Déclaration de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur l'action de Gérard Mestrallet, lauréat du prix du "Meilleur manager", à la tête du groupe Suez Lyonnaise des eaux, Paris le 25 novembre 1998.

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Circonstance : Remise du prix du "Meilleur manager", organisé par "Le Nouvel Economiste", à Gérard Mestrallet (groupe Suez Lyonnaise des eaux) à Paris le 25 novembre 1998

Texte intégral

Mon Cher Gérard,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de commencer cette intervention par deux affirmations qui s'apparentent à deux évidences :
- l'entreprise est un lieu irremplaçable de création de richesses, grâce aux biens et services qu'elle produit mais aussi parce que c'est le plus souvent un lieu de créativité et d'innovation
- l'entreprise se définit bien sûr par ses actionnaires, ses apporteurs de capitaux, mais aussi par les hommes et les femmes qui la composent, et de plus en plus par ses clients et ses relations avec son environnement.
Ces deux affirmations - presque des lieux communs - sont aujourd'hui partagées par le plus grand nombre de nos concitoyens, ce qui est une bonne chose même si cela n'a pas toujours été le cas.
Les salariés savent que leur avenir et celui de leurs enfants passent en grande partie par le développement et la prospérité de leurs entreprises.
Les Français se sont - je crois - réconciliés avec l'entreprise ces dernières années et rien ne serait pire que de recréer par certaines pratiques, une distance ou plus grave une méfiance vis à vis des entreprises.
Les chefs d'entreprise quant à eux, savent que la richesse de leur entreprise, c'est le capital humain qui la compose, comme ces 175 000 collaborateurs de Suez-Lyonnaise des Eaux, et que l'avenir se prépare avec eux en faisant preuve d'anticipation, en préparant chacun aux métiers de demain, et en sachant donner à tous un emploi qui leur permette de mobiliser leurs capacités professionnelles mais aussi leur créativité.
Le "bon" chef d'entreprise aujourd'hui n'est plus celui qui dégraisse à coup de hache, qui ne reconnaît comme indicateur pertinent que la productivité du travail, mais celui qui raisonne en termes de compétitivité globale, capable de trouver la meilleure articulation entre les techniques et les hommes, d'assurer la qualité et la réactivité à ses clients comme le meilleur coût.
A cet égard, permettez-moi de dire simplement comme je le ressens, que le mouvement de négociations qui s'engage dans notre pays sur la durée du travail doit encore amplifier cette prise de conscience de part et d'autre.
Je suis frappée de voir dans les 700 entreprises qui ont déjà conclu un accord mais, au delà, dans les milliers d'entre elles qui négocient aujourd'hui, que l'on aborde par ce biais un débat au coeur de l'entreprise comme on ne l'a jamais fait auparavant. Les chefs d'entreprise expliquent avec un souci de transparence, ce que sont les contraintes du marché, de la concurrence, et les problèmes d'organisation qui se posent à l'entreprise. Ils proposent une meilleure utilisation des équipements, une plus grande ouverture des services à la clientèle, un aménagement du temps de travail pour prendre en compte les- surcroîts d'activités ou la saisonnalité. Les salariés quant à eux font part de leur souhait de travailler mieux, d'accroître l'intérêt et la qualité de leur travail, mais aussi de mieux articuler leur vie familiale et leur vie professionnelle. Ensemble, ils réfléchissent à une meilleure utilisation des hommes et des équipements, à une organisation du travail plus qualifiante et performante, et ils trouvent, avec l'aide de l'Etat, les moyens de financer ces changements et les créations d'emplois.
N'est-ce pas un dialogue nouveau et particulièrement prometteur pour l'avenir qui a permis au Wall Street Journal de se demander il y a quelques jours : les 35 heures, et si cela marchait
Nous sommes là au coeur du fonctionnement de l'entreprise et c'est un enjeu majeur.
Mais l'entreprise c'est d'abord une stratégie, un projet, et un chef d'entreprise c'est celui qui est capable de les définir et de les faire partager.
Et l'on commence là à comprendre pourquoi, Gérard MESTRALLET, et au delà de lui même, le Groupe Suez-Lyonnaise des Eaux, est aujourd'hui honoré. Quel avenir commun pouvait-on percevoir en 1997 à ces deux groupes très différents, un groupe financier actionnaire de multiples sociétés très variées dont la grande Société Générale de Belgique, et la Lyonnaise des Eaux, grand groupe (n° 2 français) de services aux collectivités locales.
