Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, dans "Le Journal du Dimanche" du 29 octobre 2000, sur l'affaire de la cassette de J.C. Méry sur le financement des partis politiques, la cohabitation et la proposition de modifier le calendrier électoral pour 2002.

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Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Son statut de député européen permet au président de l'UDF de juger avec recul les questions qui agitent la politique française. Sur la rentrée marquée par les affaires liées au financement des partis, sur la cohabitation-poison, la formation unique pour l'opposition pour l'opposition et sur l'élection présidentielle, François Bayrou se confie au JDD.
Les révélations contenues dans la cassette Méry diffusée jeudi sur France 3 vous ont-elles surpris ?
Comment être surpris ? Affaires, manoeuvres, tentatives de déstabilisation, soupçons, des virus mortels sont à l'oeuvre dans notre démocratie française. Tout cela est désespérant pour le citoyen. Destructeur pour l'esprit civique. La démocratie, la république reposent sur un seul élément : le lien de confiance. Quand les citoyens n'ont plus cette confiance, pour quelque raison que ce soit, alors tout peut arriver. C'est pourquoi je considère que la crise que nous traversons est la plus grave depuis 1958 et la chute de la IVème République.
Faut-il une amnistie, une repentance, de nouvelles lois ?
Par pitié, que l'on ne s'engage pas dans la voie d'une amnistie ! Les citoyens, les Français " de base ", comme on dit, s'ils ont un trou de 5 000 francs sur leur compte en banque, ils sont interdits bancaires, et s'ils ont du retard dans le paiement de leurs impôts parce qu'ils traversent une mauvaise passe, on leur envoie l'huissier. Alors s'ils découvrent que les puissants veulent se fabriquer à un nouveau une loi pour se blanchir, cette fois ils leur tourneront définitivement le dos, et ils auront raison !
Des voix s'élèvent pour réclamer que le chef de l'Etat s'explique devant les Français. Partagez-vous ce point de vue ?
La fonction du président de la République et sa responsabilité suprême sont précisément de rassurer le pays quand il s'inquiète et s'alarme. Je n'ai aucun doute sur le fait que Jacques Chirac y pense et s'interroge sur la meilleure manière et le meilleur moment pour le faire.
La cohabitation s'est durcie ces dernières semaines. Peut-elle aller jusqu'à son terme. Cinq ans, c'est long ?
En 1997, j'étais opposé à la dissolution. Aussi lorsque le bruit s'est répandu qu'on l'envisageait, j'ai eu une conversation avec Alain Juppé. Je lui ai dit mon pessimisme sur les résultats, et j'ai ajouté : " La fonction présidentielle ne peut pas résister à une cohabitation aussi longue. " Aujourd'hui on mesure les dégâts. Voyez comme les Français se sont habitués à un président de la République absent des grandes décisions ! Voyez comme ils s'accoutument à cette ambiance d'embuscade permanente ! Alors, même si les sondages disent le contraire, il faut marteler que la cohabitation est un poison, que pas un pays au monde n'a ainsi divisé son pouvoir, qu'il faut en sortir et que le plutôt sera le mieux ! Mais je ne crois pas à une accélération des échéances tant que l'on reste dans ce climat de guerre larvée.
Comment qualifieriez-vous le septennat de Jacques Chirac ? Un septennat " blanc ", comme on l'entend dire ici ou là ?
Ce septennat, je ne sais pas à qui il doit être imputé. Un Président de cohabitation ne gouverne pas. Il observe, quelquefois il approuve, la plupart du temps il subit. Il ne trace pas les grandes lignes. Il n'oriente pas les décisions. Il n'arbitre même pas. C'est vraiment une situation délétère. Et voilà que des voix, de plus en plus nombreuses, disent : " Mais qu'avons-nous besoin d'un Président ? " Le lent empoisonnement a fait son oeuvre ! Il n'y a plus de Vème République. Nous avons perdu les avantages d'un régime présidentiel, sans gagner aucun de ceux d'un régime parlementaire. Autrement dit, le néant !
Vous avez été le premier à demander la modification du calendrier électoral de 2002 en le qualifiant de " dingo ". Pensez-vous que les choses vont bouger ?
Oui, je le crois. Il y a quelques mois, j'étais seul de cet avis, et les moqueries ne manquaient pas. Mais, depuis, que de chemin parcouru ! Tous les grands constitutionnalistes français ont mis leur autorité dans la balance. Des responsables politiques importants, de Robert Badinter à Jean-Pierre Chevènement, en passant par Charles Pasqua ; des hommes d'Etat, de Giscard d'Estaing à Barre et à Rocard, tous ont dit avec force : " Il faut remettre le calendrier à l'endroit. " La semaine dernière, Lionel Jospin lui-même a indiqué que cette idée s'était imposée à lui. Le Président de la République est le garant des institutions. Il ne refusera pas cette mesure de salubrité publique ! Faire élire le Président après la bataille, quand tout est déjà décidé, est un contresens !
Vous serez très vraisemblablement réélu président de l'UDF dans quinze jours. Une candidature UDF à la présidentielle est-elle à l'ordre du jour ?
Notre congrès ouvrira la dernière ligne droite vers les grandes échéances. Il devra donner notre ligne et clarifier nos intentions, donner chair à une volonté et à un projet. Mais la question des présidentielles ne pose pas seulement à l'UDF, elle se pose à tous les Français. La question du renouvellement, ce n'est pas une question de parti, c'est une question nationale. Il y a une attente d'un projet nouveau, courageux et clair. Qui ne s'imposera qu'au-delà des frontières partisanes.
Votre score européen a-t-il vocation à devenir un score présidentiel ?
Les presque 10% de voix obtenues en 1999 ne sont pas un aboutissement mais un début. Mais je le redis, le renouvellement nécessaire n'est pas la question d'un seul parti. La droite l'attend avec angoisse et impatience, le centre l'attend avec espoir, et même une partie de la gauche peut l'entendre avec intérêt. C'est le pays entier, dans toutes ses opinions, dans toute ses tendances, qui est la recherche d'un espoir nouveau.
Si vous devriez vous présenter, quelle serait votre stratégie au deuxième tour ?
Rassembler largement.
L'opposition doit-elle se fondre dans un parti unique ?
Un jour, il y aura des formes politiques nouvelles. Mais cela ne peut se faire que si le renouvellement a eu lieu, sur un nouvel équilibre, une nouvelle démarche et pas sur la défense éperdue de l'ancien état des choses. Une seule question se pose : le parti unique qu'on nous propose est-il fait pour susciter le renouvellement, ou pour le rendre impossible ? Est-il conçu pour ouvrir, ou pour verrouiller ? Et si vous posez la question, vous aurez la réponse.
Votre mandat européen ne vous éloigne-t-il pas trop de la scène politique française ?
je suis passionné par l'Europe et profondément heureux d'avoir respecté ma parole. L'Europe, c'est notre avenir. Les années que je vais passer à travailler à sa construction sont utiles. Et si l'Europe m'éloigne, un peu, de la salle des Quatre Colonnes de l'Assemblée nationale et des poisons et délices de notre scène politique, tant mieux !

Propos recueillis par Virginie Le Guay

(Source http://www.udf.org, le 29 octobre 2000)