Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
En répondant à linvitation de lassociation " Impacts Environnement ", qui regroupe les étudiants de lIUP (Institut universitaire professionnalisé) " Gestion et Génie de lEnvironnement ", et du DESS (Diplôme détudes supérieures spécialisées) " Espace et milieux ", je me suis fait un petit plaisir, celui de me replonger un temps dans latmosphère universitaire.
Passer des hémicycles des palais nationaux à un amphithéâtre comme celui-ci est un exercice revigorant. Sy ajoute la possibilité qui mest offerte aujourdhui de développer devant vous, enseignants-chercheurs et étudiants, quelques idées qui me sont chères sur la recherche et la formation dans le domaine de lenvironnement.
En effet, pour que mon ministère puisse agir avec efficacité dans son champ de compétences, qui est vaste, comme vous le savez, il faut une recherche, en amont, et des femmes et des hommes formés, en aval.
Jai besoin de vous aussi bien dans le domaine de la prévention ou du traitement des pollutions et des risques, que dans celui de la gestion de lespace.
Nous nous trouvons, en France, dans une situation bien curieuse :
- Il y a, dun côté, le ministère de lAménagement du territoire et de lEnvironnement, qui manque terriblement, dans la mise en uvre de sa politique, des données scientifiques qui seraient utiles à la prise de décision, des personnels capables de les collecter et de les utiliser, et des bases théoriques nécessaires à la conception même de sa politique ;
- Il y a, de lautre, les statistiques, établies par lObservatoire des Sciences et Techniques en 1998, qui montrent que notre pays bénéficie dun effort de recherche très honorable (2,4 % du PIB, soit mieux que la plupart des pays européens) et plus concentré quailleurs sur la recherche publique. La contribution du secteur militaire reste importante (37 %, contre 9 % en Allemagne et 22 % en moyenne en Europe), mais nexplique pas la faible part consacrée à lenvironnement dans la recherche publique (seulement 3 %, et 6,7 % si lon compte aussi la recherche participant indirectement à la connaissance de lenvironnement).
Les récentes " assises de linnovation ", organisées par le gouvernement, ont souligné les lacunes en matière de transfert de technologie vers les entreprises, et ont permis ladoption de nouvelles mesures. Je men réjouis, car je suis persuadée que beaucoup de ces innovations sont attendues dans le champ de lenvironnement et de la qualité de la vie, et que le renouveau de lactivité économique est porteur demploi. Néanmoins, je tiens à attirer lattention sur quelques points :
1. Dune part, linnovation ne doit pas concerner seulement les entreprises, mais aussi les services publics, et plus globalement les politiques publiques. Le sens de la recherche nest pas seulement à trouver sur la ligne " science-technologie-marché ", mais aussi sur laxe " science-innovation-société ", car dimmenses progrès restent à faire, en faveur dune meilleure qualité de vie et denvironnement. Les responsables politiques ont besoin danticipations scientifiques innovantes et dexpertises sur les conséquences, éventuellement inédites, des choix publics et des projets privés. Le cas des OGM en fournit un exemple.
2. Dautre part, si des progrès peuvent être faits en matière demploi dans les entreprises, la plupart des experts doutent que, même avec une croissance retrouvée, cela suffise pour créer les emplois qui manquent aujourdhui. Cest le tiers-secteur, celui des services non marchands (comme le domaine social et environnemental), qui est amené à se développer le plus rapidement.
3. En outre, si des efforts considérables sont accomplis dans certains domaines de la recherche fondamentale et en matière de transfert de technologie et dinnovation, en particulier grâce à laction de Claude Allègre, force est de constater que lon ne sest pas encore suffisamment penché sur divers volets que sont par exemple :
- lévaluation socio-économique et environnementale, qui conduit à lélaboration dindicateurs du développement soutenable ;
- les modes délaboration des décisions ;
- les conséquences de lapplication du principe de précaution ;
- enfin, il est devenu essentiel de réduire la distance qui sépare "ceux qui savent" (ou croient savoir) de "ceux qui ont des peurs irrationnelles" (ou disposent déléments objectifs non encore appréhendés par les ingénieurs ou les chercheurs).
