Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la vie de tous les jours, décrite à travers une exposition photographique, Paris le 8 décembre 2005.

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Circonstance : Inauguration de l'exposition "Est-ce ainsi que les hommes vivent" au Sénat, le 8 décembre 2005

Texte intégral

Madame la directrice générale,
Mes chers collègues,
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes aujourd'hui réunis pour inaugurer la treizième exposition de photographies accueillie sur les grilles du Sénat. Je dois avouer que le titre de cette exposition Est-ce ainsi que les hommes vivent m'a plongé dans une certaine perplexité.
Les amateurs de littérature auront certainement reconnu un vers d'Aragon, extrait d'un célèbre poème, adapté et chanté par Léo Ferré. Mais ces mêmes connaisseurs auront peut-être été surpris de ne pas retrouver dans l'exposition la tristesse désabusée qui imprègne le poème.
Aragon y évoque, en effet, ses souvenirs de soldat des troupes d'occupation françaises en Allemagne, après la Première guerre mondiale.
Reflet de cette société chamboulée par le traumatisme de la défaite et l'hyperinflation, toute une humanité en déroute défile dans ce poème.
« C'était un temps déraisonnable
« On avait mis les morts à table
« On faisait des châteaux de sable
« On prenait les loups pour des chiens... »
Ces vers nous évoquent les terribles tableaux d'Otto Dix ou George Grosz, portraits sans concession des premières années de la République de Weimar où mutilés, filles de joie et profiteurs de guerre mènent la farandole.
Or rien de ce sentiment de gâchis irrémédiable ne subsiste dans l'exposition qui est un hymne à la vie.
Les photos que nous avons parcourues ne sont pas dépourvues de dureté, du moins pour certaines d'entre elles, mais il s'en dégage un message d'espoir.
Rien d'étonnant à cela, car c'est une démarche délibérément humaniste, conforme à notre cahier des charges, qui a inspiré M. Gabriel Bauret lorsqu'il a entrepris le travail que nous voyons aujourd'hui exposé. L'idée de départ était de répondre, avec un décalage de cinquante ans, à l'exposition The family of man, réalisée par le photographe américain d'origine luxembourgeoise Edward Steichen, en proposant un nouveau panorama de la condition humaine à travers tous les continents, grâce à la diversité des regards des plus grands photographes contemporains.
Le fil conducteur de l'exposition est celui des étapes de la vie, de la petite enfance au passage du relais entre les générations. Aucun des aspects de l'activité humaine n'a été oublié : les jeux et les apprentissages, le travail et les amours, les fêtes et les deuils, le bruit et la fureur du monde mais aussi le silence de la méditation.
Oui, c'est bien ainsi que les hommes vivent. De la juxtaposition de ces images, de ces contrastes parfois violents, se dégage malgré tout un véritable sens : en fin de compte force reste à la vie, à l'humanité à tous les sens du terme.
Ceux qui, parmi vous, suivent ces expositions, inaugurées en l'an 2000, auront certainement remarqué qu'elles se répartissent en deux familles bien distinctes : tantôt c'est un regard personnel et unique qui est présenté au public - c'est le monde et l'époque « vus par » Yann Arthus-Bertrand, Eric Valli, Philippe Bourseiller, Reza, Yann Layma - tantôt c'est au contraire un panorama, une sorte de bilan - un siècle de sport, l'histoire de la Libération de la France, cinquante ans de photoreportage, etc.
Cette exposition appartient délibérément à la deuxième famille. Peut-être exige-t-elle un plus grand effort d'attention que ses cousines de la première famille mais elles révèlent comme ses s?urs de la deuxième famille des richesses insoupçonnées à qui veut bien prendre le recul nécessaire.
Les deux catégories répondent en tout cas au même but : en même temps qu'une émotion esthétique, donner à réfléchir sur notre temps sans sombrer dans un pessimisme délétère et démobilisateur.
La réflexion, n'est-ce pas la mission que les Républiques ont toujours assignée à leurs Sénats ?
Ainsi, par des chemins divers, le Sénat reste t-il fidèle à sa vocation.
Si le public manifeste le même intérêt à ce treizième enfant d'une famille déjà bien fournie qu'à ses aînés, nous aurons parfaitement accompli notre mission.
Nous pourrons alors renouveler nos remerciements aux éditions du Chêne et à leur directrice générale, Mme Isabelle Jendron, à Gabriel Bauret et à tous ceux qui ont soutenu ce projet, notamment Canon et le Fonds d'aide à la création du groupe Hachette.
Merci de nous avoir aidés à offrir aux passants de la rue de Médicis, grâce à ces images empruntées à la vie de tous les jours, une brève évasion de leur quotidien mais aussi une nouvelle occasion de communion.(Source http://www.senat.fr, le 28 décembre 2005)