Texte intégral
Question (S. Paoli) : La mobilisation des citoyens en Espagne, renforcée par la tragédie que vient de traverser le pays est-elle de nature à encourager l'électorat français à s'exprimer plus qu'il ne l'a fait dans les précédentes consultations ? Malgré l'activité des candidats de tous partis, les prochaines régionales et cantonales continuent de ne pas sembler intéresser les citoyens. Apparence ou réalité ? L'Europe et les enjeux régionaux : ce qui vient de se passer en Espagne est-il de nature à donner aux citoyens français l'envie de s'exprimer plus qu'ils ne l'ont fait jusqu'ici ?
François Bayrou (Réponse) : Je le crois et je l'espère. En tout cas, dans une région comme l'Aquitaine, qui est frontalière de l'Espagne, naturellement, l'émotion est très grande. Je ne peux pas oublier que l'on va suivre les obsèques d'une jeune femme de 29 ans, M. Suberviel. Elle était mère d'un bébé de 11 mois. Elle a été déchiquetée par les bombes à Madrid ; c'est la victime française que vous venez d'évoquer sur votre antenne. Naturellement, ici, l'émotion est très importante, très grande. En réalité, on voit bien que les attentats ont fait des victimes - 200 morts et 1 200 blessés - et tant de familles déchirées. Mais les victimes n'étaient pas la cible. La cible, en réalité, c'est la démocratie, les valeurs qui sont les nôtres - valeurs européennes, valeurs occidentales. Il n'y a pas de meilleure réponse, outre de pourchasser les assassins qui ont fait cela, que celle que les Espagnols ont fourni dimanche dernier en se précipitant si nombreux vers les urnes, à près de 80 %. Je crois que chez nous aussi, nous avons le devoir de montrer que les assassins n'atteindront pas nos raisons de vivre ensemble et que nous pouvons ressaisir une partie de notre destin en montrant que nous aussi, nous y croyons, nous y croyons encore.
Question : Mais si la constitution d'une Europe plus forte et mieux organisée est peut-être une réponse aux risques du terrorisme, en quoi les prochaines régionales et cantonales peuvent nous raccrocher à ce dessein européen ? Par exemple, les fonds européens, participent-ils directement au fonctionnement de la région ? En quoi, au fond, tout cela nous concerne directement ?
François Bayrou (Réponse) : Cela nous concerne, parce que c'est notre vie. La politique, son but, est de changer la vie. S'il y a des politiques qui pensent qu'ils sont impuissants à changer la vie, alors qu'ils rentrent chez eux ! On a besoin de politiques qui assument et on peut assumer, en effet, de deux manières. Assumer sur la scène du monde en construisant une Europe qui existe vraiment, alors qu'aujourd'hui, elle n'existe pas, elle est insuffisante, et peut-être l'orientation espagnole va-t-elle nous apporter de l'espoir. Et puis, assumer par les décisions de près. On peut changer la vie de près, on peut faire en sorte que les équipements d'une région soient enfin mis à niveau avec les équipements d'une autre. On peut essayer des idées nouvelles ; par exemple, nous proposons une idée pour l'emploi des jeunes, que la formation dont la région a la charge ne s'arrête pas au diplôme mais qu'elle aille au-delà, jusqu'au premier emploi, jusqu'au premier contrat de travail signé. Et que la région accompagne tous les jeunes jusqu'au premier contrat de travail signé. Vous voyez bien, au fond, ce dont il s'agit : il s'agit d'une espérance. Est-ce que nous pouvons, est-ce que la démocratie peut interpeller le citoyen qui passe et qui hausse les épaules en lui disant : "la résignation n'est pas à l'ordre du jour". On passe son temps à baisser les bras, on passe son temps à se résigner. De promesses en promesses, on va de désillusion en désillusion. Eh bien, on peut, par une gestion de près, la gestion d'une région, faire un laboratoire de ce que pourrait être une politique qui changerait la vie. Là, on n'est plus dans le domaine de la complainte, de la plainte, du soupir résigné, on est dans le domaine de l'espoir.
Question : Puisque c'est si important, par exemple, les cantonales, il s'agit aussi de la gestion des grands dossiers locaux, où le citoyen peut avoir un droit de regard et un accès. Pourquoi, semble-t-il - je ne sais pas si c'est la réalité ou pas - les citoyens semblent si peu intéressés. La faute à qui ?