La source de nos difficultés me semble se trouver dans les caractéristiques mêmes de notre dispositif de recherche, et découler de plusieurs paramètres dont je ne relèverai que certains :
4. Lorganisation disciplinaire de lUniversité et de la recherche française, héritée de notre culture cartésienne et dun positivisme réductionniste du XIXe siècle, qui tendent à handicaper les initiatives interdisciplinaires. Comme lécrivait avec justesse Claude Allègre lan dernier (Le Monde, 6 février 1998) : " Hier, on pensait que la complexité pouvait se décomposer en éléments simples. Aujourdhui, on découvre que la seule approche pertinente des systèmes complexes est celle de la globalité. Le réductionnisme atteint ses limites (). Ce qui est vrai pour la bactérie nest pas vrai pour léléphant [je devrais dire le mammouth], contrairement à ce que disait Jacques Monod à laube de la biologie moléculaire. () Il ny a pas si longtemps encore, on tenait les sciences de la nature pour de pures descriptions qualitatives. Aujourdhui, ce sont les sciences de la vie ou celles de la Terre qui occupent le devant de la scène (). "
Bien entendu, il nest pas question de nier les prodigieux apports de la biologie moléculaire. En revanche, on peut sinterroger sur les processus qui ont conduit à reléguer, voire à éliminer les approches qui ne sinscrivaient pas dans la pensée unique réductionniste du moment. Pour fréquenter de temps à autre des naturalistes de terrain, je comprends leur émerveillement devant la diversité des espèces et la subtilité des rapports qui sétablissent entre elles. Je comprends leur regret de voir que lon privilégie des approches théoriques aux approches concrètes.
Méfions-nous des dogmes hérités de visions mono-disciplinaires qui cloisonnent les savoirs et refusent les approches ouvertes. Les péripéties de laffaire de la vache folle et de la maladie de Creutzfeldt-Jacob doivent nous faire réfléchir. Parce quelles peuvent remettre en cause le dogme de la biologie moléculaire affirmant que les seuls supports de linformation génétique sont lADN et lARN, des hypothèses sont exclues a priori. Et pourtant le propre de la recherche nest-il pas de remettre sans cesse en cause les connaissances acquises ?
5. Linadéquation avec la demande sociale. Qui se soucie de cette demande ? Cest paradoxalement la grande absente de la recherche publique. Ainsi, le chercheur est-il évalué sur ses résultats, publiés dans des revues scientifiques internationales, et jugés par ses pairs sur des critères disciplinaires. Alors que la pertinence de la recherche au regard de lattente de la société ne fait pas vraiment lobjet des procédures dorientation et dévaluation.
Ainsi, mon cabinet vient-il de recevoir le responsable dune équipe de recherche dune grande université régionale, dont lexpertise est constamment sollicitée à léchelle régionale par les collectivités locales, au niveau national par mon ministère, et au niveau européen, voire international (lun des chercheurs de cette équipe vient même de se voir confier des responsabilités au niveau mondial). Mais comme le thème de recherche de cette équipe et de ses chercheurs ne sinscrit pas dans le cadre étroit des commissions dhabilitation et de spécialistes actuelles, qui en sont encore à une approche académique, elle ne peut bénéficier de la reconnaissance officielle nécessaire à lobtention de crédits ou de postes. Cet exemple illustre parfaitement les remarques de Claude Allègre.
Les études prospectives récentes, que nous avons faites avec le ministère de lEducation nationale, de la Recherche et de la Technologie sur les thèmes prioritaires et émergents, dune part (Enquête internationale auprès de la communauté scientifique, 1998) et la demande sociale en recherche environnementale, dautre part (Etude prospective de la demande environnement et sa traduction en termes de Recherche et Développement, 1998), montrent bien la nécessité de faire appel à la pluridisciplinarité et aux sciences humaines et sociales. Elles soulignent le décalage entre la répartition effective des efforts de recherche et la demande. Dans la recherche sur lenvironnement, la France pâtit dun sous-investissement en socio-économie, en épidémiologie, en éco-toxicologie et dans létude du fonctionnement des écosystèmes.
Toujours est-il que, pour fonder les politiques de lenvironnement, ou même tout simplement pour contrôler la mise en uvre des politiques publiques, nous souffrons de lacunes persistantes. Je ne citerai que quelques exemples :
1. Les risques naturels, tels que ceux quont connu lItalie du Sud lannée passée et les Alpes françaises ces jours derniers, ne sont pas cartographiés partout en France avec une précision suffisante, ni pris en compte de manière systématique dans les plans doccupation des sols. Les recherches sur les facteurs déclenchants et les fonctionnements socio-économiques bloquants ou facilitants comme la mémoire du risque sont insuffisantes.
