Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur les questions de sécurité, de défense et de recherche, à Paris le 18 octobre 2005.

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Circonstance : Colloque "Quelle recherche pour la sécurité ?", à Paris le 18 octobre 2005

Texte intégral

Le sujet choisi pour ce colloque est au coeur des préoccupations présentes et futures de la Défense.
La sécurité, condition du bon fonctionnement de la société et de l'Etat, est un enjeu politique mais aussi économique.
Je voudrais donc remercier mon collègue, M. Goulard, d'avoir pris l'initiative de ce colloque.
Les questions de sécurité, de défense et de recherche sont intimement liées dans le monde moderne.
L'actualité démontre chaque jour qu'en matière de sécurité les menaces se diversifient.
Face à ce constat, nous devons repenser notre approche des enjeux de sécurité.
J'entends que la Défense, forte de son expérience, de ses savoir-faire, joue un rôle de premier plan dans ce domaine.
De mon expérience, depuis un peu plus de trois ans, je tire une conviction : nous devons changer radicalement notre compréhension des enjeux de sécurité.
Nous devons tous être conscients du changement radical des enjeux de sécurité, pour mieux les assumer :
- les menaces sont " multiformes "
- la distinction en sécurité intérieure et extérieure doit être dépassée
- la sécurité globale appelle des réponses qui le sont tout autant.
Les enjeux de sécurité sont multiformes.
Outre les menaces d'agressions militaires et terroristes, nous devons aussi faire face aux risques naturels et technologiques.
Tous sont susceptibles d'engendrer des dommages importants et de causer des désorganisations profondes de nos sociétés.
Les exemples dans l'actualité ne manquent pas : les attentats à Madrid ou à Londres, mais aussi le cyclone Katrina, le SRAS, le risque lié à la grippe aviaire.
Face à ces menaces multiformes, il faut bien reconnaître que la frontière entre sécurité intérieure et sécurité extérieure s'est considérablement atténuée voire s'est brouillée.
Mon expérience de la lutte contre les terrorismes en atteste : c'est en Afghanistan, et plus généralement, en opérations extérieures, que commence notre combat pour la sécurité de notre pays.
Le constat est le même pour la plupart des menaces qui pèsent sur nos sociétés : flux migratoires mal maîtrisés, épidémies, crises sanitaires, etc.
Nous avons le devoir de projeter notre action, sous toutes ses formes, aux origines mêmes de ces menaces.
Il faut donc mobiliser tous nos moyens, dans le monde entier, pour les identifier au plus tôt, les analyser et les supprimer.
La France est une grande nation. Elle en a les capacités, pour elle-même et pour les autres, grâce à sa présence territoriale, ses alliances stratégiques, et plus généralement son expérience ancienne des cultures et des peuples les plus divers.
En effet nous devons bien prendre conscience que dans des organisations complexes, notre sécurité dépend du maillon le plus faible. Il faut donc des réponses globales.
Nos sociétés sont d'autant plus fragiles qu'elles sont plus ouvertes et plus complexes.
C'est un défi, et non des moindres, de la mondialisation.
Avec les nouvelles technologies, l'explosion de la mobilité des hommes et des flux de toute nature, nos points de vulnérabilité sont de plus en plus nombreux.
J'ai souhaité, dès mon arrivée, en faire un sujet de réflexion stratégique.
J'ai demandé ces dernières années plusieurs rapports au Conseil Scientifique de Défense.
Les recommandations en la matière sont claires : elles appellent des mesures dépassant le périmètre strict de la Défense, et s'inscrivant dans un cadre résolument interministériel.
Le SGDN s'en est saisi avec une volonté et une clairvoyance que je salue.
J'en suis profondément convaincue : à terme, nous ne pourrons faire l'économie d'une réflexion sur notre organisation institutionnelle, qui repose encore parfois sur des principes trop anciens, sur des rigidités et des cloisonnements qui nuisent à l'efficacité.
La question est simple : comment assurer au quotidien le pilotage politique de la sécurité, dans sa dimension irrémédiablement interministérielle ?
Bien entendu, la réponse est forcément complexe et ne saurait être immédiate.
Ce n'est pas une raison pour ne pas engager dès aujourd'hui la réflexion.
Dans l'immédiat et dans le cadre institutionnel qui nous est imposé, il convient néanmoins d'agir, immédiatement et dans le cadre institutionnel actuel, pour répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens.
Pour cela, un changement radical de méthode s'impose pour répondre à ces nouveaux défis de la sécurité.
Face à des menaces multiples, il faut passer d'une culture des moyens humains et des procédures à une culture de l'investissement et de la technologie.
Chacun reconnaîtra ici l'un des fondements de la politique de réforme des armées menée depuis dix ans.
C'est cette expérience, devenue pour moi une conviction, que je souhaite faire partager.
Cela suppose en premier lieu une approche capacitaire globale, qui permette de définir les besoins au plus juste selon les menaces.
Elle doit reposer sur une politique technologique, et donc une politique d'investissement, qui nous permette de disposer d'un outil industriel performant et adapté à nos besoins.
Cela implique enfin de développer un environnement favorable et une véritable politique d'intelligence économique.
Investir et s'équiper de moyens modernes adaptés aux nouvelles menaces est une nécessité : cela suppose une démarche structurée de définition des besoins.
