Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, à "LCI" le 3 novembre 2005, sur la sécurité dans les quartiers en difficulté.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser - Bonjour, J.-M. Ayrault. Les incidents se multiplient en banlieue parisienne, toutes les nuits, depuis sept jours, depuis la mort de deux jeunes gens qui sont morts électrocutés dans un transformateur EDF. Hier, c'était la première séance des "Questions d'actualité" depuis ces événements. On a senti une certaine retenue chez vous, les socialistes, bien que vous dénonciez l'impuissance du Gouvernement. Vous avez peur...
Une certaine gravité parce que la situation est grave et elle est inquiétante, on ne sait jamais, elle peut dégénérer. Donc ça demande un grand sang-froid et un grand esprit de responsabilité, mais il faut agir, il ne faut pas rester les bras ballants et surtout il ne faut parler et dire n'importe quoi pour provoquer.
Vous visez qui, là ?
Malheureusement, ce que je constate, c'est que le Gouvernement me semble dépassé par les événements. Il ne sait pas trop comment les prendre parce qu'il a perdu trois ans, et je dirais même trois ans et demi.
J. Chirac avait fait campagne sur la sécurité, il a cru faire un bon coup politique. Mais la sécurité, qui est un droit fondamental des citoyens, n'est pas quelque chose qui s'improvise par des moulinets, des effets de manches, des provocations verbales.
Il a quand même mis beaucoup de moyens dans la sécurité.
C'est bien justement ça le problème. C'est que la réalité n'est pas celle que l'on dit, en particulier lorsque le ministre de l'Intérieur tous les jours se gargarise de statistiques qui seraient plus favorables. Dans les faits, on voit que dans certains quartiers, la situation ne s'est pas du tout améliorée, voire dégradée et que les atteintes aux personnes, donc la violence dans notre société a augmenté.
Donc, ça c'est un fait.
Et puis, dans les quartiers en difficulté qui cumulent tous les inconvénients, c'est-à-dire qui cumulent à la fois la délinquance dont sont victimes les habitants des quartiers, les jeunes des quartiers, qui cumulent l'inégalité sociale, le chômage, les familles monoparentales, le problème donc de l'autorité parentale, l'éducation, qui cumulent l'échec scolaire, les discriminations à l'embauche, quand vous cumulez tout ça, il y a des moments où ça peut exploser. Donc, c'est un problème qui ne se pose pas depuis aujourd'hui mais depuis trois ans et demi comme on a privilégié, je dirais des discours plus que l'action. Quand le Premier ministre de l'Intérieur (sic)...
... ça n'a peut-être pas commencé il y a trois ans et demi, honnêtement.
Non, c'est ce que je vous dis, c'est un problème qui dure depuis longtemps. Si on veut le traiter, il faut le traiter dans la durée, en s'attaquant aux racines du mal mais en rappelant aussi que nous sommes dans un Etat de droit, qu'il y a des règles, qu'il y a des lois et que brûler une voiture n'est pas un acte banal et que ça doit être puni sévèrement.
Là-dessus, je suis complètement d'accord, mais pourquoi avoir détruit la police de proximité ? La police de proximité ce sont des policiers...
... vous êtes favorables au rétablissement de la police de proximité ?
Mais c'est un travail qui est un travail de longue haleine parce que ça nécessite une réorganisation de la police.
Elle est très controversée la police de proximité.
Cela été entreprise par J.-P. Chevènement, mis en uvre ensuite par D. Vaillant mais c'est long à faire. Qu'est-ce que c'est qu'une police de proximité ?
Moi, je peux vous en parler, je suis maire d'une grande ville.
C'est une police qui vit dans le quartier.
Elle vit dans le quartier et on peut aller la voir, elle connaît tout le monde. Donc, quand il y a des problèmes, elle les sent venir. Et quand il faut agir, elle sait à qui s'adresser, sur qui s'appuyer. Et puis, on a détruit dans ces quartiers les relais associatifs. Quand on a supprimé les emplois jeunes par exemple, qui assuraient une permanence des associations sportives, culturelles, de médiation.
Bon, tout ça a été cassé par le Gouvernement par idéologie a dit, non, on va plus mettre d'argent là-dedans, vous allez voir, la croissance va tout résoudre. Il n'y a pas de croissance et on a supprimé les outils de l'intégration sociale,et aujourd'hui on est face aux difficultés.
Et ces relais sont relayés justement par des communautés.
Justement, il faut faire très attention, si la seule médiation qui existe dans ces quartiers, c'est la médiation religieuse, alors là je crains qu'on tombe dans le communautarisme et c'est ce qui tente le ministre de l'Intérieur, c'est ce qu'a pratiqué monsieur Sarkozy encore ces derniers jours.
Je ne dis pas que les religions n'ont pas un rôle à jouer, ce n'est pas ce que je veux dire mais on ne peut pas déléguer aux communautés religieuses, dans les quartiers de nos villes, la question de la sécurité parce que là on rentre dans le ghetto et ce n'est pas acceptable.
Moi, ce que je veux, c'est l'égalité des chances. Je veux que ces quartiers soient des quartiers comme les autres et là, on sait que c'est un travail de longue haleine, ce n'est pas deux ans de travail, ce n'est pas quatre ans de travail, c'est vingt ans de boulot. On a même nous, la gauche, pris du retard.
Justement, quand vous réclamez un grand débat...
... mais en même temps fermeté et en même temps lutte contre les inégalités.
Quand vous réclamez un grand débat national, ça veut dire que vous seriez prêts à vous asseoir autour d'une table avec les gens de droite ?
On est toujours prêt à s'asseoir autour d'une table. Le Premier ministre a invité des maires pour parler - il était temps, ça fait trois ans et demi que ce Gouvernement est au pouvoir, monsieur de Villepin a été lui même ministre de l'Intérieur - des maires socialistes ont été invités, ils iront.
Moi, je suis maire et quand le préfet me demande de travailler avec lui pour toutes les questions de sécurité mais aussi pour toutes les questions liées à la lutte contre l'exclusion, même si ce n'est pas le Gouvernement qui me plaît qui est en place, je joue le jeu si cela peut améliorer quelque chose pour la vie des Français. C'est cela qui compte, c'est les Français, leur redonner confiance, leur redonner espoir et dans certains quartiers, malheureusement, il y a eu trop de désespoir.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 8 novembre 2005)