François Bayrou (Réponse) : La faute à la complexité effroyable de nos institutions françaises. Au lieu d'avoir trois échelons qui permettraient d'y voir clair - un échelon pour la proximité, qui serait la commune et l'intercommunalité, un échelon pour l'aménagement du territoire, et un échelon pour les grands devoirs de la Nation -, on a six, sept, huit échelons. Je pense qu'il faut mettre la simplification à l'ordre du jour pour que les citoyens y comprennent quelque chose. J'ai une définition ou un critère assez simple pour une bonne Constitution : je trouve qu'une bonne Constitution devrait être celle que l'on peut enseigner au CM2. S'ils la comprennent, alors elle est compréhensible par tout le monde - et d'ailleurs, ils pourraient l'enseigner à leurs parents ; je dis cela au passage. On a donc besoin d'une simplification. Pour ma part, je suis pour que les départements, les conseils généraux, et les les régions, les conseils régionaux soient rapprochés dans une seule collectivité locale, avec les mêmes élus, de manière que cela coûte moins cher et que le citoyen puisse y voir clair, notamment sur sa feuille d'impôts. Parce qu'aujourd'hui, c'est tellement compliqué que les régions - ou des départements, ou les structures diverses - peuvent augmenter leurs impôts en pensant que le citoyen n'y voit rien. Je suis dans une région, l'Aquitaine, où les impôts ont augmenté de près de 50 % sur la durée su mandat. Et cependant, on n'a pas l'impression que le citoyen s'en rende compte en lisant sa feuille d'impôts. Je suis donc pour une clarification.
Question : Dans ce grand débat politique, la valeur de la parole politique ? On a vu les dégâts en Espagne, de ce qui ressemble à un mensonge d'Etat et la façon dont les citoyens ont réagi. S'agissant de la parole politique chez nous, ici, en France, avez-vous le sentiment qu'elle est assumée, qu'elle est respectée, que quand on dit quelque chose, on le fait et on le tient, ou faut-il que les hommes politiques de tout bord s'interrogent ? Peut-être y a-t-il là une réponse au manque d'intérêt de curiosité des citoyens ?
François Bayrou (Réponse) : C'est une grande part de la crise. Les citoyens ont le sentiment, je ne dirais pas qu'on leur ment, mais qu'on les balade. C'est-à-dire que la parole politique n'est pas faite pour dire la vérité, elle est faite pour la communication. Donc, des petites phrases, donc, on dore la pilule. On cherche dans la réalité l'aspect le plus flatteur, le plus présentable et on ne dit pas la vérité aux gens. Et ils s'en rendent compte. Je prends un exemple : on nous a dit beaucoup, ces temps-ci, que l'année 2003 avait été le record des créations d'entreprises en France et on y voyait un signe de cette reprise, qui, soi-disant, est au coin de la rue. Arrive le mois prochain ou la semaine prochaine, et cela recule au fur et à mesure qu'on avance - comme l'horizon. En réalité, quand on regarde les chiffres, la réalité est celle-ci : l'année 2003 a aussi été le record des faillites en France, + 25 % de faillites. Je trouve que le Gouvernement, la majorité - et pas seulement celui-ci, parce que cela a été l'habitude de tous les gouvernements depuis des lustres, le Gouvernement et la majorité, les gouvernants gagneraient beaucoup à dire la vérité comme elle est, à parler aux citoyens de la difficulté des temps. Cela aurait ainsi évité que l'on ait le record d'endettement, le record de déficit que nous avons rencontré. Je suis persuadé que si l'on avait dit aux Français la vérité comme elle était, y compris la vérité quand elle est dure, y compris quand elle impose des défis qu'il faut relever, à ce moment-là, les citoyens auraient obligé les gouvernants à avoir des politiques courageuses, à ne pas différer les réformes. Quand vous pensez qu'en France, tous les jours et depuis des années, on dépense 20 % de plus que ce qui rentre dans les caisses de l'Etat. Si on le disait aux citoyens ainsi, alors, ils obligeraient les politiques à être courageux et à leur donner un chemin, une vision, ce qui manque le plus aujourd'hui. Donc, vous avez raison, il y a un problème de parole politique. Pour moi, il est impossible que les peuples aient confiance, s'ils n'ont pas la certitude qu'on leur dit la vérité.
Question : Dites-vous que nous allons vivre des heures difficiles, que toutes les hypothèses qui ont été faites, s'agissant de la croissance en 2004, ne peuvent pas être sérieuses, notamment après ce qui vient de se passer en Espagne, et qu'au fond, on ne sait pas bien où l'on va ?