2. La gestion despaces supports de diversité biologique, que ce soit dans le cadre des mesures agri-environnementales, des sites Natura 2000, et demain dans celui du schéma de services des espaces naturels et ruraux prévus par la loi dorientation pour laménagement et le développement durable du territoire, demande des approches particulières. Linterdisciplinarité, cest-à-dire la conjonction de savoirs naturalistes (sciences des organismes vivants, sciences géographiques, sciences du sol) à dautres savoirs sociaux, historiques, juridiques, etc., y est indispensable.
Mais comme le dit mon ami le professeur Théodore Monod, dont on connaît lextraordinaire culture scientifique, certaines des disciplines essentielles à la connaissance des milieux et de leur fonctionnement sont en déshérence : " En France, la systématique nest plus enseignée. Des mots aussi fondamentaux que "botanique" ou "zoologie" ont maintenant disparu totalement du vocabulaire universitaire et même académique. " (Le Monde, 18 mars 1997).
Cela est tout à fait paradoxal, au moment où la France a bénéficié de linstallation de lantenne thématique Nature de lAgence européenne de lEnvironnement. Le travail de cette antenne repose, en effet, pour une bonne part, sur le travail de naturalistes de terrain. Cest également paradoxal au moment où la France cherche à reprendre place dans des organisations internationales où lon traite de la diversité biologique. Nos voisins européens, qui nont pas laissé disparaître les disciplines systématiques, y font bonne figure, alors que les Français font défaut.
3. La connaissance de lévolution de la pollution par les pesticides, les métaux lourds et les composés organiques des nappes phréatiques et les eaux superficielles est insuffisante pour déterminer des tendances, et a fortiori les modes de remédiation et de prévention locale des impacts. Grâce aux progrès de la chimie, lon sait traiter nombre de ces pollutions, souvent à grands frais.
Mais sest-on assez soucié de la prévention ou de latténuation par la gestion spatiale ? Un système bocager, le maintien de zones humides, ou encore despaces boisés riverains de cours deau sont des éléments qui contribuent à lélimination de certaines pollutions. Je voudrais être sûre quils soient bien intégrés aujourdhui dans les programmes de lutte contre les pollutions.
LUniversité Paris VII, née des turbulences de Mai 68, sest très tôt intéressée au domaine qui nous rassemble aujourdhui. Ne crée-t-elle pas, en 1970, une filière Environnement, avant même que ne soit institué un ministère du même nom, dont je suis la quatorzième titulaire ? De même, votre université met en place un département dEnvironnement, quelques mois après la naissance du ministère en charge de la protection de la nature et de lenvironnement.
Le fait davoir souhaité, en 1997, la réunion sous une même responsabilité de lAménagement du territoire et de lEnvironnement souligne mon souci de voir se développer les approches spatiales de lenvironnement. Cest pourquoi mon ministère sest intéressé à la filière associant biologie de terrain et géographie, instituée il y aura bientôt quinze ans, filière qui a vu depuis ladjonction dun volet physico-chimique tourné vers le traitement des pollutions et des déchets.
Jai fait savoir à Claude Allègre tout lintérêt porté par mon ministère au maintien dun enseignement professionnalisé, apte à former des gestionnaires qui puissent mettre en uvre les politiques quil développe. Je lai aussi écrit au Président de lUniversité Paris VII, Denis-Diderot.
Le forum rassemblant étudiants et entreprises, organisé par lassociation Impacts Environnement, a dû confirmer la donnée suivante : la majeure partie des emplois créés dans le domaine de lenvironnement concerne les secteurs de leau et des déchets. Quel que puisse être lattrait exercé par lours brun ou le râle des genêts et je comprends la passion qui anime celles et ceux qui sy intéressent , ce serait faire preuve de beaucoup de romantisme que de croire que ces espèces procureront de nombreux emplois de diplômés.
Mais lon sait aussi que les politiques daménagement du territoire qui se développent ou vont se mettre en place entraînent et entraîneront le recours à des diplômés issus de filières tournées vers la gestion de lespace telles que celles de lIUP " Gestion et Génie de lEnvironnement ", et du DESS " Espace et milieux ".
