Interview de M. Jean-Louis Debré, président du groupe parlementaire RPR à l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 28 novembre 2000, sur l'inversion du calendrier électoral pour 2002 et sur son souhait de voir se faire l'unité de l'opposition.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach Sur le calendrier 2002, le silence du Président de la République ressemble à un vacarme, son avis sur les institutions est sollicité par tous, hier par F. Hollande au nom du PS. Est-ce que le Président de la République acceptera le changement de calendrier ?
- "Je ne suis pas le porte-parole du Président de la République, cela ne vous a pas échappé. Je peux vous dire quelle est ma position. Je suis contre. On ne change pas les règles du jeu à la veille de l'échéance électorale. Je fais confiance au suffrage universel et confiance aux Françaises et aux Français pour faire un choix cohérent et des choix cohérents. Vous avez regardé ce qui s'est passé au congrès du Parti socialiste ? On a eu deux discours importants. Il y a eu le discours de Fabius. Qu'est-ce qu'a dit Fabius ? Fabius a dit : "attention, la situation peut se dégrader, il faut faire attention à ne pas creuser les déficits, déjà la France est endettée et nous recommençons à nous endetter." Discours de fond, discours d'un chef de Gouvernement"
Donc, c'est un bon ministre. C'est un est bon lui, voilà un socialiste qui est
- "Je ne dis pas que c'est un bon ministre, je dis que c'est un ministre qui se préoccupe de l'intérêt de la France. A la suite de ce discours, on a eu le discours de M. Jospin. Qu'est-ce qu'a dit M. Jospin ? "Il faut changer les dates des élections." Je trouve que ce n'est pas correct, on ne fait pas de la politique politicienne. L'important, c'est de se préoccuper de l'avenir de notre pays et je trouve ridicule M. Jospin, qui se préoccupe d'abord de modifier les règles du jeu. La Constitution est ainsi faite et la vie est ainsi faite qu'il faut faire confiance au suffrage universel."
Vous croyez vraiment ce que vous dites là ?
- "Tout à fait ! "
Mais enfin, vous êtes gaulliste, vous dites d'abord "il ne faut pas y toucher" et vous avez touché le septennat, vous en avez fait un quinquennat
- "Les institutions et la Vème République, ce ne sont pas les élections. C'est un principe qui a été affirmé par De Gaulle et qui est très clair : c'est le retour devant le suffrage universel et c'est la légitimité du pouvoir demandé par les électeurs."
Puis-je demander au gaulliste que vous êtes si l'architecture des institutions de la Vème repose ou non sur le Président de la République ?
- "L'architecture des institutions de la Vème République, c'est l'article 19 de la Constitution, c'est le fait que le Président de la République ait un pouvoir sans contreseing pour arbitrer les conflits."
Donc ce n'est plus le Président de la République ?
- "Mais si puisque c'est le chef de l'Etat qui, en cas de conflit, en cas de difficultés, peut soit saisir le peuple, soit saisir le Conseil constitutionnel, soit dissoudre."
Vous entendez la rumeur si vous avez cette position, selon laquelle J. Chirac et les siens ont peur de perdre la présidentielle ?
- "Non, ce que j'entends, c'est que M. Jospin a peur de perdre les élections législatives et, par conséquent, il veut modifier pour convenances personnelles. Moi, je ne sais pas"
Les convenances personnelles, vous les gardez
- "Je ne sais pas ce que sera l'avenir. Je sais simplement que l'on ne joue pas avec des échéances électorales. Il y a aujourd'hui une concordance d'événements - la dissolution, les règles juridiques, la mort de Pompidou - qui fait qu'aujourd'hui l'élection législative est avant l'élection présidentielle. "
Il semble paradoxal voire comique que les socialistes, et L. Jospin en tête, défendent les institutions, la fonction du Président, telles que le général De Gaulle les a définies et appliquées.
- "Mais non, parce que si on rentre dans ce mécanisme et dans ce fait qu'on va changer le calendrier électoral, cela veut dire progressivement la fin du droit de dissolution et cela veut dire un régime d'assemblée. Ne vous y méprenez pas."
Je voudrais vous demander si votre position est définitive ?
- "C'est ma position définitive à moi !"
Est-ce que vous ne croyez pas que pour les Français, sur un problème aussi important que la préséance dans les institutions du Président de la République, il faudrait que M. Chirac s'explique ou parle ?
- "Il ne vous a pas échappé que le Président de la République a évoqué ce sujet le 14 juillet dernier lorsqu'il a dit "il faudra un débat".
Il lui est arrivé de changer d'un 14 juillet à l'autre, pardon de le dire, mais c'est un fait.