A court terme, on voyait bien comment la Lyonnaise des Eaux, ensemble constitué par Jérôme MONOD, pouvait bénéficier des liquidités prodigieuses du Groupe Suez pour asseoir son développement. Mais cette seule opportunité ne fait pas une entreprise, C'est-à-dire une stratégie.
Pour la définir, il faut savoir anticiper, définir ses métiers, effectuer des ruptures si nécessaire, se situer dans un environnement mondial exigeant.
Et bien en 18 mois, le groupe Suez-Lyonnaise des Eaux est un bel exemple, d'une stratégie définie, aboutie et en marche.
Le choix clair des métiers du groupe autour de besoins majeurs pour les hommes : l'énergie, l'eau, la propreté mais aussi la communication, sans oublier la construction.
La nécessité de tourner la page, d'effectuer des recentrages dont je remarque qu'ils se sont faits sans heurt majeur alors qu'ils constituaient souvent une partie essentielle de l'histoire du groupe. Sans heurt majeur car chacun a pu comprendre que ces décisions s'inscrivaient dans une cohérence globale crédible et porteuse d'avenir.
C'est ainsi Gérard Mestrallet que vous avez procédé à la cession de l'ensemble des secteurs de l'immobilier, de la banque, et du crédit à la consommation de votre groupe.
Mais vous avez aussi renforcé par de grandes acquisitions les métiers au coeur de votre stratégie dans l'eau ou les déchets, et prudemment mais avec constance, vous vous étendez dans le secteur de la communication en développant l'offre Internet sur le cable ou en participant au bouquet de programmes satellite TPS.
Mais vous savez aussi que l'Europe est votre village, vous qui avez passé des années chez nos amis belges de la Société Générale de Belgique et avez côtoyé à Bruxelles ceux qui construisent l'Europe de demain. Votre groupe franco-beige est véritablement européen dans son histoire comme dans son organisation.
Vous êtes aussi le numéro un de la propreté en Europe, présent dans le secteur de l'eau dans plus de cent pays, numéro deux des producteurs privés d'électricité en Europe. Vous avez récemment obtenu de grands succès à l'international en remportant le contrat de gestion d'eau potable de la ville d'Atlanta.
Vous pouvez être fiers de ces succès comme de la capacité que vous avez eu avec Jérôme MONOD et les dirigeants du groupe, de faire connaître et travailler ensemble des femmes et des hommes au passé et aux pratiques différents. Mais il est vrai qu'il est plus facile de se mobiliser quand on a des objectifs clairs et un avenir commun !
Dans notre pays, les entreprises sont reconnues dans leur rôle de créateur de richesses -nous l'avons dit- et comment ne le seraient-elles pas lorsqu'elles relèvent de tels défis !
C'est la raison pour laquelle l'Etat se doit d'en reconnaître le rôle en aidant les créateurs, de leur simplifier la tâche, mais aussi de définir les règles qui permettent un fonctionnement harmonieux tant sur le plan social que sur celui de la concurrence.
Il incombe également à l'Etat de définir un environnement qui soit propice au développement des entreprises. Je crois que c'est ce que le Gouvernement a fait en relançant la consommation et Inactivité pour appuyer un environnement économique par ailleurs favorable. C'est aussi, ce que fait l'Etat lorsqu'il fait fonctionner efficacement les services publics.
Une enquête récente de The Economist montre que l'attractivité de la France (troisième pays pour l'implantation d'investissements internationaux) est d'abord liée à son niveau d'éducation, à son système de santé, à ses infrastructures.
Même s'il y a encore des progrès à réaliser, reconnaissons que Clest un de nos atouts majeurs.
Mais l'Etat se doit aussi de donner de la visibilité aux entreprises en annonçant sa politique et ne changeant pas les règles en permanence. Sur ce point, au moins, on ne peut pas nous reprocher d'appliquer un programme que nous avions annoncé !
L'entreprise reconnue, doit, quant à elle, respecter la société et ses membres.
- au premier rang d'entre eux, ses propres salariés dont les conditions de vie au travail doivent être les plus valorisantes possibles.
- respecter l'environnement : ce n'est pas à votre groupe qu'il faut en parier, lui qui travaille sur les grands enjeux de la protection de l'environnement que sont l'énergie, l'eau, la propreté.
- respecter ses clients dans des rapports les plus sains et transparents possibles.