Dans un monde où lon sait quil sera de plus en plus nécessaire de changer de profession au cours dune carrière, ce que nont pas connu vos prédécesseurs, je suis persuadée quune formation généraliste de bon niveau permet plus facilement de sadapter.
Nous vivons une époque paradoxale. Les besoins sont grands, mais bien souvent la société naccepte pas de payer le juste prix pour répondre à la demande, et par ailleurs la réponse administrative nest pas en phase avec la réalité de la demande. Mon ministère, qui ne dispose pas de corps propre, peut engager soit des fonctionnaires provenant de corps dautres ministères, soit des contractuels. Or la formation des premiers, dont je puis disposer relativement facilement, ne correspond pas forcément aux besoins réels de mon ministère. Je préférerais souvent bénficier, pour certains postes, de personnes formés dans les universités.
Dans un marché du travail incertain, je ne peux donc apporter aucune garantie. Je tiens cependant à souligner que, dans le cadre du programme des emplois-jeunes, lancé par le gouvernement à lautomne 1997, les emplois dans le domaine de lenvironnement sont ceux qui arrivent en tête, avec 14,6 % des créations (hors Education nationale et Police), soit
10 000 emplois. Certes, ces emplois ne concernent pas que des diplômés. Un recensement en cours permet destimer à environ 30 % des emplois déjà créés ceux qui requièrent une qualification de niveau DESS ou ingénieur dans les domaines qui vous concernent.
Les besoins sont loin dêtre comblés. Cest pourquoi jespère que les formations délivrées par lUniversité Paris VII Denis-Diderot vous conduiront à occuper, dans les années à venir, des postes de travail pour lesquels vous vous êtes préparés avec beaucoup denthousiasme, dans un contexte difficile.
Vous avez le droit despérer exercer, demblée, un vrai métier, avec un vrai salaire. Je suis décidée à vous aider. Mais je vous demande aussi dappuyer mes efforts pour que soient pris en compte, dans les entreprises et dans lappareil de lEtat, les besoins de la société daujourdhui.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.environnement.gouv.fr le 22 février 1999)
En répondant à linvitation de lassociation " Impacts Environnement ", qui regroupe les étudiants de lIUP (Institut universitaire professionnalisé) " Gestion et Génie de lEnvironnement ", et du DESS (Diplôme détudes supérieures spécialisées) " Espace et milieux ", je me suis fait un petit plaisir, celui de me replonger un temps dans latmosphère universitaire.
Passer des hémicycles des palais nationaux à un amphithéâtre comme celui-ci est un exercice revigorant. Sy ajoute la possibilité qui mest offerte aujourdhui de développer devant vous, enseignants-chercheurs et étudiants, quelques idées qui me sont chères sur la recherche et la formation dans le domaine de lenvironnement.
En effet, pour que mon ministère puisse agir avec efficacité dans son champ de compétences, qui est vaste, comme vous le savez, il faut une recherche, en amont, et des femmes et des hommes formés, en aval.
Jai besoin de vous aussi bien dans le domaine de la prévention ou du traitement des pollutions et des risques, que dans celui de la gestion de lespace.
Nous nous trouvons, en France, dans une situation bien curieuse :
- Il y a, dun côté, le ministère de lAménagement du territoire et de lEnvironnement, qui manque terriblement, dans la mise en uvre de sa politique, des données scientifiques qui seraient utiles à la prise de décision, des personnels capables de les collecter et de les utiliser, et des bases théoriques nécessaires à la conception même de sa politique ;
- Il y a, de lautre, les statistiques, établies par lObservatoire des Sciences et Techniques en 1998, qui montrent que notre pays bénéficie dun effort de recherche très honorable (2,4 % du PIB, soit mieux que la plupart des pays européens) et plus concentré quailleurs sur la recherche publique. La contribution du secteur militaire reste importante (37 %, contre 9 % en Allemagne et 22 % en moyenne en Europe), mais nexplique pas la faible part consacrée à lenvironnement dans la recherche publique (seulement 3 %, et 6,7 % si lon compte aussi la recherche participant indirectement à la connaissance de lenvironnement).