François Bayrou (Réponse) : En tout cas, pour moi, les messages optimistes sur la croissance, que l'on reçoit depuis des mois et des mois, je ne les vérifie pas dans la réalité. Ce que l'on voit sur le terrain, c'est au contraire des délocalisations, le souci de beaucoup d'entreprises, des cahiers de charges qui sont un peu faibles. En tout cas, pas le sentiment d'une reprise générale dont on nous avait dit qu'elle serait l'hypothèse la plus probable et la certitude pour le Gouvernement.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 mars 2004)
François Bayrou (Réponse) : Je le crois et je l'espère. En tout cas, dans une région comme l'Aquitaine, qui est frontalière de l'Espagne, naturellement, l'émotion est très grande. Je ne peux pas oublier que l'on va suivre les obsèques d'une jeune femme de 29 ans, M. Suberviel. Elle était mère d'un bébé de 11 mois. Elle a été déchiquetée par les bombes à Madrid ; c'est la victime française que vous venez d'évoquer sur votre antenne. Naturellement, ici, l'émotion est très importante, très grande. En réalité, on voit bien que les attentats ont fait des victimes - 200 morts et 1 200 blessés - et tant de familles déchirées. Mais les victimes n'étaient pas la cible. La cible, en réalité, c'est la démocratie, les valeurs qui sont les nôtres - valeurs européennes, valeurs occidentales. Il n'y a pas de meilleure réponse, outre de pourchasser les assassins qui ont fait cela, que celle que les Espagnols ont fourni dimanche dernier en se précipitant si nombreux vers les urnes, à près de 80 %. Je crois que chez nous aussi, nous avons le devoir de montrer que les assassins n'atteindront pas nos raisons de vivre ensemble et que nous pouvons ressaisir une partie de notre destin en montrant que nous aussi, nous y croyons, nous y croyons encore.
Question : Mais si la constitution d'une Europe plus forte et mieux organisée est peut-être une réponse aux risques du terrorisme, en quoi les prochaines régionales et cantonales peuvent nous raccrocher à ce dessein européen ? Par exemple, les fonds européens, participent-ils directement au fonctionnement de la région ? En quoi, au fond, tout cela nous concerne directement ?
François Bayrou (Réponse) : Cela nous concerne, parce que c'est notre vie. La politique, son but, est de changer la vie. S'il y a des politiques qui pensent qu'ils sont impuissants à changer la vie, alors qu'ils rentrent chez eux ! On a besoin de politiques qui assument et on peut assumer, en effet, de deux manières. Assumer sur la scène du monde en construisant une Europe qui existe vraiment, alors qu'aujourd'hui, elle n'existe pas, elle est insuffisante, et peut-être l'orientation espagnole va-t-elle nous apporter de l'espoir. Et puis, assumer par les décisions de près. On peut changer la vie de près, on peut faire en sorte que les équipements d'une région soient enfin mis à niveau avec les équipements d'une autre. On peut essayer des idées nouvelles ; par exemple, nous proposons une idée pour l'emploi des jeunes, que la formation dont la région a la charge ne s'arrête pas au diplôme mais qu'elle aille au-delà, jusqu'au premier emploi, jusqu'au premier contrat de travail signé. Et que la région accompagne tous les jeunes jusqu'au premier contrat de travail signé. Vous voyez bien, au fond, ce dont il s'agit : il s'agit d'une espérance. Est-ce que nous pouvons, est-ce que la démocratie peut interpeller le citoyen qui passe et qui hausse les épaules en lui disant : "la résignation n'est pas à l'ordre du jour". On passe son temps à baisser les bras, on passe son temps à se résigner. De promesses en promesses, on va de désillusion en désillusion. Eh bien, on peut, par une gestion de près, la gestion d'une région, faire un laboratoire de ce que pourrait être une politique qui changerait la vie. Là, on n'est plus dans le domaine de la complainte, de la plainte, du soupir résigné, on est dans le domaine de l'espoir.
Question : Puisque c'est si important, par exemple, les cantonales, il s'agit aussi de la gestion des grands dossiers locaux, où le citoyen peut avoir un droit de regard et un accès. Pourquoi, semble-t-il - je ne sais pas si c'est la réalité ou pas - les citoyens semblent si peu intéressés. La faute à qui ?
