Interview de Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, à Radio classique le 10 mars 2004, sur le conflit des chercheurs, la place des femmes dans la recherche et les disparités salariales homme-femme.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

H. Lauret-. Bonjour Mme Améline.
- "Bonjour."
Q- Le conflit des chercheurs tourne au vinaigre, les directeurs de laboratoires démissionnent en masse et ce mouvement rencontre une forte adhésion dans l'opinion, parce que je crois que plus de 80 % des Français le soutiennent. C'est plus, d'ailleurs, qu'à l'occasion de la réforme des retraites et que le mouvement des infirmières. Alors, à 10 jours du premier tour - on vient d'entendre D. Reynié -, ne craignez-vous pas, Mme la ministre, que ce conflit ait de fâcheuses répercussions sur les résultats pour évidemment votre majorité ?
- "Eh bien je dirai tout simplement que dans ce domaine, nous savons parfaitement qu'il y a une crise tout à fait structurelle, et le Premier ministre a pris des engagements et quand il prend des engagements, il les tient. Nous avons donc pris un certain nombre de mesures, d'abord immédiates. Je rappellerai que le budget 2004 est en hausse de près de 4 %. Nous avons pris des mesures, également complémentaires à ce budget, dans un souci véritablement de concertation et de réponse à l'inquiétude manifestée par des chercheurs. Et le Gouvernement s'est engagé dans une loi de programmation fondée sur une concertation, je crois très intelligente et particulièrement adaptée à la crise actuelle, avec un engagement financier tout à fait considérable d'au moins 3 milliards d'euros d'ici 2007."
Q- Pourquoi ne convainc-t-il pas les chercheurs ?
R - "Je pense qu'il y a véritablement, aujourd'hui, une inadaptation du système de la recherche en France qui mérite, effectivement, un travail de fond et le Gouvernement s'y est engagé. Et je pense véritablement que, vraiment, les propositions qui ont été faites dans un grand souci et un très large souci de concertation, devraient convaincre. Et je pense, encore une fois, que le Gouvernement s'est engagé avec C. Haigneré sur une voie qui est la voie de la sagesse, c'est-à-dire une augmentation des crédits et un très grand effort de restructuration de ce secteur qui est, effectivement, essentiel au moment où nous attendons le retour de la croissance, où il faut créer effectivement une dynamique dans le domaine de la recherche et de l'innovation en Europe."
Q- Mais il n'y a pas de débat là-dessus, Mme Ameline. Le problème c'est qu'on donne le sentiment de découvrir tout cela un peu tard.
R - "Non, je ne le crois pas, parce que je vous donnerai volontiers un exemple qui s'inspire de ma réalité locale. Lorsqu'une entreprise comme Philips décide d'installer ses chercheurs, une base de plusieurs centaines de chercheurs..."
Q- Chez vous, en Basse Normandie !
R - "Absolument, cela prouve que l'attractivité de nos territoires, la volonté à la fois locale et aussi nationale de créer un environnement favorable à la recherche peut aussi conduire à des résultats de cette nature."
Q- Alors comment en sortir, parce que l'Elysée semble plus préoccupé que Matignon, d'ailleurs, du tour pris par les événements. J.-P. Raffarin, nous dit-on, pense que ce conflit est manipulé par des éléments trotskistes. Alors on les voit partout, est-ce que franchement vous pensez qu'il y a de la manipulation politique derrière tout ça ?
R - "Ecoutez, moi je vous dirai simplement que le Premier ministre a pris des engagements clairs, il s'y tiendra et il me semble, qu'aujourd'hui, le Gouvernement est allé véritablement au bout de propositions, encore une fois utiles, efficaces et adaptées. J'espère que nous arriverons, effectivement, à revenir sur cette opposition
Q- Cette frustration en tous les cas !
R - "Absolument, dans l'intérêt même des chercheurs et de la recherche."
Q- Tous les leaders qu'on entend à la radio, Mme Améline, et là, vous me voyez venir, j'imagine, sont du sexe masculin.
R - "Vous avez raison !"