- respecter la société c'est à dire y remplir pleinement son rôle. Une entreprise aujourd'hui ne peut se désintéresser de la société dans laquelle elle vit. Elle voit qu'elle ne pourra se développer dans un monde où croît l'exclusion. Si la responsabilité majeure en revient à l'Etat ou aux collectivités locales, elle peut y prendre sa part. Je n'oublie pas l'engagement que Jérôme MONOD a pris au sein de la fondation Agir Contre l'Exclusion, comme les actions de proximité qu'il a initiées.
Je pense en particulier au tutorat des jeunes embauchés par des salariés expérimentés, au parrainage de demandeurs d'emploi au soutien aux structures d'insertion et aux missions locales dans beaucoup de vos filiales.
On mesure bien à l'aune de toutes ses difficultés, les qualités majeures nécessaires au grand chef d'entreprise que vous êtes, Gérard MESTRALLET.
Il faut dire que vous avez eu beaucoup de chances. Je commence par là avant de parler de vos qualités majeures.
- Vous avez d'abord travaillé auprès d'hommes de grande qualité dont vous avez pu tirer la substantifique moelle. Que ce soit Michel CAMDESSUS, votre patron au Trésor, Jacques DELORS au Cabinet duquel vous étiez chargé des affaires industrielles, Jean PEYRELEVADE et Gérard WORMS qui vous ont accueilli chez SUEZ, Etienne DAVIGNON, le Président de la Société Générale de Belgique et maintenant Jérôme MONOD avec qui vous formez un duo exceptionnel. C'est une grande chance pour vous d'avoir travaillé à leurs côtés, c'est une grande chance pour eux (c'est ce qu'ils disent) de vous avoir connu.
- La seconde chance, vous l'avez construite vous même en ne laissant rien au hasard. Les grandes écoles, vous connaissez : Polytechnique, l'Ecole Nationale de l'Aviation Civile, et puis l'ENA. C'est un atout majeur surtout lorsqu'on a su comme vous en prendre toutes les qualités en leur abandonnant les défauts. Personne ne pourrait aujourd'hui parier de Gérard MESTRALLET comme d'un ingénieur fermé ou d'un énarque technocratique.
- Une autre chance, peut être la plus importante pour vous, et vous me permettrez de faire une incursion dans votre vie personnelle, c'est d'avoir une famille unie qui vous apporte de nombreuses joies. Votre femme Joëlle bien sûr, mais aussi vos trois enfants avec qui vous partagez de nombreuses passions comme celle de l'équitation ou du football.
Mais il faut bien en venir à vous pour dire simplement que nous avons affaire à un homme exceptionnel qui en fait le chef d'entreprise exceptionnel que nous honorons aujourd'hui.
Tu as, je crois, les qualités les plus essentielles : le courage, la fidélité, et la gentillesse. C'est tellement rare qu'il me semble que le Nouvel Economiste ne pouvait pas faire meilleur choix.
La richesse de ton parcours, Cher Gérard, la trace que tu as déjà durablement imprimée à la tête du groupe Suez-Lyonnaise des Eaux impressionnent.
Ce sillon que tu as su creuser ne doit rien au hasard.
Tu le dois essentiellement à tes qualités d'homme.
Tu sais où tu vas, mais prend garde de ne pas y aller seul.
Tu es déterminé dans l'action mais tu sais qu'elle n'a de sens que si ses objectifs sont partagés par le plus grand nombre.
Tu n'es prisonnier d'aucun scepticisme, otage d'aucun conformisme, d'aucun tabou, mais tu sais rester fidèle à la raison et à tes convictions.
Tu préfères l'action en profondeur et dans la discrétion aux coups d'éclat médiatiques mais éphémères.
Je crois, Cher Gérard, que tu fais partie de cette nouvelle génération de chefs d'entreprises qui réconcilient définitivement nos concitoyens avec l'entreprise. Un homme exceptionnel mais normal dans ses comportements, capable de penser l'avenir sans oublier la rentabilité nécessaire au présent, conscient de ses responsabilités, sans forfanterie ou prétention.
Tout cela explique pourquoi tu es aujourd'hui le "dernier manager de l'année avant l'Euro". Puissent les chefs d'entreprises du XXIème siècle te ressembler, permets à la ministre comme à l'amie de le souhaiter. Qu'ils aient comme toi le courage de façonner la réalité à l'image de leurs convictions.
(source http://www.travail.gouv.fr, le 26 septembre 2001)