Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec RTL le 13 avril 2006, sur l'aggravation de la crise nucléaire iranienne et la menace de sanctions internationales, et sur le partenariat franco-algérien et le report de la signature du traité d'amitié avec l'Algérie.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - L'histoire est en train de s'écrire alors que vous êtes ce matin sur RTL. 7h44, un "urgent" de l'AFP, le président Ahmadinejad, le président iranien annonce : "l'Iran ne suspendra pas l'enrichissement d'uranium". L'Iran est indifférent aux pressions, aux menaces de sanctions, M. Philippe Douste-Blazy. C'est l'échec de la diplomatie dans le dossier nucléaire iranien ?
R - C'est surtout un premier constat depuis hier puisque M. Ahmadinejad, le président de l'Iran, a fait savoir qu'ils avaient fait fonctionner avec succès une unité de 164 centrifugeuses d'enrichissement d'uranium en cascade. C'est donc oui. Nous sommes évidemment très préoccupés par ces déclarations qui vont exactement, directement à l'encontre des demandes répétées de l'Agence internationale de l'énergie atomique et surtout, de celles exprimées le 29 mars par l'ensemble du Conseil de sécurité des Nations unies.
Q - Donc les sanctions sont inévitables et on a l'impression que les Iraniens y sont indifférents.
R - M. El Baradeï, comme vous le savez, le directeur de l'Agence, se rend aujourd'hui en Iran. Il fera le point de la situation à son retour. Parce que le deuxième constat est là, c'est le directeur de l'Agence qui le fait, ce n'est pas nous, aucun besoin civil ne justifie les activités d'enrichissement entreprises par l'Iran. Et donc, il y a une nécessité face à ces deux constats. La nécessité qui doit être vite établie, c'est établir la confiance. Parce qu'il n'y a pas de confiance aujourd'hui entre l'Iran et la communauté internationale parce que des doutes existent sur la nature du programme iranien et parce que M. El Baradeï a dit à plusieurs reprises que l'Iran ne coopérait pas avec l'Agence.
Q - Soyons clairs, ce matin, M. Philippe Douste-Blazy : si aucun programme civil ne justifie le programme iranien en cours, c'est donc qu'il y a un programme militaire clandestin en Iran.
R - En tout cas, c'est la question que pose M. El Baradeï puisque les autorités iraniennes ont développé pendant 18 ans, en secret, un programme de production de matières fissiles. Et l'Agence a souligné un certain nombre d'éléments dont elle dit elle-même qu'ils pouvaient avoir une dimension nucléaire militaire et donc, nous lui demandons, en tant que Conseil de sécurité, une coopération totale, pas partielle, avec l'Agence.
Q - Sommes-nous d'accord, ce matin, M. Philippe Douste-Blazy, pour dire que les sanctions paraissent inévitables ?
R - Alors, l'action du Conseil de sécurité doit d'abord renforcer l'autorité du processus engagé par l'Agence, et si Téhéran ne prend pas les décisions nécessaires, le Conseil de sécurité des Nations unies devra alors prendre les mesures nécessaires à cette fin. Il y a des sanctions qui font partie des instruments à sa disposition. Le président de la République l'a dit hier, nous privilégions toujours une solution négociée à ce dossier. Nous disons aux Iraniens : "revenez à la raison, tout est réversible". L'objectif est une solution diplomatique et l'exigence que l'Iran se conforme à ses obligations internationales, aux demandes de l'Agence, aux demandes du Conseil de sécurité, car sinon, en effet, le Conseil de sécurité prendra ses responsabilités.
Q - Mais on sent bien que les Iraniens ne sont pas très sensibles aux menaces de sanctions. Comment évaluez-vous les menaces qui viennent des Etats-Unis ? Nous pourrions procéder à des frappes militaires, même si le président Bush les dément. Plusieurs journaux américains font état de plans militaires américains dans ce sens.
R - Ceci n'est absolument pas d'actualité. Nous sommes au Conseil de sécurité. Nous avons toujours cru au multilatéralisme. Nous croyons à l'ONU. C'est dans cette enceinte qu'il faut en parler, ce n'est pas dans un cénacle, ici ou là. Ce qui est important, est que nous reconnaissons, plus que jamais, à l'Iran le droit à l'énergie électronucléaire mais à des fins civiles et pacifiques. Nous leur avons dit qu'il était possible de travailler avec eux là-dessus mais à condition que ce ne soit pas pour des raisons militaires.
Et donc nous avons fait des propositions, à la fois sur des accords de commerce, à la fois sur le plan technologique, à la fois sur un dialogue politique et de sécurité. Si les autorités iraniennes répondent positivement, très bien, il peut y avoir une coopération ambitieuse. Sinon, encore une fois, le Conseil de sécurité prendra ses responsabilités.