Q- Mais oui, mais y a-t-il, à votre connaissance, beaucoup de femmes dans la recherche publique et quelles sont les proportions ?
R - "Alors je voudrais rendre, d'ailleurs, un hommage particulier à C. Haigneré, qui se bat avec un talent extraordinaire sur ce sujet et qui est un très beau symbole des femmes dans la recherche."
Q- Oui, mais qui est très exposée aujourd'hui, c'est le moins que l'on puisse dire.
R - "Et qui est un peu aussi isolée en terme, je dirais, effectivement, d'équilibre homme-femme, vous avez mille fois raisons. Dans les domaines scientifiques, il y a à peine 25 % de femmes, c'est naturellement très insuffisant."
Q- Cela tient à quoi ?
R - "Cela tient à des représentations, à une perception du domaine de la recherche qui était insuffisamment, aujourd'hui, ouverte aux femmes. Et il y a un paradoxe du reste, puisqu'au baccalauréat, les jeunes femmes sont en général excellentes dans les filières scientifiques."
Q- En tout cas bien meilleures que leurs homologues garçons.
R - "Oui, et elles disparaissent ensuite, ce qui pose un problème de nature différente. Puisque, si en termes même d'équilibre paritaire, homme-femme, c'est tout à fait regrettable, en termes plus philosophiques, dirais-je, c'est-à-dire dans le domaine de la compréhension du monde, de son évolution, de sa construction, le fait que ce domaine soit privé du regard des femmes me paraît être quelque chose de très préjudiciable."
Q- Mais cela dépasse largement l'entendement que vous retenez, là, c'est-à-dire que c'est bien au-delà des filières scientifiques. Puisque quand on regarde tout cela, on s'aperçoit que le score en quelque sorte qui est remarquable des jeunes filles dans la première partie de leur scolarité et même de leurs études, ce score ne se retrouve pas dans le niveau supérieur, je parle du niveau du bac plus 6, plus 7, plus 8. Est-ce qu'il y a là aussi une explication de caractère social, philosophique peut-être ?
R - "Je crois qu'il sera très important de replacer la science et la recherche au coeur de la société et les femmes au coeur de ce domaine. C'est un double enjeu qui me semble être tout à fait essentiel au moment où les progrès ne sont plus inéluctables et où dans des domaines comme la biotechnologie, la bio informatique, les choix sont des choix d'une très grande responsabilité collective. Donc je crois qu'il faut redonner et c'est un des aspects très important de la politique du Gouvernement, de remettre la science effectivement au coeur du projet de société. Mais au-delà, je crois qu'il faut que les femmes se sentent globalement, dans la société, aptes en capacité d'investir tous les secteurs de la vie, que ce soit celui du bâtiment ou que cela soit celui des sciences."
Q- Oui et cependant, Mme Améline, quand on regarde les statistiques, il y a eu très récemment des études qui ont été publiées par l'Insee, alors je ne vais pas toutes les rappeler. Mais par exemple le fait qu'il n'y ait pas eu de véritable évolution en matière d'égalité professionnelle depuis vingt ans, est-ce que ce n'est pas troublant, malgré les efforts que vous déployez. Personne ne conteste d'ailleurs le travail que vous faites. C'est impressionnant, parce que les emplois restent très sexués, les deux tiers des cadres du privé sont des hommes. Moins de deux dirigeants d'entreprise sur dix sont des femmes et je le disais, cependant, les jeunes filles réussissent nettement mieux que les garçons dans leur parcours scolaire.
R - "Alors c'est précisément parce que depuis vingt ans, il n'y a pas eu de progrès réel dans le domaine de l'application du droit que nous avons décidé de nous doter d'outils nouveaux, et je dirais de procédures nouvelles. Ces procédures nouvelles, c'est d'abord la victoire du dialogue social avec l'accord qui a été pré-signé par l'ensemble des partenaires sociaux sur ce sujet."
Q- Ça c'est un peu historique d'ailleurs !
R - "C'est historique, parce qu'il ne s'en était pas saisi depuis 1989 et à l'époque, l'accord qui avait été signé était d'une portée très relative."
