Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "RTL" le 5 septembre 2005, sur le manque de transparence sur l'état de santé des gouvernants, sur les chiffres du chômage, les contrats nouvelles embauches et sur le "projet de rupture" de Nicolas Sarkozy.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie - Vous avez exprimé, samedi, des souhaits de rétablissement rapide pour J. Chirac, hospitalisé au Val-de-Grâce à la suite d'un incident cardio-vasculaire.
Concernant son état de santé, vous avez souhaité la transparence, une notion que F. Mitterrand a laissé en leg aux socialistes.
Avez-vous peur que l'on vous cache quelque chose ?
R - Je crois que c'est bien le moins, dans une démocratie, que de demander, lorsque le chef de l'état est hospitalisé, ce dont il souffre, après avoir exprimé, comme je l'ai fait, avec l'ensemble des responsables politiques et l'ensemble des Français, des souhaits de rétablissement pour le chef de l'Etat.
Oui, on a des précédents, vous avez raison de les évoquer. On a celui de G. Pompidou, dont on n'a su que très tardivement - j'allais dire presque le jour de sa mort - ce dont il souffrait. J'étais un jeune citoyen, je n'avais pas encore le droit de vote, mais chacun savait, dans les cercles intimes du pouvoir, ce dont souffrait G. Pompidou, mais pas les français.
Avec François Mitterrand, ce fut différent, on le sait. Il y a eu des bulletins de santé très rassurants tout au long de ses mandats puis on a su, un jour - il l'a lui-même d'ailleurs exprimé - qu'il souffrait d'un cancer.
Q - Donc, les bulletins de santé étaient mensongers, pour appeler les choses par leur nom...
R - Oui, il faut donc, dans une démocratie, savoir lorsqu'un chef de l'Etat, ou un responsable public, est hospitalisé, ce dont il souffre, dans le respect de l'intimité.
Q - Il y a un problème de culture, en France. La transparence, ce n'est quand même pas la règle et, sans doute, l'ensemble du personnel politique est-il souvent solidaire de ce manque de transparence ?
R - J'ai exprimé, pour ce qui me concerne et pour ce qui concerne mon parti politique - le Parti Socialiste - aujourd'hui, le souhait d'être dans une démocratie, j'allais dire "apaisée", où l'on est capable d'affronter une hospitalisation.
Il y en a de bénignes, il y en a de plus graves où on est capable de surmonter une indisponibilité de chef d'Etat et où on est capable, ensemble, de savoir ce qui relève de la joute politique et du moment d'intimité auquel chaque homme, chaque femme a droit.
Je crois que cette conception de la politique, cette conception de la démocratie est plutôt favorable aux droits des citoyens et aux capacités des hommes ou des femmes politiques à exercer leur mandat.
Q - Cet accident de santé peut-il poser, selon vous, la question pour J. Chirac de terminer ou pas son mandat ?
R - Il n'y a aucune raison de se poser cette question. J'ai entendu les propos très rassurants du Premier ministre à votre micro, hier soir. J'ai lu les communiqués venant du Val-de-Grâce. C'est donc une hospitalisation pour une raison bien identifiée. Elle paraît, aujourd'hui, surmontée. Des examens ont lieu. Je crois que l'incident va bientôt être clos.
Q - Demain, mardi, la direction du Parti Socialiste siégera lors d'un Bureau national exceptionnel. Vous dresserez le bilan des 100 jours de présence de D. de Villepin à Matignon. On imagine que peu de choses trouveront grâce à vos yeux. On se trompe ?
R - Il n'y a pas de raison que nous soyons indulgents, parce que les Français ne le sont pas, et ils ont raison.
Depuis trois ans et demi, rendez-vous compte, on nous parle de "rupture" par rapport au chômage, j'entendais cela, hier soir, dans la bouche du Premier ministre...
Q - Le chômage baisse !
R - Depuis trois ans et demi, le chômage n'a cessé de progresser et, s'il recule aujourd'hui - et tant mieux - c'est quand même parce qu'il y a des radiations et le retour au traitement social du chômage, c'est-à-dire aux emplois aidés, mais en aucune façon des embauches supplémentaires.
Y aurait-il des raisons d'être indulgents, lorsqu'on voit que, par rapport à la question du pouvoir d'achat, la montée du prix des carburants - qui vient, bien sûr, de la hausse du prix du pétrole - rien n'est fait de sérieux ?
Faudrait-il être indulgent lorsque le Premier ministre, les ministres successifs de l'Economie et des Finances, ne sont même pas capables d'assurer le respect de nos engagements européens, voire même laisse penser que l'on pourrait descendre au-dessus des 3 % par rapport à la richesse nationale pour le déficit public, alors que c'est faux ?