Vous savez, nous avons déjà fait une déclaration présidentielle et pour la première fois, il y avait non seulement les Américains, évidemment les Européens, les Britanniques et les Français, mais il y avait aussi les Russes et les Chinois. Et au sein du Conseil de sécurité, non seulement les membres permanents mais aussi les membres non permanents, eh bien tout le monde a voté, de manière unanime. Donc la communauté internationale dit fermement aux Iraniens : "arrêtez, suspendez toute activité nucléaire sensible, tant qu'il est temps" et d'autre part, nous le faisons de manière unie, parce que si nous n'étions pas unis, si les Russes et les Chinois, par exemple, n'étaient pas avec nous, ou, si les Américains étaient seuls, alors les Iraniens en profiteraient.
Q - A un moment, M. Philippe Douste-Blazy, il faut tirer les leçons de l'entêtement des Iraniens et convenir que la diplomatie ne sert plus à grand chose dans ce dossier.
R - Ce qui a été dit est très clair. Les Iraniens ont trente jours, depuis 15 jours, pour répondre. Ils sont en train de répondre. S'ils ne reviennent pas, au bout d'un mois, sur leur décision, une fois que la déclaration présidentielle du Conseil de sécurité des Nations unis a été écrite par tous, le Conseil de sécurité en tirera les conséquences.
Q - Enfin, le délai c'était le 28 avril. Vous étiez dimanche et lundi en Algérie, M. Philippe Douste-Blazy. On n'a pas compris votre insistance à vouloir à tout prix signer le traité d'amitié avec l'Algérie parce que visiblement, les Algériens n'en veulent pas. Alors pourquoi cette insistance ?
R - Je ne pense pas qu'ils n'en veulent pas. Je pense que c'est plus compliqué que cela. Je crois d'abord que l'Algérie, c'est une très grande économie aujourd'hui. C'est un pays qui est à 5 - 5,5 % de croissance. C'est un pays où bon nombre de nos partenaires vont aujourd'hui, je pense aux Américains, je pense à d'autres Européens. Et puis, pour nous, le Maghreb, c'est 110, 120 millions de personnes qui parlent le français. Géopolitiquement, géostratégiquement, c'est très important. Il y a des ressources, il y a du pétrole, et puis surtout, aussi, c'est un pays ami. C'est un pays partenaire, oui, faisons un partenariat d'exception avec l'Algérie.
Q - Il y a encore des difficultés. "Il faut faire une évaluation de nos relations" a dit, devant vous, en conférence de presse, sans beaucoup d'égard, votre homologue algérien, Mohamed Bedjaoui.
R - Je vais vous dire très franchement ce que je pense. L'Algérie a marqué son intérêt de principe sur un traité d'amitié. Il a en même temps clairement indiqué qu'il attendait que ce traité prenne en compte ces attentes qui concernent les questions de mémoire et d'autre part les questions de circulation de personnes. Comme vous le savez, aujourd'hui, par exemple un Tunisien, un Marocain peut avoir un visa très facilement, immédiatement, alors qu'un Algérien est soumis à ce que l'on appelle une condition, une obligation de demander à tous les partenaires de l'espace Schengen s'ils veulent ou pas accorder ce visa. Donc, c'est vrai que nous devons faire des progrès là-dessus. C'est vrai que les historiens, les chercheurs, pas les hommes politiques, pas les députés ou les sénateurs, mais les historiens et les chercheurs doivent écrire, de manière commune, Algériens et Français, notre mémoire.
Q - Et ce traité d'amitié, vous croyez avant la fin de l'année. C'est ce que vous disiez, paraît-il...
R - Je n'ai pas de calendrier. Les deux présidents, en mars 2003, lors de la visite du président Chirac en Algérie, qui avait été un très grand succès, avait écrit cette déclaration d'Alger, qui est notre Feuille de route, à mon homologue et à moi. Je suis persuadé que nous avons beaucoup de choses à faire très positives avec l'Algérie. C'est un partenaire, il faut le traiter d'égal à égal. C'est ce que j'ai dit à mon homologue. C'est ce que j'ai dit au président Bouteflika, qui m'a reçu plus de deux heures et demi. C'est ce que je dis au Premier ministre algérien.
Q - M. Philippe Douste-Blazy, il y a aussi le Tchad, on n'a pas, hélas, le temps d'en parler. Il y a aussi Toulouse, la vie continue, Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères, vous étiez invité de RTL ce matin, bonne journée.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 avril 2006