Q- Et cet accord en un mot ?
R - "Alors cet accord, c'est la mise en uvre de thématiques résolument modernes, c'est-à-dire qui contribuent à déterminer un nouvel esprit, une nouvelle culture d'entreprise autour de l'égalité, perçue non plus comme une contrainte de gestion, mais plutôt comme un facteur de productivité. Et puis c'est aussi l'esprit de justice auquel le gouvernement est attaché, c'est-à-dire faire en sorte que le potentiel des femmes ne soit pas sous-valorisé."
Q- C'est-à-dire à la fois c'est un vecteur de croissance, d'économie, pour l'économie et en même temps un vecteur de justice sociale !
R - "Absolument, et c'est absolument cette, comment dirai-je, cette conjonction, cette convergence des enjeux qui m'importe, car je crois que nous ne pourrons pas faire avancer la société sur une autre idée que celle-là, c'est-à-dire l'égalité au service de tous. De la croissance bien sûr et nous sommes en plein dans cette dynamique de l'emploi, mais aussi au service de la cohésion sociale. Sur des thématiques encore une fois neuves qui concernent la diversité des compétences, qui concernent la parentalité dans l'entreprise et qui concernent la lutte contre tous les stéréotypes."
Q- Est-ce qu'il ne faut pas, Mme Améline, passer d'une certaine manière du concept, j'allais dire, du concept d'emploi pour les femmes au concept de carrière ?
R - "Exactement, exactement ! Aujourd'hui les femmes savent qu'elles ne seront plus la force d'appoint, la variable d'ajustement du marché du travail qu'elles ont été au 20ème siècle. Nous avons changé de siècle, nous avons changé d'espace, nous sommes dans l'Europe et dans le monde. L'économie moderne a besoin de tous ses talents et reconnaître le talent des femmes, c'est servir l'économie. Il est donc indispensable et nous aurons, à mon initiative, la création d'un label " égalité " qui sera une marque, un indicateur social qui distinguera les entreprises engagées dans ce management partagé."
Q- Il faut donc récompenser les entreprises...
R - "Ce sera une récompense, mais cela sera plus encore une marque de modernité à la fois dans la démarche interne de l'entreprise qui pourra effectivement, comme le disiez, ouvrir des carrières et y compris le pouvoir jusqu'au conseil d'administration des entreprises et ce sera une marque de modernité à l'extérieur en terme d'image vis à vis, notamment, des consommateurs qui sont souvent des consommatrices."
Q- Quand on regarde ce qui se passe dans le CAC 40, notre fameux CAC 40, eh bien, mon dieu, on cherche effectivement la femme.
R - "Oui, elles sont à peine 5 %."
Q- Oui, parlons salaire, parlons salaire, parce que cela compte n'est-ce pas ?
R - "Les salaires doivent être effectivement parfaitement équitables et justes..."
Q- Et ils ne le sont pas Mme la ministre.
R - "Ils ne le sont pas, ils sont surtout liés..."
Q- 30 % de moins en moyenne que leurs homologues masculins.
R - "Oui, on est de toute façon entre 11-12 et 25 %, ce qui de toute façon est beaucoup trop important. Je parlerai volontiers davantage d'inégalités de revenu, car on s'aperçoit que ce sont les écarts cumulés des salaires sur une période, qui d'ailleurs sont au détriment absolu des femmes, qui créent ce différentiel. Il y a un point très important qui tient à coeur du Premier ministre qui est le suivant : c'est de faire en sorte que la maternité ne soit plus un handicap, mais comme une valeur ajoutée."
Q- Mais oui, mais comment faire, en quelques secondes, pardonnez-moi.
R- "Les entreprises sont très sensibilisées - nous nous y sommes employés - sur ce terrain pour faire en sorte, qu'effectivement, cela rejoint totalement la convergence des enjeux que nous évoquions. Faire en sorte que la vie familiale puisse être un plus, une valeur ajoutée et non pas un handicap."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 mars 2004)