Les récentes " assises de linnovation ", organisées par le gouvernement, ont souligné les lacunes en matière de transfert de technologie vers les entreprises, et ont permis ladoption de nouvelles mesures. Je men réjouis, car je suis persuadée que beaucoup de ces innovations sont attendues dans le champ de lenvironnement et de la qualité de la vie, et que le renouveau de lactivité économique est porteur demploi. Néanmoins, je tiens à attirer lattention sur quelques points :
1. Dune part, linnovation ne doit pas concerner seulement les entreprises, mais aussi les services publics, et plus globalement les politiques publiques. Le sens de la recherche nest pas seulement à trouver sur la ligne " science-technologie-marché ", mais aussi sur laxe " science-innovation-société ", car dimmenses progrès restent à faire, en faveur dune meilleure qualité de vie et denvironnement. Les responsables politiques ont besoin danticipations scientifiques innovantes et dexpertises sur les conséquences, éventuellement inédites, des choix publics et des projets privés. Le cas des OGM en fournit un exemple.
2. Dautre part, si des progrès peuvent être faits en matière demploi dans les entreprises, la plupart des experts doutent que, même avec une croissance retrouvée, cela suffise pour créer les emplois qui manquent aujourdhui. Cest le tiers-secteur, celui des services non marchands (comme le domaine social et environnemental), qui est amené à se développer le plus rapidement.
3. En outre, si des efforts considérables sont accomplis dans certains domaines de la recherche fondamentale et en matière de transfert de technologie et dinnovation, en particulier grâce à laction de Claude Allègre, force est de constater que lon ne sest pas encore suffisamment penché sur divers volets que sont par exemple :
- lévaluation socio-économique et environnementale, qui conduit à lélaboration dindicateurs du développement soutenable ;
- les modes délaboration des décisions ;
- les conséquences de lapplication du principe de précaution ;
- enfin, il est devenu essentiel de réduire la distance qui sépare "ceux qui savent" (ou croient savoir) de "ceux qui ont des peurs irrationnelles" (ou disposent déléments objectifs non encore appréhendés par les ingénieurs ou les chercheurs).
La source de nos difficultés me semble se trouver dans les caractéristiques mêmes de notre dispositif de recherche, et découler de plusieurs paramètres dont je ne relèverai que certains :
4. Lorganisation disciplinaire de lUniversité et de la recherche française, héritée de notre culture cartésienne et dun positivisme réductionniste du XIXe siècle, qui tendent à handicaper les initiatives interdisciplinaires. Comme lécrivait avec justesse Claude Allègre lan dernier (Le Monde, 6 février 1998) : " Hier, on pensait que la complexité pouvait se décomposer en éléments simples. Aujourdhui, on découvre que la seule approche pertinente des systèmes complexes est celle de la globalité. Le réductionnisme atteint ses limites (). Ce qui est vrai pour la bactérie nest pas vrai pour léléphant [je devrais dire le mammouth], contrairement à ce que disait Jacques Monod à laube de la biologie moléculaire. () Il ny a pas si longtemps encore, on tenait les sciences de la nature pour de pures descriptions qualitatives. Aujourdhui, ce sont les sciences de la vie ou celles de la Terre qui occupent le devant de la scène (). "
Bien entendu, il nest pas question de nier les prodigieux apports de la biologie moléculaire. En revanche, on peut sinterroger sur les processus qui ont conduit à reléguer, voire à éliminer les approches qui ne sinscrivaient pas dans la pensée unique réductionniste du moment. Pour fréquenter de temps à autre des naturalistes de terrain, je comprends leur émerveillement devant la diversité des espèces et la subtilité des rapports qui sétablissent entre elles. Je comprends leur regret de voir que lon privilégie des approches théoriques aux approches concrètes.
Méfions-nous des dogmes hérités de visions mono-disciplinaires qui cloisonnent les savoirs et refusent les approches ouvertes. Les péripéties de laffaire de la vache folle et de la maladie de Creutzfeldt-Jacob doivent nous faire réfléchir. Parce quelles peuvent remettre en cause le dogme de la biologie moléculaire affirmant que les seuls supports de linformation génétique sont lADN et lARN, des hypothèses sont exclues a priori. Et pourtant le propre de la recherche nest-il pas de remettre sans cesse en cause les connaissances acquises ?