Faudrait-il être indulgent lorsque le déficit du commerce extérieur atteint un niveau record, et la compétitivité des entreprises est menacée ?
Alors, non, il ne faut pas être indulgent mais il faut être capable de proposer l'alternative.
Q - 30.000 contrats "nouvelles embauches", a dit le premier ministre : c'est comme un succès, non ?
R - Ah, mais c'est un succès, incontestablement : celui de la précarité. Parce que, qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que des employeurs qui, jusqu'à présent, embauchaient avec des contrats à durée indéterminée, voire même avec des contrats à durée déterminée, prennent un contrat qui leur donne finalement toute liberté pour licencier dans le délai de deux ans le salarié embauché, et sans indemnités et sans préavis.
Alors, effectivement, c'est tentant pour beaucoup d'employeurs. Donc, je ne me félicite pas de ces chiffres.
Q - Mais si c'est un frein psychologique qui est levé, s'il y a des employeurs, qui hésitaient à employer, emploient des gens, ce sera peut-être bénéfique pour la société ?
R - En tout cas, ils n'hésiteront pas à licencier, puisque c'est quand même le message qui leur est adressé. Et je ne crois pas que l'on puisse dire à un employeur : "Embauchez, vous pourrez licencier".
Je crois que la vérité en matière de négociation, c'est de dire que l'on va faciliter toutes les embauches possibles, mais qu'il y a des droits pour les salariés, parce que c'est l'intérêt de tous d'avoir une société de confiance.
Croyez-vous que des salariés ainsi recrutés pourront facilement recourir au prêt au logement - dont on voit aujourd'hui la gravité, avec la situation du logement ? Croyez-vous que ce sera simple, pour ces salariés-là, d'avoir des crédits à la consommation ?
Donc, à partir de là, je ne crois pas que ce sera bon pour l'activité économique.
Q - N. Sarkozy plaidait, hier à La Baule, pour un "projet de rupture". Peut-être que la rupture, c'est lui qui l'incarne, et pas vous !
R - Il est certain que la seule rupture que N. Sarkozy a engagée - depuis longtemps d'ailleurs -, c'est avec J. Chirac
Q - Non, il y a des propositions dans son discours d'hier. On peut les combattre, on verra...
R - D'abord, N. Sarkozy est ministre du Gouvernement depuis trois ans et demi, sauf une brève période où il n'a été que président de l'UMP. Il est président de l'UMP, c'est-à-dire le parti qui est le seul de la majorité, puisque aujourd'hui ce parti soutient les gouvernements Raffarin et Villepin.
A partir de là, il est engagé par ce qui se fait, c'est-à-dire, en définitive, l'échec. Quant aux propositions, c'est une forme de surenchère. D. de Villepin veut baisser l'impôt sur le revenu des plus favorisés : N. Sarkozy veut en faire davantage. D. de Villepin veut plafonner l'impôt sur la fortune, pour en alléger le coût pour les plus fortunés : N. Sarkozy veut aller plus loin. Mais quelle est la différence ? C'est une différence de style, de degrés.
C'est la même politique qui nous est proposée avec, il faut le dire, deux, trois ou quatre - je ne sais pas ce qu'il en sera des personnalités politiques pour les représenter - mais moi, je pense que les Français ne se feront pas une nouvelle fois avoir par une pseudo alternance au sein de la droite. Si on veut changer, c'est la gauche.
Q - N. Sarkozy, toujours hier : "Le Parti socialiste, c'est simple, ce sont de nouveaux conservateurs. Ils veulent que rien ne change". On ne voit pas bien ce que vous voulez changer ?
R - Quand on dit aux Français : "Finalement, vous êtes des conservateurs. Rendez-vous compte ! Vous voulez garder votre retraite, vous voulez garder vos indemnités de chômage, vos indemnités de santé ? Vous voulez garder même votre droit du travail ?
Vous êtes d'affreux conservateurs !". Les Français peuvent se dire que quand même, il y a des acquis sociaux dans ce pays ! On peut les revoir, on peut les renégocier, on peut essayer de préparer l'avenir.
Mais, quand même, être taxé de conservateur quand on veut garder ce qu'on a, quand on a peu ! En revanche, pour les plus fortunés, pour les salariés les mieux payés, alors tout serait possible, rien ne devrait être conservé, en l'occurrence, des taux de prélèvement. Quant aux propositions...
Q - Les vôtres ! On les connaîtra bientôt, rassurez-nous ?!
R - Si on fait un congrès pour le Parti Socialiste, au mois de novembre, c'est pour faire nos propositions. Sachez bien que ces propositions prépareront l'avenir. Que rien ne sera tabou mais qu'en revanche, nous, nous dirons la vérité aux Français.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 5 septembre 2005)