Comme nous le faisons à la Défense, il faut apprendre à définir un juste besoin, avec les utilisateurs, adapté aux menaces, aux moyens financiers.
La France doit, pour cela, s'appuyer sur un outil industriel encore plus performant et encore plus compétitif.
C'est une exigence pour notre sécurité, c'est aussi un enjeu de croissance incontestable.
Une récente étude de l'OCDE est fort parlante à cet égard. Elle indique que le marché mondial de la sécurité pèserait près de 100 milliards de dollars.
La sécurité est ainsi liée à des enjeux de compétitivité mais également de souveraineté, pour la France comme pour l'Europe.
Nous devons réfléchir aux moyens de soutenir et de développer la base industrielle et technologique nécessaire à la sécurité.
Cela suppose, que, tous ensemble, entre nos différents ministères, nous ayons une politique technologique prospective, structurée et ambitieuse.
Elle ne peut donc être que collective, mutualisée et duale !
Notre action doit enfin promouvoir un environnement favorable aux entreprises, notamment les plus jeunes et les plus innovantes, parce que ce sont elles qui préparent l'avenir.
J'ai eu l'occasion de m'exprimer à plusieurs reprises sur ce thème.
J'en rappellerai les grandes lignes.
Notre action doit s'accompagner en premier lieu d'une mobilisation de tous au service d'une politique d'intelligence économique lucide et sans concession.
Elle doit pouvoir s'appuyer sur une large panoplie de moyens d'intervention, réglementaires, financiers et capitalistiques.
Elle doit enfin être résolument européenne et exclure toute frilosité, en évitant toute nouvelle et illusoire " ligne Maginot ".
J'entends que la Défense joue un rôle de premier plan au service de la sécurité, dans une approche résolument interministérielle et européenne.
La Défense est déjà de longue expérience un acteur majeur de la sécurité.
Depuis mon arrivée, et grâce à la loi de programmation militaire, strictement respectée depuis plus de trois ans - et c'est une première - nous donnons à la Défense les moyens de remplir au mieux les missions qui lui sont confiées.
Les militaires des trois armées, la gendarmerie, les services, sont mobilisés au service de la sécurité de nos concitoyens, sur le territoire ou loin de nos frontières.
Tous ont développé pour cela une culture de la planification, de la définition des besoins et de la préparation de l'avenir, que nous devons partager avec les autres ministères.
J'ai voulu donner à la Défense les moyens de jouer un rôle particulièrement important en matière de préparation de l'avenir.
Forte du plan prospectif à 30 ans et des études amont que j'ai décidé de sanctuariser, elle prépare les capacités de demain en veillant à la pérennité et au développement de la base industrielle et technologique nécessaire.
Parce qu'il existe une communauté technologique avérée entre les missions de sécurité et les missions de défense, de nombreux programmes de R T menés par la Défense contribuent à la sécurité.
Je pense à la recherche en matière de défense NRBC, de sécurité des systèmes d'information, des systèmes aériens et des drones, des technologies de surveillance et de traitement des informations, du renseignement, etc.
Il me semblait indispensable que la Défense organise au mieux ses relations avec les autres acteurs de la sécurité, et en particulier sur la recherche et la technologie.
J'ai ainsi fait en sorte que la Défense s'ouvre le plus possible vers le monde civil en matière de recherche.
Dans le cadre de la LOLF, la mission " recherche duale " est désormais copilotée par les ministères de la Défense et de la Recherche.
Je pense que c'est un signe fort donné par l'Etat et qui doit être perçu par le privé.
Notre forte implication dans les pôles de compétitivité sera également un atout pour approfondir les relations entre les écoles d'ingénieur, les centres de recherches, les industries qui dépendent de la Défense et leurs homologues civils.
Dans un souci de coopération équilibrée et d'intérêt général, les ministères de l'Intérieur, de la Recherche et de la Défense développent des partenariats que je souhaite riches et ambitieux.
Plusieurs conventions sont ou seront prochainement signés entre ces ministères, notamment au niveau de la DGA, particulièrement impliquée dans le colloque d'aujourd'hui. Je l'en remercie.
Loin de tout esprit de clocher, souvent trop présent entre administration, il s'agit bien de mutualiser nos expériences.
Nous ne pouvons plus nous permettre les duplications devant l'urgence des défis à relever.
Nos efforts doivent naturellement se faire dans un cadre européen.
L'expérience que la Défense a déjà des coopérations et organisations européennes, que ce soit par le biais de l'OCCAR ou de l'Agence européenne de défense, sera un atout.
Le programme européen de recherche en sécurité dit " P.E.R.S. ", dans lequel la Défense est impliquée à travers la DGA offre un potentiel important pour traiter de nombreux sujet avec la masse critique nécessaire.
Au-delà des missions propres des armées, la Défense contribue fortement aux efforts de recherche et développement sur les technologies de sécurité.
Pour mieux faire face aux défis de la sécurité, j'attends de tous, à commencer par mes services, qu'ils fédèrent l'expression des besoins et développent une synergie sur les actions de R D, autant dans un cadre interministériel qu'européen.
Je soutiendrai sans réserve les démarches de coordination et d'organisation entreprises dans ce domaine.
La recherche, parce qu'elle est en effet l'avenir de la sécurité, contribue aussi à la sécurité de l'avenir.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 24 octobre 2005)