5. Linadéquation avec la demande sociale. Qui se soucie de cette demande ? Cest paradoxalement la grande absente de la recherche publique. Ainsi, le chercheur est-il évalué sur ses résultats, publiés dans des revues scientifiques internationales, et jugés par ses pairs sur des critères disciplinaires. Alors que la pertinence de la recherche au regard de lattente de la société ne fait pas vraiment lobjet des procédures dorientation et dévaluation.
Ainsi, mon cabinet vient-il de recevoir le responsable dune équipe de recherche dune grande université régionale, dont lexpertise est constamment sollicitée à léchelle régionale par les collectivités locales, au niveau national par mon ministère, et au niveau européen, voire international (lun des chercheurs de cette équipe vient même de se voir confier des responsabilités au niveau mondial). Mais comme le thème de recherche de cette équipe et de ses chercheurs ne sinscrit pas dans le cadre étroit des commissions dhabilitation et de spécialistes actuelles, qui en sont encore à une approche académique, elle ne peut bénéficier de la reconnaissance officielle nécessaire à lobtention de crédits ou de postes. Cet exemple illustre parfaitement les remarques de Claude Allègre.
Les études prospectives récentes, que nous avons faites avec le ministère de lEducation nationale, de la Recherche et de la Technologie sur les thèmes prioritaires et émergents, dune part (Enquête internationale auprès de la communauté scientifique, 1998) et la demande sociale en recherche environnementale, dautre part (Etude prospective de la demande environnement et sa traduction en termes de Recherche et Développement, 1998), montrent bien la nécessité de faire appel à la pluridisciplinarité et aux sciences humaines et sociales. Elles soulignent le décalage entre la répartition effective des efforts de recherche et la demande. Dans la recherche sur lenvironnement, la France pâtit dun sous-investissement en socio-économie, en épidémiologie, en éco-toxicologie et dans létude du fonctionnement des écosystèmes.
Toujours est-il que, pour fonder les politiques de lenvironnement, ou même tout simplement pour contrôler la mise en uvre des politiques publiques, nous souffrons de lacunes persistantes. Je ne citerai que quelques exemples :
1. Les risques naturels, tels que ceux quont connu lItalie du Sud lannée passée et les Alpes françaises ces jours derniers, ne sont pas cartographiés partout en France avec une précision suffisante, ni pris en compte de manière systématique dans les plans doccupation des sols. Les recherches sur les facteurs déclenchants et les fonctionnements socio-économiques bloquants ou facilitants comme la mémoire du risque sont insuffisantes.
2. La gestion despaces supports de diversité biologique, que ce soit dans le cadre des mesures agri-environnementales, des sites Natura 2000, et demain dans celui du schéma de services des espaces naturels et ruraux prévus par la loi dorientation pour laménagement et le développement durable du territoire, demande des approches particulières. Linterdisciplinarité, cest-à-dire la conjonction de savoirs naturalistes (sciences des organismes vivants, sciences géographiques, sciences du sol) à dautres savoirs sociaux, historiques, juridiques, etc., y est indispensable.
Mais comme le dit mon ami le professeur Théodore Monod, dont on connaît lextraordinaire culture scientifique, certaines des disciplines essentielles à la connaissance des milieux et de leur fonctionnement sont en déshérence : " En France, la systématique nest plus enseignée. Des mots aussi fondamentaux que "botanique" ou "zoologie" ont maintenant disparu totalement du vocabulaire universitaire et même académique. " (Le Monde, 18 mars 1997).
Cela est tout à fait paradoxal, au moment où la France a bénéficié de linstallation de lantenne thématique Nature de lAgence européenne de lEnvironnement. Le travail de cette antenne repose, en effet, pour une bonne part, sur le travail de naturalistes de terrain. Cest également paradoxal au moment où la France cherche à reprendre place dans des organisations internationales où lon traite de la diversité biologique. Nos voisins européens, qui nont pas laissé disparaître les disciplines systématiques, y font bonne figure, alors que les Français font défaut.
3. La connaissance de lévolution de la pollution par les pesticides, les métaux lourds et les composés organiques des nappes phréatiques et les eaux superficielles est insuffisante pour déterminer des tendances, et a fortiori les modes de remédiation et de prévention locale des impacts. Grâce aux progrès de la chimie, lon sait traiter nombre de ces pollutions, souvent à grands frais.
