ne peut pas continuer à ne pas dire la vérité aux Français.
QUESTION : D'accord, mais répondez clairement à ma question : est-ce que vous allez, avec la somme de critiques que vous venez d'accumuler, vous abstenir, dire "non" ou voter ?
Hervé MORIN : Je ne vais pas délibérer au nom de députés et sénateurs du groupe.
QUESTION : Mais vous avez une petite idée quand même, vous avez une stratégie ?
Hervé MORIN : J'ai une petite idée. Moi, je défendrai une position qui est celle de dire la vérité aux Français, de leur dire qu'on ne peut pas continuer à adopter des budgets qui sont des budgets fictifs.
QUESTION : Donc, on s'abstient ?
Hervé MORIN : Je ne sais pas, on en discutera. Mais je ne vois pas ce qu'il y a dans ce budget...
QUESTION : Donc, en aucune manière vous ne le voterez ?
R- Je ne me vois pas voter un budget qui a tellement l'odeur des élections présidentielles de 2007, cela n'a pas de sens.
QUESTION : Si vous ne vous voyez pas voter ce budget, c'est que vous ne le voterez pas ?
Hervé MORIN : Mais si les députés du groupe pensent autre chose ? Vous savez, j'ai eu dans les derniers mois, un certain nombre de revers, j'avais un certain nombre de positions qui n'ont pas été celles qui ont été retenues par les parlementaires du groupe.
QUESTION : Mais précisément, les parlementaires du groupe - c'est un aspect politique auquel vous vous heurtez -, c'est qu'au fur et à mesure qu'on va s'approcher des élections présidentielles, ils vont penser à leur réélection. Et à force de contredire et de critiquer le Gouvernement, ils se demandent s'ils ne vont pas se faire retaper aux prochaines élections législatives.
Hervé MORIN : Vous aurez probablement vu le calendrier de 2007...
QUESTION : Je vois que vous souriez, c'est bien ce qui va se passer ?
Hervé MORIN : Oui, parce que ça, ça n'existe pas.
QUESTION : Ah ?!
Hervé MORIN : On est dans l'histoire. La réalité, c'est qu'il y a une élection présidentielle d'abord, et que tout cela dépend de l'élection présidentielle. Et vous ne pouvez pas être candidat à une élection législative au titre de l'UDF si d'abord et avant tout vous n'avez pas défendu votre projet de société, votre projet pour le pays à l'élection présidentielle avec un candidat. Ce candidat nous l'avons, il s'appelle, F. Bayrou. Quand il aura été devant les électeurs, après, nous serons en mesure de pouvoir parler de tout ça.
QUESTION : Merci, beaucoup. Je retiens que vous ne voterez sans doute pas le budget...
Hervé MORIN : Je n'en sais rien !
Pierre-Luc SÉGUILLON : Enfin, vous avez l'air d'en être convaincu, et que les députés UDF vous suivent... Merci.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 29 septembre 2005)