François Bayrou (Réponse) : La faute à la complexité effroyable de nos institutions françaises. Au lieu d'avoir trois échelons qui permettraient d'y voir clair - un échelon pour la proximité, qui serait la commune et l'intercommunalité, un échelon pour l'aménagement du territoire, et un échelon pour les grands devoirs de la Nation -, on a six, sept, huit échelons. Je pense qu'il faut mettre la simplification à l'ordre du jour pour que les citoyens y comprennent quelque chose. J'ai une définition ou un critère assez simple pour une bonne Constitution : je trouve qu'une bonne Constitution devrait être celle que l'on peut enseigner au CM2. S'ils la comprennent, alors elle est compréhensible par tout le monde - et d'ailleurs, ils pourraient l'enseigner à leurs parents ; je dis cela au passage. On a donc besoin d'une simplification. Pour ma part, je suis pour que les départements, les conseils généraux, et les les régions, les conseils régionaux soient rapprochés dans une seule collectivité locale, avec les mêmes élus, de manière que cela coûte moins cher et que le citoyen puisse y voir clair, notamment sur sa feuille d'impôts. Parce qu'aujourd'hui, c'est tellement compliqué que les régions - ou des départements, ou les structures diverses - peuvent augmenter leurs impôts en pensant que le citoyen n'y voit rien. Je suis dans une région, l'Aquitaine, où les impôts ont augmenté de près de 50 % sur la durée su mandat. Et cependant, on n'a pas l'impression que le citoyen s'en rende compte en lisant sa feuille d'impôts. Je suis donc pour une clarification.
Question : Dans ce grand débat politique, la valeur de la parole politique ? On a vu les dégâts en Espagne, de ce qui ressemble à un mensonge d'Etat et la façon dont les citoyens ont réagi. S'agissant de la parole politique chez nous, ici, en France, avez-vous le sentiment qu'elle est assumée, qu'elle est respectée, que quand on dit quelque chose, on le fait et on le tient, ou faut-il que les hommes politiques de tout bord s'interrogent ? Peut-être y a-t-il là une réponse au manque d'intérêt de curiosité des citoyens ?
François Bayrou (Réponse) : C'est une grande part de la crise. Les citoyens ont le sentiment, je ne dirais pas qu'on leur ment, mais qu'on les balade. C'est-à-dire que la parole politique n'est pas faite pour dire la vérité, elle est faite pour la communication. Donc, des petites phrases, donc, on dore la pilule. On cherche dans la réalité l'aspect le plus flatteur, le plus présentable et on ne dit pas la vérité aux gens. Et ils s'en rendent compte. Je prends un exemple : on nous a dit beaucoup, ces temps-ci, que l'année 2003 avait été le record des créations d'entreprises en France et on y voyait un signe de cette reprise, qui, soi-disant, est au coin de la rue. Arrive le mois prochain ou la semaine prochaine, et cela recule au fur et à mesure qu'on avance - comme l'horizon. En réalité, quand on regarde les chiffres, la réalité est celle-ci : l'année 2003 a aussi été le record des faillites en France, + 25 % de faillites. Je trouve que le Gouvernement, la majorité - et pas seulement celui-ci, parce que cela a été l'habitude de tous les gouvernements depuis des lustres, le Gouvernement et la majorité, les gouvernants gagneraient beaucoup à dire la vérité comme elle est, à parler aux citoyens de la difficulté des temps. Cela aurait ainsi évité que l'on ait le record d'endettement, le record de déficit que nous avons rencontré. Je suis persuadé que si l'on avait dit aux Français la vérité comme elle était, y compris la vérité quand elle est dure, y compris quand elle impose des défis qu'il faut relever, à ce moment-là, les citoyens auraient obligé les gouvernants à avoir des politiques courageuses, à ne pas différer les réformes. Quand vous pensez qu'en France, tous les jours et depuis des années, on dépense 20 % de plus que ce qui rentre dans les caisses de l'Etat. Si on le disait aux citoyens ainsi, alors, ils obligeraient les politiques à être courageux et à leur donner un chemin, une vision, ce qui manque le plus aujourd'hui. Donc, vous avez raison, il y a un problème de parole politique. Pour moi, il est impossible que les peuples aient confiance, s'ils n'ont pas la certitude qu'on leur dit la vérité.
Question : Dites-vous que nous allons vivre des heures difficiles, que toutes les hypothèses qui ont été faites, s'agissant de la croissance en 2004, ne peuvent pas être sérieuses, notamment après ce qui vient de se passer en Espagne, et qu'au fond, on ne sait pas bien où l'on va ?
François Bayrou (Réponse) : En tout cas, pour moi, les messages optimistes sur la croissance, que l'on reçoit depuis des mois et des mois, je ne les vérifie pas dans la réalité. Ce que l'on voit sur le terrain, c'est au contraire des délocalisations, le souci de beaucoup d'entreprises, des cahiers de charges qui sont un peu faibles. En tout cas, pas le sentiment d'une reprise générale dont on nous avait dit qu'elle serait l'hypothèse la plus probable et la certitude pour le Gouvernement.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 mars 2004)