Mais sest-on assez soucié de la prévention ou de latténuation par la gestion spatiale ? Un système bocager, le maintien de zones humides, ou encore despaces boisés riverains de cours deau sont des éléments qui contribuent à lélimination de certaines pollutions. Je voudrais être sûre quils soient bien intégrés aujourdhui dans les programmes de lutte contre les pollutions.
LUniversité Paris VII, née des turbulences de Mai 68, sest très tôt intéressée au domaine qui nous rassemble aujourdhui. Ne crée-t-elle pas, en 1970, une filière Environnement, avant même que ne soit institué un ministère du même nom, dont je suis la quatorzième titulaire ? De même, votre université met en place un département dEnvironnement, quelques mois après la naissance du ministère en charge de la protection de la nature et de lenvironnement.
Le fait davoir souhaité, en 1997, la réunion sous une même responsabilité de lAménagement du territoire et de lEnvironnement souligne mon souci de voir se développer les approches spatiales de lenvironnement. Cest pourquoi mon ministère sest intéressé à la filière associant biologie de terrain et géographie, instituée il y aura bientôt quinze ans, filière qui a vu depuis ladjonction dun volet physico-chimique tourné vers le traitement des pollutions et des déchets.
Jai fait savoir à Claude Allègre tout lintérêt porté par mon ministère au maintien dun enseignement professionnalisé, apte à former des gestionnaires qui puissent mettre en uvre les politiques quil développe. Je lai aussi écrit au Président de lUniversité Paris VII, Denis-Diderot.
Le forum rassemblant étudiants et entreprises, organisé par lassociation Impacts Environnement, a dû confirmer la donnée suivante : la majeure partie des emplois créés dans le domaine de lenvironnement concerne les secteurs de leau et des déchets. Quel que puisse être lattrait exercé par lours brun ou le râle des genêts et je comprends la passion qui anime celles et ceux qui sy intéressent , ce serait faire preuve de beaucoup de romantisme que de croire que ces espèces procureront de nombreux emplois de diplômés.
Mais lon sait aussi que les politiques daménagement du territoire qui se développent ou vont se mettre en place entraînent et entraîneront le recours à des diplômés issus de filières tournées vers la gestion de lespace telles que celles de lIUP " Gestion et Génie de lEnvironnement ", et du DESS " Espace et milieux ".
Dans un monde où lon sait quil sera de plus en plus nécessaire de changer de profession au cours dune carrière, ce que nont pas connu vos prédécesseurs, je suis persuadée quune formation généraliste de bon niveau permet plus facilement de sadapter.
Nous vivons une époque paradoxale. Les besoins sont grands, mais bien souvent la société naccepte pas de payer le juste prix pour répondre à la demande, et par ailleurs la réponse administrative nest pas en phase avec la réalité de la demande. Mon ministère, qui ne dispose pas de corps propre, peut engager soit des fonctionnaires provenant de corps dautres ministères, soit des contractuels. Or la formation des premiers, dont je puis disposer relativement facilement, ne correspond pas forcément aux besoins réels de mon ministère. Je préférerais souvent bénficier, pour certains postes, de personnes formés dans les universités.
Dans un marché du travail incertain, je ne peux donc apporter aucune garantie. Je tiens cependant à souligner que, dans le cadre du programme des emplois-jeunes, lancé par le gouvernement à lautomne 1997, les emplois dans le domaine de lenvironnement sont ceux qui arrivent en tête, avec 14,6 % des créations (hors Education nationale et Police), soit
10 000 emplois. Certes, ces emplois ne concernent pas que des diplômés. Un recensement en cours permet destimer à environ 30 % des emplois déjà créés ceux qui requièrent une qualification de niveau DESS ou ingénieur dans les domaines qui vous concernent.
Les besoins sont loin dêtre comblés. Cest pourquoi jespère que les formations délivrées par lUniversité Paris VII Denis-Diderot vous conduiront à occuper, dans les années à venir, des postes de travail pour lesquels vous vous êtes préparés avec beaucoup denthousiasme, dans un contexte difficile.
Vous avez le droit despérer exercer, demblée, un vrai métier, avec un vrai salaire. Je suis décidée à vous aider. Mais je vous demande aussi dappuyer mes efforts pour que soient pris en compte, dans les entreprises et dans lappareil de lEtat, les besoins de la société daujourdhui.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.environnement.gouv.fr le 22 février 1999)