- "Oui, comme M. Jospin a changé puisqu'il y a quinze jours, il était contre la version, et aujourd'hui il est pour. N'ayons pas recours au général De Gaulle. J'en ai assez d'entendre M. Jospin et les socialistes qui ont toute leur vie critiqué le général De Gaulle. Aujourd'hui, alors qu'il est mort, c'est trop facile dire ce qu'il aurait fait. Moi, je sais ce que sont les institutions de la Vème République : la clé de voûte, c'est le Président de la République et cette clé de voûte est fondée sur l'article 19."
Donc, il faut les élections présidentielles d'abord.
- "Il ne faut pas modifier la règle et il ne faut pas jouer avec le suffrage universel."
M. Chirac va laisser, et vous aussi, se développer une initiative parlementaire ?
- "M. Jospin n'a pas besoin de l'opposition"
Il lui faut quinze voix.
- "Il n'a pas besoin de l'opposition, sauf que dans son clan, dans son camp, les communistes et les Verts ne veulent pas voter. Alors qu'est-ce qui va se passer ? Il va y avoir, comme sous la IVème République, un marchandage. Il va obtenir l'accord des Verts et des communistes en leur proposant la proportionnelle; on en est revenu aux régimes anciens. "
Mais attendez qu'il le décide
- "Il va le décider, c'est évident !"
N'anticipons pas ! Voyons l'état de la droite, elle a signé une pétition d'élus qui a été publiée dans " Le Figaro ". Trois quarts choisissent l'union, un quart, des UDF surtout, préfèrent leur autonomie. Comment allez-vous faire l'union, la vraie union ?
- "Je crois que l'union se fera autour d'un projet. J'ai une suggestion à faire et cette suggestion, c'est de créer une Fondation nationale de l'opposition république. Quel est son but ? Elle sera chargée de faire la synthèse des propositions du RPR, de l'UDF, de DL, des clubs, des groupes de réflexion, afin de proposer un projet d'alternance. Nous ferons l'union, nous ferons le rassemblement tous ensemble autour non pas d'une structure mais autour d'un projet et d'une ambition que nous ferons partager aux Français."
Une fondation ?
- "Une Fondation nationale de l'opposition république, comme il y a"
Ce n'est pas flou ?
- "...comme il y a la fondation Konrad Adenauer comme il y a la fondation Jean Jaurès pour les socialistes. Un rassemblement en dehors des partis politiques pour créer pour l'avenir un projet."
Et vous le faites rapidement ?
- "Il faut que ce soit fait dans les semaines qui viennent pour que cette synthèse des réflexions puisse être publiée dans les six à huit mois qui arrivent."
C'est-à-dire avant les municipales la Fondation existe, et le projet au moment des législatives.
- "La veille des législatives, pour que l'ensemble de ceux qui se réclament de la droite ait un corps de doctrine commun."
Mais vous aurez M. Madelin qui signe par exemple la pétition, qui se déclare le lendemain sur France 3 déçu par J. Chirac et qui se présente . Il se présente réellement ou c'est pour chauffer la place et faire semblant ?
- "Vous savez qu'aujourd'hui le grand frein à l'union, ce sont les petites phrases. Moi, je suis un partisan acharné de l'union et je suis aussi pour que les grands chefs arrêtent de s'envoyer des petites phrases à la figure."
F. Bayrou sera candidat ?
- "On ne peut pas empêcher quelqu'un d'être candidat. Je souhaite simplement que nous nous retrouvions tous autour d'un projet et d'une ambition pour l'avenir."
Oui, mais au service d'un champion qui serait J. Chirac.
- "Oui, je pense que celui qui peut le mieux rassembler aujourd'hui l'opposition, c'est J. Chirac. Mais il y a les élections législatives et il faut que pour les élections législatives, l'ensemble de l'opposition ait une ambition commune."
F. Bayrou sera le troisième homme ou non ?
- "Il sera candidat s'il le souhaite, mais ce n'est pas mon candidat."
Il paraît que vous vous présentez à Evreux pour enlever la mairie au PC. D'après " Le Parisien " et selon l'entourage de M. Alliot-Marie, si la droite gagne en 2002 votre rêve secret, votre rêve caché est de devenir Premier ministre, c'est vrai ?
- "Vous me faites rire. Vous savez Matignon, je connais parfaitement. A la différence des Premiers ministres, j'ai descendu Matignon sur la rampe de l'escalier et non pas par le grand escalier comme le font les premiers ministres."
Vous aviez quel âge ?
- "J'avais quatorze an. Tout cela est ridicule. Ce qui m'importe, c'est que l'opposition soit unie et que J. Chirac gagnent les prochaines élections présidentielles."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 28 novembre 2000)